Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

L'histoire du troubadour

Neige

Astre somnolait depuis une heure ou deux, recroquevillé sur les couvertures, la tête sur mon épaule. Je caressais ses cheveux en laissant mes pensées vagabonder. J'étais fatigué et mon corps ressentait les effets de nos ébats passionnés, mais je savais que je n'arriverai pas à dormir. Nous n'étions pas en sécurité ici. Je n'aimai pas les rumeurs que Jédima faisait courir sur moi, je n'aimai pas notre situation, et je n'aimai tout simplement pas cet endroit.

Un coup discret à la porte me fit sursauter. Astre s'éveilla brusquement, tous ses sens aux aguets.

Le coup se répéta, plus insistant. Je sautai du lit, attrapai mon pantalon et l'enfilai précipitamment.

— Entrez ! criai-je en lançant un regard autoritaire à Astre, qui leva les yeux au ciel et recouvrit vaguement son entrejambe du bout d'un drap.

La porte s'ouvrit. Éliope se glissa dans l'embrasure, vêtu d'une simple chemise de nuit. Ses longs cheveux bruns se battaient sur son front, ses joues étaient pâles, ses yeux cernés et ses bras légèrement tremblants, mais son regard aiguisé brillait de malice.

— J'espère que je n'interromps rien, salua-t-il avec un regard explicite en direction du lit.

Je piquai un fard.

— Non, le rassura tranquillement Astre, nous avions terminé.

Je lui donnais un coup de coude, auquel il répondit par un regard outré. Éliope sourit, amusé, et tira une chaise près du lit pour se laisser tomber dessus. Même son air fragile et fatigué n'entamait pas son élégance naturelle. À quoi ressemblait-il avant son passage chez Morigane ? En meilleure santé, il devait être d'une beauté à couper le souffle.

Il n'est pas si beau que ça, protesta Astre dans mon esprit.

Je lui souris en coin pour me venger de sa précédente remarque. Il croisa les bras d'un air boudeur et fusilla le pauvre Éliope du regard.

— Nous n'avons pas pu être correctement présenté tout à l'heure, lança notre invité surprise. Je suis troubadour, conteur et grand voyageur, répandant à travers le monde les histoires et les nouvelles d'ailleurs. Je ne te remercierai jamais assez de m'avoir délivré, Neige.

— Ce n'était rien, répondis-je, embarrassé.

Il parut sur le point d'insister, mais renonça. À la place, il se pencha en avant, les doigts joints sous son menton, et sourit d'un air fasciné.

— On m'a raconté votre première apparition au château... Vous avez surgi au milieu du conseil des ministres, repoussés les gardes sans efforts, révélé l'emplacement des hommes disparus, magiquement transporté tous les nobles sur place durant quelques instants, puis vous êtes volatilisés. Et voilà que vous réapparaissez dans la chambre de seigneuresse, le lendemain, après avoir délivré quelques esclaves...

— Eh alors ? répliqua mon loup, sur la défensive.

— Eh alors, je veux connaître votre histoire, évidemment ! s'exclama-t-il, presque offusqué que nous n'y ayons pensé.

J'échangeai un regard hésitant avec Astre. Quelques semaines plus tôt je n'aurais pas hésité, mais je commençais à me montrer un peu plus méfiant envers les inconnus. Nous ne savions rien de lui, après tout.

— Répéterez-vous ce que nous vous dirons à Dame Jédima ? m'enquis-je prudemment.

— Oui, avoua-t-il sans détour. Je n'ai aucun secret pour les femmes de ma vie.

— Alors non, tranchai-je. Je ne veux pas qu'elle use contre nous les informations que nous pourrions vous donner.

Il grimaça.

— Ah. Oui, c'est vrai que cela serait son genre...

Déstabilisé par son honnêteté, je ne sus pas quoi répondre.

Il réfléchit quelques instants avant d'ajouter :

— Vous n'allez pas rester longtemps à Solaris, n'est-ce pas ?

— Nous partirons dès que nous aurons retrouvé Joan, confirma Astre d'un air buté.

