Négociations
En media: un petit dessin d'Éliope :)
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Khany lâcha un cri de frustration et secoua son épée pour tenter de la dégager. Estimant probablement que la situation avait assez durée, Tasha traversa la pièce d'un pas excédé pour ceinturer l'adolescente, qui se mit à gigoter dans ses bras en essayant de la mordre et la griffer.
— Écoute, s'énerva Tasha, j'aime beaucoup ton style, ton énergie destructrice, tout ça, mais là, ma fille, tu ne nous aides vraiment pas. Alors tu te calmes maintenant, ou je demande à Astre de t'assommer à nouveau.
Khany lui jeta un regard meurtrier et s'immobilisa à contrecœur, le visage sombre. Elles s'éloignèrent toutes les deux pour retrouver notre petit groupe, au seuil de la salle de bain, tandis que Jédima et Dana reprenaient position près de leur compagnon.
Je tendis mon esprit vers le lit et demandait au bois de retrouver sa place originelle dans le sommier. La carapace qui recouvrait le matelas se délita en racines de plus en plus petites qui tourbillonnèrent en disparaissant, révélant la figure ahurit du blessé qui se cachait dessous. Jédima et Dana poussèrent un même soupir de soulagement profond.
Et un nouveau silence s'installa.
— Bonjour, lâchai-je finalement, comprenant que personne d'autre ne parlerait. Je sais que les apparences laissent penser le contraire, mais heu... Nous ne vous voulons pas de mal. Promis.
— Les apparences laissent effectivement penser le contraire, railla la seigneuresse en lançant un regard explicite en direction de l'épée qui gisait sur le tapis.
— Je suis désolé, m'excusai-je en tentant un signe d'apaisement. Vraiment. Khany s'est heu... emportée. Apparemment, vous êtes plus ou moins responsable du décès de sa sœur.
— Elle était malade ! rugit l'ancienne esclave. Ils l'ont fait travaillé quand même ! Ils ont refusé de la laisser voir un médecin ! Ils l'ont tué à la tâche, ces pourceaux !
— Écoutez, répliqua Jédima d'un ton excédé, j'ai déjà assez de problèmes comme ça, j'ai autre choses à faire que de soigner les serviteurs.
Tasha ceintura de nouveau l'adolescente, l'empêchant in extremis de commettre un meurtre que je n'aurais pas totalement pu lui reprocher.
— Et vous, Sorcier ? demanda la seigneuresse en se tournant vers moi. Qui êtes-vous, que voulez-vous ? Vous apparaissez ici pour nous guider jusqu'aux hommes disparus, puis vous disparaissez et réapparaissez dans ma chambre avec une... ou plusieurs domestiques enragés ? Et un garde du corps à moitié nu ?
— Je m'appelle Neige, me présentai-je, irrité par son ton. Voici Astre. Nos amis, Tasha, Tom et Ned – les deux perchés sur la commode, là-bas – avaient été enlevés et vendus comme esclaves. Nous sommes venus au palais pour les récupérer et Khany s'est greffé à notre petit groupe. Nous ne savions pas qu'elle voulait vous tuer.
Jédima arbora une moue sceptique.
— Je me souviens de toi, intervint le blessé d'une voix faible, mais intelligible. Tu étais... Tu étais chez la sorcière, dans les bois. Tu nous as délivré, n'est-ce pas ?
Je hochai la tête.
— Et je l'ai puni aussi, précisai-je, au cas où il aurait peur qu'elle revienne.
Il frémit et ferma brièvement les yeux. Malgré ses airs bravaches, je pouvais deviner de profondes fêlures dans son regard et ses mains tremblaient. Mon cœur se serra pour lui. Ce que Morigane lui avait fait l'avait probablement blessé à jamais.
— Dommage, marmonna sombrement Dana en sortant une nouvelle dague de sa manche, je l'aurais bien découpé en lamelles...
Quelque chose me disait qu'elle ne parlait pas en métaphores. J'allais répliquer, mais à ma grande surprise, Astre fit un pas en avant et se planta devant Dame Jédima.
— Oui ? s'enquit-elle en levant un sourcil, l'air de dire qu'au point où elle en était...
— Vous dirigez cette citée, n'est-ce pas ?
— J'aime à le penser, répondit-elle d'un ton circonspect.
