Exploration
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Merci de me lire ! <3
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Neige
Créer le passage ne fut pas très compliqué. Les enfants nous guidèrent jusqu'à leurs dortoirs, une pièce affreusement petite emplie de lits superposés sur trois étages, et m'indiquèrent un endroit contre la muraille que les gardes n'inspecteraient probablement jamais.
Plongeant dans mon étincelle, j'ouvris les yeux sur la face spirituelle du monde et entrai en contact avec la pierre. Elle m'accueillit plutôt amicalement, comme si elle se souvenait que je l'avais déjà traversé plusieurs fois. Parfois, je me demandai s'il ne serait pas possible, avec un peu d'entrainement, de discuter réellement avec les éléments...
Mais ce n'était pas une étude pour maintenant. Il fallait que je fasse en sorte que la muraille laisse passer les enfants, et seulement les enfants, de l'autre côté. Me servant de mon étincelle comme d'une extension de mes doigts, je modifiai légèrement son essence, par petite touche délicate, comme un peintre changeant la couleur d'un regard. Le principe d'un mur étant normalement de bloquer les choses, je m'appliquai à définir ce qu'elle pouvait bloquer exactement et réussit à la « convaincre », au bout d'un temps qui me sembla extrêmement long, que les humains de moins de seize ans n'entraient pas dans cette catégorie à cet endroit précis.
Mon ouvrage terminé, je retournai dans le présent, légèrement essoufflé. La magie la plus délicate est toujours celle qui demande le plus d'effort.
Des éclats de rires finirent par me faire retourner. Astre, au milieu du dortoir, se trouvait ensevelit sous une pile de petits humains qu'il balançait à droite et à gauche au fur et à mesure qu'ils revenaient. Leurs voix résonnaient fort dans la pièce. Je savais que le temps était compté – même si les chats montaient la garde, des ennemis pouvaient arriver à tout moment – mais je ne pus m'empêcher de les observer un instant, attendri.
Mon loup savait vraiment s'y prendre avec les enfants. Il semblait les comprendre instinctivement, contrairement à moi, qui avait toujours été isolé avant mes dix ans et n'avait connu que lui, après. Je me souvins fugitivement des étés de mon enfance, alors qu'il était loin de la maison, et de la jalousie que je ressentais en sachant qu'il passait son temps à jouer avec les autres louveteaux de la Meute...
— Vous avez terminé ? intervint Calendre depuis le pas de la porte. Nous ne devrions pas trainer.
Les enfants – et Astre – s'arrêtèrent au milieu de leur jeu pour se relever d'un air boudeur.
— C'est terminé, leur appris-je en désignant le mur. Vous pouvez partir par là et revenir quand bon vous semble.
Ils me fixèrent avec des yeux ronds.
— Mais... Il n'y a rien, osa enfin me dire quelqu'un.
Je jetai un coup d'œil vers la muraille. La différence me sautait aux yeux, mais elle était si indéfinissable qu'ils ne devaient effectivement pas la percevoir sans magie. Sans compter qu'ils ne me connaissaient pas et ne possédaient donc pas une foi aveugle en moi, comme Astre, qui aurait probablement foncé dans un mur si je lui avais certifié qu'il s'y trouvait une porte invisible.
— Ned, c'est ça ? demandai-je à l'un des jumeaux que nous étions venus chercher.
— Tom ! me corrigea-t-il en s'approchant.
L'autre pouffa. Me faisait-il une farce ou m'étais-je réellement trompé ? Qu'importe.
— Donne-moi ta main, demandai-je en m'accroupissant.
Il obéit, soudain intimidé. Je la pris le plus doucement possible et la plongeait dans la pierre.
Une série de « hoooooo », de « haaaaaaa » et de « magiiiie ! » passèrent dans les rangs.
— Surtout, soyez toujours respectueux de la muraille et du passage, ordonnai-je d'un ton solennel. Si vous l'abîmez, elle pourrait se refermer.
J'en vis une dizaine hocher gravement la tête. J'y étais peut-être allé un peu fort. À tous les coups, ils allaient monter des petits autels pour faire des offrandes au mur.
— Tu es très impressionnant, me confirma silencieusement mon loup avec un clin d'œil complice.
Je me grattai la tête, embarrassé. Ce n'était pas l'image que j'avais prévue de donner.
— Que tous ceux qui veulent s'en aller se carapatent maintenant ! ordonna Calendre d'un ton plus pressant. Les autres, retournez dans les hangars et faites semblant d'être endormis ou assommés, afin de ne pas être punis lorsque d'autres gardes arriveront. Allez, vite !
Les enfants se tournèrent spontanément vers Astre, qui leur adressa un signe encourageant. L'un d'entre eux vint lui faire un câlin. Mon petit cœur fondit devant ce tableau et je me demandai soudain, surpris par cette pensée, si mon loup comptait avoir des enfants un jour...
Je chassai la question. Ce n'était pas le moment.
Chaque enfant passa devant moi, afin que je lui retire ses bracelets métalliques, avant de s'engouffrer dans le passage invisible et disparaître à son tour. Ceux qui ne voulaient pas fuir retournèrent dans les hangars, laissant derrière eux un silence lourd d'au-revoir.
Parfois, je repense à tous ces petits êtres que nous avons libérés ce jour-là en pensant bien faire. Si j'avais pu prévoir ce qui allait arriver, j'aurais probablement doublé la muraille au lieu de la percer, mais comment aurai-je pu m'en douter ? J'espère seulement que certain ont survécus.
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Une heure après notre arrivée aux écuries, nous ressortîmes dans les jardins avec deux jumeaux et une jeune fille en plus. Khany, l'adolescente qui avait tenu tête à Astre, s'était greffé d'autorité à notre petit groupe. Honnêtement, je n'osai pas lui demander ce qu'elle faisait là.
— Arrête de lui jeter des regards en coin, s'amusa mon loup. Elle ne va pas te manger.
— On en sait rien, d'abord ! grommelai-je en pensée. Pourquoi vient-elle avec nous ? Nous devons entrer dans le château ! Plus nous sommes nombreux, plus nous avons de chances de nous faire repérer !
— Apparemment, elle s'est attachée à Ned et Tom.
— Mais ils ne se connaissent que depuis quelques jours !
— Eh bien, ça n'a jamais empêché les gens de se lier... rétorqua-t-il en m'envoyant un sourire en coin, évoquant clairement le jour de notre rencontre.
Le traitre.
— En plus, reprit-il plus sérieusement, elle est là depuis longtemps, elle connaît l'endroit. Elle peut nous aider.
— Par ici, intervint soudain Khany, comme pour confirmer notre échange.
Tout en parlant, elle s'engouffra dans un minuscule chemin entre deux haies, suivie de près par les jumeaux.
— Nous perdons totalement le contrôle de la situation, marmonnai-je en la suivant.
— Cesse de te mentir, Neige, répliqua Calendre en sautant sur mon épaule. Tu n'as jamais eu aucun contrôle sur cette situation.
— Mais... protestai-je.
J'entendis Riza et Astre étouffer un pouffement commun et relevai la tête, vexé.
Nous longeâmes le même chemin durant de longues minutes, abandonnés au seul bruit de nos pas sur les graviers.
— Khany, murmurai-je au bout d'un moment, pourquoi n'y a-t-il personne ? Est-ce normal ?
Elle me jeta un regard en coin, un peu intimidé, et hésita quelques instants avant de répondre :
— Toutes les autos ont été sorties hier. Elles sont revenues avec des dizaines d'hommes blessés, délirants ou inconscients... Ça a été le chaos pendant des heures, les nobles allaient et venaient en criant et en pleurant alors qu'on se faisait engueuler pour nettoyer les machines plus rapidement. Je crois que certains étaient morts quand ils les ont ramenés.
Les hommes capturés par Morigane, compris-je en hochant la tête, espérant silencieusement qu'ils n'aient pas rapatriés que les plus nobles d'entre eux. J'étais triste d'apprendre que certains n'avaient pas survécu. Peut-être que si nous étions allés plus vite... Mais non, je me sentais assez coupable comme ça, pas la peine d'en rajouter.
— Regardez aux fenêtres, continua Khany en tendant un doigt vers le bâtiment qui dépassait par-dessus la haie. Vous voyez ces rideaux noirs ? Ça veut dire que tout le monde est en deuil. Ou fait semblant d'être en deuil. Allez-savoir, si ces aristos sont capables de ressentir ce genre de chose... La dernière fois que j'ai vu ça, c'est quand Dame Rothonda, la mère de Dame Jédima, s'est faite trancher la gorge.
Elle passa un doigt sous son menton pour mimer son récit, m'arrachant un frisson. Elle devait avoir quatre ou cinq ans de moins que moi, mais était visiblement bien plus endurcie. Ou peut-être était-ce mon cœur qui était trop tendre ?