— Et vous comptez revenir ?

— Jamais, trancha mon loup.

— Parfait, approuva-t-il en se frottant les mains d'un air satisfait. Et si je vous retrouvais après votre départ ? Cela n'aurait plus d'importance, n'est-ce pas ? Vous me raconterez votre histoire ?

— Peut-être... concédai-je.

Une idée me traversa l'esprit.

— À une condition.

— Laquelle ? demanda-t-il, amusé.

— Que vous nous racontiez la vôtre ! Je suis incroyablement curieux de savoir comment vous, Dame Jédima et la Ministre Dana vous êtes connus.

Astre marqua son approbation d'un hochement de tête appuyé.

— Ah ! s'exclama-t-il, ravi, en se frappant la cuisse. Bien joué ! Malheureusement, même si j'adorerais vous racontez ce récit dans tous ses détails – après tout, c'est mon favorit –, je ne pense pas que ce serait sage, pour les mêmes raisons que vous. Je ne voudrais pas leur causer du tort. Cependant... Vous en savez déjà tant... Je peux peut-être vous offrir une version raccourcie. Cela vous irait ?

— Oui ! répondis-je aussitôt, car la curiosité avait toujours été ma plus grande faiblesse.

Il sourit, les yeux pétillants d'anticipation, et se racla la gorge. J'en profitai pour m'installer entre les jambes d'Astre, ma tête dans le creux de son épaule, mon dos contre son torse musclé.

Je suis confortable ? s'enquit-il avec un sourire que je sentis sans le voir.

Ma main se glissa dans la sienne.

Évidemment.

Indifférent à nos échanges muets, Éliope ouvrit les bras et arbora un air dramatique avant de déclamer :

— Oyez, oyez, mes amis, l'histoire du troubadour qui se fit aimer des deux femmes les plus puissantes et les plus dangereuses de ce côté du continent...

Il laissa passer un instant, étirant malicieusement le suspense.

— Je suis né dans un village lointain, commença-t-il enfin, si petit qu'il ne figure sur aucune carte. Vous le trouverez au sud, tout au bord du Désert Perdu, si le sable ne l'a pas engloutit depuis. Ma mère était marchande itinérante, mon père cordonnier. Leur romance fut aussi brève que le temps qu'il me faut pour la conter : ils se sont aimés, puis séparés. Parfois, il m'arrive même de penser qu'ils se sont séparés avant de s'aimer, mais je préfère garder la première version du récit. J'ai donc grandi dans ce petit village, du nom de Co-Atan, où passait de nombreuses caravanes. Leurs récits m'ensorcelaient. L'idée du voyage me fascinait. J'ai décidé à quatorze ans de partir sur les routes.

— Vous avez quitté votre père ? s'inquiéta Astre.

Le troubadour haussa les épaules.

— Nous nous entendions bien et nous aimions même, à notre façon, mais la vie est ainsi faite. Certaines routes sont vouées à se séparer.

Mon loup hocha la tête, pensant probablement à sa Meute perdue. Je lui serrai un peu plus fort la main. Moi aussi, ma maison et ma famille me manquait.

— J'ai beaucoup voyagé, reprit Éliope, beaucoup appris, beaucoup chanté. Au début, j'allais de caravanes en caravanes, puis, en grandissant, j'ai fini par tracer mes propres chemins. Petit à petit, j'ai commencé à me forger une certaine réputation. Et pas seulement pour mes performances musicales, pour être honnête...

Il nous adressa un clin d'œil appuyé. Astre pouffa dans mes cheveux. Je mis quelques secondes à faire le lien et sourit en coin, amusé.

— J'avais à peu près votre âge quand je suis arrivé à Solaris pour la première fois, enchaîna le troubadour, content de son effet. J'ai été reçu au palais avec tous les honneurs qu'il se doit par Dame Rothonda, la mère de Jédima. Comme on me traitait bien et que l'endroit était intéressant, j'ai décidé de rester un peu plus longtemps que d'habitude...

Il sourit sous l'effet d'un souvenir, puis s'assombrit.

— En ce temps-là, Jédima avait un frère et une sœur, Sir Graham et Dame Kilderade. Étant la plus jeune, elle n'était pas destinée à régner et était plutôt méprisé par la cour et par sa mère, qui l'ignoraient dans ses bons jours et l'humiliait dans les mauvais.

— Elle n'avait qu'une mère ? s'inquiéta Astre.

— Son père était mort avant sa naissance. Un terrible accident. Quelqu'un l'a trainé en haut des murailles et l'a poussé dans le vide.

Nous mîmes quelques secondes avant de réaliser.

— Mais... balbutiai-je.

— Il avait menti aux mauvaises personnes, soupira le troubadour. Une histoire avec la secte des Héritiers, si je me souviens bien. Des gens qui ne plaisantent jamais. Mais pour revenir à nos affaires, Jédima possédait une ennemie acharnée : Dana. Elles se détestaient depuis l'enfance, nées dans des familles rivales, et ne manquaient jamais une occasion de se tirer dans les pattes. C'était assez amusant à regarder. Enfin, j'étais jeune, inconscient, et attiré par tous ceux qui plaisaient à mes yeux. Dana m'a mise dans son lit la première. Puis Jédima. Puis Dana de nouveau. J'étais un nouvel objet dans leur guerre ancestrale et honnêtement, je ne m'en plaignais pas. Pas du tout.

Je souris de nouveau, amusé par son air grivois.

— Pour tout un tas de raison n'incluant que celle-ci, continua le troubadour, je suis revenu à Solaris l'été suivant, puis celui d'après, et... Je ne sais pas. Quelque chose a changé. La vie est une chose étrange, on pense se connaître, on pense pouvoir tout prévoir, et le plus inattendu se produit. Une sorte de routine s'est installée. Nous avons implicitement établi des règles, afin de savoir si je devais aller chez l'une ou chez l'autre, et elles rivalisaient d'ingéniosité pour « gagner » leurs petites joutes et me remporter en trophée. En retour, je les courtisai toutes les deux, chantant sous leur balcon, livrant des fleurs, des poèmes et des bijoux en secret, toutes ces choses que faisait par jeux, sans m'apercevoir que le jeu était devenu sérieux. Nous ne couchions pas toujours ensemble. Nous sortions souvent, discrètement. Elles m'emmenaient dans des coins discrets des jardins, je les invitais à quelques théâtres dissimulés de la cité... Jédima aimait secrètement les comédies romantiques, Dana adorait les tragédies. Jédima était une admiratrice d'arts picturaux, Dana d'arts martiaux... Elles ne s'en rendaient pas compte, mais elles partageaient les mêmes valeurs, au fond, sous leurs intérêts et leurs caractères si différents. J'étais le plus heureux des hommes, pour avoir l'attention de deux femmes aussi extraordinaires...

Il soupira, le regard ailleurs, et s'égara quelques instants avant de continuer son histoire.

— J'arrêtai progressivement de coucher avec d'autres personnes, même lors de mes voyages loin de Solaris. Nul n'arrivait jamais à leur hauteur. Je commençais à correspondre avec elles lors de mes escapades, usant d'un seul pigeon à chaque fois pour transporter deux lettres, une pour chacune d'entre elle. Je leur ramenai des présents, des dessins, des chants, des histoires, tout ce qui me rappelait leur présence lorsqu'elles n'étaient pas là.

— Et vous ne vous êtes pas rendu compte que vous les aimiez ? s'étonna Astre.

— Tu peux parler, le taquinai-je en pouffant.

Il grommela quelque chose à propos des sorciers impertinents qui m'arracha un petit rire. Je l'embrassai sur le dos de la main pour me faire pardonner.

— Hélas, reprit tristement Éliope, lorsque je suis revenu pour la quatrième fois, j'ai vite compris que le jeu était terminé. Dame Rothonda s'était faite assassiner en même temps que son fils aîné. Par la famille de Dana.