— L'une de nos amies est retenue chez un homme mauvais et puissant, continua Astre en la fixant dans les yeux. Aidez-nous à la délivrer. Neige a sauvé votre compagnon, vous avez une dette envers lui.
Dame Jédima lâcha un soupir, réfléchit quelques instants et se tourna vers Dana, qui fit « non » de la tête, et Éliope, qui fit « oui ». J'étais extrêmement curieux de savoir ce qui pouvait bien rassembler ces trois-là.
— Comment s'appelle cet homme « mauvais et puissant » ? demanda finalement la seigneuresse.
Astre ouvrit la bouche, la referma, et me lança un appel silencieux. Il n'était pas très doué pour les noms humains, surtout ceux qu'il n'aimait pas.
— Sekoff, intervins-je. Apparemment, il aime transformer les gens en esclaves dociles.
Une ombre passa sur le visage de Jédima, suivit d'une intense réflexion. Tasha frémit à mes côtés, de même que Khany. Je réalisai soudain que c'était probablement ce Sekoff qui cédait des bracelets de servitude modifiés aux nobles du palais, ceux qui fonctionnaient comme des machines. Jusqu'où allait l'influence de cet homme ? Où avait-il apprit à construire de telles choses ?
— Sekoff... répéta Jédima en me fixant intensément. Dans ce cas, jeune sorcier, nous pouvons nous entraider. Avec vos pouvoirs et mon statut, nous avons peut-être une chance de nous débarrasser de lui.
J'étais un peu gêné qu'elle ne me parle qu'à moi, comme si les autres pesaient peu dans la balance. Pensait-elle que je décidai pour tout le groupe ?
Un peu vexé aussi, Astre se plaça ostensiblement à mes côtés. Je posai une main sur son épaule.
— Qu'entendez-vous par « entraider » ? demandai-je avec méfiance. Que voulez-vous de moi ?
Elle fit une minuscule pause, choisissant soigneusement ses mots.
— Votre présence, pour commencer. Tout le monde a été témoin de votre démonstration de puissance, l'autre jour. Si vous m'accordez publiquement votre soutient, personne n'osera m'attaquer pour un bout de temps.
— Je ne m'éterniserai pas ici, la prévins-je. Et je ne soutiendrais aucune action que je jugerai immorale.
— Oui, oui... concéda-t-elle avec un geste de la main. Ensuite, aidez-moi simplement à détruire Sekoff. Ce pourceau est de plus en plus puissant. Lui et sa bande d'illuminés s'infiltrent jour après jour dans le palais, profitant de chaque faiblesse pour augmenter son pouvoir...
— Sa bande d'illuminés ? relevais-je.
— Ils se font appeler « les Héritiers ». Vous n'en avez jamais entendu parler ?
Astre et moi secouâmes la tête.
— Carol les a chassés de Terdhome, intervint une voix familière.
Un poids apparut sur mon épaule, où Calendre venait de se percher. J'étais incroyablement heureux de le savoir de nouveau parmi nous, surtout dans une situation pareille. Il était probablement le membre le plus compétent de notre petit groupe lorsqu'il s'agissait de s'adresser à des têtes couronnées.
Je lui jetai un regard anxieux. Ses épaules étaient plus ployées que d'habitude, mais ses yeux semblaient alertes. Il nous écoutait probablement depuis un moment, attendant de faire une entrée la plus spectaculaire possible.
— Il s'agit d'une sorte de secte, expliqua-t-il, des gens dangereux qui vénèrent les Chasseurs et les Anciens. Après avoir découvert qu'ils pratiquaient des expériences sur des humains, Carol les a emprisonnés ou banni définitivement de Terdhome et a toujours été extrêmement vigilant quant à leur présence dans la ville. Ils essaient de s'implanter de nouveau de temps en temps, mais les chats veillent aussi. Nous en avons ressortit un à coup de griffes au dernier solstice.
— Terdhome ? releva Jédima.
— Une ville un peu au nord... lui appris Éliope depuis son lit. Un endroit magnifique. Ce Carol est leur seigneur, n'est-ce pas ? J'y suis passé il y a...
Son visage se perdit dans un masque de confusion. Il se tourna vers Dana.
— Depuis combien de temps ai-je disparu ?
