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Trêve

Astre

Nous ne nous attardâmes pas dans la galerie des portraits, craignant que d'autres nobles rappliquent pour radoter sur les mêmes sornettes.

Neige proposa qu'on se rende à la bibliothèque – évidemment – et comme personne n'avait de meilleure idée, nous laissâmes Éliope nous guider. Je restai silencieux, perdu dans mes pensées.

Je n'aurais su dire si j'allais bien ou pas. Une minute, j'avais l'impression que rien n'était arrivée, j'étais avec Neige, j'étais content, et la minute suivante un poids horrible m'étreignait le cœur, j'avais envie de me rouler en boule, de hurler comme le font les loups et de me faire oublier de toute l'humanité.

Mais n'en faisais-je pas trop ? Ce qui m'était arrivé n'était pas si horrible. D'après ce que Neige m'avait raconté, Éliope avait subit bien pire et je n'étais certainement pas la première victime de Sir Fréo. Combien des esclaves que je croisai avaient été abusés ? Au moins, moi, j'avais su me défendre. J'avais de la chance, non ? Pourquoi cela m'affectait-il autant ? Étais-je faible ?

J'avais l'impression que tout ce que je savais sur moi finissait de s'écrouler, achevant un processus entamé le jour où j'avais abandonné la Meute pour Neige. Tout était simple, avant. Je savais qui j'étais : un loup, un amant, un protecteur, un guerrier, un habitant de la forêt. Puis j'avais dû apprendre à vivre sans être l'amant de Neige, durant sa période de deuil après Solana et notre séjour à Terdhome, j'avais dû accepter ma part humaine en reconnaissant mes sentiments et en apprenant à lui en parler, j'avais fini par comprendre que la forêt n'était pas le seul endroit intéressant sur terre, j'avais été rendu à l'impuissance plusieurs fois malgré mes supposés talents de chasseur et au lieu d'être le protecteur, j'avais été si souvent le protégé...

La nuit dernière était le dernier point de rupture.

Qui étais-je désormais ? Neige avait dit que j'étais son champion, mais il était devenu si puissant par rapport à moi que le titre paraissait risible. Quelle était la valeur d'un guerrier incapable de se défendre ? D'un prédateur devenu proie ? D'un loup qui n'appartenait plus tout à fait à la forêt ?

Toutes ces questions me faisaient peur. Les réponses encore plus.

— Nous ne sommes pas loin de l'armurerie, commenta Tasha d'un ton distrait en tournant la tête vers un escalier descendant.

Je m'arrêtai, toujours plongé dans mes pensées. Mes yeux se posèrent sur son épée. Je n'avais jamais voulu utiliser d'armes pour me battre, car les loups ne se servaient que de leurs corps. Mais je n'étais pas qu'un loup. J'étais aussi humain.

Et si...

— Tasha, demandai-je soudain, saurais-tu m'apprendre à me servir d'une épée ?

Je reçus en retour une volée de regards stupéfaits.

— Moi ? bredouilla-t-elle, déstabilisée – ce qui était assez rare pour être noté.

— Tu as dit que ta mère t'avais apprise, lui rappelai-je. Saurais-tu m'apprendre en retour ?

Elle plongea son regard dans le mien. Je le soutins sans faillir.

— Ce n'est pas un jouet, lâcha-t-elle.

Je levais les yeux au ciel.

— C'est le but, non ?

— Tu n'es qu'un adolescent. Tu es encore jeune...

— J'ai déjà tué des gens.

Elle ouvrit la bouche et la referma. Un air profondément triste s'inscrivit sur ses traits.

— C'est vrai, soupira-t-elle, tu n'es pas un simple enfant. Mais... L'idée t'est-elle juste venue comme ça ? C'est quelque chose de sérieux, Astre ! Ça demande du travail, de la persévérance, de la concentration... Et sans offense, tu ne m'as jamais donné l'impression d'être le genre de personne à rester focalisé sur un objectif des heures durant. Je veux dire, à part ton sorcier, évidemment.

Je lançai un sourire en coin à Neige, qui paraissait trop éberlué pour relever.

— S'il te plait, Tasha, répétai-je en avançant vers elle. Je sais que c'est important. J'ai envie d'apprendre.

Elle pinça les lèvres et me regarda de nouveau. Je l'observai en retour, m'attardant sur les cicatrices qui froissait la peau sombre de ses bras, ses pommettes amaigries, ses cernes noirs, et le feu qui brûlait dans ses yeux depuis le jour où je l'avais rencontré. Oui, Tasha était la personne qu'il me fallait.

— D'accord, abdiqua-t-elle. Allons-y.

— Quoi, comme ça ? s'étonna Khany.

— Pourquoi pas ? releva Tasha.

L'adolescente ouvrit la bouche et la referma, faute de réelle objection.

Je me tournai vers Neige.

— Nous nous retrouverons dans la chambre ? De toute façon, je ne t'aurais pas été d'une grande aide à la bibliothèque...

— Quoi ? s'indigna-t-il. Hors de question ! Je ne te quitte pas des yeux !

Une vague de déception s'abattit sur moi. Allais-je passer l'après-midi parmi les livres poussiéreux au lieu d'explorer la nouvelle voix qui s'offrait à moi ?

Je dus avoir l'air dépité, car il leva les yeux au ciel et franchit la distance qui nous séparait.

— Je viens avec toi, idiot !

— Mais, protestai-je, tu vas t'ennuyer !

— En te regardant te battre à moitié nu ? s'amusa-t-il. Non, je ne pense pas. Et puis... Tu ne penses pas que c'est à moi de te suivre, des fois ? Tu sacrifies toujours trop, mon loup. Chacun son tour.

