Le véritable nom de la colère
En media, un superbe fanart de @Kanae-Chan66 !! :3
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Neige
Astre lâcha ma main et se précipita en avant. Mon cœur cessa de battre.
Au même instant, Antoine lança ses torches dans les cheveux du géant. Le Chasseur accusa un mouvement de recul, ses yeux s'agrandissant brièvement de frayeur. Mais il venait de traverser le lac. Il était trempé.
Les torches s'éteignirent et retombèrent au sol.
Irrité, le monstre tenta d'agripper Antoine, fauchant au passage une cheminée. Le bibliothécaire l'évita d'exrême justesse et sauta sur le toit voisin.
Non, non, non...
Et où était Astre ? Je le sentais tout prêt, je percevais sa colère et sa détermination, mais je ne le voyais pas.
Non, non, non...
Le Chasseur frappa le bâtiment où se trouvait Antoine, faisant trembler les murs et s'effondrer tout un pan du toit. J'aperçus des dizaines d'ombres passer dans les débris, tirant des silhouettes inanimées. Les chats évacuaient les victimes hors de la zone de conflit.
Le géant frappa de nouveau. Le bâtiment tout entier commença à se fissurer. Antoine prit son élan pour sauter sur le suivant...
Et sa mauvaise jambe se déroba sous lui.
— ANTOINE ! hurla Carol d'une voix déchirée, désespérée.
Le bibliothécaire tourna la tête vers lui. Même d'ici, je pu voir la stupeur et la joie se disputer sur son visage. Il venait de comprendre que ses sentiments étaient réciproques. Pourquoi ce genre de choses arrivait-il toujours trop tard ?
Le poing du géant se précipita sur lui.
Et Antoine serait mort à cet instant, complètement broyé, si le loup le plus courageux et le plus inconscient de tout l'univers n'avait pas sauté en hurlant sur la tête du Chasseur.
— ASTRE ! hurlai-je.
Mon cœur, que je ne sentais plus battre depuis quelques minutes, s'accéléra soudain à un point si douloureux que je cru qu'il allait sortir de ma poitrine.
Je me mis à courir.
Astre ! priai-je silencieusement, incapable de convoquer une autre prière que son nom. Astre ! Astre !
Je titubai en slalomant entre les cheminées, sautant maladroitement au-dessus des toits pour me rapprocher de la zone en ruines où le monstre s'agitait. Une image, comme un flash, se grava sur mes rétines. Astre, fièrement perché sur la tête du géant, sa fourrure volant autour de lui, son visage illuminé d'une joie mêlée d'une détermination mortelle.
Mon loup aussi était un chasseur.
Il se baissa et enfonça son poing dans l'œil de la créature qu'il chevauchait. Le géant hurla alors que le sang giclait sur son visage blafard, titubant comme un danseur ivre au milieu des gravats. D'autres cris humains résonnèrent en contrebas, ceux des humains qui n'avaient pas eu le temps de se mettre à l'abri et se trouvaient écrasés sous les bâtiments qui s'effondraient.
J'étais arrivé toit qui bordait la zone détruite. Je ne pouvais pas m'approcher plus ! Que faire, bon sang, que...
Le Chasseur leva les mains pour attraper celui qui l'avait blessé. Mon loup esquiva en sautant sur ses épaules, s'accrochant à sa chevelure pour se suspendre dans son dos...
Astre... Astre... Astre... Astre...
À chaque battement, mon cœur criait son nom.
Astre, mon amour, fait attention !
Mon loup sauta sur l'autre épaule et tenta de remonter sur la tête du Chasseur, peut-être pour atteindre son deuxième œil.
Je sus ce qui allait se produire une seconda avant que cela n'arrive vraiment.
Tout ralenti, comme si le monde me laissait le temps de comprendre, d'observer, afin de me souvenir à jamais. Des nuages de poussières flottaient dans la nuit. Une odeur de sang saturait l'air. Des cris résonnaient un peu partout. Le Chasseur leva la main.
Astre voulut grimper sur son crane, mais glissa sur les cheveux mouillés.
La main du géant se rapprocha de lui.
Astre tourna la tête vers moi, sachant instinctivement qu'il ne l'éviterait pas.
Neige, entendis-je une seconde avant l'impact.
Le temps rattrapa brusquement sa course et je me mis à hurler, un cri viscéral, douloureux, qui me déchira en deux.
Son corps vola par-dessus la muraille, sa fourrure blanche laissant comme une trainée derrière lui. Sa conscience se brouilla brusquement.
Je hurlais encore en percevant le froid de l'eau qui l'englouti, je hurlai et je hurlai en le sentant s'enfoncer vers le fond du lac en chutant plus profondément dans les limbes de l'inconscience.
Son esprit s'effaça du mien.
Je sentis quelque chose se briser en moi – ma raison, peut-être.
Je cessai de hurler et tournai la tête vers le Chasseur qui, le visage toujours ensanglanté, avançait entre les maisons en se baissant pour ramasser quelques fuyards.
Une rage immense pulsait au creux de mes entrailles, de plus en plus forte, de plus en plus dévorante. L'un des siens avait tué ma mère.
Et celui-là avait fait du mal à Astre.
Alors j'allais le tuer.
Il n'y avait ni question, ni incertitude dans cette affirmation. J'allais le tuer. Et je sus, à cet instant, que j'en étais capable.
Mon étincelle s'embrasa au fond de mon esprit, puisant dans ma douleur et ma colère, s'éveillant si fort et si brutalement que je sentis presque la magie crépiter dans mes veines.
Le monde s'offrit différemment à mon regard. Exhalé par la puissance de mon étincelle, je ne voyais plus les choses, mais leur part spirituelle, leur essence brute, malléable. Vulnérable.
Celle du Chasseur était rouge et blanche, violente et brute, encore moins nuancée que celle d'un animal. Je me concentrai dessus, l'analysant, la comprenant en quelques secondes. J'appris son véritable Nom sans difficulté, et me l'appropriait entièrement, le soummetant à mon pouvoir.
L'étincelle, au creux de mon ventre, était devenu un brasier monstrueux. Je l'alimentait encore, puisant dans ma haine et ma douleur, dans ma rage et ma rancœur, accumulant toujours plus d'énergie. L'air commença à crépiter autour de moi. Le vent s'agitait, faisant voler mes cheveux et mon chaperon ensanglanté.
Lorsque la puissance de l'étincelle fut absolument insoutenable, je concentrai ma volonté sur le Nom du Chasseur et lui ordonnait de brûler.
Je sentis sa chair s'embraser d'un coup et hurlait de nouveau dans ma tête – brûle ! Brûle ! BRÛLE ! – tandis qu'il cherchait désespérément à soulager la chaleur qui faisait fondre sa peau. Mais c'était peine perdue, je m'étais approprié les flammes et elle m'avaient approprié en retour, avides de consommer, consumer, dévorer, détruire, anéantir !
Le Chasseur s'écroula. Je laissai les flammes courir encore le long des rues, des toits, des humains... Je m'étais complètement noyé dans la violence, perdu dans l'essence du feu, qui avait momentanément contaminé la mienne.
J'aurais pu disparaître à cet instant, détruit par les flammes que j'avais moi-même créé, si un timbre familier n'avait pas résonné dans mon esprit.
— Neige...
D'où venait cette voix ? Qui m'appelait ainsi ? J'étais fureur, chaleur, destruction, j'étais ce corps recroquevillé dont la chair fondait sur les os, j'étais...
— Neige...
Le murmure était plus faible, plus douloureux.
Je n'étais pas le feu.
— Astre !
J'étouffai brutalement mon étincelle, me détachant de l'incendie qui faisait rage dans la citée. Le Chasseur n'était plus qu'un tas de cendre au milieu des flammes qui grimpaient jusqu'au ciel.
Avec horreur, j'entendis des cris et des appels à l'aide. Les toits étaient couverts de chats qui se précipitaient en groupes vers les bâtiments noircis pour aider les victimes à sortir par les fenêtres.
Qu'avais-je fait ?
Repoussant ma culpabilité pour m'y noyer plus tard, je rallumai de nouveau mon étincelle, plus prudemment, et l'envoyer se mêler aux nuages, qui me soufflèrent le véritable Nom de l'eau. Je forçais les gouttes à s'agglutiner et percer leur enveloppe brumeuse.
Une pluie drue se mit à tomber d'un coup, noyant la cité dans un rideau aquatique si épais qu'il en était presque suffoquant.
Je me laissai tomber en arrière, vide, sans force et sans volonté, cloué aux tuiles par la pluie qui continuait de tomber.
— Astre ? appelai-je, au bord du désespoir. Astre ?! Astre ?! ASTRE !
Mon appel se perdit dans un vide glacé.
Je me mis à pleurer.
Le Chasseur était mort, mais je ne ressentais aucune victoire, seulement de la honte et du dégout pour ce que la colère et la haine m'avaient poussé à faire.
Et, surtout, j'étais terrifié.
— Astre... bégayai-je sous la pluie qui frappait ma peau. Astre...
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