— Un an, répondit-elle doucement, probablement consciente du choc qu'elle était en train de lui causer. Et deux mois.
Il pâlit dangereusement.
— Il me semble me souvenir de vous, intervint Calendre. Vous êtes troubadour, n'est-ce pas ? Antoine parle encore de votre dernière visite.
Éliope hocha la tête en souriant faiblement.
— Le bibliothécaire écrivain ? murmura-t-il. Je me souviens de lui aussi. Je lui ai promis de repasser, un jour...
— Pour en revenir à la conversation en cours, reprit Jédima, je n'ai pas autant de pouvoir sur ma ville que ce seigneur de Terdhome. Je ne peux pas simplement chasser les Héritiers. Je dois composer avec toute la noblesse et croyez-moi, ce n'est pas une partie de plaisir. Je n'ai quasiment plus d'alliés nulle part, alors que Sekoff s'en fait de nouveau chaque jour. Sans compter le fait que les Héritiers se soient insinués dans les points névralgiques de la citée.
— Que proposez-vous ? m'enquis-je.
Elle soupira et se frotta les yeux.
— D'abord, une tasse de thé. Nous n'allons pas rester plantés là, debout, à moitié déshabillés au milieu de la chambre.
— Et Éliope doit se reposer, intervint sa compagne.
— Mais je veux écouter... protesta le troubadour d'une voix plaintive.
Dana déposa un baiser sur son front et marcha jusqu'à la porte d'entrée.
— Je vais demander qu'on nous apporte le nécessaire.
— Pardon, lui demandai-je avant qu'elle ne sorte, mais pourriez-vous nous amener à manger en même temps, s'il vous plait ? Des biscuits, peut-être ?
N'ayant pas mangé depuis la veille, mon loup avait probablement faim.
Elle acquiesça sans se décontenancer et quitta la pièce. Je tournais la tête vers Astre, qui me jetais un regard d'adoration pure.
— Je t'aime, Neige.
— J'aurais dû savoir qu'il suffisait d'utiliser de la nourriture pour te le faire réaliser !
Il sourit et je sus qu'il se retenait de m'embrasser.
~
Dix minutes plus tard, nous étions installés dans la troisième pièce de la suite seigneuriale, un bureau aussi grand que la chambre où dormait Éliope. Dame Jédima avait enfilé une robe rouge qui descendait jusqu'à ses chevilles. La ministre Dana avait rangé ses lames, mais je supposai qu'elle pourrait les ressortir d'un mouvement du poignet.
Nous était assis sur des fauteuils rembourrés, Riza sur un tabouret et Calendre sur mes genoux – ce qu'Astre désapprouvait silencieusement. Les jumeaux s'amusaient dans la salle de bain, d'où nous parvenaient des bruits d'eau suivis de discussions chuchotées et de petits rires machiavéliques.
Devinant qu'il ne serait pas malin de demander à des esclaves de servir Khany et Tasha, qui se tenaient aussi raides que des piquets dans leur fauteuil, Jédima demanda à Dana de s'en occuper. Elle n'estimait probablement pas qu'une seigneuresse puisse s'abaisser à un geste si quotidien.
Sa compagne s'exécuta sans protester, versant dans des tasses ouvragés le liquide brun qu'on venait d'apporter.
Le thé sentait bon, une odeur fleurie, délicate, que je n'avais jamais rencontré. J'y plongeais mes lèvres avec délice. Astre laissa immédiatement tomber la boisson pour s'emparer des petits gâteaux qui l'accompagnait et qu'il dévora sans retenue, imité par Riza. Khany et Tasha mangèrent plus prudemment, comme si elles craignaient que la nourriture soit empoisonnée. J'espérai que ce ne soit pas le cas, car mon loup avait déjà à moitié vidé le plateau.
Jédima soupira en plongeant ses lèvres dans sa tasse de thé. Elle avait l'air exténuée.
Le silence retomba pour la troisième fois depuis le début de cette conversation. Cela commençait à devenir une habitude.
Ce fut Jédima qui le brisa, cette fois.
— Je suis désolé de vous l'apprendre ainsi, lança-t-elle abruptement, mais vous ne réussirez jamais à vous introduire de force dans la forteresse de Sekoff.