Mon cœur battit un peu plus vite, réchauffé par ce seul aveu. Ah, Neige...

Il entendit ma réponse sans que j'ai à la formuler dans quelque langage que ce soit.

Je t'aime.

Il sourit.

— On a déjà perdu trop de temps, rouspéta Tasha en obliquant pour descendre les escaliers. Tu veux faire ça, oui ou non ?

— Tu es sûr que c'est elle que tu veux comme maîtresse d'armes ? souffla Neige dans mon oreille, assez fort pour qu'elle l'entende.

— On ne perturbe pas mes élèves ! le gronda-t-elle aussitôt.

— Oui madame.

Je pouffais en descendant les marches derrière elle. Je me sentais déjà mieux. Je ne voulais plus subir, je voulais agir. Reprendre mon destin en main.

Nous descendîmes une longue volée d'escaliers. Je craignis un instant d'arriver dans un sous-sol sans fenêtres, mais les marches s'arrêtèrent au niveau des jardins. Une grande porte sans battants donnait sur une salle ronde aux murs couverts d'armes en bois. Quelques personnes s'y trouvaient déjà, vêtus de drôles d'habits matelassés. Toutes les conversations s'arrêtèrent alors qu'ils se tournaient pour nous dévisager.

Pas le moins du monde intimidée, Tasha les ignora et se dirigea vers un mur. Quelqu'un fit un pas en avant, l'air indigné, mais un homme couvert de bleus lui attrapa le bras pour l'arrêter. Probablement celui qui avait tenté la même manœuvre ce matin.

— Nous ne pouvons pas utiliser de vraies armes ? me plaignis-je en rejoignant Tasha. Je ne suis pas un enfant, je n'ai pas envie de me battre avec des bouts de bois...

— Tu es un élève, me répondit-elle sévèrement. Je me fiche de ton âge. Je ne te mets pas un truc coupant dans les mains alors que tu serais capable de te sectionner le pied. Et ne me contredis plus jamais où j'arrête tout.

— D'accord, grommelai-je en affichant une mine boudeuse.

Elle sourit de toutes ses dents.

— Je crois que je me ferais à ce nouveau rôle, finalement... Bon, qu'avons-nous là ?

Elle inspectait le mur en se grattant le menton, l'air pensive.

— Tu es musclé, tu n'aurais probablement pas de difficulté à manier une lourde épée, mais tu es souple et tu bouges beaucoup, elle risque de te gêner... Une lame courbe pourrait être intéressante, mais nous allons déjà tester une épée courte.

Elle détacha deux « armes » du mur, fit volte-face et traversa la pièce pour se rendre dans la suivante. Les autres s'écartèrent sur son passage. Je ne savais pas ce qu'elle avait fait ce matin, mais elle avait dû leur livrer un spectacle édifiant.

La salle d'entrainement ressemblait à la pièce où nous avions diné la veille, avec moins de dorures et moins de meubles. Elle était large et longue, entièrement tapissée de baies vitrées donnant sur les jardins. Quelques-unes, ouvertes, laissaient entrer une brise chaude chargée d'odeurs de fleurs. Des bancs et des porte-manteaux en faisaient le tour, à moitiés dissimulées sous des vêtements, des sacs, des armes ou des provisions. Le sol disparaissait sous d'épais tapis marrons.

Une dizaine de jeunes gens de mon âge, à côté de l'entrée, adoptaient des postures étranges en exécutant des mouvements coordonnés devant une femme à l'air si sévère que j'évitai de la regarder. Quelques spectateurs faisaient des commentaires en pointant joyeusement du doigt tel ou tel apprentis.

Tasha les dépassa sans s'arrêter pour marcher jusqu'au fond de la salle, où personne ne nous dérangerait. Neige aida Éliope à s'installer sur un banc et s'assit à ses côtés.

— Les jumeaux, lançai-je, vous restez dans notre champ de vision... Et vous ne touchez aucune armes !

Ils m'envoyèrent une moue déçue sur la fin de ma phrase, mais hochèrent la tête et se lancèrent immédiatement dans une série de roulades fantaisistes.

Khany hésita quelques instants, puis se dirigea l'air de rien vers le groupe qui s'entrainait près de l'entrée. Je m'aperçus avec amusement que Démonède, le domestique que nous avions déjà croisé plusieurs fois, s'y trouvait, un plateau de boissons à la main. Elle avait définitivement un faible pour lui.

Une tape douloureuse sur mon épaule ramena mon attention sur ma professeure. Sans plus d'avertissement, elle jeta une épée de bois dans ma direction. Je l'attrapai de justesse.

— Ça ne va pas, commenta-t-elle en désignant mes doigts. Ce n'est pas un couteau de boucher, Astre, c'est une épée, un prolongement de ton bras. Tu dois la tenir assez fermement pour qu'elle ne t'échappe pas, mais assez souplement pour pouvoir la manier sans difficulté.

J'essayai de replacer mes doigts.

— C'est mieux, mais tu ne peux toujours pas bouger ton poignet au maximum.

Je respirai en me forçant à être patient et réessayai encore.

— Bien, approuva-t-elle. Pas parfait, mais tu te rectifieras instinctivement au fur et à mesure. Tu sens que tu es plus libre ainsi ? Quand tu frappes, il ne faut surtout pas que ton poignet encaisse le choc. Imite mon geste.

Elle tendit son bras en donnant un petit coup avec sa lame de bois. Cela me parut extrêmement simple sur le moment, mais le mouvement que je donnai en retour fut si maladroit que je révisai aussitôt mon jugement.

— Tu sens la manière dont ton poignet bouge ? demanda Tasha sans commenter mon manque de grâce. C'est trop souple. Garde ta lame droite.

Je hochai la tête en répétant le mouvement. J'avais passé ma vie à apprivoiser mon corps, je connaissais chacun de mes muscles intimement. M'encombrer d'un objet était nouveau, vaguement déroutant, mais j'allais m'y faire.

— C'est déjà ça, approuva-t-elle. Maintenant, ta posture. Si tu crois que tu vas battre qui que ce soit en sortant tes fesses comme ça...

Elle passa derrière moi et me donna une petite tape sur le postérieur qui me fit glapir de surprise. Neige pouffa sur ma droite. Je lui jetai un regard assassin. En deux-trois bonds, je pourrais l'attraper et...

— Concentre-toi ! me rabroua Tasha.

Mortifié, je fis un effort pour lui redonner tout mon attention.

Elle passa des heures – une éternité – à corriger ma posture. Moi qui pensais que nous allions nous battre me trouvais extrêmement déçu. Mes pieds n'étaient pas assez écartés, mon dos trop droit, mon bras trop haut, mes hanches de travers... À chaque fois que j'atteignais une position satisfaisante, elle me faisait faire quelques mouvements, puis m'arrêtai et me corrigeai de nouveau.

Je n'arrivai pas à rester en place. J'avais des muscles, j'avais l'habitude de faire travailler mon corps, mais je ne parvenais pas à rester concentré sur ce qu'elle essayait de m'inculquer. Le concept de discipline m'était totalement étranger et avec toute la bonne volonté du monde, je n'arrivais pas à répéter plusieurs fois l'exact même mouvement sans laisser mon esprit vagabonder ailleurs.

C'était éreintant, terriblement frustrant, et assez vexant. J'avais l'impression qu'elle me reprenait sans cesse, qu'elle exagérait en me faisant des remarques et qu'elle faisait exprès de me lancer des commentaires négatifs alors que je pensais avoir réussi. Honnêtement, si Neige n'avait pas regardé et si je n'avais pas promis de faire des efforts, je lui aurais balancé mon épée à la figure et me serais enfui.

Lorsqu'elle s'étira en proposant de « s'arrêter là pour aujourd'hui », je faillis hurler de joie et de soulagement.

— Enfin ! soupirai-je en me laissant tomber en étoile sur le tapis.

— Si c'est une telle torture, lâcha-t-elle d'un ton sec, nous devrions peut-être en rester là.

Je réalisai qu'après lui avoir demandé de m'aider, ce n'était pas la meilleure façon de la remercier.

— Non, non ! protestai-je, un peu honteux, en me redressant. Je ferais des efforts, promis ! C'est juste... Bon sang, Tasha, c'est tellement frustrant !

Elle s'assit en tailleurs en face de moi.

— À quoi pensais-tu que nos leçons ressembleraient ?

— À des duels ?

Elle pinça les lèvres, l'air pensive.

— Comment as-tu appris à te battre, Astre ?

— En chassant avec les loups, répondis-je d'un ton d'évidence. Par instinct.

— Je vois. Tu es... Tu es différent de tous les combattants que j'ai pu rencontrer jusqu'ici. Je sais que je me suis beaucoup moqué de toi lorsque tu t'es présenté comme un loup la première fois que je t'ai vu, mais j'avais tort, tu as réellement un côté animal. Tu bouges d'une façon si souple, si légère, que tu sembles parfois danser. C'est fascinant. Tu as aussi beaucoup d'énergie et tu es très musclé. Tu n'as aucun mal à exécuter les mouvements que je te demande. Mais tu es trop brouillon, Astre. Tu ne réfléchis jamais. Tu t'éparpilles. Tu fonces dans le tas. Je ne te dis pas de renoncer à ta part loup, au contraire, mais si tu veux apprendre à te battre comme les humains, il faudra la domestiquer en partie. Faire des compromis. Tu comprend ?

Je hochai la tête, ne sachant trop qu'en penser.

— Entraine-toi, m'ordonna-t-elle. Travaille la posture et les mouvements que je t'ai appris. Répète-les encore et encore et encore, jusqu'à ce qu'ils te paraissent naturels. Et surtout, essais de te concentrer. D'accord ?

— Oui... soupirai-je, un peu découragé.

Elle posa une main sur mon épaule et souris. L'espace de quelques secondes, j'eus l'impression d'apercevoir la personne qu'elle était avant d'avoir été enlevé par les Charognards, lorsqu'elle n'était qu'une apprentie forgeron heureuse et fiancée à l'homme qu'elle aimait. Avait-elle eu d'autres élèves, avant ? Des gens qui avaient péris dans l'attaque de son village ou avait été capturés pour être vendus comme esclaves ?

— Tu y arriveras, Astre, affirma-t-elle gravement. Et si tu t'entraines vraiment, je suis persuadée que tu deviendras l'un des guerriers les plus puissants du monde.

Je souris sans trop la croire. Les derniers jours avaient trop entamé ma confiance en moi pour que je me sente capable de grandes choses. Apprendre à me défendre et retrouver un peu d'estime personnelle semblaient déjà des objectifs suffisants.

Un pas léger me tira de mes pensées. Neige s'accroupit à mes côtés.

— Je suis désolé, je ne veux pas vous interrompre, mais d'après Éliope, nous devrions remonter nous laver et nous changer avant que le bal commence.

Je me tournai vers Tasha, qui acquiesça et se redressa en s'étirant.

— On se revoit tout à l'heure. Ted, Ned, debout ! Où est passé Khany ?!

Les jumeaux avaient fini par s'endormir sur le tapis, à moitié cachés sous un banc. Tasha tourna la tête de tous les côtés et finit par apercevoir le dernier élément de notre petite troupe, présentement occupée à commenter les positions de ceux qui s'entrainaient un peu plus loin. Démonède l'écoutait en dissimulant ses lèvres derrière sa main.

— Partez devant, soupira ma maitresse d'armes. On se retrouvera avant ce foutu bal.

Neige acquiesça, amusé par son ton, et alla donner son bras à Éliope. Nous remontâmes en silence les escaliers. J'étais fourbu et si plongé dans mes pensées que je ne protestai même pas devant l'ascenseur.

Étais-je réellement capable d'apprendre à manier l'épée ? Désirais-je vraiment m'éloigner encore de mon héritage lupin ? Cela ne faisait-il pas de moi un traître à mon ancienne Meute ?

— Éliope... lâcha soudain Neige, me ramenant au présent.

Nous venions de sortir de la cabine pour atteindre le couloir où se trouvaient nos appartements. Personne n'était en vue.

— Oui ? répondit le troubadour.

— Je suis vraiment désolé si ce ne sont pas mes affaires... commença mon sorcier d'une voix hésitante. Tu n'es pas obligé de me répondre, évidemment, c'est juste que je... J'ai l'impression... J'ai l'impression que tu restes avec nous pour éviter Jédima et Dana. J'aime bien ta compagnie, mais... heu... Je me demandais... Pourquoi ?

Je jetais un regard curieux à notre ami. Neige n'avait pas tort, maintenant que j'y pensais. Mais pourquoi s'éloigner de ceux qu'on aimait ? Surtout après une si longue séparation ?

Un air de profonde culpabilité passa sur les traits d'Éliope. Il resta longtemps silencieux, les yeux dans le vide, avant de parvenir enfin à répondre.

— Je ne sais pas quoi faire, avoua-t-il tout bas.

Sa voix tremblait presque. Il me sembla soudain fragile et fatigué.

— J'ai perdu tous mes repères... continua-t-il en détournant le visage. Je ne suis même plus certain de me reconnaître moi-même. Le monde a changé, j'ai changé, mais je n'ai rien voulu, rien désiré, rien contrôlé... Je sais que j'ai énormément fait souffrir les deux personnes qui comptaient le plus à mes yeux. Si je n'avais pas insisté pour repartir, si je n'avais pas bêtement décidé d'emprunter le Chemin des Disparus, elles n'auraient pas dû supporter ma disparition. Elles ne me l'ont pas dit, mais je sais qu'elles avaient finis par me croire mort et ça... Ça me tue. Ça me ronge de l'intérieur. Je les ai laissés tombé. Je reviens dans leur vie alors qu'elles sont au centre de multiples intrigues dangereuses et je suis au pire de moi-même, vulnérable, détruit, blessé, incapable d'être touché sex... intimement. Je n'arrive même plus à leur faire face.

Il écrasa d'un doigt tremblant la larme qui grossissait au coin de son œil.

— Pardon, s'excusa-t-il avec un pauvre sourire, je n'aurais pas dû vous raconter tout ça. Vous avez vos propres problèmes, vous me connaissez à peine et... Eh bien, je suis censé être le plus adulte des trois.

Neige se gratta la tête, gêné. Je le suppliai silencieusement de dire quelque chose, car je n'avais aucune idée des paroles qu'il fallait prononcer.

— Je comprends, avoua-t-il finalement. Je comprends ce que cela fait de se sentir affreusement coupable, de savoir qu'on a trahis et blessé les personnes qui comptaient le plus à ses yeux et de ne plus être à la hauteur de leurs attentes.

— Neige ! protestai-je en lui attrapant la main, car il avait toujours été à la hauteur de mes attentes et il ne m'avait jamais trahi.

Il me sourit si tendrement que mon cœur frissonna.

— Mais fuir n'était définitivement pas la solution, conclut-il sans me quitter des yeux. En me refermant sur moi-même, je l'ai abandonné une deuxième fois, alors qu'il avait besoin de moi. Je ne serais jamais assez désolé pour ça...

Mon pouce caressa l'intérieur de son poignet. J'avais envie de l'attirer dans notre chambre, sur notre lit, et lui démontrer point par point que je ne lui en voulais pas.

Éliope rit.

— Même les adolescents sont plus matures que moi ! Décidément... Merci, Neige.

Son ton s'adoucit alors que ses yeux se perdaient au bout du couloir, vers les appartements de Jédima, gardés par deux soldats.

— J'y penserais.

À cet instant, la porte s'ouvrit et la seigneuresse de Solaris fit son apparition. Son visage dur s'éclaira fugitivement en apercevant le troubadour, qui lui sourit d'un air charmeur.

— Ma Dame, susurra-t-il en tentant une révérence que sa fatigue physique rendit maladroite. Vous êtes une apparition divine, comme toujours.

Elle sourit, bien plus chaleureusement qu'elle ne l'avait fait jusqu'ici.

— Merci, Sir Éliope, vous êtes bien aimable. Puis-je vous être d'une quelconque utilité ?

— Je suis à la recherche de ma femme. L'auriez-vous aperçu, par hasard ?

— Oui, répondit Jédima avec une pointe de douceur inattendue. Elle est en train de me faire son rapport journalier. Souhaitez-vous entrer et lui tenir compagnie pendant qu'elle termine ? Je vais faire venir du thé.

— Ma foi, Ma Dame, si ma présence ne vous importune pas trop... accepta le troubadour en souriant.

Jédima hocha la tête, hésita un instant, puis se tourna vers nous.

— Voudriez-vous vous joindre à nous ?

Son ton semblait étrange, presque hésitant. J'échangeai un regard surpris avec Neige. Pourquoi nous invitait-elle ? Ne voulait-elle pas profiter d'un peu de paix avec ses compagnons ?

Elle veut peut-être nous dire quelque chose à propos de ce soir, souffla mon sorcier dans mes pensées.

Évidemment. Il fallait toujours qu'il soit si intelligent.

— Avec plaisir, Ma Dame, répondit-il. Voudriez-vous que nous nous changions avant ?

Jédima lança un regard amusé dans ma direction. J'étais toujours torse nu, décoiffé, sans chaussures, et un peu sali par la fatigue de l'entrainement. Même moi, je savais que ma tenue était plutôt décalée dans cet endroit.

— Non, ce n'est pas la peine, dit-elle. Venez.

Elle entra dans ses appartements et laissa la porte ouverte pour que nous la suivions.

Éliope la referma dans notre dos avec soulagement, s'étira et lâcha le bras de Neige pour prendre celui que Jédima lui offrait. Alors qu'elle se penchait sur lui, il souffla quelque chose dans son oreille qui la fit glousser.

— Idiot, murmura-t-elle en raffermissant sa prise sur lui.

Ils sont trop mignons, soufflai-je dans l'esprit de Neige.

Il hocha la tête, glissa sa main dans la mienne et m'entraina à la suite de Jédima, dans le petit salon où nous avions pris le thé la veille.

Dana s'y trouvait déjà, seulement vêtue d'une chemise lâche qui lui arrivait à mi-cuisse. Ses cheveux savamment coiffés et son maquillage offraient un contraste comique avec sa tenue décontractée.

— Éliope ! se réjouit-elle en le voyant arriver.

Elle sauta sur ses pieds, puis nous aperçu et s'arrêta, surprise. Éliope franchis la distance qui les séparait et l'embrassa doucement sur les lèvres.

Jédima attendit qu'ils aient terminé pour reprendre le bras du troubadour.

— Bah les pattes, plaisanta-t-elle en le guidant jusqu'au sofa, où il s'assit en souriant béatement.

Dana nous jeta un coup d'œil et tourna la tête vers Jédima, une interrogation muette au fond du regard. Nous n'étions pas les seuls à nous demander ce que nous faisions là.

— Je les ai invités à prendre le thé, lâcha la seigneuresse comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.

Elle nous désigna les deux fauteuils qui encadraient le sofa. J'hésitai brièvement à attirer Neige sur mes genoux, mais renonçait en le voyant s'asseoir seul. Il ne me faisait probablement pas confiance pour rester sage. Et il avait raison.

Au moment où je me laissai aller contre le dossier, un coup fut frappé à la porte. Jédima s'y rendit et revint avec un plateau supportant plusieurs tasses, une théière et – miracle – des petits gâteaux.

— Je ne savais pas que vous aviez besoin de « rapports journaliers », toutes les deux, plaisanta Éliope en acceptant la tasse que Dana venait de remplir pour lui.

Elle sourit en s'asseyant à sa gauche.

— Nous avons instauré ces « rapports » au cours de l'année dernière, avoua la ministre. Jédima a fait courir des rumeurs selon lesquels j'étais devenu cheffe de son nouveau réseau d'espionnage, ou quelque chose comme ça.

— Tu as un réseau d'espionnage ? s'étonna le troubadour.

— Non, s'amusa Jédima en se glissant sur la dernière place du sofa, à sa droite. Mais cela m'aide de faire croire que j'en ai un et cela nous permet de nous décontracter en faisant le point, Dana et moi. La dernière année a été... difficile.

Elle dit cela en dissimulant son visage dans sa tasse, le regard ailleurs.

— Nous en avions besoin pour ne pas craquer, avoua Dana en attrapant le biscuit que je m'apprêtai à chaparder. Une demi-heure par jour à cracher allégrement sur tout le monde en disant des grossièretés.

Elle désigna sa chemise.

— Et pas de corset.

Éliope sourit, mais il y avait une pointe de tristesse dans son amusement. Je devinais qu'avant son départ, c'était lui qui incarnait leurs moments de liberté. Elles avaient simplement fait ce qu'elles pouvaient en son absence.

Neige gigota sur son fauteuil. Comme moi, il se sentait probablement en trop.

Pour donner le change, et puisqu'il fallait bien tirer quelque chose de cette étrange situation, j'attrapai trois gâteaux supplémentaine.

— Vous avez l'air de beaucoup les aimer, s'amusa Dana.

— Notre mère en cuisinait tout le temps, avouai-je, le cœur gros.

Votre mère ? souligna Jédima, les yeux ronds. Vous êtes...

— Nous ne sommes pas frères, l'interrompit précipitamment Neige, anticipant le malentendu. Nous avons tous les deux été adoptés par une sorcière humaine et une Meute de loups.

Il y eut un silence.

— Bon sang, soupira tragiquement Éliope, il faudra vraiment que je réussisse à vous arracher les détails de votre histoire...

— Ne dites pas cela à Dame Traimène, s'amusa Dana. Elle a une peur bleue des loups.

— Oh, oui, nous l'avons croisé tout à l'heure dans la galerie historique, ricana Éliope. Nous n'avons pas parlé de loups, mais Astre a fait un travail remarquable. La vieille bique est repartie complètement terrorisée.

Dana pouffa dans sa tasse de thé.

— Je suis désolée, à propos de cette galerie, soupira Jédima. J'aurais voulu qu'elle soit entièrement faite comme tu le désirais, mais... J'ai dû faire des choix.

Il posa une main sur son bras pour signifiait qu'il comprenait.

— La prochaine fois que vous verrez Dame Traimène, enchaina Dana à notre attention, faite allusion à son mari. Il a été surpris en pleine orgie il y a trois mois et elle a faillit se suicider de déshonneur.

— Noooooon ! s'exclama Éliope.

— C'est quoi, une orgie ? demandai-je, un peu perdu.

Il y eut un blanc.

