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Duel de mots


Hello! Je suis désolée, vous avez dû vous rendre compte que le rythme de publication est devenu un peu erratique ces dernières semaines ^^" En fait, j'ai commencé à travailler, ce qui est super cool, mais me laisse BEAUCOUP moins de temps pour écrire... Du coup, je me concentre surtout pour finir le premier jet du Pacte d'Asmodé, car je vais très très bientôt commencer la révision éditiorial de La Sirène aux Écailles d'Or, qui sortira chez MxMBookmark en août, et je ne peux pas tout faire à la fois XD

Bref, je continuerai à poster un chapitre par semaine, mais je ne saurais vous dire quel jour exactement! J'espère que cette histoire vous plait toujours! Merci de me lire <3

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Neige

Sekoff rit de me voir si surpris par son identité.

— Je ne ressemble pas à l'image que vous vous faisiez de moi ? s'amusa-t-il gentiment.

Sa voix était douce, son regard pétillant. Il était extrêmement sympathique et cela me déstabilisait profondément.

— Pas vraiment, avouai-je en me forçant à sourire.

— Laissez-moi deviner, c'est Dame Jédima qui vous a brossé mon portrait ? Vous deviez vous attendre à me trouver avec des cornes, des dents de deux mètres et tout un tas d'attributs monstrueux !

Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un petit rire amusé. Il n'avait pas tort.

— La Seigneuresse ne m'aime guère, soupira-t-il en secouant la tête d'un air désolé. Mais c'est ainsi, que voulez-vous, on ne peut plaire à tout le monde !

Ne sachant comment réagir, j'acquiesçai simplement. Comme toujours lorsque j'étais mal à l'aise, mon esprit chercha du réconfort auprès de celui d'Astre, mais je le trouvais anxieux et si focalisé sur autre chose que je renonçai à le contacter. Pourvu qu'il aille bien.

— Je dois avouer, continua Sekoff sans relever mon mutisme, que je ne vous voyais aussi différemment. N'ayez pas l'air surpris, j'ai fortement entendu parler de vous, Sorcier Rouge ! Votre réputation vous précède ! Le Croisé mystérieusement apparut lors d'une réunion des ministres, celui qui a vaincu la Sorcière du Chemin des Disparus, détruit deux nobles en deux jours parce qu'ils vous avaient manqué de respect et, si les rumeurs sont exactes, assassiné un Chasseur par la seule force de vos pouvoirs...

— C'est vrai, avouai-je en hochant la tête, embarrassé.

Il en parlait comme s'il s'agissait d'exploits, mais ce n'était pas des actions dont j'étais particulièrement fier.

— Fabuleux, souffla-t-il d'une voix émerveillée. Je pensai trouver un vieillard et je rencontre un jeune homme ! Quel âge avez-vous, si je puis me permettre ?

— Seize ans... me sentis-je obligé de répondre.

— Seize ans ! s'exclama-t-il, incrédule. Seize ! Et vous êtes déjà si puissant ! Imaginez ce que vous deviendrez à vingt, à trente... Par les Anciens, j'espère être là pour voir ça !

Sans me laisser le temps de répliquer, il se tourna vers un esclave apparu à ses côtés au cours de la conversation. L'homme, vêtu d'une simple tunique noire – de la même couleur que son collier – s'inclina et recula sans se redresser jusqu'à disparaître parmi les invités aux mœurs de plus en plus débridés.

— J'ai fait préparer un deuxième banquet un peu plus loin, m'expliqua Sekoff, d'un ton badin, comme s'il lui arrivait souvent d'organiser des soirées dans les châteaux des autres. Nous pourrons y discuter en paix, loin de ces pathétiques pitres...

Il fit un geste dédaigneux en direction de la foule des nobles, dont les danses s'étaient changés en échanges chaotiques, souvent obscènes. Certains s'enlaçaient, à demi-nus, en piétinant des habits, tandis que d'autres s'enfilaient des bouteilles à la suite et d'autres encore, entourés d'esclaves en colliers noirs, riaient en lançant des blagues sans queues ni têtes. La scène dégageait quelque chose de dangereux et dérangeant. Les expressions des visages étaient trop appuyés, les regards trop fuyants, les voix trop fortes...

Les paroles du serveur me revinrent en mémoire. Ce n'était peut-être pas de l'alcool qui avait été rajouté dans les verres, finalement...

— Que leur avez-vous fait ? accusai-je à demi-mot le vieillard d'apparence si sympathique.

Il eut l'air surpris, puis ravi.

— Vous êtes décidément bien intelligent, Neige ! Je peux vous appeler Neige, n'est-ce pas ? J'ai légèrement drogué les boissons. Je voulais faire le tri entre ceux qui méritaient de s'asseoir à ma table et les autres.

— Vous les avez drogués ?! me scandalisai-je.

— Votre compassion vous honore, s'amusa-t-il, mais je vous assure qu'il n'y aura aucun effet secondaire. Je leur ai fourni des esclaves pour s'amuser, de quoi boire et manger... Ils passeront une agréable soirée pendant que la véritable élite discutera de choses importantes. Quand les adultes discutent, il vaut mieux distraire les enfants.

Choqué qu'il se croit permis de hierarchiser ainsi les autres, je perdis une seconde avant de lui répondre – une seconde de trop. Il en profitant pour faire volte-face et, sur un geste nonchalant, m'inviter à le suivre.

Cet homme était complètement malade.

Alors que j'hésitai à lui obéir, l'écho d'une douleur lointaine traversa mon esprit.

Astre ?! m'inquiétai-je immédiatement.

Problème, me répondit-il laconiquement, visiblement occupé à quelque chose d'autre.

L'appréhension me serra le cœur à l'étrangler. Les deux dernières fois où nous nous étions séparés, il avait fini capturé par des esclavagistes et agressé.

Tu as besoin d'aide ?! Je suis avec Sekoff, mais je peux...

Pas tout de suite ! répondit-il aussitôt. Distrais-le !

Astre ?!

Mais son esprit était déjà retourné ailleurs.

Je fit trois pas dans sa direction, prêt à voler à son secours, avant de me forcer à m'arrêter. Il m'avait demandé de distraire Sekoff. Je mourrais d'envie de le rejoindre, mais je devais lui faire confiance, ou il ne me le pardonnerait jamais.

J'inspirai profondément, adressait mille prières à qui les entendraient pour que mon loup aille bien, puis rattrapait résolument l'homme qui nous avait mis dans ce pétrin.

Sekoff longea les bords de la clairière sans se retourner pour vérifier que je le suivais.

Arrivé à l'extrémité la plus éloignée du château, il s'arrêta et s'engagea dans une petite allée pavée qui partait entre deux grands arbres blancs.

Un sentiment de malaise m'étrangla aussitôt. Je glissais mon regard de chaque côté en me forçant à continuer d'avancer.

Puis je les vis.

Là, dans l'obscurité, entre les arbres artificiellement alignés, patientait des esclaves entièrement vêtus de noir. Leurs regard vide suivait notre avancée sans que leur tête ne bouge, telles des statues maudites.

Sekoff avait visiblement emmené avec lui la plupart de ses serviteurs. Pourquoi ?

J'avais peur de trop réfléchir à cette question.

La cacophonie du bal s'effaça progressivement, les notes ivres se perdant sans grâce entre les arbres blancs.

Une autre mélodie vint bientôt la remplacer, un morceau sophistiqué joué d'un seul instrument, quelque part sur ma droite.

— Nous y sommes presque, m'assura Sekoff en s'arrêtant à un tournant.

Il s'inclina pour me laisser passer devant.

Estimant qu'il n'allait pas me planter un couteau dans le dos, je pris prudemment la tête. La musique s'accentua, entrainante, entêtante.

Il ne me fallut qu'une dizaine de pas pour découvrir une nouvelle clairière, plus petite que celle du bal, quoique entourée des mêmes arbres blancs.

Une longue table avait été somptueusement dressée au milieu. Elle débordait de plats aux textures élaborées, de vases, de statues incrustées de pierreries et d'autres décoration inutilement couteuse. La vaisselle dorée luisait faiblement sous l'éclat des lampes accrochées aux branches.

Une vingtaine de personnes, déjà attablées, patientaient dans un silence de mort. Leurs tête se tournèrent immédiatement vers moi.

Je reconnus la noble qui nous avait apostrophé dans la galerie – Dame Traimène –, ainsi que Dana. Ni Jédima, ni Éliope ne semblaient là.

Au moment où je me faisais cette réfléxion, un voix jaillit dans mon dos.

— Sekoff. Quelle agréable surprise.

Je me retournai, imité par mon « hôte ».

Depuis l'orée de la clairière, la Seigneuresse de Solaris le toisait d'un air méprisant, plus majestueuse que jamais dans son imposante robe dorée.

— Ma Dame, salua-t-il avec un sourire s'apparence si sincère qu'un nouveau venu aurait pu les croire vieux amis. Je suis bien heureux de voir que vous êtes arrivée, nous n'aurions jamais commencé à diner sans vous !

— Évidemment, répondit-elle d'un ton assez froid pour geler un volcan. Neige, mon cher, voudriez-vous me menez jusqu'au bout de la table ?

Elle me tendit son bras, que je pris par automatisme. Je n'appréciai pas d'être utilisé comme un pion dans leur petit jeu de pouvoir, mais je n'allais pas la laisser s'humilier devant lui non plus.

Astre avait raison, vivre dans la forêt était infiniment plus simple.

Elle se dirigea d'autorité vers le fauteuil qui dominait l'assemblée et s'y installa avec grâce. Sekoff tira la chaise sur sa droite en m'invitant d'un geste à y prendre place, tandis qu'il s'installait en face, à gauche de Jédima.

— Éliope n'est pas ici ? m'étonnai-je en jetant un coup d'œil vers Dana, quelques places plus loin.

— J'ai pris la liberté de ne pas inviter ce va-nu-pieds, répondit Sekoff d'un ton signifiant qu'il nous faisait une faveur. C'est déjà assez dommage de voir le sang d'une si belle famille souillée par un moins que rien, nous n'allons pas en plus supporter sa présence au quotidien !

La moitié de la table se mit à rire alors que le visage de Dana s'assombrissait dangereusement. Jédima resta impassible, mais je m'inquiétais de la manière dont ses doigts caressait la lame de son couteau.

L'indignation bouillonnait dans mes veines. Comment osait-il juger ainsi des gens ? Comment osait-il déterminer qui avait plus de valeur que qui ? C'était à cause de personnes comme lui que les Charognards existaient. C'était à cause de croyances aussi stupides que tant de personnes souffraient quotidiennement. À cause d'individus aussi dangereux qu'Astre avait souffert.

Ma colère se teinta d'une haine que je ne savais pas posséder.

— C'est une remarque plutôt étrange, remarquai-je en prenant une voix exagérément naïve.

— Pourquoi ? s'étonna-t-il.

— Eh bien, je peux me tromper, évidemment... Mais il me semblait que vous n'étiez, vous non plus, issue d'aucune lignée prestigieuse ? Selon votre logique, Éliope, marié à une noble, aurait plus sa place ici que vous...

Un silence de mort s'abattit sur la table. Dana dissimula son sourire en levant son verre jusqu'à ses lèvres. Jédima ne se gêna pas pour afficher le sien.

L'espace d'une seconde, le visage de Sekoff se métamorphosa. Ses rides se creusèrent alors que son regard s'assombrissait, les plis aux coins de ses lèvres transformant immédiatement son sourire en menace. Le vieil homme sympathique laissa brièvement place à celui qu'il était vraiment, un individu dur, cruel, orgueilleux et dangereux.

Puis la seconde passa et la brèche de son masque disparue.

— Ce n'était pas très aimable, Neige, me rabroua-t-il affectueusement, comme un parent en face d'un enfant capricieux.

Ce qui, évidemment, me hérissa immédiatement.

— Mais tu es jeune, continua-t-il sans me laisser le temps de parler, tu ne peux pas encore comprendre toutes les subtilités du monde.

— Eh bien, expliquez-moi, répliquai-je sèchement.

Si Astre avait été là, il lui aurait probablement sauté à la gorge pour son ton condescendant et je ne serais certainement pas intervenu.

— Si vous permettez, Sir... intervint Dame Traimène.

— Mais je vous en prie, ma chère, répondit Sekoff en s'inclinant gracieusement par-dessus son assiette.

Elle rougit, visiblement honorée, avant de se tourner vers moi d'un air sévère qui me donna envie de la gifler.

— Sir Sekoff est l'exception qui confirme la règle, m'expliqua-t-elle d'un ton exagérément lent. Si la plupart d'entre nous sont nés grands, certains se sont élevés grâce à leurs incroyables capacités. Ils étaient prédestinés, eux aussi, à changer le monde. En nous apportant la parole des Descendants et par ses recherches sur les Anciens, Sir Sekoff a largement prouvé la grandeur de son âme. Pas comme ce troubadour crasseux et sans valeur.

— Les gens n'ont pas à prouver leur valeur, répliquai-je en tentant de rester calme. Chaque créature consciente à une valeur inhérente.

Elle me regarda avec pitié. Sekoff rit doucement.

— C'est très honorable de ta part de penser ainsi, Neige, mais l'univers ne fonctionne pas de cette manière. Il y a les forts et les faibles. Certains se font dévorer. D'autres dévorent. C'est une réalité que tu ne peux pas nier.

— Vous regardez la réalité par un prisme déformé, rétorquai-je en serrant les poings. Chaque être fait partie d'un tout. Chaque être dévore et est dévoré. Chaque être est important.

Quelques personnes rirent, comme si je venais de faire une plaisanterie, et Sekoff sourit d'un air indulgent.

— Allons, Neige, me rabroua-t-il, tu ne peux pas prétendre qu'une abeille a la même importance qu'un loup !

Connaissait-il mon passé dans la Meute ? Je tentais de ne pas paraître encore plus méfiant que je ne l'étais jusqu'à présent.

— Sans les abeilles, Sekoff, répliquai-je en omettant volontairement le « Sir » qu'il s'était attribué, ce jardin n'existerait pas ! Si vous pensez que les abeilles ne servent à rien, c'est que vous ne les avez pas étudiés. Et si vous n'étudiez que les choses qui confirment vos croyances pré-établies, vous n'êtes qu'un idiot !

Je me mordis la lèvre. Je m'étais emporté sur la dernière phrase. Dana grimaça en secouant imperceptiblement la tête tandis que Sekoff arborait un air outragé.

— Est-ce une manière de parler en publique ? protesta-t-il. Nous tenions une discussion civilisée, Neige, tu dois respecter l'opinion de tous le monde. Enfin, je mets ça sur le compte de tes mauvaises fréquentations...

Il jeta un coup d'œil en direction de Dame Jédima, la décrédibilisant au passage.

J'étais en colère, mais je savais que le montrer ne m'aiderait pas, et je ne sus quoi répondre. Je ne pouvais pas lui dire que respecter les autres opinions ne comptais pas, parce qu'au contraire, j'étais persuadé qu'il était important de respecter la façon dont les gens voyaient le monde... Mais cela contredisait aussi ce que je venais d'avancer, et même si je savais qu'il avait tort, je n'arrivai pas à l'exprimer.

— Ne t'inquiète pas, je te pardonne, me lança-t-il avec un sourire paternel. Laissons de côté ces sujets, d'accord ? Nous sommes là pour nous amuser, après tout...

J'avais perdu le débat. Complètement écrasé.

Il leva une main et une vingtaine d'esclaves sortirent de l'ombre, les bras chargés de plats sous cloches. Ils se placèrent derrière chaque invité, firent un pas sur le côté dans une synchronisation si parfaite qu'elle me fit froid dans le dos et se pencha pour nous servir.

Je tentai de contacter Astre, mais ne réussit pas à attirer son attention et n'insistai pas, de peur de le déconcentrer à un moment important. Pourvu qu'il aille bien...

On déposa dans mon assiette une sorte de salade constituée d'aliments inconnus. D'un geste leste, l'esclave qui me servait dessina une spirale dessus à l'aide d'une sauce blanche. Je voulus le remercier, mais il s'était déjà reculé.

Mon ventre se contracta à l'idée de manger. Je n'avais pas faim et certainement pas envie d'ingurgiter quelque chose préparé par un être aussi fourbe que notre hôte autoproclamé.

— Parle-moi plutôt de toi, Neige ! s'enthousiasma Sekoff en piquant avec enthousiasme un morceau de viande froide.

Je me rendis compte qu'il s'était mis à me tutoyer depuis un moment. Quand était-ce arrivé ? Malheureusement, il était trop tard pour revenir en arrière...

— Je crains de ne pas être très intéressant, répondis-je avec un sourire forcé.

— Quelle modestie ! s'amusa-t-il. Tout est fascinant chez toi, ton héritage, ta magie...

Le mot traina sur la fin, chargé d'une connotation que je ne reconnus pas, mais qui me mis mal à l'aise.

— Si j'osai... reprit-il d'un ton faussement gêné. Nous ferais-tu une petite démonstration ?

Cherchait-il à me manipuler ? Mais comment ? Je me sentis soudain bête et terriblement inexpérimenté. Fallait-il que je lui obéisse ou que je lui tienne tête ? Que je l'insulte ou que je fasse semblant de respecter ses vues pour mieux discuter et tenter de défendre les miennes après ?

Dépassé, je jetai un coup d'œil en direction de Dame Jédima, qui m'adressa un imperceptible mouvement d'encouragement. Je ne lui ferais pas confiance avec ma vie, mais je savais qu'elle était contre Sekoff et, faute de mieux, les ennemis de mes ennemis devenaient des alliés.

— Pourquoi pas, répondis-je en tentant de paraître enjoué.

Mon regard traina sur la table alors que j'éveillai prudemment mon étincelle. Elle s'embrasa facilement au fond de mon esprit, alimenté par ma colère, mon indignation et mon malaise. Mieux valait laisser le feu de côté, je risquerai de perdre le contrôle et raser tout le palais, ce qui serait un brin excessif.

Je laissai mon regard glisser dans le monde spirituel et m'arrêtait sur le vin probablement millésimé qui remplissait nos verres. Son essence avait déjà été domestiquée par des humains, donc très facile à manipuler. Je m'en emparais aisément et, ignorant les hoquets de surprise qui retentirent autour de moi, fit s'envoler le liquide rouge pour le rassembler en boule lévitant devant mes yeux.

Tout le monde s'était tu.

Me souvenant de mon expérience dans la salle des ministres, lorsque j'avais imprimé un souvenir sur la lumière, je cherchai à donner une forme au liquide. Mon premier réflexe fut Astre, évidemment, mais je n'avais pas envie d'exposer mon amour aux yeux de personnages si repoussants. Je convoquai donc la silhouette de Mère-de-tous, qui se matérialisa dans la matière sanglante du vin, aussi grande que nature.

Étonné par la facilité avec laquelle j'avais accomplis ce petit exercice, je fis remonter la louve géante le long de la table, ses pattes volant à quelques centimètres au-dessus des plats. La lumière des lampes se délitait en millier d'étincelles sur le liquide mouvant, presque translucide, où les visages ébahis se reflétait de manière déformée.

Un invité tandis sa main pour la toucher. Le vin redevint liquide sous ses doigts et dégringola le long de son bras pour tacher ses habits. Je dus faire un effort pour maintenir la structure de l'animal liquide, qui tangua dangereusement, et décidai que la démonstration avait assez durée.

— Tendez votre verre, ordonnai-je en restant concentré.

Tout le monde m'obéit instinctivement. J'inspirai profondément et désassemblait la silhouette de la louve en petite bulles rouges. Je n'avais pas anticipé une telle difficulté. Je dus m'y prendre un verre à la fois, en faisant attention à ne pas viser à côté, pour que le vin retrouve sa place originelle. Si Astre avait été là, il aurait probablement plaisanté sur le fait que je m'étais inutilement compliqué la tâche.

Je finis par Sekoff, qui me regardait avec tant d'avidité que je faillis perdre ma prise sur le vin et le lui renverser dessus. Quelque chose clochait. Par les yeux de la magie, je pouvais contempler son essence. Elle était laide, carbonisée par un feu sombre qui se consommait en le pourrissant de l'intérieur. Mais il y avait autre chose, un détail troublant : j'avais l'impression que son corps était faux, comme si une deuxième essence s'était glissé en lui. Qu'est-ce que cela signifiait ?

— Fascinant, souffla-t-il, me forçant à sortir de mon état de transe. Tu es une merveille, Neige, un prodige de la nature. Sans aucun doute un Élu. Il faut absolument que tu te joignes à nous.

— À vous ? répétai-je, sur mes gardes.

— Aux Descendants, répondit-il avec emphase. Quel dommage que nous ne t'ayons pas trouvé plus tôt ! Nous sommes une organisation mondiale, Neige, et terriblement puissante, dont le but est de répandre la parole des Anciens. Nous pensons qu'en suivant leurs enseignements, il est possible de conduire l'humanité dans un nouvel âge d'or, où les justes seront récompensés en régnant sur le reste des vivants.

— En suivant les enseignements d'une civilisation qui s'est auto-détruite ? raillai-je.

— En ne répétant pas les mêmes erreurs, me corrigea-t-il sans hésiter. Tu sais, Neige, chaque civilisation comporte ses maillons faibles. Le tout est de ne pas les laisser gangrener le reste de la société.

Je faillis lui répondre qu'il était le maillon faible de cette civilisation, mais tint ma langue à temps. Inutile de le provoquer plus.

— C'est pour réaliser ce glorieux projet que nous avons besoin de toi, reprit-il en pointant sa fourchette vers moi. Tu as un héritage formidable, ce serait dommage de le gaspiller en ne le consacrant pas à une noble cause.

— J'ai une noble cause, le contredis-je en déplaçant la nourriture dans mon assiette pour donner l'impression que je mangeais. Astre et moi avons décidé de comprendre d'où venaient les Chasseurs et les éliminer pour venger notre famille.

Mes paroles résonnèrent dans le silence. Une nouvelle fois, tout le monde s'était tu pour m'écouter. Je détestais ça. N'avaient-ils rien de plus intéressant à faire ?

— Eh bien, siffla Sekoff en finissant son verre. On peut dire que tu ne manques ni de courage, ni d'ambition ! Nous nous entendrons très bien ! Je pense que les autres Descendant seront d'ailleurs fortement impressionnés. Tu vas vite prendre du galon, Neige ! Je suis certain que d'ici quelques années, tu siègeras au grand conseil !

— Je n'ai pas dit que je vous rejoindrais, rétorquai-je en fronçant les sourcils.

Il rit comme s'il venait d'entendre une bonne plaisanterie et fit signe aux domestiques de débarrasser l'entrée, sans prendre en compte ceux qui n'avaient visiblement pas fini de manger. Ni Dana, ni Jédima, ni moi n'avions touché à notre plat.

— Et qui est cet « Astre » que tu viens d'évoquer ? continua-t-il d'un ton badin, tel un oncle bienveillant.

— Mon compagnon, l'informai-je en tentant une nouvelle fois d'effleurer l'esprit de mon loup.

Je le trouvais extrêmement concentré, plein de violence et de colère. Était-il en train de se battre ? Je tentais d'empêcher l'anxiété de me gagner. Tout allait bien se passer.

Je mis quelques secondes à me rendre compte que Sekoff avait reprit la parole.

— ... mignon. Ne serait-ce pas cet esclave que cet idiot de Sir Fréo a essayé de s'approprier l'autre nuit ? Un terrible manque de respect envers toi, si tu veux mon avis.

Mon sang ne fit qu'un tour.

— Astre n'est pas un esclave ! criai-je en frappant du poing sur la table.

Ma fourchette vola sur quelques mètres, passa au-dessus de la tête de Sekoff et disparu dans l'herbe.

— Ne parlez plus jamais de lui ainsi.

Mon regard était résolument planté dans le sien. J'ignore ce qu'il y contempla, mais pour la première fois, je le vis hésiter. Peut-être se rappela-t-il que j'avais mit le feu à un Chasseur. Ou peut-être sentait-il que j'étais près à n'importe quoi pour défendre l'honneur de mon loup.

Malheureusement, son masque de gentillesse perfide dissimula bien vite ses sentiments.

— Hola ! s'exclama-t-il en levant les mains dans un geste faussement défensif. Quelle ardeur ! Ce petit Astre ne doit pas s'ennuyer !

Les ricanements qui résonnèrent autour de la table me firent voir rouge. Mon étincelle s'embrasa d'un coup. J'allais le...

— Neige, intervint une voix familière. Je te retrouve enfin.

Calendre venait de sauter sur mon épaule. La surprise étouffa ma colère.

— Plait-il ? s'enquit Sekoff avec une moue de dégoût. Que fait un animal ici ?

— Je ne sais pas, répondit Calendre de son habituel ton pédant, qui vous a laissé entrer ?

La plupart des invités réussirent à se retenir à temps, mais quelqu'un pouffa bruyamment à l'autre bout de la table et Dana se mordit la lèvre pour ne pas rire.

La présence du chat me procura soudain un immense réconfort. Calendre était mon ami, mon allié, et contrairement à moi, il avait l'expérience des jeux de langage et de politique.

— Pardonnez mon retard, ma Dame, lança-t-il poliment à Jédima, j'ai été retenu par une affaire urgente.

Elle hésita un millième de seconde – probablement à cause de son ancien antagonisme avec la gente féline – mais finis par choisir la réponse la plus à son avantage.

— Mais je vous en prie, Monsieur Calendre. Nous avons malheureusement dû nous éloigner du bal de ce soir, qui a été gâché par un mystérieux produit ajouté dans les boissons. J'espère que vous n'avez eu aucun mal à nous trouver ?

J'avais donc raison : ce n'était pas que de l'alcool qui avait été glissé dans les verres...

— C'est fort dommage, regretta le chat. La clairière que vous aviez choisit était pourtant exquise et les musiciens fort doués. Pas comme celui-ci, si je puis me permettre... Je n'aurais jamais cru entendre cela à une soirée raffinée.

Elle soupira tragiquement.

— Ne blâmez point cet infortuné musicien, le pauvre n'a pas reçu l'éducation lui permettant de discerner un véritable chef-d'œuvre d'un morceau inutilement compliqué... Il suffit de faire avec.

— Je vois, acquiesça gravement le félin. C'est comme cet étalage de vaisselle, je suppose. Une personne véritablement bien née aurait opté pour de l'ivoire ou de la fine porcelaine. Le plaqué or et si... vulgaire. Vous devriez en dire un mot à votre intendant, cela serait dommage que vos invités pensent que vous venez de la rue.

— Soyez-en certain, lui assura-t-elle avec fermeté. J'ose espérer que cela ne ruinera pas votre soirée ?

— Voyons, Ma Dame, une compagnie telle que la vôtre suffira à racheter l'évènement.

— Vous êtes bien gracieux, Monsieur Calendre.

Sekoff était livide. Il était en train de se faire insulter en publique d'une manière si subtile et si bien mené qu'il ne pouvait pas intervenir sans paraître incroyablement grossier. Il pensait avoir fait étalage de sa richesse et son pouvoir en prenant le contrôle de la soirée et se rendait brutalement compte qu'aussi fort qu'il essaie, il ne possédait jamais les codes de cette société si élitiste.

J'étais quant à moi particulièrement admiratif. Calendre avait réussit à l'humilier en quelques secondes alors que j'avais passé toute la conversation à tenter de débattre sans jamais marquer le moindre avantage.

— Qui êtes-vous ? intervint Sekoff en froissant la nappe dans son poing.

Calendre arbora un air réprobateur.

— Plait-il ? Non, je ne crois pas que nous ayons été présenté... Je suis Monsieur Calendre, Ancien Souverain des Chats de Terdhome, Membre de la Cour du Roi Carol. Et vous ?

— Un roi des chats ? ricana Sekoff. Quelle stupide plaisanterie !

Le félin sourit, révélant l'une de ses canines, et sauta lestement entre les plats.

— Lorsqu'un Roi vous demande de vous présenter, énonça-t-il en s'approchant, vous vous exécuter.

Sekoff serra plus fort le poing. Refuser de se présenter serait perçu comme ridicule et enfantin, mais obtempérer le ferait paraître obéissant. Encore une fois, toute mon admiration se porta vers Calendre.

— Vous ne devez pas être de la région, intervint Dame Traimène, pour ne pas connaître Sir Sekoff ! Enfin, je n'ai personnellement jamais entendu parler de ce « Terdhome »...

— Il s'agit d'une puissante cité située de l'autre côté de la forêt, intervint Dana d'un ton exagérément serviable. Je suis étonnée que vous n'en ayez jamais entendu parler, ma tante, l'endroit est réputé pour ses avancées technologiques importantes. Vous devriez vous renseigner. Une dame de votre rang ignorant des choses si élémentaires...

La vieille serra les dents. Je commençai à m'amuser, finalement. Surtout que je savais pertinemment que Dana n'avait jamais entendu parler de Terdhome avant notre arrivée.

— « Sir » Sekoff, donc, reprit Calendre en se tournant vers sa victime. De quelle famille êtes-vous, si je puis demander ? Je n'avais jamais ouï de nobles nommés ainsi...

— Le titre est honorifique, rétorqua l'intéressé avec grandeur. Mais je doute qu'un chat...

— Attendez, le coupa le chat en question. Laissez-moi clarifier quelque chose, voulez-vous ?

Il le lui permit d'un geste agacé.

— Vous trouvez mon espèce repoussante ? s'enquit poliment Calendre.

— Seulement inférieure, rétorqua-t-il. De simples bêtes dépourvues d'âme, destinés par nature à servir ceux qui sont plus haut dans la chaîne alimentaire.

— Tout de même, protesta le chat, votre humilité me surprends beaucoup !

— Plait-il ?

— Eh bien, d'un côté, vous affirmez que les titres sont importants et reflètent un certain rang. De l'autre, vous suggérez que je ne suis qu'une « bête sans âme ». Mais mon titre remonte à plusieurs générations, tandis que le vôtre est tout récent et soutenu par aucun sang ni mariage... Vous pensez-vous inférieur à une bête repoussante, Sekoff ? Vous ne devriez pas être si dur avec vous-même.

Par les étoiles, ce diner avait tourné au massacre !

— La différence, rétorqua Sekoff en faisant des efforts visibles pour ne pas se laisser emporter, c'est que votre titre n'est qu'un nom de polichinelle ! Tout le monde sait qu'un chat ne peut pas être roi !

Il tourna la tête vers ses fidèles, qui confirmèrent ses propos de quelques hochements convaincus.

— Je me contenterais de votre expertise sur le sujet, acquiesça gravement Calendre. Vous paraissez mieux vous y connaître que moi en matière de polichinelle.

Je m'étranglais avec ma propre salive et commençai à tousser, ramenant involontairement l'attention sur moi.

J'allais ouvrir la bouche pour m'excuser lorsqu'un esprit familier résonna dans le mien.

Neige, où es-tu ?

Toujours avec Sekoff, un peu plus loin dans les jardins.

Ne bouge pas, j'arrive. Nous avons un problème.

Tu vas bien ?

Moi, ça va... Mais Sekoff a fait entrer toute une armée d'esclaves dans le palais. Je crois qu'il veut prendre le pouvoir par la force. Ce soir.

Je levais un regard effrayé vers le noble qui me faisait face.

Je ne sais s'il put lire quoi que ce soit sur mon visage, mais il sourit sombrement, comme s'il avait gagné quelque chose.

Et cela suffit à me terrifier.

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