Chapitre 15 : Pressée
Partie III : L'Enfant du Diable
Lucifer avait pour philosophie de ne jamais se laisser dicter sa conduite. Peu importait à quel point elle était en retard, elle ne courait jamais pour arriver à l'heure à un rendez-vous. Et pourtant, pour une fois et à son grand déplaisir, elle était pressée.
Son poing serrait son téléphone, trop fort ; l'écran se fissurait à vue d'œil. La rage déformait ses traits et les démons qu'elle croisait dans les couloirs s'écartaient prudemment de son chemin.
L'un deux osa s'approcher dans l'espoir de lui parler mais elle l'arrêta d'un regard :
- Une phrase, un mot, un son, et je jette ton corps dans le premier volcan en activité que je croise. Compris ?
Elle reprit son chemin sans attendre la réponse, fulminant. Ces crétins avaient choisi le jour qui ne l'arrangeait pas du tout pour la mettre en colère. Gabriel devait arriver d'une minute à l'autre et il était hors de question qu'il la voit obéir à une poignée d'idiots qu'elle comptait brûlés vifs dès qu'elle les aurait sous la main.
Le battement d'ailes familier dans son dos la fit souffler de frustration. Elle se tourna pour voir la silhouette de l'ange se dresser au milieu du couloir souterrain. Il fallait qu'elle trouve un moyen de l'éloigner sans qu'il ne se doute de rien.
- Lucifer ? Tu as l'air... préoccupé.
Son frère était trop perspicace, ou alors elle ne savait pas cacher ses émotions. Peut-être que la petite poignée de débris dans sa main - ce qui restait de son téléphone - offrait un indice trop évident. Elle lui offrit le sourire le plus faux dont elle était capable :
- Mon Gaby, si tu pouvais me débarrasser le plancher dans la minute, j'ai quelque chose d'urgent à faire, là, tout de suite, et je ne pense pas que tu apprécierais le voyage.
Elle lui tourna le dos et reprit sa marche énergique vers l'un des portails de l'Enfer. Il ne se découragea pas et lui emboîta le pas :
- Je peux peut-être t'aider ?
Elle soupira bruyamment, la main sur le bouton d'appel de l'ascenseur. Les cercles de téléportation étaient devenus beaucoup trop compliqués à cacher dans l'environnement humain et l'arrivée presque simultanée de cet alternative à l'escalier avait grandement facilité les rénovations. Ses démons avaient quand même tenu à taguer de grands pentacles sataniques à la bombe rouge sur les parois de chaque cabine, pour l'ambiance.
Elle réfléchit un instant, avant de soupirer :
- Je t'aurais prévenu.
Il la suivit à l'intérieur de l'ascenseur sans répondre, curieux. Les mâchoires de sa sœur étaient crispées de fureur contenue. Les petits morceaux de verre et de métal dans sa main se changèrent peu à peu en cendres qui s'écoulèrent au sol sans qu'elle n'y fasse attention.
Elle marmonnait inconsciemment des promesses de mort sans queue ni tête, tandis que leur cabine fusait vers leur destination. Gabriel aurait donné n'importe quoi pour être un brin distrait de toute la tension qui s'échappait d'elle.
Même ses disputes avec Michael, qui ne pouvait plus la supporter depuis sa chute, ne la mettait jamais dans un état pareil. Mais à sa connaissance, leur frère était très occupé par les guerres en Afrique et au Moyen-Orient. Qui d'autre pouvait bien avoir déclenché chez elle une telle colère ?
Enfin, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sans un bruit sur un parking souterrain. Des tâches d'huile de moteur ornaient le béton fissuré, laissant à penser que l'endroit était peu entretenu. Un néon sur deux n'était plus en état de fonctionnement, certains clignotaient par intermittence, donnant aux lieux une ambiance inquiétante.
Gabriel resta quelques instants indécis à l'intérieur de la cabine.
- Dépêche-toi, le sermonna sa sœur. Je suis pressée.
Le mot lui arracha la bouche. Être dans l'obligation d'obéir à ces minables... Si Théodore ne l'avait pas appelée en personne, elle ne se serait même pas déplacée, par pur orgueil. Elle lui avait promis de tout régler au plus vite. Elle ne pouvait rien refuser à ce grand regard bleu qui s'imposait à elle rien qu'en entendant sa voix au téléphone.
Gabriel bougea enfin et la suivit, hésitant, entre les rangées de voitures. Leurs pas résonnaient dans la grande salle déserte. Au loin leur parvenait un tintement, clair et métallique, comme une pièce lancée en l'air avec la régularité d'un métronome.
Lucifer arrêta son frère entre deux véhicules :
- Ce sont des affaires de démons. N'interviens pas, sauf si je t'appelle.
Il hocha la tête et la regarda s'avancer à découvert, en plein milieu de la grande allée du parking. Une voiture de sport noire était garée de biais, sans considération pour les autres automobilistes. Un homme adossé à la portière du conducteur faisait sauter une pièce dorée entre ses doigts avec habileté. Un long manteau sombre au col relevé camouflait ses traits.
Il tourna la tête vers la jeune femme en l'entendant arriver, laissant voir un visage souriant, à la peau pâle et aux cheveux noir corbeau :
- Lucifer. Tu es venue.
Elle s'arrêta à quelques mètres de la voiture, les poings serrés.
- Bérith. Ne perdons pas de temps. Amène-la moi avant que je ne perde patience.
Il leva les mains en signe de paix, sans se départir de son sourire.
- Nous sommes entre gens civilisés : nous pouvons discuter. C'est elle qui m'envoie.
Lucifer se raidit. Elle, encore et toujours elle. Même des tréfonds de l'Enfer, son souvenir restait vivace. Elle reviendrait toujours la hanter. L'ange déchue se força à retrouver une respiration égale et desserra ses poings.
Bérith savoura son effet et accentua son sourire. Il poursuivit :
- Elle m'a demandé de lui amener quelqu'un. J'ai été très surpris, je te l'avoue. Tu nous l'avais bien cachée, celle-là.
- Qu'est-ce que tu veux ? le coupa-t-elle brusquement.
Il posa une main sur son torse, théâtral :
- Moi ? Ce que je veux ? Mais te proposer une alliance, quoi d'autre ?
Il fit quelques pas vers elle, les bras grands ouverts :
- Tu es ma souveraine, Lucifer. Elle ne t'arrive pas à la cheville. Je peux te servir d'espion, te rapporter le moindre des ses faits et gestes. En échange, je ne demande rien de bien ambitieux... Une place à la tête de l'Enfer, à tes côtés. C'est tout.
Un rire désabusé s'échappa des lèvres de Lucifer :
- Rien que ça ?
Bérith ne prit pas ombrage de son sarcasme et retourna à sa voiture dans un majestueux mouvement de manteau :
- Pour te prouver ma bonne foi, j'ai amené ici celle qu'elle m'a demandé d'amener.
Il ouvrit la portière et en tira brutalement sa passagère :
- Dis bonjour à ta mère, gamine.
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