Veillée
PRESENTATION
Un soir d'hiver, quelque part dans un petit port breton...
Une veillée au coin du feu, dans une vieille chaumière.
Dialogue entre un petit garçon et un vieil homme.
***
- Tu te rends compte, petit, à l'époque où je te parle, on pêchait des cabillauds de deux mètres de long. Mais pour ça, fallait partir en haute mer plusieurs jours.
- C'est quoi un cabillaud?
- Un poisson, pardi. Un gros poisson, même. Et encore, de nos jours, leur taille a diminué de moitié. C'est plus comme avant. D'ailleurs, aujourd'hui, on préfère l'appeler morue. Tu connais ça, la morue, petit?
- Bien sûr, grand-père. On en mange tous les vendredis à la cantine.
- C'était de l'or pour nous. Notre gagne-pain. On allait la pêcher jusqu'aux Açores.
- Et c'était loin?
- Oh que oui! Fallait plusieurs jours. On rentrait que quand les cales étaient pleines. Et ça pouvait prendre trois, quatre mois. ça dépendait de notre bonne fortune.
Heureusement, nous les marins, on avait nos habitudes à Santa Clara...
- Santa Clara?
- La capitale, pardi. Disons, qu'on n'était pas toujours seuls, la-bas. On voyait du beau monde. Surtout des créatures de rêve. (fermant les yeux) Oui, de rêve... Mais tu es trop jeune pour comprendre.
[ Le vieil homme remet une bûche dans l'âtre de la cheminée avant de poursuivre. ]
- Tu sais, petit, mon propre grand-père vivait de la morue. A l'époque, c'était bien plus qu'un poisson. Elle servait de monnaie d'échange, surtout avec les portugais.
Il a raconté à mon père que, du temps de l'esclavage, on pouvait se payer un noir en échange d'une simple cargaison.
- Mais ça s'achète pas un noir.
- Plus maintenant. Mais à l'époque, c'était monnaie courante. Les chefs de tribus africaines organisaient eux-même la traite.
- C'est quoi, la traite?
[ Le vieil homme se renverse dans son rocking chair, tout en soupirant bruyamment. ]
- Une chose pas très glorieuse. Par contre, c'était l'âge d'or, vois-tu, gamin. La mer nous donnait tout ce dont nous avions besoin. A condition de la respecter. Mais l'Homme est cupide, il en veut toujours plus. Du coup, nous avons été forcés de pêcher de plus en plus loin de chez nous.
- Pourquoi, grand-père?!
- Parce que ces satanés poissons ne cessaient de reculer afin d'échapper à nos filets. Mais à force de persévérance, on a fini par les coincer. Et tu sais où?
- Non.
- Au Canada. A Terre-Neuve, plus précisément. Une fois acculées, elles ne pouvaient plus s'échapper. Et là, on s'en est donné à coeur joie. Qu'est-ce qu'on ramenait! Des cales entières. ça débordait même sur le pont. On faisait à nouveau mentir l'adage de l'époque.
- C'est quoi l'adage?
- Un dicton. Il disait: " Remonter le chalutier, c'est remonter l'inconnu". Ben, je te prie de croire que l'inconnu, nous, on connaissait.
- Et c'était qui, l'inconnu?
- Oh! Petit, tu suis?! Le cabillaud, pardi. Plein les filets, qu'on en remontait, je te dis. Et on les triait pas, on ramenait tout au port. C'est les femmes qui s'en chargeaient. D'ailleurs, c'étaient pas les dernières à râler.
- Pourquoi, grand-père?
- Parce que partir en haute mer, c'est affronter les plus grands dangers. C'est un peu se retrouver face à un inconnu qui nous dépasse. Non, petit, pas la morue. Un autre inconnu. Celui qui prend les marins à leurs femmes. Elles auraient préféré qu'on fasse autre chose de nos mains. Mais nous, on était pêcheurs de père en fils. On savait faire que ça.
- Ben moi, plus tard, je veux faire comme toi. Je veux être pêcheur.
[ Le vieil homme se penche en avant pour donner une tape amicale sur l'épaule de l'enfant.]
- Pas comme ton père, alors. Mais on en reparlera quand tu seras plus grand. Lui aussi voulait faire pareil. Et puis...
Où j'en étais, moi, avec tout ça?
- A Terre-Nouvelle.
- Terre-Neuve. Attends...
[ Le vieil homme se lève péniblement avant de se diriger vers un vieux buffet en bois de merisier. Il revient vers l'enfant et lui tend une carte colorée. ]
- Tiens, regarde petit, c'était notre carte au trésor. Tu vois ces zones bleues claires, près des côtes ?! C'est là qu'elles se cachaient.Fallait bien compter six mois pour les ramener chez nous. Six mois de mer sans voir nos familles, c'est long. Alors, forcément les femmes, elles râlaient. Heureusement, qu'on avait Halifax...
- C'est quoi Halifax?
- Un coin paumé, où on passait du bon temps. Y avait du rhum, des jeux ... Et des créatures de rêve. Mais, chut, pas un mot à ta grand-mère, sinon...
- Juré!
[ Le garçon se rapproche du feu et étend ses mains, avant d'ajouter.]
- Et pourquoi tu y vas plus au Canada?
- Regarde-moi, petit, je suis trop vieux. Et puis y a eu la catastrophe de quatre-vingt-neuf. Tu comprends, on était tellement nombreux à venir pêcher la morue, les bateaux étaient tellement perfectionnés avec toute cette technologie, que la morue a fini par disparaître.
Du jour au lendemain, on n'en a plus trouvé.
- Elles sont toutes mortes, alors?
- Presque, petit. Presque. L'homme les a pourchassées sans répit. Alors, les survivantes ont migré ailleurs. Mais, vois-tu, gamin, on ne sait pas où. Elles se cachent quelque part dans l'océan, à l'abri de leur principal prédateur. Il ne doit plus en rester qu'une ou deux espèces.
- Papy, c'est quoi une... créature de rêve?
***
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