Ah. Directement les sujets qui fâchent, donc...
Je me resservis du thé.
— Nous sommes bien entrés ici, remarqua judicieusement Astre. Deux fois. Facilement.
— Certes, concéda Jédima de mauvaise grâce, mais Sekoff a de l'argent, lui.
— Que voulez-vous dire ? m'étonnai-je.
— Les caisses sont vides ! s'exclama-t-elle. Voilà ce que je veux dire. Nous maintenons l'apparence de la richesse, mais même cette façade est sur le point de s'écrouler !
— Vous pourriez vendre n'importe quoi dans cette pièce, intervint Khany avec hargne, et obtenir plus d'argent que les habitants de cette ville n'en gagneront de leur vie !
Jédima eut l'air un peu surprise.
— Je ne pense pas, répondit Dana à sa place. La plupart des objets que vous voyez ici ne sont que des imitations ou des œuvres invendables. Ce que Jé... Dame Jédima essaie de dire, c'est que nous n'avons pas de quoi payer plus de gardes, et nous n'avons plus qu'une influence symbolique sur la citée. C'est grâce à cela que vous avez pu entrer si facilement.
— Et les taxes, alors ? renchérit Khany. Tout cet argent que vous volez aux gens...
— Cela fait longtemps qu'il n'atterrit plus ici, soupira la seigneuresse. Sekoff a petit à petit remplacé ou acheté tous les percepteurs. Et comme nous vous l'avons dit plus tôt, nous ne pouvons pas vraiment lui forcer à nous le rendre.
— Mais Neige est puissant, intervint Astre. Ce ne sont pas des murs ou des gardes qui l'arrêteront ! Nous rentrerons chez Sekoff, nous le zigouillerons...
— Puissant à quel point ? s'enquit Jédima en tentant de cacher son intérêt.
— Puissant au point d'avoir tué un Chasseur ! se vanta mon loup avant que j'ai pu l'arrêter.
Je piquai du nez dans ma tasse. Lorsque je relevai les yeux, Jédima m'observai avec une convoitise qui me mis mal à l'aise.
— Cela ne suffira pas, intervint Riza.
Tous les regards se tournèrent vers elle. Elle lécha quelques miettes sur ses babines avant de reprendre la parole.
— Je te l'ai déjà dit ce matin, Astre. Personne ne force l'entrée de Sekoff. Humain, chat, chien, oiseau, rats, personne n'entre, ou, en tout cas, personne ne ressort. Il possède des armes qui foudroient les gens à distances, des murs qui tuent dès qu'on les touche, des mousquets qui tirent à des centaines de mètres et probablement des trucs plus dangereux encore. Neige ne peut pas tout détruire. Sans offense, hein.
Je secouais la tête pour signifier que je n'étais pas vexé.
— Sans compter les rumeurs, évidemment, ajouta la chatte. On dit que Sekoff fabrique des monstres.
— Des monstres ? releva Dana, visiblement sceptique.
— Ouais, approuva la féline d'un ton grave. Et je vous interdis de rire, l'aristo. Je les ai vu, les monstres de Sekoff. Des cadavres qu'il jette dans le port et qui réapparaissent ici et là, des... choses horriblement déformés, des morceaux de corps, parfois... Ce type est un malade. Un malade dangereux.
— Et pourtant, nous allons entrer, lâcha Tasha d'une voix rauque et décidé.
La chatte leva les pattes avant.
— Vous faites ce que vous voulez, moi je vous donne simplement mes infos.
— Vous n'êtes peut-être pas obligé d'entrer dans la forteresse pour récupérer votre amie, tempéra Dame Jédima. Écoutez... Demain soir, un bal sera donné dans les jardins.
— Je croyais que vous n'aviez plus d'argent ? railla Khany.
— Quelques dettes de plus ou de moins ne feront pas la différence à ce stade, rétorqua la noble en la fusillant du regard. Sekoff viendra, probablement entouré d'esclaves. Il met un point d'honneur à en faire venir des différents à chaque fois, afin de bien étaler sa richesse aux yeux de tous. Si votre amie a été achetée il y a peu, elle sera probablement là.
— Mais demain soir est trop loin ! protesta Tasha avec une note de désespoir dans la voix. Qui sait ce que ce malade lui fait en ce moment ?! Je ne suis ici que depuis trois jours et j'ai déjà été battue, affamée et enfermée dans un cachot minuscule ! S'il est pire...
Elle frissonna d'horreur. Jédima haussa les épaules, l'air de dire « chacun ses problèmes ».
Je n'arrivai pas à me faire une opinion à son sujet. Elle avait l'air intelligente et était visiblement capable d'aimer, mais son désintérêt pour le sort des esclaves la rendait plus qu'inquiétante.
— À moins que vous n'ayez une meilleure idée, lâcha-t-elle, je n'ai rien de mieux à vous proposer. Mais vous suicider en vous précipitant tête baissée n'aidera pas votre amie. Restez ici. Montrez-vous à la cour. Je vous inviterai officiellement au bal et Sekoff voudra certainement vous parler : fasciné qu'il est par les Chasseurs, un sorcier Croisé ne pourra que l'intéresser. Vous verrez, Neige.
Je me rendis compte à cet instant qu'en disant « vous », elle ne s'adressait qu'à moi, comme si j'étais le seul à être digne de son bal.
— Si vous m'invitez, répliquai-je sèchement, il vous faudra aussi convier Astre, Calendre, Riza, Tasha et Khany.
Je ne considérai pas vraiment cette dernière comme une amie, mais tant qu'elle gardait pour elle ses pulsions meurtrières, je n'allais pas la laisser de côté. Et puis, tout ce snobisme commençait à sérieusement m'énerver.
Jédima grimaça. Bien fait pour elle.
— Nous pouvons peut-être les dissimuler parmi les domestiques...
— Non, la coupai-je d'un ton sans appel. Astre est mon compagnon. Les autres sont mes amis. Je n'abandonnerai personne. Si vous voulez vous servir de moi pour votre prestige, vous devrez accepter notre présence à tous.
Du coin de l'œil, je vis Dana dissimuler un sourire derrière sa tasse de thé. Jédima me fixa sévèrement, comme si elle espérait m'intimider. Mais les gens n'ont que l'autorité qu'on leur donne, et je ne lui reconnaissais aucun droit sur moi.
— Soit, abdiqua-t-elle avec un déplaisir évident. Mais pour l'amour des Anciens, ne dites à personne que vous êtes d'anciens esclaves ! Pour les chats...
Les mots paraissaient peiner à sortir. Riza la fixait d'un air goguenard, savourant visiblement son inconfort.
— Je suppose qu'il est inutile de vous demander de rester discrets ?
— Je ne qualifierai pas cela d'inutile, répondit sereinement Calendre à la place de la chatte borgne. Simplement extrêmement présomptueux et voué à produire l'effet inverse.
Riza ricana dans ses moustaches.
— Je vous promets de ne pas trop boire, Ma Dame... lâcha-t-elle avec malice.
La tasse trembla entre les doigts de Jédima, qui devint rouge, puis blanche. Dana se leva et posa une main sur son épaule.
— Je pense que nous nous sommes tout dit pour le moment, lança-t-elle d'un ton conciliant. Nous méritons de nous reposer un peu. Nous allons mettre des chambres à votre disposition à cet étage, celui des invités les plus prestigieux, et faire tout préparer pour le bal et les journées à venir. Nous nous retrouverons au diner, ce soir, où vous pourrez faire une grande apparition. Cela vous convient-il ?
Nous nous regardâmes.
— Je ne veux pas être séparé des jumeaux, lâcha Tasha en pointant un doigt vers la salle de bain, d'où sortait une flaque d'eau grandissante.
— Nous dirons qu'il s'agit de vos fils, concéda la noble.
Tasha hocha la tête.
— Quant à vous, continua Dana en se tournant vers Khany, si vous voulez rester, vous devez nous promettre de ne tuer personne. Si vous désiriez partir, nous pourrons vous fournir un peu d'aide pour vous installer en ville ou autre part...
— Oh, mais vous ne vous débarrasserez pas de moi aussi facilement, Ma Dame, railla Khany, qui semblait trouver la situation hilarante. Je ne manquerais ce bal pour rien au monde !
La noble grinça des dents. Elle avait visiblement espéré l'inverse.
Sur un soupir, elle reposa sa tasse, se dirigea vers la porte, qu'elle ouvrit, et discuta avec quelqu'un tandis que nous finissions notre thé.
