Chapitre 31 : Culpabilité
Raphaël observait Maëlle à la dérobée. Lilith l'avait installée à la table du salon dès leur arrivée dans sa vieille maison perdue au milieu de nulle part. Elle l'avait tenue par la main jusqu'à ce qu'elle arrête de demander où était son père. Elle l'avait serrée contre elle jusqu'à ce qu'elle cesse de pleurer, lui murmurant des paroles douces et rassurantes, d'une chaleur maternelle.
La petite s'était finalement calmée, résignée à dessiner son malheur sur les pages blanches.
Mickaël s'approcha silencieusement, le visage soucieux.
- Tout va bien Raphaël ?
Son frère secoua lentement la tête. Non, tout n'allait pas bien. Il n'était pas censé enlever des enfants à leurs parents. Ce n'était pas son travail. Il devait soigner, consoler, guider les âmes, pas les blesser.
Mickaël posa une main sur son bras, sourcils froncés.
- Tu devrais te reposer.
Raphaël l'ignora, tout à son débat intérieur. Cette petite fille n'aurait pas dû être là, à pleurer silencieusement. Mais des milliers d'enfants risquaient de pleurer toutes les larmes de leur corps si une guerre éclatait entre les démons et les anges. Ils ne faisaient que les contenir pour l'instant, limiter les dégâts.
Si Lilith disait vrai, cette petite pouvait permettre de faire sortir Lucifer de son Enfer et de négocier la victoire des anges sur les démons. Sa sœur hors-jeu, les hordes démoniaques n'avaient aucune chance.
Son regard se perdit de nouveau dans la contemplation de l'enfant.
Mickaël le prit par les épaules, l'arrachant à ses pensées :
- Raphaël ? Que se passe-t-il ?
- J'ai fait une erreur.
La réalisation le frappa de plein fouet. Depuis quand était-il celui qui planifiait des enlèvements d'enfant, qui menaçait sa propre famille pour gagner une guerre qu'il était le seul à vouloir déclencher ? Quand avait-il cessé de soigner pour mieux blesser ?
Mickaël le fixa sans comprendre.
- J'ai fait une erreur, répéta Raphaël, les larmes emplissant ses yeux noirs.
Il n'aurait pas dû continuer de rendre visite à Lilith après lui avoir annoncé la mauvaise nouvelle sur sa grossesse. Il n'aurait pas dû se laisser attendrir par ses grands yeux verts pleins de détresse. Il avait eu des milliers d'occasions d'arrêter de la voir.
Il aurait pu arrêter quand elle s'était mise à essayer de tomber enceinte par tous les moyens. Ou quand elle avait commencé à enlever des enfants. Ou quand Lucifer l'avait quittée.
A n'importe quel moment, il aurait pu arrêter d'aller la voir. Mais il avait continué, rongé qu'il était par la culpabilité d'avoir été celui qui brisait ses rêves de maternité. Elle était seule, les anges incapables d'entendre ses prières à cause de son pacte avec Lucifer, et elle n'avait que lui pour lui tenir compagnie, que lui qui connaisse son passé, toute l'histoire de sa vie.
Pour toutes ces raisons, il avait continué de la voir. Maintenant, il se sentait manipulé. Cruellement manipulé.
Mickaël n'essaya pas de comprendre, mais il avait saisi l'essentiel.
- Tu veux que nous partions ?
Raphaël fixa sur lui un regard perdu. Est-ce qu'éviter la guerre méritait qu'il se sente manipulé ?
Il examina sans y penser les cicatrices sur les bras de Mickaël. Les anges pouvaient ressusciter, changer de corps comme les démons, mais les combats laissaient des traces sur ces enveloppes charnelles. Si se sentir manipulé était le seul moyen pour éviter d'autres cicatrices, d'autres corps, d'autres morts, il était prêt à prendre sur lui.
- Restons, chuchota-t-il. Je ne veux pas croire que tout ce que j'ai fait n'ait servi à rien. Je n'ai pas pu autant dériver de ma mission, n'est-ce pas ? Il faut bien une raison pour que rien ne m'ait arrêté avant...
Mickaël garda le silence, laissant Raphaël à sa lueur d'espoir.
A quelques centaines de mètres de là, Lucifer ne partageait pas du tout son avis. Elle aurait préféré une guerre, des millions de litres de sang versé, des milliers de cadavres en décomposition, des centaines d'anges et de démons se jetant les uns contre les autres qu'une bataille contre des ronces.
- Mais lâche-moi ou je te carbonise !
Elle ne le ferait pas ; un petit feu et toute la forêt risquait de partir en fumée. Elle ne pouvait pas faire ça tant qu'elle n'avait pas récupéré la gamine. La ronce finit promptement arrachée et jetée loin de ses sœurs dans un élan de rage mal contrôlé.
- Besoin d'aide ?
Lucifer sursauta en découvrant Gabriel perché sur une branche, loin des ronces agressives des sous-bois.
- Gaby ! Qu'est-ce que tu viens faire dans le coin ?
- La même chose que toi, j'imagine.
- Sauver un enfant mi-divin mi-humain de ton ex ? supposa-t-elle en arquant un sourcil.
Il pencha la tête sur le côté, confus.
- Non... Je suis Raphaël et Mickaël depuis quelques temps. J'essaie de me faire une idée de leur plan d'attaque. D'après ce que j'ai compris, ils ont tenté de tuer tous les démons en une fois avec l'aide d'Uriel mais comme ça n'a pas fonctionné, ils passent à la négociation. J'ai cru qu'ils tenteraient de te faire chanter en utilisant Lilith mais...
Il tourna la tête dans la direction approximative de la maison de Lilith :
- Si Maëlle est là-dedans, j'avoue que je suis un peu perdu sur les raisons de leur présence ici.
- Non, ils n'auraient pas fait ça...
Gabriel recentra son attention sur sa sœur, qui semblait ruminer une idée, un mélange d'incrédulité et de colère sur le visage.
- Qu'y a-t-il ?
Elle leva les yeux vers lui, soudain grave et sérieuse, l'incident des ronces totalement oublié :
- Lilith et Raphaël ont dû lier une alliance. Mickaël ne serait pas aller les chercher de lui-même, il est incapable d'élaborer des stratégies non-violentes. Tu avais raison : ils veulent me faire chanter. Sauf que Lilith sait parfaitement que je ne me serais pas déplacée pour elle.
Gabriel enregistra l'information, le cœur lourd. Sa nièce était beaucoup trop impliquée dans les affaires familiales à son goût. Elle devait avoir très peur, dans cette maison perdue avec des inconnus. Il n'avait vu personne l'amener à l'intérieur mais il avait fait plusieurs rondes dans les environs pour essayer de localiser de potentiels dangers.
- Comment as-tu su où aller ? demanda-t-il, sincèrement curieux.
- Tu n'es pas le seul à suivre ta famille. J'ai des démons sous mes ordres, tu te souviens ?
Elle piétina une dernière fois la végétation, avec une colère toute renouvelée. Gabriel descendit de son perchoir et s'interrogea à voix haute, sans réellement s'adresser à sa sœur :
- Comment allons-nous procéder ?
Lucifer redressa ses lunettes de soleil sur son nez et se frotta les mains, un grand sourire sur les lèvres :
- Je ne sais pas pour toi mais moi, je vais foncer dans le tas.
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