— Oh non... laissa échapper Astre d'un ton presque enfantin. Qu'avez-vous fait ?

— D'abord, j'ai paniqué. J'étais troubadour, pas politicien, et j'avais toujours fait attention à ne jamais m'impliquer dans quelque magouille que ce soit. La situation était devenue plus qu'instable et dangereuse. Les nobles ne font pas dans la demi-mesure ici, vous savez. Ce sont des prédateurs, toujours prêt à prendre ce qu'ils veulent et éliminer ceux qu'ils peuvent. J'ai fait mes adieux à Dana et Jédima et je suis reparti... Jusqu'aux limites de la cité. Au premier pas hors de Solaris, je me suis rendu compte que si je partais maintenant, ce serait pour toujours, et que je n'en avais pas envie. Je ne voulais pas vivre sans la perspective de les revoir tous les étés, sans nos rendez-vous et nos vaines compétitions... Le monde serait trop gris sans elles. Et ce que nous avions méritait que je me batte pour le conserver.

Astre me serra un peu plus fort dans ses bras.

Ce que nous avons, nous, vaut la peine que nous nous battions contre le monde entier, soufflai-je dans son esprit.

Oui.

Il déposa un baiser sur le haut de mon crâne, comme un serment.

Éliope, qui s'était tu quelques secondes, reprit d'une voix grave et passionnée.

— Je suis revenu leur parler. Les pauvres, je ne leur avais même pas laissé le temps de s'expliquer ! Dana n'avait pas participé aux meurtres. Elle ne rechignerait pas à tuer quelqu'un en légitime défense ou à venger un proche, mais elle ne commettrait jamais d'assassinat de sang-froid. Elle trouve que cela manque de raffinement. Jédima non plus, d'ailleurs, malgré tous le mal qu'elle se donne pour donner l'impression du contraire.

— Mais elles achètent des gens ! rétorqua Astre avec une certaine hargne. Des « esclaves » ! C'est un peu la même chose pour moi.

Éliope grimaça.

— Un sujet que nous évitons d'aborder entre nous, je vous assure. Jédima et Dana ne sont pas...

Il sembla chercher ses mots et soupira :

— Ce ne sont pas vraiment de « bonnes » personnes. Elles ne sont pas spécialement cruelles, mais elles ont appris très tôt à être... Implacables. On ne peut pas faire autrement ici. Question de survie.

— Cet endroit est complètement malade, laissa échapper Astre en secouant la tête, dépassé.

— Que s'est-il passé après ? demandai-je, trop curieux pour en rester là.

— J'ai réuni Dana et Jédima et je leur ai dit que je les aimais tous les deux, autant et en même temps. Je voulais être avec elles deux. J'avais peur qu'elles s'entretuent, mais elles l'ont pris plutôt calmement. Je pense qu'elles s'en doutaient, et... Je crois qu'elles étaient assez touchées que je sois resté pour elles. Devant moi, et sans que je le demande, elles se sont fait le serment de toujours se protéger l'une l'autre et de ne jamais se blesser afin de ne pas me faire souffrir. Elles ne m'ont jamais dit qu'elles m'aimaient, mais après cela, elles n'en avaient pas besoin.

— Elles feraient mieux de vous le dire quand même, commenta Astre, qui avait visiblement à cœur de partager son expérience.

— Je ne désespère pas, répondit Éliope avec un sourire plein de malice. Je ne peux malheureusement pas vous donner beaucoup de détails sur la suite, car cela pourrait leur porter préjudice. Je dirai simplement que Dana a empêché Jédima d'être assassinée en même temps que sa sœur, quelques semaines plus tard, et l'a aidé à monter sur le trône en profitant de la surprise générale, car personne n'avait jamais envisagé une alliance entre ces deux-là. Nous nous sommes mariés en secrets un an après, tous les trois, même si j'ai officiellement épousé Dana pour pouvoir rester à la cour. Notre alliance a fait beaucoup de bruit. Dana a été répudiée par sa famille, ce dont elle se moquait un peu, et la plupart des courtisans sont persuadé qu'elle n'a aidé Jédima que pour avoir le droit de m'épouser, moi, un troubadour sans titre et sans argent. En public, elles font semblant de ne se tolérer qu'à regret...

