Chapitre 13
Mes orteils commençaient à se crisper dans l'eau froide, attendant que je rassemble mon courage pour ouvrir la porte vers le Royaume des Fées. Hector était accroché dans mon dos et attendait patiemment, je sentais son souffle tranquille malgré son cœur qui battait à toute vitesse.
La brume était plus épaisse que jamais et une fine couche de glace c'était formée parmi les roseaux. Je rassemblais mon courage, j'étais en bon terme avec la Reine des Fées, il n'y avait pas de quoi avoir peur. Pourtant, j'étais à deux doigts de la nausée, prêt à gerber mes tripes.
Je finis par inspirer profondément et mis ma main dans ma poche. Imlee vint s'enrouler autour de mon doigt et je sentis une vague de feu exploser en moi, détruisant le barrage dans mon ventre. Mon sang bouillonnait, je respirais enfin librement, toute peur était devenue ridicule.
Je levais mon poing devant mon visage et me concentrais de toutes mes forces. Toute la magie bouillonna dans mon sang, se concentrant dans mon ventre comme un tornade. Je puisais au plus profond de moi-même, dans la magie la plus oubliée, la plus ancienne.
Gendraryhïn.
Ma voix tonna comme le tonnerre, résonnant dans la forêt, ridant l'eau, pliant les roseaux. Dans le brouillard, une forme bougea, se réveilla, je lavis planer au-dessus de l'eau un moment. Puis le Dragon blanc et squelettique s'éleva au-dessus de la nappe grise, si blanc qu'il en était presque bleu.
Je me retrouvais face à son corps décharné, luttant contre le respect terrifié qui s'imposait en moi. Je m'obligeais à le fixer et l'imaginais m'emportant vers la Cité des Lumières. Gendraryhïn déploya ses ailes transparentes et décharnées, son corps obliqua vers le sol et il fonça sur moi sans la moindre hésitation.
Je serrais les mains d'Hector et fermais les yeux, me représentant le jardin de la Reine des Fées. Le premier des Dragons me heurta dans un courant d'air glacé et je sentis un étau glacé se refermer sur ma poitrine en me bousculant en arrière.
J'atterris dans les feuilles mortes, l'air sentait le pollen et la terre, et il faisait beaucoup moins froid que quelques secondes auparavant. Je rouvris les yeux, j'avais eu le réflexe de tomber sur le flan pour ne pas écraser Hector et je le sentis gigoter pour se remettre sur ses jambes. Je l'imitais, et retirais la terre accrochée à mes vêtements, quand mon regard se posa sur le sol brun. Il y avait beaucoup, beaucoup plus de feuilles mortes qu'auparavant, elles tapissaient le sol, quelques fleurs multicolores luttaient encore.
L'automne paraissait s'être abattu d'un coup sur la Cité des Lumières et je n'étais pas sûr que ce soit bon signe. Les arbres paraissaient vieux, la terre sentait l'humidité et l'herbe verte n'était pas aussi tendre qu'avant. Mon ventre se serra d'angoisse, pourvu que je n'arrive pas trop tard.
- Bonjour Alec, fit une voix cristalline.
Je me retournais pour me retrouver face à la Dame du Lac, aussi blanche que le Dragon. Elle avait un visage lisse de toute émotion, un air distant et aiguisé que je n'aimais pas. Son regard froid et pensif se posa sur Hector qui avait glissé sa main dans la mienne, un étrange sourire étira ses lèvres, lui donnant l'air d'un ange. Mon instinct hurla de me méfier alors que mon cerveau fondait devant elle.
- Bonjour Leakha, fit-elle simplement.
Comme d'habitude, Hector ne répondit pas, il n'esquissa même pas un geste mais se contenta de cligner des yeux en guise de salutation. La Dame du Lac nous fit signe de la suivre et elle m'entraîna à travers les sous-bois dans lesquels j'étais tombé, jusqu'aux jardins où m'attendaient la Reine. Elle était toujours aussi belle, toujours aussi jeune, même si ses cernes et ses rides s'étaient creusées.
- Bonjour Alec, fit-elle en inclinant la tête. Je suis heureuse de voir que tu ne nous as pas oublié. Et que tu as tenu ta promesse.
- Je n'ai qu'une parole Reine Eirythyn, répliquais-je. Et j'ai été quelque peu occupé ces jours-ci, d'ailleurs je n'ai que très peu de temps à vous accorder. J'aimerais ne pas m'absenter une nouvelle semaine.
Un sourire amusé étira les lèvres de la Reine, lui donnant l'air d'une enfant fière de sa farce. Elle l'était.
- Pardonne-moi, fit-elle d'un ton qui n'exprimait aucun regret. Il est de coutume de laisser le Roi-Dragon se faire piéger par le temps lors de sa première visite. Habituellement, la farce est transmise d'héritier en héritier, j'avoue ne pas avoir pensé que tu n'étais pas au courant.
- Je n'ai qu'une journée humaine devant moi, l'informais-je.
- Alors faisons vite, répondit-elle. Laekhar peut aller visiter la Cité, il ne lui arrivera rien et il sera à temps pour repartir avec toi, tu as ma parole.
Hector n'en attendait pas plus pour partir en courant, avide de découvrir le Royaume des Fées dont il était issue. Je le regardais partir, anxieux, et me retins de lui courir après pour l'arrêter. Je reportais mon attention sur la Reine de Fées qui me fit signe de m'asseoir.
- Tu as réveillé les fées prisonnières, déclara Eirythyn. J'imagine que c'est à notre tour d'honorer notre part du contrat. Comment pouvons-nous t'aider dans le combat à venir ?
Je lui expliquais le plan, Ketj, Judicaël sur son Dragon, la bataille au sol contre les forces armées et, elle, entre les deux affrontements, veillant à ce que les Dragons n'incendient aucune ville et qu'aucun elfe ne m'attaque de ses flèches.
- Pourquoi crois-tu que nous pourrions faire une telle chose ? Demanda la Reine en fronçant les sourcils.
- Parce que c'est ainsi que vous vivez, répliquais-je. Llyn m'a expliqué que les Dames du Lac, du Temps et de tout autre chose avaient leur propre dimension, à mi-chemin entre la nôtre et la vôtre. Je sais que vous pouvez en créer une, temporaire et suffisamment puissante pour nous contenir, moi et Judicaël, le temps de l'affrontement.
- Nous pourrions, reconnut la Reine. Malheureusement mes Dames n'ont plus suffisamment de magie, même toutes rassembler, pour contenir les deux mages et les deux Dragons les plus puissants.
- Est-ce là votre seule objection ? M'informais-je.
Je tenais à avoir toutes les cartes en main avant de lui proposer un de mes Dragons comme animal domestique.
- Mes Dames devraient s'aventurer dans ta dimension, ajouta-t-elle. Mais j'ai encore suffisamment de guerrières pour les protéger. Cela ne servira à rien si nous n'avons pas de magie. Je suis désolée Alec, tu dois nous demander autre chose.
- Pensez-vous pouvoir puiser dans une source de magie qui n'est pas la vôtre ? Demandais-je.
- Nous n'utiliserons pas la magie noire, répliqua-t-elle d'un ton brusque. Mes Dames peuvent puiser dans leurs magies, les éléments, mais la magie noire les tueraient.
- Et les Dragons ? Fis-je d'un ton tranquille.
La Reine se figea et haussa imperceptiblement les sourcils, surprise. Elle tenta de se reprendre mais ma proposition l'avait trop décontenancée pour qu'elle puisse avoir l'air impassible.
- Les Dragons ? Fit-elle.
- Pourriez-vous puiser dans la magie d'un Dragon ? Expliquais-je.
Eirythyn échangea un regard avec la Dame du Lac qui était encore sous le choc. Elles se concertèrent du regard un long moment et je me demandais si elles communiquaient par la pensée avant que la Reine ne repose ses yeux sur moi.
- Oui, finit-elle par dire. Nous le pourrions.
- Alors je vous prêterais un Dragon, répondis-je. Elle couvrira la ville de ses ailes et vous ouvrirez le portail dans les nuages.
Quelques minutes suffirent pour régler les derniers détails. J'ignorais combien de temps avait passé dans le monde humain, j'étais resté dans ce jardin moins de deux heures. Hector revint vers moi et sauta dans mes bras, l'air brillant et ravi de son séjour chez les fées.
- Au revoir Laekha, fit la Reine à son intention.
Hector se tourna vers elle et inclina la tête en guise d'inclination respectueuse. Je sentis mes bras le serrer davantage contre moi, j'avais un mauvais pressentiment.
- Tu ne veux pas rester un peu plus longtemps ? Proposa-t-elle d'une voix mielleuse. Tu pourrais rejoindre Alec plus tard.
Je me retins de répondre à la place d'Hector qui se contenta de secouer la tête.
- Les enfants des fées sont toujours les bienvenus ici, précisa-t-elle. Tu pourras revenir quand tu le souhaites et rester aussi longtemps que tu le veux.
Je lui aurais bien répondu que j'avais déjà un baby-sitter mais les sourcils froncés d'Hector m'interrompirent. Il hésitait. Il regardait la Reine avec un air pensif, pesant sa proposition. L'idée que mon petit frère puisse rester ici et que je doive repartir sans lui me serra les tripes.
Il dut sentir ma main se serrer sur son petit bras car ses yeux de chats emplis de sagesse se posèrent sur moi. Sa main brûlante se posa sur ma joue et il tourna les yeux vers la Reine avant de cligner des paupières et d'incliner de nouveau la tête.
Hector n'avait pas l'intention de rester et moi non plus. Je m'apprêtais à invoquer mon Dragon quand la voix moqueuse de la Reine s'éleva.
- Ainsi tu ne prévois plus de mettre Briag sur le trône.
Je fis volte-face, mon sang bouillonnant de colère, elle se tenait droite, moqueuse et très contente d'elle-même.
- Comment le savez-vous ? Répliquais-je.
- À présent je parle aux fées à l'extérieur, répondit-elle. Que s'est-il passé ?
- Il m'a trahi, répondis-je simplement.
- Ce n'est pas la première fois, objecta-t-elle. Quand tu es venu la première fois, ton plan était justement de mettre Briag sur le trône et de t'enfuir. Ses machinations allaient dans ton sens, pourquoi ne pas avoir fait un pacte avec lui ? C'était pour toi l'occasion idéal d'avoir la vie dont tu rêvais.
Sa remarque se planta dans ma raison aussi sûrement qu'une flèche elfique dans une cible. Tout tombait sous le sens, tout était logique, pourtant à aucun moment je n'avais songé à céder la place à Briag après avoir découvert ses complots.
- Parce qu'il a essayé de me doubler, compris-je. Parce qu'il m'a pris pour un idiot et a pensé pouvoir tricher avec moi. Peu importe que je sois Roi ou malfrat, quiconque essaye de me doubler en subira les conséquences.
- Tu vas donc devenir Roi-Dragon par vengeance pour ton père adoptif, répliqua-t-elle.
- Non, répliquais-je. Je vais devenir Roi-Dragon parce que je veux savoir de quoi je suis capable.
Cette impossibilité de mentir commençait à devenir gênante, il était temps que je mette les voiles. Je m'inclinais, Hector dans les bras, imité par la Reine et me tournais pour concentrer la magie au fond de mon ventre. Je vis Hector saluer la Reine des Fées avant que Gendraryhïn ne nous heurte de plein fouet et que je ne m'écrase dans la boue gelée du marais.
La nuit était déjà tombée, je n'arrivais pas à croire que quelques heures de négociations pouvait durer toute une journée. Je me remis sur mes pieds et m'enveloppais dans ma cape, Hector accroché à mon cou. Il neigeait à gros flocons, le vent glacial s'infiltrait partout sous les vêtements, et Sun avançait péniblement dans la tempête de neige.
J'étais épuisé et mes doigts dangereusement engourdis quand j'atteins à la caverne au milieu de la nuit. Je confiais aussitôt Hector à Rhys qui m'attendait, il m'informa qu'Iza était prête à partir à l'aube suivant mes ordres. Je m'éclipsais dans le bureau de Briag, j'avais intérêt à me dépêcher si je ne voulais pas être en retard.
J'aperçus la silhouette d'Ayaan au détour d'un couloir et l'interpellais. Je ne dirais pas qu'elle m'évitait, mais il fallu que je lui cours après en répétant son nom pour qu'elle accepte de m'écouter. Je ne pouvais pas lui en vouloir.
- Ayaan, je suis vraiment désolé, fis-je la gorge serrée. Je suis vraiment désolé pour ton père. Je ne voulais pas en arriver là, je ne voulais pas te faire souffrir.
Elle ne répondit pas, le vide et l'épuisement dans ses yeux noirs me heurtèrent de plein fouet. Elle portait une tunique noire et une veste noire qui n'était pas la sienne mais qu'on avait certainement dû lui prêter pour lui permettre de porter le deuil. Jamais je n'avais vu quelqu'un avec l'air aussi triste.
- Mon père était toute ma vie Alec, répondit-elle d'une voix brisée. J'ai grandi avec lui, il m'a élevé, il m'a entraîné. Il était ma seule famille. C'était un homme bon, digne, honnête et un père génial.
Ce fut à mon tour de ne pas répondre. Que dire à son ex quand on a tué son père ? Ayaan avait tant pleuré que ses yeux étaient secs et ses joues irritées de larmes.
- Je ne comprend pas ce qu'il s'est passé, continua-t-elle. Tout a changé quand il est venu ici. Il ne m'aurait jamais frappé avant. Il n'aurait jamais songé à me marier de force, à prendre le trône. Je ne comprend pas ce qu'il a fait. Je ne comprend pas ce que tu as fait. Et je ne comprend pas ce que j'ai fait.
- Tu n'as rien fait Ayaan, répliquais-je. Tu n'y es pour rien.
- Je n'ai rien vu venir, continua-t-elle. Je ne sais pas si j'étais manipulée ou si je savais ce que je faisais. Je t'ai demandé de tuer mon père avec sa propre dague.
- Ayaan, l'interrompis-je en prenant son visage entre mes mains. Tu as fait tout ce que tu pouvais. Tu as tenté de le soigner, et tu as abrégé ses souffrances quand c'est devenu la fin. C'est tout ce que tu pouvais faire.
- Je devrais te détester, fit-elle d'une voix blanche en plantant ses yeux noirs dans les miens. Je devrais te haïr pour ce que tu as fait Alec.
- Tu ne me détestes pas ? M'étonnais-je en sentant mon cœur s'emballer.
- On a tous les deux perdus notre père, répondit-elle sans la moindre émotion. Mon père ne peut pas être mort pour quelque chose d'aussi absurde qu'un mariage forcé, il doit être mort pour autre chose. Il y a quelque chose de plus grand, derrière tout ça, quelque chose qui nous attend tous les deux et qui nécessitaient que nos pères disparaissent. Je ne saurais jamais ce que c'est si je te déteste. Nous sommes différents de nos pères, Alec, nous sommes le renouveau, nous sommes l'avenir.
- Ayaan ? M'inquiétais-je.
Ses yeux noirs étaient perdus dans le vague, un air extatique et fasciné s'était peint sur ses traits tandis qu'elle parlait. Je sentais son souffle court et son corps trembler légèrement entre mes mains. Elle continua de fixer le vide un moment, puis ses yeux se révulsèrent et elle tomba évanouie entre mes bras.
J'avais beau la secouer et l'appeler, elle ne répondait pas, les yeux clos et inerte entre mes bras. Je la soulevais et l'emmenais dans ma chambre, par bonheur, Charlie m'attendait devant ma porte. Elle courut aussitôt chercher un mage pendant que j'allongeais Ayaan sur mon lit, tentant vainement de la réveiller.
- Ne la touche pas, m'ordonna læ mage entrant dans ma chambre.
Je m'exécutais et reculais pendant qu'ol l'examinait et que Charlie venait se blottir contre moi, inquiète. Je lui racontais ce qu'elle m'avait raconté avant de perdre connaissance. Læ mage s'écarta avec un air rassuré et se contenta de hocher la tête en tirant les rideaux.
- Elle a simplement besoin de repos, répondit-ol. Beaucoup de repos. Il faut la laisser dormir, je repasserais demain.
- Je ne serais pas là, læ prévins-je.
- Tu t'en vas ? Me demanda Charlie.
- Juste pour la journée, d'ailleurs je suis en retard, répondis-je. Je compte sur toi pour aider Rhys ce soir et demain, d'accord ?
Elle hocha la tête d'un air important et je m'éclipsais au pas de course. Les mots d'Ayaan résonnaient dans ma tête tandis que Sun galopait à toute vitesse dans la neige. La sacoche serrée contre moi, ma cape volait dans mon dos, la neige m'aveuglant, la dernière phrase d'Ayaan ne cessait de se tourner et retourner dans mon esprit.
Nous étions différents de nos pères, de Maureen, de Briag, de Meliorn. J'étais différent de tous les Roi-Dragons qui m'avaient précédés. J'allais créer quelque chose de nouveau. Personne ne m'en empêcherait.
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