Chapitre 9
Briag était assis sur son lit, derrière la porte gardée par Rhys, la tête entre les mains et l'air abattu. Il se releva dès que j'entrais et l'inquiétude par rapport aux cris et à l'agitation céda à la crainte quand il vit mon visage. Je savais qu'à cet instant, j'avais le visage que j'avais abordé pendant mes pires moments à Ketj. Un visage lisse de tout sentiment, froid et terrible.
- Alec, que se passe-t-il à l'extérieur ? Demanda-t-il.
- J'avais dit à Maureen que je le mettrais hors-jeu une fois qu'il se serait expliqué avec Ayaan, fis-je simplement. Je l'ai fait.
- Qu'est-ce que tu lui as fait ? Demanda-t-il d'une voix blanche.
- Rien que je ne puisse te faire à toi, répliquais-je. À présent, tu vas répondre à mes questions.
- Qui es-tu Alec ? Fit-il d'un air horrifié.
Un Dragon terrible gronda en moi, sourd et profond. Un Dragon qui en avait assez de ce manque de respect et de crainte, un Dragon insulté et redoutable, un Dragon fou de rage et de sagesse. Un Dragon rouge.
Je m'avançais vers Briag, plaçant mon visage à quelques centimètres du sien. Je vis la même crainte dans ses yeux que dans ceux de Sunia. Parfait.
- Je suis le Roi-Dragon, répondis-je en détachant chaque mot. Je suis ton Roi. Assied-toi et répond à mes questions.
Briag était pâle sous sa barbe, une veine battait dans son cou et je sentais la peur. Je puisais toute ma force dans le Dragon rouge pour rester impassible et garder mon calme. Rahelm n'était pas un Dragon impulsif, il était sage et terrible comme devait l'être le Roi des Dragons.
Briag se redressa comme pour rassembler sa dignité avant une exécution et s'assit sur sa chaise. Je restais debout, devant lui, et croisais lentement mes mains derrière mon dos, conscient de copier l'attitude de Judicaël.
- Si je meurs pendant la bataille de Ketj, que comptes-tu faire ? Demandais-je.
- Tu comptes me torturer Alec ? Fit Briag qui reprenait confiance. J'ai servi ton père, j'ai connu la Reine-Dragon avant lui, je t'ai éduqué. Je ne te crains pas.
- Contentes-toi de répondre à mes questions, fis-je simplement.
- Ou sinon quoi ? Fit-il convaincu que je ne le blesserais jamais.
- Tu n'es pas mon père Briag, répondis-je en le fixant dans les yeux. Tu m'as menti, trahi, tu as comploté dans mon dos, tu m'as manipulé. Mon père est Meliorn, je suis le Roi-Dragon et j'ai une réputation à me construire si je veux que mon Royaume ne retombe pas entre les mains d'une autre dictature. Alors écoute-moi bien parce que c'est la dernière fois que tu m'interromps : je ne suis pas un mec bien et mon séjour dans les caves de Judicaël m'a donné une foule d'idées. Répond à mes questions.
Briag se redressa mais son visage était de plus en plus blanc et il comprit que je ne plaisantais pas. Je sentais le Dragon rogue courir dans mes veines et mon sang, je le sentais gronder en moi, m'envahir de sa force.
Je sentis Imlee s'enrouler autour de mon doigt, pourtant mes bras ne rutilaient pas de magie. À la place, elle courait dans mes veines, grondante et menaçante comme un ouragan sous la surface. Le moindre claquement de doigt, le moindre haussement de sourcils et elle se déverserait sur Briag.
- Si tu mourrais pendant la bataille de Ketj, il faudrait un autre Roi-Dragon, répondit-il.
- Comment comptes-tu le trouver ? Demandais-je.
- Le plan était que je demande à Llyn de partir pour le rechercher, répondit-il. Éventuellement d'autres mages et aussi Elen ou Rhys. Mais la recherche aurait pris des années, pendant lesquelles Judicaël aurait été encore plus impitoyable et pendant lesquelles l'espoir et la révolte qui embrase le peuple se seraient essoufflés.
- Qu'aurais-tu fait ? Demandais-je.
- Je leur aurais donné un autre Roi, ne serait-ce que temporaire, répondit-il. Quelque chose qui te ressemble, auquel ils auraient pu croire, suffisamment fort pour pouvoir les guider et se battre sans avoir à utiliser d'Ancienne Magie.
- Sunia, compris-je. Tu savais que c'était ma demi-sœur depuis des années, c'est pour cela que tu l'as recrutée pour la résistance.
- Oui, avoua-t-il.
- La même chose se serait passée si j'avais refusé de monter sur le trône, compris-je. Tu l'aurais présentée comme la fille de Meliorn.
Briag ne répondit pas mais hocha la tête d'un air abattu. Il pensait vraiment se racheter en prenant un air aussi misérable ? J'allais devoir m'occuper de ma sœur rapidement
- Pourquoi aurais-tu envoyé Elen et Rhys à la recherche d'un autre Roi-Dragon ? Demandais-je.
- Pour me débarrasser d'eux, avoua-t-il. Tout est plus simple quand ils ne sont pas là. D'autres questions ?
- Qui est Keyr ? Demandais-je. Ni Elen, ni moi n'avons gobé l'affaire du neveu à la recherche de rédemption.
- Non en effet, répondit-il. Keyr est juste un pauvre type prêt à tout pour le fric.
- Avec quoi le payes-tu ? Demandais-je.
- Une bonne part de l'argent que nous sommes censés utiliser pour nourrir la caverne, répondit Briag.
Je commençais à reconnaître son visage quand il mentait. C'était un visage confiant, souriant, tranquille, que j'avais vu pendant vingt-deux ans de tromperies. Là, par exemple, il me mentait. Je tournais les talons, j'en avais assez entendu, Briag ne me dirait plus rien même si je le torturais.
- Que vas-tu faire de moi Alec ? Demanda-t-il alors que je m'éloignais.
- Je vais te mettre hors-jeu, répondis-je simplement.
- Alec tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour ton bien, s'empressa-t-il de dire. Pour faire de toi un Roi puissant, pour te créer un Royaume sûr et stable.
- Tu l'as fait pour toi Briag, fis-je en sentant mon cœur se briser. Pour être plus près du trône que tu ne l'as jamais été.
Je me retournais et tendis les mains devant moi. Je n'avais jamais utilisé ma magie et j'espérais sincèrement que ma crédibilité n'allait pas s'envoler avec une gerbe d'étincelles. J'étais trop furieux, Rahelm coulait trop profondément dans mes veines, pour que mon sort puisse faire autre chose que se réaliser dans une lumière flamboyante.
Un bouclier s'étira à travers la pièce, créant un écran parcouru de veinures de lave, emprisonna Briag dans sa propre chambre. Il tendit la main et laissa une trace sur le nouveau mur, qui s'effaça en quelques secondes. Mon cœur me faisait mal, mais je restais droit et impassible, plantant mes yeux dans les siens avant de tourner les talons.
- Où est Sunia ? Demandais-je à Rhys en sortant.
- Elle entraîne les rebelles, répondit-il. Les gens se demandent ce qu'il s'est passé avec Briag et Maureen.
- Dis-leur qu'ils ont complotés contre moi, répondis-je. Qu'ils ont tentés de renverser le Roi-Dragon et de s'accaparer le trône.
- C'est la vérité ? Me demanda-t-il à voix basse.
- Depuis vingt-deux ans, répondis-je. Briag n'a pas besoin d'être surveillé. Trouve Ed, enferme-le dans sa chambre. Et aide Charlie à surveiller Sunia.
Je me rendis dans la salle d'entraînement, non sans remarquer que les gens s'écartaient de mon chemin et murmuraient après mon passage. Je m'en fichais. D'ici la fin de la fin de la journée, la vérité se saurait et Briag serait un traître tout comme son frère d'armes.
Sunia était occupée à entraîner les soldats avec l'habituel maître d'armes, criant des ordres, corrigeant les positions et montrant l'exemple avec talent. Elle m'aperçut et je plantais mes yeux dans les siens. Elle savait que je savais. J'avais encore beaucoup de choses à apprendre sur son compte, mais ni elle, ni moi, ne doutions que j'allais les découvrir tôt ou tard.
Je tournais les talons pour regagner le couloir, autant éviter de provoquer un scandale en allant l'interroger au milieu d'un entraînement.D'autant plus qu'elle ne me répondrait pas. Je m'éclipsais dans un couloir sombre et désert, au fond d'un coin humide de la caverne dans lequel on allait pas par hasard. Je vérifiais que personne ne traînait dans les alentours et appuyais mon front contre la pierre humide.
Ma tête me lançait et la fraîcheur apaisa vaguement la douleur. Je chutais à genoux et respirais profondément, le barrage au fond de moi céda, libérant un flot d'émotions qui me submergea. Je fondis en sanglots, incapable de retrouver mon souffle, incapable d'arrêter de trembler, nauséeux et à bout de forces.
Rhys me trouva je ne sais comment et me pris aussitôt dans ses bras, m'obligeant à respirer profondément. Il me tendit sa fiole de liqueur dès que je fus capable de boire sans m'étrangler et m'obligea à placer ma tête entre mes genoux. Je restais ainsi longtemps, immobile, concentré sur le souffle de Rhys qui guidait ma respiration, calmant mon cœur et mes tremblements.
- Je te cherche depuis une heure, m'annonça-t-il.
- Que s'est-il passé ? Demandais-je en essuyant mon visage.
- Ayaan est encore sous le choc, m'expliqua-t-il. Elle est partie dans la forêt pour se calmer, Hector la suit. Maureen est borgne, peut-être aveugle avant la fin de la nuit, le visage scarifié. Les mages ont reçus l'interdiction de le soigner, alors il gardera son œil crevé et des cicatrices. Les gens disent que tu as lâché un Dragon sur lui, ils parlent déjà de la vengeance redoutable du Roi-Dragon.
- Tant mieux, répondis-je. Autre chose ?
- Briag est enfermé dans sa chambre, ça passe un peu moins bien, fit-il d'un air soucieux. Armelle exige de le voir, de nombreuses personnes prennent sa défense, il a recruté le plus grand nombre d'entre nous. Ils ont du mal à comprendre comment il a pu vouloir prendre le trône.
- Et Sunia ? Fis-je.
- Elle entraîne les autres, répondit-il. Elle a largement aidé à répandre la rumeur selon laquelle Maureen et Briag ont complotés contre toi. Elle a beaucoup pris ta défense sur ce coup-là.
- Tu m'étonnes, ricanais-je. Elle doit revoir sa technique de survie.
Un rire amer me secoua pendant que j'appuyais ma tête contre la pierre froide pour calmer ma migraine. Une nouvelle rasade d'eau-de-vie acheva de m'éveiller avant que Rhys ne reprenne sa fiole en déclarant qu'on avait pas besoin d'un Roi alcoolique.
- Qu'est-ce que je vais faire ? Soupirais-je.
- Tu veux mon avis là ? Plaisanta-t-il.
- Tu es mon conseiller, répondis-je. Tu es censé me dire quoi faire quand j'ai fini de te donner des ordres.
- Tu dois faire une déclaration publique, répondit-il sans hésitation. Pendant le repas du soir, ce qui signifie dans dix minutes. Tu dois expliquer ce qu'il s'est passé, comment tu les as puni, et que ça servira d'exemple.
- On est même pas encore à Ketj et c'est déjà la merde, râlais-je.
- Ça a toujours été la merde avec toi, rit mon ami. Je ne vois pas pourquoi ça s'arrêterait une fois que tu sois Roi.
- Je peux boire un autre verre ? Tentais-je.
- Non, répondit-il en m'entraînant dans le couloir.
La salle commune me sembla pleine à craquer et je manquais de faire une crise d'angoisse en songeant que j'allais devoir parler devant eux. Je tentais de faire demi-tour mais Rhys m'arrêta d'un regard, je n'avais pas le choix. Il réarrangea rapidement ma chemise et tenta de me donner une vague prestance, je passais ma main dans mes cheveux courts en me demandant si ma détresse était visible.
Le coin de Briag et Maureen était désert. Ed était dans sa chambre, emprisonné jusqu'à nouvel ordre et Armelle assise à côté de Sunia, les yeux rougis et l'air épuisé. J'allais m'asseoir à côté de mes amis, Hector était avec eux mais je n'aperçus par Ayaan, ni Charlie. J'inspirais profondément et me dirigeais vers le buffet de service.
- Arrêtez le service, fis-je aux résistants de corvée. Il faut que je parle. Juste quelques minutes.
Ils hochèrent la tête et me laissèrent la place. L'instant d'après, j'étais debout comme un con, sur la table entre deux marmites, les bras croisés. Et des centaines de paires d'yeux qui me fixaient, suspendus à mes lèvres et mes explications.
J'aperçus la silhouette d'Ayaan dans l'entrée de la caverne, tenant Charlie parla main. Elles avaient les yeux rougies et l'air pâle, et il était plus que jamais essentiel qu'elles entendent ce que j'avais à dire. Je croisais les mains derrière dans mon dos, droit et fier, ce n'était pas plus compliqué qu'à Ketj.
- Je n'ai aucune doute sur le fait que vous avez tous remarqués l'agitation d'aujourd'hui, répondit-il. Maureen n'a pas été attaqué, il a subit la vengeance de mon Dragon, et Briag est emprisonné jusqu'à nouvel ordre. Tout ceux qui complotent contre moi, ou contre toute personne de mon entourage, s'exposeront à la vengeance des Dragons.
J'inspirais profondément. Les menaces ne suffiraient pas, il fallait que j'explique et que je passe à la vitesse supérieure. Mon cœur se serra et je serrais les poings tandis qu'Imlee venait s'enrouler discrètement autour de mon majeur, mes mains ne s'illuminèrent pas mais je sentis Rahelm bouillonner dans mes veines.
J'étais le Roi-Dragon. Je pouvais le faire. J'inspirais profondément et rassemblais toute ma force et mon autorité dans ma voix.
- Briag a été le conseiller fidèle du précédent Roi-Dragon Meliorn, mon père, tonnais-je d'une voix forte. Cependant, son service à celui-ci lui a donné le goût du pouvoir et il a passé les vingt-deux années suivantes à me manipuler, moi l'héritier unique et légitime du Roi-Dragon, pour accéder au trône. Il a comploté avec Maureen pour tenter de renverser le Roi-Dragon sitôt Judicaël éliminé. Je n'autoriserais rien, ni personne, à menacer mon Royaume, ma famille et mon peuple. C'est donc le cœur lourd mais inflexible, que j'accuse Maureen, Seigneur des plaines de l'Ouest et Chef des Armées elfiques, ainsi que Briag, Conseiller et Général des Armées du Roi Meliorn, de haute-trahison envers le Roi-Dragon. Ils demeureront emprisonnés jusqu'à leur jugement et le même sort attendra tous leurs complices ou tout auteur d'une nouvelle machination.
Mon regard se posa sur Ayaan qui demeurait debout à l'entrée de la salle commune et Armelle qui me fixait comme si elle ne me connaissait pas. Je ne savais pas quel regard me faisait le plus mal et je me doutais que ma prochaine annonce allait faire du mécontentement.
- En conséquences de leurs actions, Maureen et Briag sont déchus de toutes leurs fonctions et titres, ajoutais-je. Ayaan est désormais la seule Seigneure des plaines de l'Ouest et Chef des Armées Elfiques, hérite des terres et titres de son père selon le droit de succession. Armelle hérite des titres et des terres de Briag, son compagnon. La fonction de Conseiller du Roi-Dragon est déléguée à Rhys, Elen est désormais la nouvelle Chef des Armées. Une déclaration officielle sera faite quand nous aurons gagnés la guerre.
Je descendis de mon pied d'estrade et me retrouvais dans la foule en me demandant s'ils allaient m'acclamer ou m'assassiner. Ma bague-dragon toujours au doigt, je traversais la foule quand un bruit m'arrêta au bout de trois pas. Un coup. Sourd, unique, qui brisa le silence comme un coup de tonnerre.
Je me figeais et me retournais pour chercher l'origine du bruit, le cœur battant. Le bruit se répéta, plus fort qu'avant, puis revint, régulièrement, lentement, s'amplifiant. Je vis un résistant lever le poing et se frapper le torse pour se joindre au bruit. Autour de moi, deux cents rebelles aux yeux brillants d'espoir et d'admiration, se frappaient la poitrine au rythme du cœur des Dragons.
Un seul battement qui s'élevait de deux cents soldats debout au garde-à-vous. Une seule armée. Pour un seul Roi.
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