Ces simples mots sonnaient horriblement à mes oreilles. La foire de Licras était la plus grande foire des alentours, chaque semaine, des centaines d'esclaves étaient vendus, c'était là que l'on achetait ses produits frais, ses tissus...
Ce n'était pas cela qui me dérangeait, mais plutôt le fait que je n'étais pas un esclave. La première phrase qui me vint donc à l'esprit fut celle ci :
- Mais... pourquoi ?
Ho oui ! J'en avais des questions commençant par "pourquoi", Pourquoi Madame me l'annonçait en présence des enfants, Pourquoi vendre un domestique, et surtout, surtout, Pourquoi me vendre ?
J'aurais voulu toutes les poser, mais les mots restèrent coincés dans ma gorge. J'attendais alors la réponse de Madame, les larmes aux yeux.
- Nous n'avons plus assez d'argent, Blaise. Je suis désolée.
La colère monta tout à coup. Pourquoi était-ce moi que l'on allait vendre ? Pourquoi pas Charles, qui ne faisait rien pour aider à la vie du château et de ses habitants ?! Pour une question d'argent, en plus ! Comme si le château de Ségur en manquait... j'étais révolté, indigné ! Comment pouvaient-ils me vendre, moi, celui que tout le monde appréciait ?
Après la colère vint le doute. Si c'était moi que l'on avait décidé de vendre, il y avait bien une raison. Qu'avais-je fait ?Naturellement, j'essayais de consoler les enfants, qui pleuraient à chaudes larmes. Le seul inconvénient, et je m'en rendis compte ce jour là, était qu'il était impossible de consoler quelque un si nous même étions triste.
Le lendemain, je partis donc à la foire, suivit de Madame et de mes petits maîtres. Arrivés sur la place où se tenait la Foire, nous regardâmes les commerçants. Je vis que le petit Jaques avait très envie d'un petit chien, tout blanc avec un collier pourpre, qui était à vendre. Je l'approchais de l'étal et me renseignais sur le prix de l'animal, et sur la raison de sa vente. Il se trouvait que le chien avait été vendu pour avoir été retrouvé avec un petit garçon trempé dans sa gueule. Cette affaire-là avait fait grand bruit, mais il y avait maintenant quelques semaines que tout le monde au château s'était mis d'accord sur la nature de l'acte du chien. Le petit garçon se nommait Henri, et c'était un ami des enfants. Lui et sa famille habitaient à seulement une lieue du château et nous leur rendions souvent visite. Il se trouvait que, en vérité, le jeune garçon était tombé à l'eau et que le chien l'avait sauvé. Les domestiques qui étaient arrivés là en courant n'avaient pas cru le récit du garçonnet, et avaient décidé que le chien avait jeté Henri dans le lac. J'achetais donc sans hésiter le petit chien, j'avais économisé assez d'argent pour cela, et le donnais à Jaques. Il en fut ravi et courût aussitôt le montrer à ses parents.
Malgré ma peur, je me dépêchais de marcher jusqu'au lieu où étaient vendus les domestiques et les esclaves. Je n'attendis même pas une heure avant d'entendre Monsieur me dire que j'avais été acheté par une famille bien aimable. Quelle ne fut pas ma joie lorsque je m'aperçus que mon acheteur était le père d'Henri ! Ma vie ne serait peut-être pas gâchée par des maîtres affreux...