Songes brûlants
Neige
Nous passâmes cinq hivers ensemble à jouer, rire, chasser, apprendre et découvrir. Cinq hivers à grandir tous les deux, si profondément liés que chacun d'entre nous développa en soi une part de l'autre.
Plus le temps passait, plus nos séparations devenait douloureuses et plus notre relation s'affermissait. En utilisant le langage des loups, nous pouvions sentir la présence de l'autre à des kilomètres de distance, même si n'arrivions pas encore à communiquer clairement sans nous voir.
Puis, durant l'été de mes quinze ans, les choses commencèrent à changer.
Cela ne se produisit pas d'un coup, il n'y eut aucune explosion ou grande révélation, non, cela pris plutôt la forme de murmures, d'idée discrètes mais bien ancrées, évoluant aussi progressivement que l'éclosion des fleurs au début de l'été.
Mon loup venait de partir lorsque ma voix commença à muer. Mon corps grandit aussi singulièrement, changeant en étranger le jeune homme que je croisais dans les reflets. À ma demande, Solana ensorcela mon chaperon pour qu'il grandisse en même temps que moi, car je ne voulais jamais oublier d'où je venais.
Mon regard sur le monde évolua en même temps, modifiant mes goûts et mes habitudes. Je n'avais plus souvent envie de sauter dans la rivière, de me rouler dans l'herbe ou de grimper aux arbres qui entouraient la clairière. Je préférai passer mes journées allongé sur le tapis de la bibliothèque de Solana, le nez plongé dans des traités de magie que j'avais déjà lu dix fois, l'esprit accaparé par un problème particulièrement compliqué. De nombreux sujets qui m'avait semblé ennuyant m'intéressèrent subitement.
Et de nouveaux désirs s'insinuèrent dans mes pensées.
J'avais déjà senti leur présence discrète l'année précédente, j'avais déjà surpris quelques éclats fugitifs de chaleurs à des endroits étranges de mon corps... Mais en l'absence d'Astre, ils ne firent que grandir et se développer.
Et les rêves, notamment, commencèrent à me hanter.
Toutes les nuits, ou presque, le même songe...
Je marchais dans la forêt, vêtu de mon chaperon rouge, comme au jour de notre rencontre. Les arbres étaient immenses, immobiles, privés du moindre souffle de vent. La neige craquait doucement sous mes pieds.
Je n'avais ni faim, ni froid, ni peur. Je savais où j'allais et je savais qui je cherchais.
J'avançais encore...
Astre était là, au milieu du chemin. Il m'attendait.
Il avait changé lui aussi. Son corps déjà musclé l'était un peu plus. Sa tête avait dépassé la mienne. Ses épaules étaient assez larges pour qu'il m'enveloppe tout entier dans son étreinte et les dernières rondeurs de l'enfance avaient laissé la place à une silhouette plus fine, plus ferme, dont l'élégance évoquait irrésistiblement celle de ses amis loups.
Sa fourrure était nonchalamment posée en travers de ses épaules, soulignant par sa blancheur l'éclat sombre de sa peau nue.
Il me regardait, mais ses yeux étaient ceux d'un loup et son regard brûlait si fort que si j'avais réellement été de neige, j'aurais probablement fondu. Ses dents ressemblaient à des crocs, ses boucles ébouriffées à une deuxième fourrure et sa posture prédatrice, légèrement voûté, avait quelque chose de purement animal. La part humaine, celle que j'avais apprivoisé, s'était évanhoui.
Il me fixait comme s'il voulait me dévorer.
Mais ce n'était pas la peur qui accélérait mon cœur. C'était l'espoir qu'il le fasse.
Au bout d'un moment, plus ou moins long en fonction des nuits, il s'approchait en souriant, ses yeux toujours fixés sur moi.
— C'est dangereux pour les humains de s'aventurer ainsi dans la forêt, soufflait-il dans la langue des hommes. T'es-tu perdu ?
Sa voix était plus grave que dans mes souvenirs. Sa tête légèrement penchée sur le côté, ses narines évasées et la langue qui pointait entre ses lèvres entrouvertes suggéraient qu'il avait sentit une odeur alléchante.
— Je ne suis pas perdu, répondais-je sans bouger. Je vais porter une galette et un petit pot de beurre à la sorcière qui vit au fond des bois.
Nous baissions les yeux sur le panier que je serrais contre ma taille. Le pot de beurre luisait légèrement et la galette semblait aussi tendre qu'une chair offerte.
— Vraiment ? soufflait-il en s'approchant encore, déclenchant des frissons par la seule force de son souffle sur ma peau. Ne t'a-t-on pas mis en garde contre les rencontres que tu pourrais faire dans la forêt ? Tous les dangers que tu pourrais rencontrer ?
La façon dont il prononçait « dangers » laissait planer un doute lancinant quant à leur nature.
— Je n'ai pas peur, répondais-je, le souffle court.
— Quelle imprudence...
Son visage était tout près, si près que je ne voyais quasiment que ses yeux dilatés, assombris par un désir sombre, bouillant, qui plantait au fond de ma gorge les graines d'un gémissement.
— Tu es bien fragile, petit homme... murmurait-il entre ses crocs.
Ses lèvres étaient si près des miennes que je sentais leurs mouvements.
— Je pourrais te dévorer tout cru... continuait-il.
La distance entre nos deux corps, de quelques centimètres à peine, était absolument intolérable.
Parfois, c'était moi qui la franchissais, mais le plus souvent, c'était lui qui tendait la main pour retirer mon capuchon. Ses doigts chauds s'égaraient sur mon visage, se glissaient dans mon cou en caressant la ligne de ma mâchoire et se perdaient plus bas, contre ma poitrine. Je m'apercevais alors que j'étais nu sous mon chaperon, aussi nu que lui, et mon bas-ventre brûlait d'une douleur lancinante, délicieuse, qui me faisait haleter.
Ses doigts effleuraient le bout de ma verge dure, dressé, avant de se retirer.
— Faisons la course, soufflait-il en faisant volte-face.
Je m'élançais à sa suite, mes pensées brouillées par l'impossible manque de sa présence, le bas ventre brûlant d'une flamme que je ne connaissais pas mais qu'il était le seul à pouvoir apaiser.
L'instant d'après, j'étais chez nous, devant la porte de notre chambre.
J'entrais.
Il était accroupi sur notre lit. Son regard s'était encore assombri. Sa fourrure blanche avait disparu, ne laissant que ses boucles brunes dégringoler autour de son visage. Ses crocs luisaient. Son souffle était court et ses muscles crispés, comme s'il se retenait de bondir.
— Neige, pourquoi ne pas retirer ton chaperon ? me demandait-il d'une voix basse, grondante. Il ne fait pas froid ici et tu n'as pas besoin de te cacher du soleil.
Je portais la main à ma poitrine et défaisait l'attache qui retenait mon vêtement. Le tissu frôlait ma peau et tombait à mes pieds en frissonnant.
Je restai debout au milieu de cette tache de sang, complètement vulnérable, exposé à son regard concupiscent.
— Que tu as de beaux yeux, Astre, soufflais-je.
— C'est pour mieux te regarder, Neige.
— Que tu as une belle peau...
— C'est pour mieux te plaire, Neige, répondait-il en se redressant à demi, sa main crispée sur les draps au point de les déchirer.
— Que tu as de belles mains...
— C'est pour mieux te caresser, Neige.
— Que tu as de grands crocs...
— C'est pour mieux te dévorer ! hurlait-il en se jetant enfin sur moi pour me plaquer au sol.
Son corps écrasait le mien et son odeur animale omniprésente saturait mes sens tandis que ses doigts fermés sur mes poignets me maintenaient en son pouvoir. Ses lèvres se posaient dans le creux de mon cou, que ses dents mordillaient légèrement. Je hoquetai en me cabrant sous lui, me frottant irrésistiblement contre son corps, nos deux érections pressées l'une contre l'autre. La certitude qu'il ressentait le même désir que moi me rendait extatique.
Il embrassait ma poitrine, croquait le bouton rose de mes mamelons, glissait sa langue sur mon ventre et me lâchait les poignets pour écarter mes jambes. Ses doigts malaxaient la peau de ma taille, puis l'intérieur de mes cuisses, qu'il embrassait en s'approchant dangereusement de mon sexe dressé, gorgé de désir, suppliant qu'on le libère de la délicieuse tension qui grimpait encore, frisant avec l'insupportable.
Je le suppliai, je murmurai ou je criai son nom...
Jusqu'à ce que ses mains, parfois ses lèvres, se referment enfin sur moi.
Alors tout se déchirait, tout culminait pour exploser à cet instant de plaisir...
Il prononçait mon nom...
Et je me réveillai en haletant, couvert de sueur, dans mes draps froissés, tâchés par les restes de mon désir.
Je me sentais souvent trop seul après, dans ma chambre froide. Son absence entre mes bras était un vide insupportable.
Lorsque l'été commença enfin à s'effriter, j'enfilai mon chaperon rouge et me plantait résolument sur le porche de la maison, malgré les rayons du soleil qui s'attardait douloureusement sur la moindre parcelle de peau nue.
Solana ne disait rien, sinon pour sourire d'un air entendu que je faisais semblant de ne pas remarquer.
Mon loup, tu as intérêt à te dépêcher...
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