Chapitre 4 : Vol à tire-d'aile
- Tu es certaine que c'est là ?
Lucifer soupira et enleva ses lunettes de soleil pour plonger son regard dans celui de son frère :
- Ecoute Gaby, je sais que les démons ne sont pas les créatures les plus honnêtes de la Création mais si je te dis que mes informations sont fiables, c'est qu'elles le sont. Fais-moi confiance.
Gabriel pinça les lèvres à la dernière phrase mais ne répondit rien. Elle s'était engagée à l'aider, c'était dans son contrat, et Lucifer respectait toujours ses engagements.
Elle remit ses lunettes, pas qu'elles lui servaient beaucoup de nuit, mais ses yeux rouges avaient tendance à faire paniquer les humains. La lumière jaune des lampadaires de la rue principale éclairait mal cette impasse glauque, abandonnée au rats et aux détritus. Ils se trouvaient devant un immeuble désaffecté, promis à une démolition certaine.
Gabriel n'avait pas pu empêcher sa sœur de l'enfermer sous la douche et de lui faire couper les cheveux ; il était évident qu'elle ne l'aurait pas laissé quitter l'Enfer dans l'état de négligence avancé dans lequel il avait gardé son corps.
Ses cheveux blancs captaient les rares rayons lumineux qui parvenaient jusqu'à la ruelle. Aussi brillant qu'un phare dans la nuit, songea Lucifer. Niveau discrétion, on avait fait mieux. Heureusement qu'elle était là. Gabriel avait été incapable de remarquer un démon dans la même pièce que lui. A sa décharge, elle était bondée et il avait envoyé un humain droguer le petit ange, mais il restait trop imprudent.
Au moins, la capacité à voir les ailes de son petit frère et de se procurer une drogue capable de l'assommer rétrécissait considérablement la liste des potentiels coupables aux anges et aux démons. Les premiers n'avaient aucun intérêt à mettre l'idée en pratique mais pour les seconds, c'était une autre paire de manches.
- Pendant que tu retrouvais une apparence convenable, petit frère, j'ai fait jouer mon réseau démoniaque. L'un des défauts des démons, pour ta culture générale, est la vanité. J'ai fini par en trouver un qui avait entendu parler de tes ailes et voilà !
Elle désigna avec triomphe une petite porte rouillée entre deux poubelles publiques pleines à craquer. Gabriel posa une main hésitante sur la poignée de la porte :
- Le démon est à l'intérieur ?
- Je n'en sais rien. On va bientôt le savoir.
Elle s'éloigna de quelques pas et mit ses mains en porte-voix :
- VALEFOR ! DEBOUT !
Gabriel la tira brusquement derrière une poubelle, hors de vue.
- Mais tu es folle ! Tu veux attirer le démon ?
- Tu comptais faire comment ?
- Entrer discrètement, récupérer mes ailes, repartir.
Elle leva les yeux au ciel :
- Tu te compliques la vie, mon pauvre vieux !
La porte grinça longuement sur ses gonds et une petite voix se fit entendre :
- Lucifer ? C'est bien toi ?
Elle sortit de sa cachette comme un diable de sa boîte, son sourire éclatant toujours au poste :
- Valefor, mon brave ! Il paraît que tu as en ta possession quelque chose qui m'intéresse...
Gabriel, soupirant, apparut à son tour à la lumière des lampadaires. Aussitôt, la porte se referma à moitié sur le démon. Comme beaucoup de ses semblables, il avait abandonné sa forme monstrueuse et terrifiante au fil des siècles pour quelque chose de plus discret pour éviter les massacres populaires et plus attirant pour ne pas trop se fatiguer à appâter les humains. Valefor revêtait l'apparence d'un jeune homme blond, petit et mince, de grands yeux bleus à l'image de l'innocence même.
La jeune femme retint une grimace méprisante. Et c'est censé être à la tête de légions démoniaques, critiqua-t-elle intérieurement.
- Ne t'inquiète pas, le rassura Lucifer avec seulement un peu de dédain dans la voix. Il est sous contrat.
Les yeux bleus s'illuminèrent à ces paroles.
- C'est un coup de maître ! Un ange sous contrat ! Quand les autres sauront ça !
Gabriel vit parfaitement le rictus embarrassé de sa sœur. Elle s'empressa de répondre :
- J'aimerais que ça ne s'ébruite pas trop, Valefor. Je n'aimerais pas que quelqu'un l'assassine sans que je n'ai pu en profiter.
Valefor hocha la tête, compréhensif, et ouvrit en grand la porte :
- Entre, je t'en prie. Tu laisses ton ange à la porte ou il vient ?
- Il vient.
Son ton n'admettait aucune discussion et Gabriel en fut secrètement soulagé. Si son destin devait se décider entre ces deux créatures de l'Enfer, autant y assister.
L'intérieur du bâtiment correspondait avec exactitude à l'extérieur. Les rats avaient envahi l'endroit, de même que les vers et les insectes de toutes sortes. En un sens, les lieux grouillaient de vie. Gabriel se demanda si les habitants de l'Enfer appréciaient naturellement les atmosphères glauques, sales et désertées par la population. Lucifer ne sembla pas surprise, même si elle ne cacha pas son dégoût.
- Je sais que tu apprécies particulièrement les planques qui ont l'air abandonné, mais je t'assure qu'un coup de balai ne gâcherait rien de l'effet.
Valefor éclata de rire, son assez étrange étant donné qu'en voleur émérite il produisait le minimum de bruit possible en présence de ses victimes, au nombre desquelles Gabriel comptait. Le démon saisit la poignée d'une trappe parfaitement camouflée sous les déchets et la souleva avec une force insoupçonnée.
Il les fit descendre une volée de marches dans l'obscurité avant de leur demander de s'arrêter.
- Une minute, je cherche l'interrupteur... Voilà !
Des lampes aux quatre coins de la pièce s'allumèrent en même temps, baignant la pièce et toutes ses richesses d'un chaleureux halo de lumière. Le contraste avec l'aspect extérieur était saisissant. La grande salle croulait sous les tapis épais, les meubles en bois rare, les tapisseries anciennes, les tableaux de maître, les pierres précieuses de toutes les couleurs, les parures complètes abandonnées sur des rouleaux de tissus cousus d'or et d'argent.
Individuellement, tout transpirait le luxe et la somptuosité. Globalement, ce n'était plus qu'un fouillis vulgaire d'objets délaissés.
- Alors, j'imagine que tu n'as pas amené l'ange juste pour le plaisir de le traîner partout ?
Un rictus mauvais déformait ses traits enfantins et l'orgueil encore à vif de Gabriel prit un coup face à tout le mépris que son statut d'ange inspirait. Lucifer sourit :
- Non, pas tout à fait. Je suis venue récupérer ses ailes. J'ai entendu dire que c'était toi qui les avait.
Valafor s'adossa à une tapisserie suspendue au mur avec nonchalance et étudia ses ongles d'un air faussement détaché :
- Ah oui, ça. J'ai volé ces ailes, effectivement.
Lucifer abaissa légèrement ses lunettes :
- Bravo, pendant que j'y suis. Du jamais vu.
Il n'en fallait pas beaucoup pour gonfler l'ego de Valefor. A sa place, un chat se serait mis à ronronner. Son enthousiasme explosa soudain :
- Je sais ! C'est génial ! Ça faisait des années que je cherchais comment voler des ailes d'ange et ENFIN c'est arrivé ! L'occasion fait le larron, comme disent les humains.
Lucifer lui sourit pour la forme mais son impatience commençait à se faire sentir :
- Ce n'est pas que j'ai autre chose à faire, mais si tu pouvais les lui rendre tout de suite, ça m'arrangerait.
La surprise apparut sur le visage du voleur, suivie d'une gêne palpable. Gabriel n'aurait jamais cru qu'un démon était capable de ressentir de la gêne mais Lucifer devait avoir cet effet sur les gens : leur faire ressentir des émotions auxquelles ils n'étaient pas habitués.
- Oh tu me connais, bredouilla Valefor, j'aime voler, inciter les gens à voler et faire en sorte que les voleurs s'entendent bien entre eux mais je me lasse vite... Je pouvais pas savoir que tu les cherchais...
- Qu'est-ce que tu en as fait ?
Lucifer l'avait coupé en pleine phrase, ses lunettes ne cachant plus rien de l'orage qui couvait dans ses yeux. Valefor déglutit difficilement :
- Je les ai vendues.
Durant une terrifiante seconde, Gabriel crut que Lucifer allait l'égorger. Son sourire avait disparu, ses mâchoires étaient serrées, les traits de son visage crispés par la rage et ses yeux fixés sur Valefor le clouaient sur place. Il n'osait pas bouger, haletant, essayant tant bien que mal de camoufler sa peur.
Mais rien. Le visage de Lucifer se détendit, elle eut même une petite moue amusée et repositionna ses lunettes sur le bout de son nez :
- Je n'en attendais pas moins de toi. A qui les as-tu vendues ?
- Je ne sais pas. Les acheteurs ne voulaient pas se faire connaître et je n'ai pas cherché à savoir...
Encore une fois, Gabriel fut surpris du calme de sa sœur. Elle tourna majestueusement le dos à Valefor et se dirigea vers la sortie.
- Nous n'avons plus rien à faire ici alors, lança-t-elle joyeusement. Bonne journée !
Son frère la suivit, laissant un démon tremblant au milieu de ses richesses. Ce dernier se dit en retrouvant une respiration correcte qu'il fallait absolument qu'il change de planque.
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