— Beaucoup de gens couchant ensemble en même temps, lâcha finalement Jédima en se retenant visiblement de rire.

— Comme vous trois ?

Nouveau blanc.

Éliope plaqua une main devant sa bouche, mais ce ne fut pas assez : il commença à sursauter, pris de hoquets, et partit dans un tel fou rire qu'il fallut que Dana, qui l'avait rejointe dans son hilarité, l'empêche de tomber la tête la première sur le parquet. Jédima ne tarda pas à les imiter, ses longs cheveux noirs se décoiffant un peu plus à chaque sursaut.

— Je ne comprends pas ce que j'ai dit de drôle, avouai-je à Neige, plus perdu que vexé.

— Je crois qu'ils avaient simplement besoin de rire, répondit-il en souriant, amusé par la situation. Et je crois qu'une orgie demande beaucoup, beaucoup plus de gens.

J'essayai de me représenter la chose.

— Ça ne doit pas être pratique, quand même, lâchai-je, peu convaincu. Imagine, si tu te trompes de personne ? Tu penses que tu viens de faire l'amour à quelqu'un, tu te tournes, et tu le vois ?

Il me fixa un instant et se mit à rire aussi, me laissant seul au milieu de cette assemblée hilare. Pour me venger, j'empochai le dernier biscuit. Non mais...

Quand ils se furent enfin calmés, les joues rouges et les larmes aux yeux, Jédima se recoiffa et marcha jusqu'à la porte pour demander plus de thé – et plus de gâteaux. La brave dame.

Puis elle se mit à parler de tout et de rien, visiblement détendue, interrompue par les remarques de Dana, les questions d'Éliope et les interjections de Neige, stupéfait par la teneur des ragots qui courraient sur les nobles du palais. Un tel trompait son mari avec une telle... Une telle avait tenté de se déguiser en serviteur pour quitter discrètement le palais et s'était faite prendre... Un autre était tombé dans un délire conspirationniste impliquant une attaque d'huitres géantes...

Je ne dis rien, mais cela m'amusait de les écouter. Beaucoup de choses qu'ils évoquaient m'échappaient, mais je trouvais la situation simplement intéressante, ces petits rituels humains que j'avais dédaigneusement ignoré durant des années et que je comprenais enfin, à défaut d'y adhérer. Il s'agissait simplement de passer du temps ensemble.

Finalement, une demi-heure plus tard, Dana reposa sa tasse et soupira en regardant l'horloge.

— Nous n'avons plus qu'une heure avant le début du bal. Nous devrions vraiment, vraiment aller nous préparer.

Jédima acquiesça, un éclat plus sombre au fond des yeux. Éliope se leva, se pencha et déposa un baiser furtif au coin de ses lèvres. Elle sourit tendrement en le regardant quitter la pièce au bras de Dana.

Neige aussi s'était levé. Je récupérais rapidement les miettes qui restaient pour les enfourner dans ma bouche et l'imitait.

— Nous nous reverrons tout à l'heure, lança Jédima en ouvrant la porte donnant sur l'antichambre de ses appartements.

— Merci pour cette... heu... invitation à prendre le thé ? hésita mon sorcier.

Elle parut embarrassée.

— Je sais que c'était un peu étrange de vous attirer là-dedans, avoua-t-elle finalement, mais... C'était la première fois que nous...

— Que vous pouviez agir comme des amoureux devant d'autres gens ? proposai-je, sans comprendre pourquoi elle en faisait tout un plat.

— Oui, confessa-t-elle dans un souffle. Dana et Éliope ne réalisent pas la chance qu'ils ont de pouvoir s'afficher en public... Je ne pensais pas que ce serait si dur de toujours rester dans l'ombre, toujours les observer de loin. Le fait que vous connaissiez déjà notre histoire est comme un... Un soulagement. Et j'avais terriblement besoin de cet instant... Paisible. Normal. Protégé. C'est étrange, non ?

Elle n'avait jamais paru plus vulnérable qu'à cet instant-là. Mais avant qu'un de nous deux puisse intervenir, elle secoua la tête, retrouvant un peu de sa fermeté habituelle, et nous accompagna vers la porte donnant sur le couloir.

— À tout à l'heure, nous salua-t-elle.

Nous sortîmes, un peu surpris par le tour qu'avait pris les évènements. Les gardes nous jetèrent un regard suspicieux.

Mal à l'aise, nous rejoignîmes le plus vite possible nos appartements.

Je soupirai d'aise lorsque la porte se referma dans le dos de Neige, nous isolant temporairement du reste du monde. Déjà courbaturé par l'entrainement que m'avait fait subir Tasha, je m'étirai en grimaçant.

— Regarde ! s'exclama Neige désignant notre lit. Les domestiques ont apporté des vêtements pour le bal !

Je haussai les épaules, complètement indifférent, lorsqu'une odeur familière, presque impalpable, me fit tiquer. Je m'approchai. Une longue boite reposait sur les habits soigneusement disposés.

— Qu'est-ce que c'est ? m'étonnai-je en la désignant.

Il sourit, visiblement excité, et l'attrapa avant que je ne puisse le faire.

— Neige ?

Il se mordit la lèvre, hésita en fixant la boite quelques secondes, puis me la tendit brusquement.

— J'ai demandé aux domestiques d'aller chercher cela pour toi. Il m'a semblé que ça te plairait, mais je... heu... Finalement, maintenant, je ne sais plus si c'était une si bonne idée. Enfin... J'espère que tu aimeras. Mais si ce n'est pas le cas... Ce n'est pas grave.

Il m'adressa un regard nerveux qui m'inquiéta légèrement, en plus d'intensifier ma curiosité. Qu'y avait-il à l'intérieur de cette boite ? De la nourriture ? Ayant déjà Neige à mes côtés, je ne voyais aucun autre bien matériel qui pourrait réellement m'importer.

Je me mis à genoux, posa la boite au sol et souleva le couvercle.

Mon souffle se coupa.

Quelque chose de lourd se déplaça dans ma poitrine. Mes yeux se mirent à piquer lorsque ma vision s'embua.

Je ne me rendis compte que je pleurai que lorsque Neige se laissa tomber en face de moi.

— Astre ? paniqua-t-il. Je suis désolé ! Je pensais vraiment...

Je l'arrêtai en tendant la main, incapable de parler, et plongeait les doigts dans la boite.

Il m'avait offert une fourrure de loup.

Je la sortis lentement pour l'étaler devant moi. Elle était blanche, comme celle que j'avais perdu dans le lac de Terdhome, mais un peu plus grande et bien mieux coupée. Seules les deux pattes avant subsistaient, de chaque côté de la tête aux paupières fermées.

Je posai cette dernière sur mes cheveux et enroulai la fourrure autour de mon corps. L'impression de familiarité me submergea d'émotion. Je ne m'étais pas rendu compte à quel point ce simple élément m'avait manqué.

— Je sais que ce n'est pas la même que celle que tu as perdu, déclara nerveusement Neige, ne parvenant toujours pas à interpréter ma réaction, et que ce loup-ci a été tué par des humains... Je peux comprendre que ça t'embêtes...

— Mourir au cours d'une chasse est honorable pour un loup, répondis-je en caressant la fourrure. La peau que je portais avant était celle d'un membre de la meute tué par un sanglier.

— Oh, alors... Ça va ?

Je souris, écartais la boite qui se trouvait entre nous et m'approchai lentement de lui. Ma main se leva pour caresser sa joue, son nez, puis l'arrête de son menton. Mon pouce s'égara sur ses lèvres. Son souffle chaud, rapide, effleura ma peau.

Je le contemplai béatement durant quelques instants, tentant de comprendre, de saisir tout entier les sentiments incroyables qu'il m'inspirait. Neige...

— Merci, soupirai-je en me penchant pour l'embrasser.

Mes lèvres sur les siennes avaient un goût doux, sucré, dépourvu de toute amertume et de tout regret. Je ne l'avais pas embrassé si librement depuis longtemps.

— Je t'aime, Neige, murmurai-je sans m'écarter vraiment.

Ses mains glissèrent sous la fourrure qu'il venait de m'offrir pour me serrer contre lui.

— Je t'aime aussi, Astre, avoua-t-il en m'embrassant de nouveau.

Ayant goûté ses lèvres, je laissai ma bouche s'égarer sur sa joue, puis sur son cou, comme un bateau à la dérive cherchant un port où se fixer. Mes doigts soulevèrent sa chemise pour caresser la peau ainsi découverte, goutant à la chaleur de sa chair tendre.

Neige...

Je l'allongeai au sol, sous moi.

Il gémit doucement lorsque mon genou s'infiltra entre ses cuisses. Les mains de chaque côté de son visage, je le surplombais, un peu essoufflé et déjà ivre de désir.

— Comme tu es beau... souffla-t-il en effleurant les boucles qui tombaient sur mes joues. Te voir vêtu ainsi m'avait vraiment manqué.

— Je vois, plaisantai-je, c'était donc un acte totalement égoïste et intéressé de ta part ?

— Oh, oui, m'assura-t-il en souriant de toutes ses dents. Il y avait trop longtemps qu'un grand méchant loup n'avait pas menacé de me croquer !

Je pouffai en avançant un peu plus mon genou entre ses jambes. Ses yeux se firent légèrement plus grand lorsque j'entrai en contact avec son érection.

Il ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, puis passa nerveusement sa langue sur ses lèvres.

— Tu... Tu es sûr ? hésita-t-il. Tout à l'heure, lorsque je l'ai suggéré dans l'ascenseur, tu...

Le visage de Sir Fréo passa aussitôt dans mes pensées, accompagné par la sensation de sa main sur ma peau, la pression de son corps...

Je m'écartai brutalement pour m'asseoir, mon désir brutalement éteint. J'étais en colère contre lui, contre moi, et, honnêtement, contre Neige.

— Pourquoi me l'avoir rappelé maintenant ?! lui reprochai-je. Nous étions bien ! Je pensai enfin à autre chose ! Tu as tout gâché !

— Je voulais être certain que tu étais partant, protesta-t-il en s'asseyant à son tour.

— Je ne suis pas en sucre !

— Je sais, mais tu n'as pas besoin d'être en sucre pour avoir des... euh... séquelles. Tu n'as pas bien répondu à mes dernières avances, et...

— Tu pensais que je me forçais ? m'exclamai-je, blessé.

— Non, mais...

— Alors fais-moi un peu confiance ! Si je te dis que j'ai envie de quelque chose, j'ai envie de quelque chose. Surtout si ce « quelque chose » est toi, c'est-à-dire un « objet » que je désire très régulièrement depuis assez longtemps.

— Mais des fois, tu ne dis pas ce que tu veux... se plaignit-il. Tu sacrifies une part de ton bien être pour me faire plaisir sans me dire ce qui te dérange, comme à Terdhome, ou quand nous avons voulu échanger nos rôles au lit, et... J'ai peur que tu fasses des choses qui te blessent à cause de moi.

J'ouvrai la bouche pour protester et la refermai en grimaçant. Il n'avait pas tout à fait tort.

— Je sais que tu fais ces choses pour moi, expliqua-t-il en se tordant nerveusement les mains, mais je préférerais largement être certain que tu vas bien et que tu apprécies ce qui t'arrive plutôt que de découvrir après que tu souffrais...

Je croisai les bras en faisant la moue. Ce n'était pas la direction que j'avais voulut donner à cette conversation. Ce n'était pas la direction que j'avais voulu donner à cette soirée, d'ailleurs. Ou à ma vie, pendant qu'on y était.

— D'accord, soupirai-je finalement. Je te promets de te dire plus ce que je ressens. Mais toi... Promets-moi de ne plus parler de ce qui m'est arrivé avec Sir Fréo. Pas tant que je n'en ai pas parlé d'abord.

— Mais...

— Neige, s'il te plait. Tu voulais savoir ce que je ressentais ? Beaucoup d'humiliation, d'amertume et de colère. Je n'ai pas envie d'expérimenter tout ça sans être prêt.

Il hocha gravement la tête. Je me rendis compte que je ne lui avais jamais dit « s'il te plait » avant.

Une horloge sonna, quelque part.

— Il ne nous reste vraiment pas longtemps avant ce fichu bal, soupira Neige d'un ton lointain. Nous devrions aller nous laver et nous habiller.

J'acquiesçai et me levai pour me diriger vers la salle de bain. Au seuil de celle-ci, je retirai mon pantalon et ma fourrure, que je contemplais longuement avant d'étendre sur le lit. Neige, toujours assis par terre, me regardait d'un air incertain.

Je lui souris.

— Tu viens avec moi dans la baignoire ? Je n'ai aucune idée de la manière dont ces machines fonctionnent.

Il sauta sur ses pieds, ravi, et retira son chaperon pour le lancer sur les draps. La cape rouge atterrit à côté de ma fourrure. Je n'étais pas porté sur la symbolique, mais quelque chose dans cette image me faisait chaud au cœur.

Lorsqu'il fut nu, je m'approchai, me penchai pour l'embrasser et, au dernier moment, me baissai pour passer mes mains derrière ses fesses et le soulever d'un coup. Il poussa un petit cri surpris et s'accrocha à moi en serrant ses jambes autour de ma taille, ce qui était exactement l'effet recherché.

— Je te tiens, lâchai-je d'une voix malicieuse.

— Oh non, répondit-il en posant sa tête contre ma poitrine. Qu'allez-vous faire de moi, monsieur le loup ?

— Te laver, principalement.

Il hoqueta, pouffa et explosa de rire. Je resserrai ma prise sur lui pour ne pas le lâcher alors qu'il gigotait dans mes bras et le transportait jusqu'à la salle de bain pour le déposer, toujours hilare, au fond de l'immense baignoire.

Entre deux sursauts de rire, il m'indiqua les leviers à pousser pour faire couler l'eau chaude, qui jaillit à torrent depuis un tuyau fixé sur le côté. Je songeai fugitivement à Terdhome et à la tête qu'aurait fait Carol devant les plans d'un tel mécanisme.

Perdu dans mes pensées, j'arrêtai l'eau in extremis avant qu'elle ne déborde. Assis, elle nous arrivait à la poitrine.

— Ça me rappelle la grotte où nous nous sommes réfugié, après avoir fuit la maison de Solana, souffla Neige, enfin calmé, en se blottissant contre moi. Avec la source chaude. Tu te souviens ?

Évidemment, lui transmis-je en embrassant son épaule.

Il frémit et soupira d'aise alors que je refermai mes bras autour de lui.

— Tu m'en veux ? demanda-t-il finalement. Pour tout à l'heure ?

— Non, lui assurai-je en déposant un baiser sur le haut de son crâne.

Il s'en fallut de peu pour qu'il se mette à ronronner. Amusé, je l'embrassai dans le cou, sur la joue et sur le bout de l'oreille.

— Merci pour la fourrure, murmurai-je en m'écartant légèrement. Merci beaucoup.

Il tourna la tête. J'en profitai pour poser mes lèvres sur les siennes. La chaleur qui m'envahis n'avait rien à voir avec celle du bain.

Nous nous embrassâmes longtemps, enlacés, perdus l'un dans l'autre, avant que la réalité ne nous rattrape.

— Nous devrions nous dépêcher, soupira-t-il en se saisissant d'un savon violet posé au bord de la baignoire. Savais-tu que normalement, ce sont des domestiques qui le font pour toi ? Je veux dire, pour les nobles ?

— Quoi ?! m'horrifiais-je.

— Oui, j'en parlais avec Éliope pendant que tu t'entrainais. La plupart des nobles d'ici se font laver, coiffer et même habiller ! Je lui ai dit que si qui que ce soit s'approchait de moi avec l'intention de me toucher nu, tu risquais de le mordre.

Je souris d'un air mauvais.

— Possible, admis-je.

Il pouffa, frotta ses mains sur le savon et les posa sur ma poitrine.

— Dis donc, mon loup, ici aussi tu commences à avoir quelques poils...

Je ne répondis rien, obnubilé par la sensation de ses doigts glissants sur ma peau. Il s'approcha de mon nombril.

Mon sexe répondit en commençant à se raidir.

— Neige, tu es conscient que c'est le meilleur moyen d'être en retard à ce bal, n'est-ce pas ?

Il arbora un air innocent qui ne me trompa pas une seconde, puis soupira tragiquement et retira ses doigts. Je lui volais un autre baiser, plus rapide, et attrapai le savon pour me frictionner moi-même. Sa déception fut si grande que je la perçus à travers notre lien.

— Et dire que c'est moi qui refuse que tu me sautes dessus... m'amusai-je en passant mes doigts dans mes cheveux sales. C'est vraiment devenu le monde à l'envers.

Il rit et m'imita, mais son regard en coin m'avertis que ce n'était que partie remise.

Ce qui, honnêtement, me convenait totalement.

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