— Une dernière chose... intervint Jédima alors que nous nous levions.
Je lui adressai un regard fatigué. Quoi, encore ?
— Merci d'avoir sauvé Éliope.
— Oh... répondis-je, pris de cours. Eh bien... De rien. Je suis heureux qu'il ait pu retrouver les personnes qui lui étaient chères.
La seigneuresse sourit, plus sincèrement que je ne lui avais jamais vu jusqu'à maintenant, mais aussi si tristement que j'eus brièvement l'envie de la consoler.
— S'il vous plait, supplia-t-elle presque, n'en parlez à personne. Éliope est officiellement marié à Dana. Si les autres nobles apprenaient que j'avais une relation avec eux, ils s'en serviraient pour m'atteindre. Vous comprenez ?
Je hochais la tête.
— À votre place, intervint Astre, je m'en irais directement. Un lieu où je ne pourrais pas montrer mon affection à Neige quand j'en ai envie ne vaudrait pas la peine d'y vivre.
Je lui pris la main, le cœur gonflé de chaleur. Il me sourit en la serrant.
Jédima le regarda quelques secondes, à la fois surprise et pensive, avant de soupirer.
— Vous êtes certainement plus sage que nous, alors, dit-elle simplement.
~
Dix minutes plus tard – le temps qu'Astre et Tasha extirpent les jumeaux de leur bain tout habillés – nous sortîmes dans le couloir, où patientaient cinq domestique à l'échine courbée, prêt à nous guider jusqu'à nos nouveaux logements.
Nous n'avions pas fait un pas hors des appartements de Dame Jédima qu'un grand vacarme se fit entendre sur notre droite. Un homme criait des invectives en appelant la garde dans un charabia entrecoupé d'objets brisés.
Astre, Tasha, Khany et moi échangeâmes un regard affolé. Le noble que nous avions assommé tout à l'heure ! Je l'avais complètement oublié !
— Que se passe-t-il, encore ? bougonna Jédima.
— Il est possible, répondis-je en grimaçant, que nous ayons... heu... Fait momentanément perdre connaissance à l'un de vos comparses. Dans la première chambre près de l'ascenseur, là-bas...
— Un trou du cul, précisa obligeamment Tasha.
Dana plissa les lèvres pour étouffer le rire qui menaçait visiblement de l'emporter. Jédima s'appliqua à ne rien laisser paraître, mais il n'était pas difficile de deviner qu'elle n'appréciait pas particulièrement son voisin de palier.
Elle se tourna vers les domestiques.
— Laissez-le s'égosiller encore un peu, puis appelez la garde. Disons dans... Un quart-d'heure. Dites leurs qu'il a tenté de manquer de respect au Sorcier Rouge et en paye les conséquences.
— Bien, Ma Dame, répondit l'un d'entre eux avec déférence.
— Menez mes invités à leurs appartements, continua la seigneuresse, et répondez à tous leur besoin.
— Bien, Ma Dame.
Jédima hocha la tête d'un air satisfait, nous sourit obligeamment et fit volte-face pour retourner dans ses quartiers.
C'était impressionnant à quel point son ton et ses traits étaient glacés dans ce nouveau contexte. Combien de masques portait cette femme ? Avait-elle un véritable visage en dessous, ou n'était-elle constituée que de différentes facettes ?
— Ministre Dana, lança-t-elle sévèrement, j'attends toujours votre rapport sur l'expédition de secours. Je n'ai pas toute l'après-midi à vous consacrer.
— Oui, Ma Dame, s'inclina l'intéressée en la suivant dans ses appartements d'un air contrit.
— Je suis sûr que ces « rapports » ne sont pas vraiment en retard, s'amusa Astre dans mon esprit.
J'essayai de ne pas pouffer. On me prenait déjà pour un dangereux sorcier, mieux valait qu'on ne me croit pas en plus complètement instable.
Les domestiques nous firent signes de les suivre. Mon loup, qui tenait toujours ma main, la serra un peu plus fort.
— Ne t'en fais pas, soufflai-je dans ses pensées. Tout va bien se passer.
Il leva les doigts au niveau de ses lèvres et les embrassa doucement.
— J'espère, murmura-t-il simplement.
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