Pressentant probablement le tour pris par mes pensées, Astre glissa négligemment sa main dans la mienne pour la serrer.
— Bref, par ici ! reprit Khany en bifurquant vers la droite. J'ai travaillé une ou deux fois au château pour les plus gros banquets, je connais bien le chemin. Je suis sûre que votre amie est tout en bas.
— Tout en bas ? répétai-je en la suivant.
Les haies qui bordaient notre minuscule passage s'arrêtèrent abruptement. Nous n'étions plus qu'à vingt ou trente mètres de l'arrière du château, dont les murs immenses, percés de fenêtres et de sculptures austères, nous écrasaient en silence. En tournant la tête, j'aperçus un long parterre de fleurs émaillé de fontaines et de statues. De là-haut, la vue devait être splendide.
— Oh oui, expliqua Khany en tournant rapidement la tête de tous les côtés, comme un animal traqué. Les manoirs s'enfoncent profondément sous terre. Il y a douze grosses familles, vous voyez, comme douze clans. Chaque clan a sa hiérarchie. Les plus puissants au-dessus, au soleil, les autres sous terre. Ils ont tous accès aux jardins, mais pas en même temps. Ça change souvent. C'est compliqué.
— Sous terre ? répéta Astre d'une voix choquée. À leur place, je préfèrerais encore vivre dans le reste de la citée !
Khany haussa les épaules, l'air de dire qu'on ne lui avait jamais demandé son avis. Riza avait l'air aussi dégouté qu'Astre, tandis que Calendre et les jumeaux, qui fourraient des fleurs dans leurs poches, s'en fichaient complètement.
— Les domestiques sont tout en bas, continua Khany. Ça ira vite avec l'ascenseur. Normalement, je ne le prendrai pas, parce qu'il y a trop de chance de se faire choper, mais avec vous, ça va.
— Ah bon ? répondis-je spontanément, juste avant de me souvenir que j'étais un puissant sorcier et mes amis des guerriers redoutables.
Elle me jeta un regard en coin, ne parvenant visiblement pas à déterminer si je plaisantai ou non. J'arborai un air que j'espérai mystérieux, histoire de m'en sortir sans trop de dommage.
Astre était hilare, évidemment.
— Il va falloir t'habituer à ton image, souffla-t-il dans mon esprit.
Je grimaçai, mal à l'aise. Je ne me sentais ni puissant, ni dangereux, à cet instant. Seulement terrifié, angoissé par le futur et improvisant au fur et à mesure.
— Par ici, nous indiqua Khany en reprenant sa marche vers le château.
Toutes les fenêtres de la façade étaient obstruées par de lourds rideaux noirs. Une porte assez large pour cinq personnes de front donnaient sur les jardins. Ses imposants battants métalliques, gravés de scènes bucoliques, semblaient solidement fermés.
Khany attrapa le col de Ted, qui partait sur la droite, et marcha résolument à gauche. Elle s'arrêta devant une colonne couverte de lierre, glissa sa main entre les feuilles et activa quelque chose. Un bruit léger retentit, comme une respiration étouffée, et une porte s'ouvrit en emportant le lierre collé sur le battant.
Derrière se trouvait une pièce obscure, à peine assez grande pour contenir tout notre petit groupe.
— Khany ?! s'exclama quelqu'un.
Astre se plaça aussitôt devant moi, prêt à sauter à la gorge de n'importe qui, tandis que les deux chats fléchissaient les pattes et les jumeaux s'écartaient prudemment. Khany se raidit, mais ne bougea pas.
Une silhouette sortie de l'intérieur, celle d'un adolescent de notre âge vêtu d'une petite robe noire, de bas en dentelle et de chaussures lustrées. Ses cheveux lui arrivaient aux épaules et les fers qui entouraient ses poignets semblaient gravés de symboles ensorcelés, différents des simples bracelets métalliques de ceux qui travaillaient aux écuries.
— Démonède ! soupira Khany en le reconnaissant. Tu nous as fichu une de ces frousses !
— Mais qu'est-ce que tu fiches ici ? s'étonna le jeune homme, l'air vaguement effrayé. Tu n'étais pas censé être aux écuries aujourd'hui ? Et eux, c'est qui ?
— Tout va bien ! lança Khany à notre attention. C'est un ami. Il ne nous dénoncera pas.
— Dénoncer quoi ? s'inquiéta Démonède. Qu'est-ce que tu as encore fait ? Le fouet ne t'a pas suffi, la dernière fois ? Tu ne voudrais pas te tenir tranquille, pour changer ?
— Me frapper ne me rends pas plus docile, mais plus en colère ! rétorqua Khany d'un ton hargneux.
Astre acquiesça vigoureusement.
— Ouais ! s'exclama Tom – ou Ned – en se plaçant à ses côtés. Elle a raison !
— Nous sommes en colère ! renchérit son frère.
— Neige refuse de faire pleuvoir du jus de pommes ! assena l'autre en croisant les bras.
— Mais... Je n'ai jamais dit ça ! protestai-je.
— Oh, alors tu veux bien ?
— Quoi ? Non, je ne peux pas...
— Il refuse ! tonna Ned – ou Tom – d'un ton outragé. Il refuse !
— Mais...
Khany se racla la gorge. L'un des jumeaux faillit ajouter quelque chose, mais la jeune fille leur jeta un regard dur qui les fit taire immédiatement. Elle n'avait pas menti en disant qu'elle était en colère, je pouvais deviner à ses poings serrés, tremblant, la fureur qui grondait dans sa poitrine. Je commençai à me demander si son affection pour Tom et Ned était réellement la raison qui l'avait poussé à nous accompagner au lieu de fuir avec les autres...
Démonède avait l'air un peu perdu. Peut-être ne comprenait-il pas très bien le lien entre Khany, la présence d'inconnus à l'air étrange et une possible pluie de jus de pomme. Ce que je ne pouvais pas entièrement lui reprocher.
— Nous cherchons quelqu'un, intervint Astre en faisant un pas en avant. Elle s'appelle Tasha ou Joan. Elle a soit la peau sombre comme moi et des cheveux comme des nuages, soit...
— Tasha ? répéta le serviteur avant de réaliser et pâlir brusquement. Celle qui a l'air d'avoir envie d'égorger tous ceux qui lui parlent ?
— Oui ! s'enthousiasma mon loup. C'est elle ! Elle va bien ? Où est-elle ?
Il grimaça.
— Elle a tenté d'égorger la mauvaise personne. On l'a envoyé au dernier étage.
— Tout en bas ? s'inquiéta Astre.
Démonède secoua la tête d'un air sombre.
— Non. Tout en haut.
— Chez les plus puissants, clarifia Khany. Elle a vraiment dû énerver quelqu'un. Là-bas, la moindre insolence est punie... sévèrement.
Elle poussa le pauvre Démonède sur le côté et s'engouffra dans la petite pièce.
— Bon, pas la peine de trainer ! lança-t-elle, exaspérée.
Les jumeaux foncèrent comme des bolides pour la rejoindre.
— Pourquoi est-ce que c'est elle qui décide, maintenant ? marmonnai-je dans ma barbe inexistante.
Personne ne me répondit. J'allais faire un pas en avant lorsque je captai un éclat d'angoisse au bord de ma pensée. Astre fixait l'espace exigu comme une souris dévisageant le monstre qui s'apprêtait à la croquer.
Je repris résolument sa main dans la mienne et la serrait fort.
— Pour Tasha, soufflai-je silencieusement dans son esprit. Je sais que tu es assez courageux pour faire ça, mon loup.
— Mais si la porte se refermait pour toujours ? Si nous étions coincés à jamais ? Je ne veux plus être enfermé, Neige. Je ne veux plus...
— Si la porte se referme, je la rouvrirai. Je brûlerai le château entier s'il le faut, mais je te sortirai de là. Je te le promets.
Il hocha la tête et pris une grande inspiration pour se donner du courage.
— Je t'aime, soufflai-je en l'entrainant dans l'espace exigu.
Son sourire minuscule me répondit mieux que mille mots.
Riza entra à notre suite, l'air aussi peu enthousiaste que mon loup. Seul Calendre paraissait maitre de la situation. Il observa d'un air détaché le sol crotté de la cabine, poussa un minuscule soupir félin et bondit pour atterrir sur mon épaule.
La porte se referma toute seule dans son dos, nous laissant pressés les uns contre les autres, avec pour seule lumière la lampe à gaz qui pendait du plafond. Astre gémit comme un chien battu en se serrant un peu plus contre moi.
Deux rangées de boutons reflétaient la lueur de la lampe sur le mur de droite. Ils allaient de « 5 » à « -10 ».
— Nous allons au cinquième, m'apprit Khany en me désignant le panneau de contrôle.
— Heu... d'accord, bafouillai-je en pressant mon doigt sur le bouton correspondant.
Rien ne se passa.
— C'est verrouillé, m'apprit-elle, exaspérée, comme si elle s'attendait à ce que je sois déjà au courant. Il faut une clef. Tous les serviteurs ne sont pas autorisés à grimper jusqu'aux seigneuries !
En effet, une minuscule serrure s'ouvrait à côté des boutons de 1 à 5.
— Et tu as la clef ? demandai-je, plein d'espoir.
— Non.
— Par toutes les putes borgnes ! explosa Riza. Vous allez vous grouillez, oui ? Vous croyez que j'ai l'intention de camper dans le palais ?! Toi, la fille, comment tu comptes monter sans clef ?!
— Il est sorcier ! se défendit Khany en tendant un doigt vers moi.
Et voilà, c'était encore ma faute.
— Je ne suis pas certain que cela nous soit d'une grande aide... expliquai-je prudemment en tendant mon esprit vers la machine qui nous entourait.
Astre, dont l'angoisse grandissait graduellement, ne m'aidait pas à me concentrer.
J'avais toujours eu du mal avec le métal. L'eau, l'air et le bois étaient de vieux amis, le feu un ennemi proche, comme un rival intime, mais le métal... Le métal m'était complètement hermétique. Je pourrais probablement le forcer à plier à ma volonté, mais déverrouiller un mécanisme précis était hors de ma portée.
— Je ne peux pas, expliquai-je misérablement.
Calendre soupira bruyamment dans mon oreille.
— Quelqu'un possède-t-il un objet pointu ?
— Juste pointu, intervint l'un des jumeaux, ou pointu pointu ?
— Les deux feront l'affaire, répondit sagement le chat.
Les deux frères soulevèrent leurs chemise, retroussèrent le bas de leur pantalon et vidèrent leurs poches, déversant sur le sol de la cabine une foule d'objets hétéroclites, du ressort au morceau de verre brisé, en passant par un crouton rassit et un clou cassé.
Calendre me désigna ce dernier, que je saisis, un peu perdu.
— Insère-le au bord du panneau de contrôle, m'expliqua-t-il. Non, pas là. Là.
Il posa sa patte à l'endroit indiqué tandis qu'il m'expliquait comment soulever le verrou du panneau et l'ouvrir. Des engrenages se superposaient de l'autre côté, comme les entrailles d'une bête de fer.
— Bien, lâcha le félin. Le mécanisme est enfantin. La clef dans la serrure fait avancer ce rouage, ici, qui rejoint ainsi le reste de la mécanique. Il suffit que tu l'avances toi-même... Doucement, Neige ! Délicatement. Voilà.
Je déglutis en sentant l'engrenage céder d'un coup à la pression que j'exerçai dessus.
— Parfait, conclut Calendre tandis que je retirai précipitamment mes doigts. Referme le panneau, à présent, et presse le bouton.
J'obéis nerveusement, plus ou moins persuadé que j'avais détruit l'entièreté du système. Un sifflement de vapeur résonna pourtant, quelque part, et la cabine se mit à vibrer. Elle s'ébranla péniblement, grinça, et commença enfin à monter.
— Eh bien, commenta Riza en jetant un regard en coin à Calendre, je ne savais pas que les aristos s'y connaissaient en mécanique.
Le félin roux bomba légèrement le torse.
— Lorsqu'on vit la moitié de l'année avec un exploratrice-inventrice, on...
Sa phrase se brisa d'un coup, comme sous l'effet d'un couperet. Je pus presque voir le nom d'Annuka passer sur ses lèvres avant de s'éteindre, effaçant subitement toute sa prestance.
Il se tourna, se pencha et se laissa tomber dans ma capuche, où il disparut entièrement. Le cœur serré, je me blottis un peu plus contre Astre. La peine de Calendre m'effrayait : elle me rappelait que nous étions tous mortels et tous susceptible de perdre la personne la plus importante de notre univers. Comment faisait-il pour vivre avec cette idée ?
Un silence tendu s'abattit sur nous.
La cabine continua à grimper lentement, passant laborieusement un étage après l'autre, avant de s'arrêter.
Les portes coulissèrent sans bruit, révélant l'immensité d'un couloir luxueux où se dressait d'immenses statues.
Astre bougea immédiatement à mes côtés.
— Att...
Je n'eus pas le temps de terminer : il avait déjà bondi hors de la cabine.
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