— Alors qu'en fait, m'amusai-je, elles ont appris à s'aimer.

— Je ne sais pas, avoua Éliope en se frottant les yeux d'un air soudain fatigué. Ce n'était pas le cas quand je suis parti, en tout cas. Elles se toléraient, mais de là à s'aimer...

— Avant d'être capturé par Morigane ? m'enquis-je doucement.

— Oui, soupira-t-il. Je suis resté un peu plus de quatre ans au palais, après notre mariage, afin de leur apporter mon soutien. Mais... J'en avais assez d'être sédentaire. Mes voyages me manquaient trop. J'étais malheureux, même avec elles, et elles ne voulaient pas le comprendre, alors... Nous nous sommes disputés, j'ai emballé mes affaires dans un sac et je me suis enfui en leur laissant une note. J'avais prévu d'aller un peu au nord et de revenir au bout de quelques mois. Sur le chemin du retour, je leur ai envoyé un message de Terdhome leur disant que j'étais désolé d'être parti ainsi et que j'étais impatient de les revoir. Comme c'était le cas, j'ai décidé d'emprunter le Chemin des Disparus pour arriver plus rapidement. Je n'avais pas entendu parler d'enlèvements depuis si longtemps que je ne pensais pas être vraiment en danger. Un an et deux mois plus tard, tu me délivrais de la sorcière...

Un silence s'installa. Je me levai et posai la main sur son épaule. Il avait l'air exténué et un peu perdu. Je me demandai s'il ne venait pas nous raconter tout cela pour fuir sa chambre, ses deux femmes, sa culpabilité et ses angoisses.

— Moi, lança Astre d'un ton convaincu, je pense qu'elles se sont rapprochées quand vous avez disparu, parce qu'elles croyaient vous avoir perdu, et que maintenant, elles sont aussi amoureuses l'une de l'autre.

Après avoir surpris leur scène lorsqu'elles veillaient sur Éliope, j'étais plutôt de son avis.

Le troubadour arbora une moue songeuse.

— Je ne sais pas, je me demande si...

Un grattement à la porte l'interrompit. Intrigué, je me levai et tournai la poignée. Calendre et Riza étaient assis sur le seuil. Le chat roux avait l'air très satisfait, à côté de sa compagne au regard noir. Je n'osai leur demander ce qu'ils avaient fabriqué depuis qu'ils étaient partis.

— Vous êtes déjà de retour ? m'étonnais-je en les laissant entrer, un peu gêné de ne porter qu'un pantalon devant tant de gens.

— « Déjà » ? répéta Calendre. Il est presque quatre heures de l'après-midi ! Il faut vous préparer, si vous ne voulez pas avoir l'air d'idiots au diner de ce soir.

— Se préparer ? s'enquit Astre d'un ton méfiant.

— Vous trouver des habits décents pour commencer, expliqua le chat d'un ton légèrement condescendant. Et vous renseigner sur le protocole en vigueur...

Son regard se posa sur Éliope, qui le regardait d'un air curieux.

— Je vois que vous avez déjà commencé à interroger la faune locale, nous félicita le chat. Je suppose que vous êtes au courant de tout ce qu'il y a à savoir pour survivre dans ce palais, Monsieur le troubadour ?

— Vous supposez juste, Monsieur le félin, répondit Éliope avec une déférence un poil exagéré.

Calendre bomba légèrement le torse. Riza leva les yeux au ciel.

— Demandons aux domestiques de venir prendre vos mesures, nous conseilla le troubadour. Avec un peu de chances, ils pourront vous arranger quelque chose de correct pour le diner de ce soir et le bal de demain. Pendant ce temps, je vous expliquerais tout ce que vous devez savoir sur le protocole.

— Parfait ! approuva Calendre en sautant sur le lit pour s'installer confortablement.

— Je me sauve, lança Riza en faisant volte-face. Je vous retrouverais plus tard.

Le chat de Terdhome ouvrit la bouche, peut-être pour la retenir, mais sa silhouette élancée avait déjà disparue par la porte entrebâillée. Il soupira, maussade, et se laissa retomber jusqu'au tapis.

— Je vais chercher les autres.

Astre se pencha vers mon oreille.

— Je suis vraiment obligé de m'habiller ?

Il avait l'air si misérable que je lui pris la main.

Il faut bien, répondis-je dans le langage des loups. Si tu ne mets pas de vêtements, comment pourrais-je te les retirer après ?

Il m'adressa un sourire plein de crocs qui me procura un délicieux frisson le long du dos.

~

Les heures qui suivirent furent interminables. Tasha, Khany et les jumeaux étaient à peine entrés dans la pièce qu'une horde de domestiques s'y engouffrait aussi, avide de rencontrer le fameux « Sorcier Rouge » et ses drôles de compagnons.

À mon immense embarras, je dus me tenir à moitié nu au milieu de la pièce tandis qu'on me mesurait de tous les côtés. Assis sur le lit, Éliope tentait de m'expliquer comment fonctionnait cet endroit, mais j'avais du mal à me concentrer au milieu des rires et des bruits de conversations. Khany discutait à bâtons rompus avec les couturiers, Astre jouait avec les enfants et Tasha commentait d'un air féroce tout ce qui lui passait sous le nez.

— Douze grandes familles se disputent le contrôle de Solaris, énonçait le troubadour d'un ton docte. Les Hystaries, dont ne reste que Dame Jédima, les Maltus, dirigés par la mère de la Ministre Dana, les Crekels, les Dolimèdes...

Quelqu'un me piqua une aiguille dans la cuisse, me faisant perdre le fils de ses paroles. Lorsque je reportais mon attention sur lui, il continuait de monologuer. Calendre, à ses côtés, hochait la tête d'un air concentré. Pourvu qu'il en retienne plus que moi... J'étais capable de mémoriser du premier coup une théorie compliquée sur un système magique oublié, mais ce genre d'information glissait sur mon esprit sans y pénétrer.

— ... Les Lanners, les plus nombreux et les plus influents, sont aussi les plus acquis à la cause de Sekoff, qui leur fournis de l'or, des esclaves et des objets issus de ses laboratoires privés dans l'espoir de réussir un jour à mettre un pied à la cour...

Tom – ou Ned ? – cria quelque chose à son frère en s'emparant d'un mètre pour l'enrouler autour de son front. Tasha voulut l'attraper. Il esquiva, rentra dans un domestique et s'écroula sur un mannequin.

— Dame Jédima n'est pas une souveraine absolue, continuait l'imperturbable troubadour. Elle est obligée de déléguer une partie de ses fonctions à ses onze ministres, qu'elle a elle-même choisi parmi les onze autres familles dominantes. En écartant les partisans de Sekoff, elle a notablement réduit son influence au palais, mais ces dernières années...

J'abandonnai définitivement Éliope pour aider Tasha et les couturiers à maitriser les deux enfants gigotants qui refusaient d'enfiler quoi que ce soit. Finalement, Astre leur promis qu'ils ressembleraient à des rois-pirates s'ils se laissaient faire, ce qui nous permit de leur enfiler quelques habits à la hâte, mais ne put les empêcher de les froisser aussitôt. Je soupirais en les regardant se battre avec une tringle à rideau.

— Ce serait peut-être plus sage s'ils ne vous accompagnaient pas ce soir, soupira Tasha, qui semblait avoir jeté l'éponge. Je resterai avec eux dans la chambre. Khany, tu veux nous tenir compagnie ?

L'adolescente ne répondit pas tout de suite. Elle était occupée à se dévisager dans un miroir en pied, sa main n'osant toucher le foulard raffiné qui dissimulait ses cheveux trop courts. Les domestiques l'avaient vêtue d'une chemise verte, brodée d'argent, qui dénudait ses épaules maigres.

— Tu es très jolie, lui lançai-je sincèrement.

Elle m'envoya un regard en coin, les joues un peu rouges.

— C'est la première fois que je suis... Comme ça, avoua-t-elle. J'ai l'impression d'être un imposteur...

— Balivernes, rétorquai-je en posant une main sur son épaule. Tout le monde a droit d'être bien habillé et bien traité.

J'étais conscient que les domestiques m'écoutaient et regrettai profondément de ne pouvoir les aider. Hélas, si je me mettais à délivrer tous ceux qui passaient, même avec mes pouvoirs, nous ne ferions pas long feu dans le palais. Peut-être avant de partir, quand nous aurions délivré Joan...

— Alors, tu viendras avec nous, ce soir ? demandai-je à la jeune fille.

Elle m'envoya un sourire malicieux.

— Manger à la table des nobles ? Leur mettre ma position sous le nez, sans qu'ils ne puissent rien y faire ? Avoir un vrai repas, servis juste pour moi ? Je ne manquerai ça pour rien au monde, Ô, Sorcier Rouge !

— Ne m'appelle pas comme ça, grommelai-je alors qu'Astre pouffait en répétant « Ô, Sorcier Rouge ! ».

Finalement, les domestiques nous apprirent qu'ils avaient toutes les mesures nécessaires pour le bal de demain. Ils rirent et certains rougirent lorsque je les remerciai en les complimentant sur leur vitesse et leur compétence, puis ramassèrent leurs affaires et s'en allèrent en nous laissant de quoi nous vêtir pour le soir.

Astre soupira en tentant vainement d'élargir son col. Je perdis quelques secondes à le regarder. C'était la première fois que je le voyais plus habillé qu'avec un simple pagne.

Et il était beau, évidemment, au-delà de ce que mes mots pourraient exprimer.

Les couturiers avaient ajusté pour lui un pantalon blanc qui s'évasait autour de ses chevilles nues. Il avait strictement refusé de porter des chaussures. Une veste dorée, délicatement brodé, moulait sa taille et ses épaules larges, contrastant harmonieusement avec l'ébène de sa peau. Ses cheveux brossés, pour changer, bouclaient en réfléchissant doucement la lumière du jour mourant. Je résistai difficilement à l'envie d'y glisser mes doigts.

Pris d'une idée subite, je quittai la pièce pour rattraper les domestiques dans le couloir. Ma demande les surpris, mais ils m'assurèrent qu'ils feraient de leur mieux.

Alors que je les regardai partir, une main se posa sur mon épaule. Je me retournai dans un sursaut. Éliope haussa un sourcil amusé en reculant exagérément, les mains levées en signe de reddition.

— Je vais me changer et me reposer un peu, m'apprit-il d'une voix fatiguée. J'ai intérêt à être de retour dans mon lit avec qu'une de mes deux femmes ne rentre dans la pièce. Lorsque le gong sonnera, ce qui ne devrait plus tarder, prenez l'ascenseur et descendez jusqu'au rez-de-chaussé. Je vous rejoindrai en bas.

Je hochai nerveusement la tête.

— Neige, ajouta-t-il, ce n'est pas grave si tu ne retiens pas tout ce que je t'ai dit sur le protocole. Une seule chose est importante, une chose que tu dois retenir à tout prix : cet endroit est dangereux. Ne laisse pas les nobles, leurs richesses et leurs belles manières t'aveugler. Fait attention, tout le temps, quoi qu'il arrive, et veille sur tes amis. D'accord ?

Je déglutis en lui adressant un « oui » silencieux. Il sourit, puis se retourna et s'éloigna lentement, les épaules voûtées.

Alors que je le regardai disparaître au tournant d'un couloir, je me demandai avec une pointe de tristesse s'il se remettrait jamais de ce que Morigane lui avait fait subir. Reprendrait-il la route un jour ?

Quelque chose au fond de moi m'en faisait douter.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro