Alarme
Neige
Mon cœur était léger, si léger qu'un bond aurait probablement suffit à le faire s'envoler. Le poids de ma culpabilité s'était évanoui, évaporé, remplacé par une allégresse résumée en un seul nom : Astre !
Il allait bien, il m'avait pardonné, et j'avais si hâte de le retrouver que j'en avais presque mal.
— Neige ?!
La voix choquée de Carol me ramena brutalement sur terre. Ah. Oui, en effet, il y avait toujours cette histoire de magie...
— Je suis désolée, m'excusai-je, mon bonheur tout neuf déjà entaché de regrets et de compassion. Je suis un sorcier et je ne t'ai rien dit parce que la magie est... dangereuse. Un jour, j'ai perdu le contrôle et blessé Astre par accident. Depuis, j'ai juré de ne plus jamais l'utiliser.
— Tu as vraiment des pouvoirs ? Souffla-t-il, les yeux écarquillés. Vraiment ?
Mon silence fut un assentiment suffisant. Je le vis déglutir difficilement, devinant probablement où la conversation allait.
— Et moi ? Demanda-t-il à mi-voix. Y-a-t-il une chance...
— Non, répondis-je doucement, conscient de lui faire du mal, mais réalisant enfin que cela devait être dit. Tu n'as pas l'étincelle, Carol. Tu ne peux pas et ne pourras jamais faire de magie. Mais ce n'est pas grave, tu es doué pour plein d'autres choses ! Tu...
— Tu ne peux pas en être sûr ! rugit-il, assez fort pour me faire sursauter.
Ses poings serrés, tremblants, trahissaient sa détresse. Je ne lui en voulais pas, je savais que je venais d'anéantir en quelques mots un rêve vieux de plusieurs années.
— Si, balbutiai-je, désarmé par sa peine, je sais que tu...
Je m'arrêtai net. À travers notre connexion retrouvée, je venais de sentir la peur envahir Astre, aussi violente, aussi soudaine et aussi forte qu'un coup de fouet.
— Astre ?!
Carol, en voyant la terreur envahir mon visage, perdit aussitôt air agressif.
— Je suis désolé Neige, je ne voulais pas te faire peur ! Je ne suis décidément bon à rien aujourd'hui...
Je levais une main tremblante pour le faire taire, le cœur battant à tout rompre. Comprenant que ma détresse ne venait pas de lui, il se tut et fronça les sourcils, perplexe.
Astre m'envoya une image qui hanterait mes cauchemars pour le reste de mon existence.
La nuit. La ville vue de haut, à demi-ensommeillée, ignorant tout du danger qui rôdait. Le clair de lune. Le lac. Et au fond du lac, quelque chose d'énorme, quelque chose de terrible s'approchant pas à pas. Une forme familière.
Non, non, ça ne pouvait pas être possible, pas encore...
Je plaquai la main sur ma bouche pour retenir un sanglot.
— Neige ! hurla Astre dans mon esprit. Il faut que nous nous retrouvions ! Maintenant !
La terreur m'empêcha de formuler la moindre pensée cohérente. Le monstre était de retour. Le monstre qui avait tué Solana. Le monde...
Carol prononça mon nom, inquiet, mais je ne l'entendis pas vraiment.
— Neige ! appela de nouveau Astre, sentant ma panique. Neige, écoute-moi ! Concentre-toi sur moi !
Oui, cela, je pouvais le faire. Me concentrer sur Astre. Mon étoile. Mon guide. Mon protecteur.
— Je ne laisserai personne te faire du mal ! lança-t-il avec véhémence pour me rassurer un peu plus.
Ma respiration se calma. Ce n'était pas le moment de perdre pied. Il fallait que nous nous retrouvions.
— Où es-tu ? Demanda-t-il.
Je lui envoyais l'image de l'escalier et de la cave.
— Retrouve-moi dans la cours du château, trancha-t-il en évaluant la distance qui nous séparait tous les deux de ce lieu. Préviens tout le monde au passage. Les chats sont déjà au courant.
J'acquiesçai mentalement.
— À tout de suite, Astre.
— À tout de suite, Neige. Fais attention.
Je le lui assurai silencieusement et reporta mon attention sur mon environnement. Carol m'avait attrapé par les épaules et répétai mon nom d'un air profondément inquiet.
— Neige ? Que se passe-t-il ? Neige, réponds !
Je levais vers lui des yeux hagards. Il blêmit.
Je repoussai les images qui tentait de parasiter mes pensées pour répondre d'une voix tremblante :
— Un Chasseur...
— Il n'y a pas de Chasseur ici, Neige ! m'assura-t-il d'un ton qu'il essaya de rendre rassurant. Tu es en sécurité ! Tout va bien !
— Non. Un Chasseur approche, Carol !
— Voyons, Neige, les guetteurs...
— Un Chasseur approche sous l'eau ! Il sera très bientôt dans la ville ! Il arrive, Carol ! Il arrive !
— Mais comment...
— Je n'ai pas le temps de vous expliquer ! Il faut sonner l'alerte !
Le jeune homme me regarda avec gravité, quittant le visage de l'ami et de l'amant bouleversé pour celui du seigneur de sa citée. Allait-il croire sur parole un adolescent qu'il croyait à peine et qui venait d'avouer lui avoir mentit ?
— Tu en es certain ? demanda-t-il.
— Oui, confirmais-je d'une voix qui trembla un peu.
Un éclair de détermination traversa son regard.
— Il faut sonner l'alerte ! s'exclama-t-il en faisant volte-face pour se précipiter vers les escaliers.
Je lui emboitai aussitôt le pas, le sang battant contre mes tympans.
— J'arrive, Astre, j'arrive !
Nous débouchâmes dans le couloir à toute allure, renversant un pauvre serviteur au plateau chargé de hors-d'œuvres. Carol ne ralentit même pas pour s'excuser, il continua à courir le long des couloirs, m'entrainant à sa suite. Mon souffle s'épuisait déjà et un point de côté commençait à naitre entre mes côtes, mais c'était vraiment le dernier de mes soucis.
Nous jaillîmes dans la grande salle du château en ouvrant la porte à tour de bras, faisant sursauter tous ceux qui s'étaient installé au coin du feu pour écouter les récits d'un troubadour étranger. Il y eut un instant de silence alors que Carol se dirigeait vers le foyer, à côté duquel trônait un énorme levier rouge. Plus il avançait et plus l'angoisse s'inscrivait sur les traits de ses sujets, qui semblaient le supplier en silence de s'arrêter.
Il attrapa le levier et le tira. Des cris épouvantés retentirent à travers la pièce.
Deux secondes plus tard, un hurlement strident déchira l'air, venant de partout à la fois, englobant le château et la ville entière.
Il y eut une seconde de flottement.
Puis ce fut le chaos complet.
Tous le monde se leva pour se mettre à courir, se précipitant vers un enfant, un amant, un ami, une arme ou une bourse. Certains prirent directement la poudre d'escampette, d'autres tournèrent dans la pièce comme s'ils n'en trouvaient pas la sortie.
se mettre à courir en hurlant, fuir par la porte, par le couloir des domestiques, et même par la fenêtre, se bousculant dans un désordre sans nom.
— SILENCE ! hurla Carol.
La scène se figea, seulement perturbé par ce cri strident de l'alarme.
— Nous nous sommes entrainés pour cet instant ! lança le seigneur. Vous savez ce que vous avez à faire ! Tous les enfants vont se réfugier dans les sous-sols avec un de leurs parents ! Les vieux et les invalides les accompagnent ! Le reste, à vos armes et à vos postes ! Un dixième d'entre vous patrouillera en ville pour rapatrier la population dans le château, le reste part directement sur les murailles ! Allez !
Il s'était d'un coup paré d'une telle aura d'autorité que je faillit lui obéir. Je compris enfin pourquoi Antoine l'avait décrit comme un bon seigneur : il était peut-être perdu en affaire de cœur, mais il savait indubitablement faire preuve de sang-froid et d'intelligence pour prendre les bonnes décisions lorsqu'il le fallait.
— Neige, va à la cave avec les autres, me lança-t-il.
— Non, je dois retrouver Astre dans la cours !
— Astre te rejoindra dans la cave ! Va te mettre à l'abri maintenant !
— Pas sans lui, répliquai-je d'un ton qui n'admettait aucune contradiction. Jamais sans lui.
Je vis un éclair douloureux passer dans son regard et sus qu'il songeait à Antoine. J'en profitai pour faire volte-face et partir en courant.
— Neige ! s'exclama un timbre familier dans mes pensées. Je suis presque arrivé ! Où es-tu ? La ville entière est en train de crier, c'est horrible !
— J'arrive !
Je passai en trombe devant la porte de ma chambre, mais m'arrêtai brusquement, me souvenant soudain d'un détail crucial. J'ouvris la porte et me précipitai vers le lit.
J'attrapai mon chaperon rouge, le jetai sur mes épaules et reparti en courant. Celui qui allait retrouver Astre était le véritable Neige, celui qui s'était lié à lui pour toujours, et non la pâle copie qui avait hanté la bibliothèque ces derniers jours.
Je sortis enfin du château. La terre vibrait, comme si quelque chose se trouvant en dessus tentait d'en sortir. L'alarme hurlait toujours. Je me précipitai vers la cours.
Astre n'y était pas.
— Astre ! appelai-je en tentant de ne pas paniquer. Astre !
Il m'envoya une image qui me glaça le sang. Il se trouvait en hauteur, probablement sur un toit, et regardait en contrebas. Des murailles métalliques étaient en train de sortir du lac, projetant de grandes éclaboussures tout autour de la ville. C'était probablement elles qui faisaient vibrer le sol.
Mais derrière ce mur qui s'élevait lentement – trop lentement ! – l'horreur s'était déjà produit. Une tête blafarde avait émergée des eaux sombres. Une tête dont la chevelure blanche formait comme une trainée d'écume.
Le Chasseur.
— Astre, dépêche-toi ! appelai-je.
Nous avions encore le temps de nous réfugier sous terre, comme Carol l'avait suggéré.
Mais il ne bougea pas. Je le sentis prisonnier d'un dilemme douloureux.
— Astre ? m'inquiétai-je.
— J'ai vu Antoine courir jusqu'aux murailles, me souffla-t-il enfin en m'envoyant l'image fuyante d'une silhouette familière. Je crois qu'il va affronter le Chasseur.
Mon souffle s'étrangla.
— Neige !
Je me retournai. Carol sortait du château, équipé d'une cotte de maille, d'un casque et d'une épée. Plus d'une cinquantaine d'hommes et de femmes le suivait en lignes ordonnées, pareillement armés.
— Va te mettre à l'abri ! ordonna-t-il d'un ton sans appel.
Et, bien sûr, je ne sus que lui avouer ce que je venais d'apprendre :
— Antoine est là-bas.
Je vis le seigneur pâlir et chanceler sous l'effet de toutes les implications que comportait cette simple phrase.
— Au nom des étoiles, souffla-t-il en se mettant à courir vers la grande porte. Antoine...
Astre était toujours indécis, tiraillé entre venir me retrouver alors que j'étais relativement à l'abri ou aider son ami en danger.
Une seule solution.
Je franchis les murailles du château et couru le rejoindre dans la ville.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro