Chapitre 30
Maple conduisit Ylena à sa chambre sans dire un mot. Elles fixèrent une seconde le lit qu'elles avaient partagé deux nuits auparavant, alors qu'elles avaient l'impression que cela remonter à une éternité.
— Tu peux prendre une douche si tu veux, dit Maple en allant vérifier que les fenêtres étaient bien verrouillées.
— Faudrait que j'appelle mon père. J'étais censée rentrer hier, il doit s'inquiéter. Je suppose que tu ne vas pas me laisser partir après une bonne douche.
— C'est pour ta sécurité, expliqua Maple, mais oui, appel ton père pour le rassurer.
— Je ne vais pas lui parler du flic qui m'a séquestré.
— C'est peut-être mieux, oui. Je suis désolée, dit Maple après un silence en lui tendant son téléphone.
Ylena composa le numéro et réfléchit à ce qu'elle pouvait bien raconter à son père pour ne pas l'inquiéter et pour qu'il ne remarque pas sa détresse. Maple s'installa sur le canapé pour lui laisser un semblant d'intimité, mais elle comptait bien écouter tout ce qu'elle allait lui dire, prête à intervenir au moindre mot de trop.
— Bonjour papa, dit-elle quand on décrocha.
— Ylena ? C'est toi ? demanda son père à l'autre bout du fil. Mais qu'est ce qui se passe ? Tu es où ?
— Je suis chez Maple, tout va bien. Je suis désolée, après mon appel hier, elle est venue me chercher pour qu'on s'explique, menti-t-elle.
— Mais je t'ai appelé mille fois, j'étais sur le point d'appeler la police, expliqua-t-il furieux et inquiet.
— Je suis désolée papa, j'ai cassé mon téléphone, je t'appelle avec celui de Maple.
— Tu vas bien ? Tu es sûre ?
— Oui, oui, dit Ylena en tentant de masquer ses sanglots.
— Et avec Maple ?
— Les choses sont compliquées, expliqua-t-elle, je t'en parlerais plus tard, je dois te laisser.
Elle raccrocha et fondit en larme. Maple ne pouvait pas rester insensible. Elle s'approcha et voulu l'enlacer, mais Ylena la repoussa avec colère.
Fort heureusement, ce moment de malaise fut vite interrompu, Kase et Wila frappèrent à la porte :
— Je peux te parler ? dit Wila à sa sœur.
Leur frère tendit une assiette garni de fromage et de charcuterie à Ylena qui se sentit beaucoup plus détendu tout à coup.
— Tu peux me parler devant Ylena, dit Maple, elle est déjà trop impliquée pour qu'on lui fasse des cachoteries.
— Très bien, concéda Wila, je veux que tu viennes avec nous interroger Delaplace, je veux savoir comment il a eu toutes ses informations, ce qu'il sait sur papa et sur le projet Ouranos.
— J'arrive, il faut que je jette un œil à l'arcade d'Ylena.
— Cimeon va s'en occuper, dit-elle fermement, Delaplace est déjà réveillé, on y va maintenant.
Wila et Kase quittèrent la chambre, insistant pour que leur sœur ne tarde pas à les rejoindre.
— Tu peux y aller, je ne vais pas fuir, dit Ylena d'un ton monocorde. Je vais me débrouiller, prendre une douche.
Ylena ne comprenait pas pourquoi son anxiété s'atténuait de temps en temps et se demandait si ce n'était pas son traumatisme crânien qui la rendait instable. Maple attendit malgré tout que son frère soit devant la porte de la chambre avant de la laisser seule.
Attaché sur une chaise au sous-sol, les yeux bandés, Godefroy se demandait où il était et surtout si Goldy allait bien. Comme si la chienne l'avait entendu, elle déposa sa tête sur son genou après avoir léché son visage crasseux. Il entendait des gens s'agitaient autour de lui, mais ne les entendait pas parler. Bizarrement il se sentait bien à tel point qu'il se demanda s'il n'était pas drogué.
Il entendit qu'on faisait sortir sa chienne avant que Maple ne lui retire son bandeau, la lumière lui agressant les yeux, il les maintenu fermement clos pendant quelques secondes. Quand il les ouvrit, Maple et Wila étaient debout face à lui. Elles faisaient penser aux deux représentations d'une même entité. Le plus jeune des Sylvestres était assis dans un coin de la pièce et le regardait avec un sourire charmeur.
— Comment vous êtes-vous procuré toutes les informations que nous avons trouvées dans votre maison ? demanda Wila.
— Qu'est-ce que je gagne si je vous réponds ? demanda Godefroy faussement arrogant.
— La vie sauve.
— Si vous deviez me tuer, vous l'auriez déjà fait, tenta-t-il.
— Vous ne l'aviez pas remarqué, on aime prendre notre temps, dit Maple tenant une flamme de plus en plus grande au bout de ses doigts.
Elle s'approcha de Godefroy qui s'agita sur sa chaise. Quand la flamme entra en contact avec la peau de son torse toujours nu, il poussa de toutes ses forces sur ses pieds, faisant basculer la chaise et s'écrasant sur le sol en béton avec un bruit sourd. Il s'attendait à ce que ces bourreaux rient aux éclats, mais aucun d'eux n'eut même un sourire.
Sans comprendre comment, il se retrouva à nouveau assis sur la chaise debout sur ses quatre pieds.
— Comment vous êtes-vous procuré toutes les informations que nous avons trouvées dans votre maison ? demanda de nouveau Wila.
— Vous allez finir par me tuer de toute façon.
Les Sylvestres semblèrent en pleine conversation. Dans un silence relatif, Godefroy observait ses trois bourreaux qui s'échangèrent des regards sans prononcer un mot. Maple finit par reprendre la parole :
— On vous propose un marcher, vous répondez à nos questions et on répond aux vôtres.
Godefroy hésita, alors que Wila ne semblait pas d'accord avec la proposition de la cadette.
— En fouillant, commença-t-il, j'ai trouvé une faille dans le mail d'un membre de l'Ordre Olympie. Je n'ai eu qu'à remonter la ligne. C'est une secte n'est-ce pas ?
— C'est plus que ça, répondit Maple alors que sa sœur la sommait de ne rien dire. Ils sont à la tête de toute l'Europe. Les grandes entreprises, les gouvernements, la police, tout, ils contrôlent tout.
Si elle disait vrai, les choses étaient pires que tout ce qu'avait pu imaginer Godefroy.
A l'étage, Cimeon cogna à la porte de la chambre de sa sœur pour s'assurer qu'Ylena était présentable. Il la découvrit assise sur le canapé, tenant un mouchoir sur son arcade.
— Tu dois être terrifiée, dit Cimeon alors qu'il préparait de quoi nettoyer sa plaie, mais je te promets qu'on ne te fera rien, on fera tout pour te protéger.
— Je n'arrive pas à avoir peur, confia Ylena. Je ne peux pas croire ce que m'a dit ce flic. Il me terrifie beaucoup plus que toi, peut-être parce qu'il m'a assommé pour me kidnapper et que vous m'avez libérée.
— De deux maux, il faut choisir le moindre, dit-il en enlevant le mouchoir de son front.
— On peut voir ça comme ça.
— On a fait un peu le même choix, tu sais.
— Tu es vraiment l'étripeur ? demanda Ylena après un silence le cœur serré.
— Oui, dit-il sans tragiverser, et Maple, et Wila, et Kase un peu aussi.
— Mais vous n'avez pas l'air d'une famille de fous furieux.
— C'est le plus beau compliment que tu pouvais nous faire.
Cimeon dédramatisait pour détendre l'atmosphère et cela fonctionnait très bien avec Ylena qui ne pouvait pas l'imaginer tuer quelqu'un de sang-froid, il semblait si gentil et bienveillant.
— On n'est pas des fous furieux, reprit-il plus sérieusement en finissant de panser l'arcade de Ylena. Si on avait le choix, on ne tuerait personne, crois-moi.
— Qu'est ce qui peut vous obliger à faire ça ?
— On est malade. Biologiquement malade. Et, biologiquement, on n'est pas humain humain, se perdit-il à expliquer. Je suis nul pour expliquer, désolé.
— Oui, parce que je ne comprends rien.
— Peut-être que tu devrais attendre que Maple te raconte.
— Non, se précipita Ylena.
Elle ne voulait pas avoir affaire à la cadette des Sylvestres, se sentant trahit par celle qu'elle pensait connaitre, celle qu'elle pensait aimer.
— Essaie de m'expliquer s'il te plait.
— Ok, concéda Cimeon, je reprends depuis le début, mais faut que tu sois ouverte d'esprit.
— J'accepte sans sourciller qu'un tueur, le tueur en série le plus recherché d'Europe, soigne mes blessures, je pense que je suis bien assez ouverte d'esprit.
— On verra, dit-il avec un sourire anxieux.
Il rangea son nécessaire à pharmacie et vint s'asseoir à côté d'elle.
— Comment dire ça ? commença-t-il, tu vois les films ou les séries de SF où on manipule l'ADN des gens pour les rendre plus fort et qu'ils finissent par devenir des monstres ?
— Oui, répondit Ylena sans comprendre où il voulait en venir.
— Bah c'est nous ces monstres.
Cimeon devait en dire plus s'il voulait qu'Ylena le comprenne. Il lui expliqua qu'ils étaient les sujets d'une expérience sur le génome avant même leur naissance. Qu'ils avaient développé des compétences hors du commun, comme les superhéros dans les comics.
— Cimeon, je t'aime bien, dit Ylena, outre le fait que tu sois un tueur sanguinaire, je t'aime bien, vraiment, mais arrête de te foutre de ma gueule.
Il afficha un grand sourire et montra un livre sur la table de nuit de Maple. Ylena tourna la tête et vit le livre s'élevait de quelques centimètres. Elle n'en cru pas ses yeux et se persuada que c'était son traumatisme crânien qui la faisait délirer. Le livre vola lentement jusqu'à atterrir sur ses genoux.
— Ce que tu me dis n'a pas de sens, dit-elle.
— Pourtant, tu viens d'en faire l'expérience.
— Admettons, dit-elle après réflexion, si vous êtes des super-humains, pourquoi vous êtes obligé de tuer ?
— Les modifications génétiques ne sont pas sans risque, dit-il d'un ton triste. On est malade, surtout Kase, il pourrait mourir sans traitement et, malheureusement, il n'y a que l'Ordre Olympie qui peuvent nous le fournir. En échange, on doit faire leurs petites besognes.
— C'est horrible, mais pourquoi vous ne faites rien contre eux.
— On a essayé, mais on est... pris au piège.
Ylena avait du mal à imaginer tout ce que signifiait ce qu'il était en train de lui raconter. Cela expliquait beaucoup de choses, comme le silence de Maple quand il s'agissait de son passé ou de sa famille, mais ça lui semblait quand même invraisemblable.
— Qu'est-ce que l'Ordre Olympie exactement ? demanda-t-elle.
— Je crois que je t'en ai assez dit, Maple et Wila risque de me tuer pour le peu d'informations que je viens de te donner, et elles en sont capables crois-moi.
Au sous-sol, Maple tenait à peu près le même discours à Delaplace.
— L'étripeur, nous, nous sommes les hommes de main de l'Ordre d'Olympie, on a essayé de leur échapper, mais il n'y a aucun moyen. A vous, qu'est-ce que vous savez sur notre père ?
— Le docteur Léo Paul, c'est réellement votre père ?
— Oui. Et c'est moi qui l'ai tué, dit Maple.
— J'ai trouvé une suite de mails, expliqua-t-il après avoir avalé difficilement sa salive comprenant qu'elle n'avait pas plus de dix ans à l'époque, il serait tenu artificiellement en vie.
Le visage de Maple devient blanc en entendant cela. Wila s'approcha d'elle et lui rappela qu'il ne pouvait plus rien leur faire.
— Et les autres enfants ? demanda-t-elle.
— J'ai pas trouvé beaucoup d'informations à ce sujet, avoua-t-il.
— S'il y en a, ils sont surement torturés comme nous, dit Kase.
C'était la première fois qu'il parlait, il s'était contenté pendant tout l'interrogatoire de les observer. Plus il discutait avec eux, plus Godefroy se rendait compte qu'il se trompait.
Il avait compris que l'agent d'interpole était certainement un sbire de l'ordre, qu'il n'avait pas cherché à l'aider, mais simplement à l'humilier. Peut-être même que le commissaire Perrot était impliqué dans cette machination, il ne savait vraiment plus à qui donner sa confiance. Il s'était tout autant trompé sur les Sylvestres, certes ils avaient commis des actes horribles, mais ils étaient des victimes de l'Ordre Olympie, on abusait d'eux et ils ne pouvaient rien faire de plus que d'obéir. Certainement comme sa mère avait dû le faire.
— Vous comptiez me tuer ? demanda Godefroy persuadé que les informations qu'il avait en sa possession lui avait donné un répits. Quand vous avez débarqué chez mes parents ? précisa-t-il.
— On l'a envisagé, avoua Wila, mais vu qu'on joue la carte de l'honnêteté, on préférerait éviter.
— Quand je me suis engagé, commença Godefroy, je l'ai fait pour aider les gens, pour les protéger, parce que je n'avais pas pu le faire pour ma mère. Comme vous, elle était dans une secte.
— On n'est pas dans une secte, rectifia Wila.
— Je ne comprends pas tout ce qui se passe, je l'avoue, mais je comprends que vous êtes les personnes que je dois protéger.
Les trois Sylvestres se toisèrent pas certains de comprendre où Delaplace voulait en venir.
— Je me rends bien compte que je ne suis pas un héros. Mais je suis prêt à vous aider si vous voulez vous débarrasser de l'Ordre.
— Je crois que vous ne vous rendez pas compte, dit Wila d'un air amusé.
— Ils contrôlent toute l'Europe, continua Maple. Il ne leur manque qu'un coup de pouce pour devenir un gouvernement à part entière et soumettre tous les pays de l'Union.
— Raison de plus pour qu'on fasse équipe, protesta Godefroy. On serait tous gagnant. Je débarrasserai le monde d'une dangereuse secte et vous récupériez votre liberté.
Son offre était alléchante, même s'il n'y avait aucun espoir pour qu'ils arrivent à un résultat. Ils avaient essayé pendant des années et ce n'était pas l'aide d'un flic ivrogne mis sur le banc de touche qui allait pouvoir changer la donne. Kase leur rappela qu'ils n'avaient rien à perdre, Delaplace lui semblait sincère, ils devaient essayer.
— On doit réfléchir à votre proposition, dit Wila.
Ils remontèrent à l'étage pour en discuter avec leur frère et laissèrent Goldy retrouver son maitre. Cimeon laissa Ylena seule dans la chambre et rejoignit son frère et ses sœurs dans la cuisine :
— Comment va-t-elle ? demanda Maple.
— Elle essaie de s'endormir, mais ce n'est pas facile vu les circonstances, expliqua Cimeon. Et puis, je lui ai un peu dit pour nous.
— Quoi ? s'emporta Wila en le foudroyant du regard.
— Je ne lui ai pas dit grand-chose, le strict minimum pour qu'elle ne nous prenne plus pour des fous furieux.
— Il a eu raison, calma Maple, avec tout ce qu'elle a vécu à cause de moi, elle a le droit d'en connaitre un peu plus.
— Et notre prisonnier ? demanda-t-il.
— Il en sait beaucoup sur nous, sur l'Ordre, sur papa et encore plus maintenant que Maple lui a tout dit sur nous.
— Elle exagère, se défendit Maple.
— Il veut nous aider, intervint Kase impatient, je pense que c'est une bonne idée.
— Comment ça « nous aider » ?
— Il se sent investit d'une mission divine parce que sa mère était dans une secte, expliqua le benjamin. Je crois qu'il veut nous aider à trouver des informations, l'élément secret de nos médocs et en profiter pour faire tomber l'Ordre.
— Il a des couilles le flic, commenta Cimeon.
— Il est surtout inconscient, dit Wila.
— Et alors ? qu'est-ce qu'on fait ?
— On accepte, dit Kase.
— Je suis d'accord, dit Maple, c'est une opportunité pour nous. Et il a l'air de savoir ce qu'il fait.
— C'est inconscient, rappela Wila.
— Mais tu as vu toutes les informations qu'il a récoltées en quelques mois, argumenta sa sœur.
— Alors qu'il était même plus flic, ajouta Cimeon. Tu ne souhaites pas qu'on en finisse ?
— Tout ce que veut ta sœur, c'est revenir dans les petits papiers de sa copine, tenta Wila.
— Je ne crois pas que faire équipe avec Delaplace, lui fera oublier qu'elle a tué des gens, défendit Kase.
— C'est complètement absurde, persista Wila après un long silence. Je m'y opp...
— Je me porte garante pour lui, dit Maple.
— Il n'y a pas de garant qui tienne, il en avait après nous et là, parce qu'il dit qu'il veut nous aider, vous le croyez les yeux fermés.
— S'il fait quelque chose contre nous, le moindre regard de travers, je le tue sur place. Wila, il s'en est pris à Ylena, c'est moi qui ai le plus de raisons de ne pas lui faire confiance.
Elle finit par concéder, mais n'était toujours pas convaincu que ce fut une bonne idée, mais compte tenu de la situation ses frères et sa sœur avaient raison, ils n'avaient pas beaucoup d'alternative. Aucun d'eux ne savait réellement comment, mais ils savaient que cette association allait signer la fin, que ce soit la leur ou celle de l'Ordre Olympie.
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