Acte II - VI
Watson s'assit en soupirant en face de Percy, qui regardait d'un air maussade le paysage défiler derrière la vitre.
-Je ne comprends pas, dit-il enfin, pourquoi Sherlock Holmes reste-t-il là-bas ?
-Il a sûrement ses raisons, rétorqua le docteur. Il a toujours ses raisons.
-Mais il n'a rien dit du tout !
-Je commence à le connaître, Percy, fait moi confiance. Quand il rencontre un échec, en général, il le confesse, ne serais-ce que pour s'en plaindre. C'est quand il est sur une bonne piste, au contraire, qu'il se renferme sur lui-même ! Il cultive les effets dramatiques comme un apiculteur veillerait sur son miel !
Il y eut un silence.
-Tu crois en lui ? Demanda soudain Percy.
-Oui. Plus qu'en quiconque. Plus qu'en moi-même.
-Tu l'aimes ?
Watson rougit violemment.
-Je le savais ! Triompha l'autre, un grand sourire aux lèvres.
-Et toi, tu aimes Annie ?
-Oui. J'en ais été le premier surpris, crois-moi ! Mais il semble que finalement, homme ou femme, ça n'a que peu d'importance. Et toi, cette Mary Morstan ?
-Elle n'a jamais existé.
-Je m'en doutais un peu, rit l'autre. Tu devrais faire attention, lorsque tu publies des nouvelles, John. Ton affection pour lui transparaît derrière chaque ligne !
Watson rougit de nouveau et détourna le regard. Une ombre passa soudain sur son visage.
-Mais je ne sais pas... commença-t-il, indécis. Je ne sais pas si lui croit en moi.
Percy lui jeta un regard grave.
-Tu mérites quelqu'un de bien, John. Fais attention à toi.
-C'est quelqu'un de bien !
-Tu as compris ce que je voulais dire. Quelqu'un qui t'estime à ta juste valeur, et qui te traite comme tel. Mieux que je l'ai fait. Mieux que lui...
-Percy, je n'aime pas le tour que prend cette conversation.
-D'accord, d'accord, je l'avoue : ce ne sont pas mes oignons.
Sur son visage reparu un air angoissé.
-Tu crois que celui a essayé de me tuer pourrais me suivre jusqu'à Londres ?
Watson leva les yeux au ciel et entrepris de rassurer son ami.
*
La nuit était tombée. Enfin.
Holmes attendit quelques instants, pour s'assurer que la route était déserte, et escalada silencieusement la clôture. Avec l'aisance d'un chat, il se réceptionna de l'autre côté et s'approcha de la fenêtre du diplomate.
Tout était calme. Immobile. Même le vent ne jouait pas dans les feuilles des arbres.
Ainsi commença l'attente. Longue et pénible attente.
Il regretta un instant l'absence de Watson. Même sans parler, il aurait pu se blottir contre lui pour se tenir chaud et s'abreuver de sa présence rassurante.
Mais il se consola bien vite en songeant à ce qui l'attendait. L'image du docteur s'effaça aussitôt pour laisser place à l'autre. Sa toute nouvelle obsession.
Soudain, un bruit de pas feutré.
Une ombre se découpa dans la nuit claire. Un homme portant une cape noire. Sa démarche prudente l'amena jusqu'à la fenêtre du diplomate, qu'il mit de longue minutes à crocheter. Holmes ne put s'empêcher de penser qu'il aurait été, à sa place, plus rapide et bien plus silencieux !
Enfin, l'homme réussi à pénétrer dans la pièce.
Aussitôt, Holmes s'approcha et se saisit de la petite lampe à gaz qu'il avait posé dans l'herbe, un peu plus tôt.
Il y eu un sifflement. Le craquement d'une allumette.
Et la lumière éclaboussa la pièce.
Joseph Harrisson se releva brusquement, un couteau dans une main, un rouleau de papier dans l'autre.
Holmes sourit. Il avait son appât. Avait-il aussi ferré sa proie ? Chaque chose en son temps.
-Je crois que vous êtes fait, Harrisson. Donnez-moi ces documents. Un cri de vous et je réveille toute la maison.
Joseph serra les dents, impuissant. Finalement, il sembla prendre une décision, et s'approcha du détective, le document tendu devant lui.
Au moment où Holmes s'en saisit, l'autre lança son couteau en avant. Le détective sentit la lame de l'autre érafler les articulations de sa main droite, qu'il retira avec un glapissement de douleur. Joseph en profita pour le contourner et sauter par la fenêtre. Dans la nuit, il se pensait à l'abri...
C'était sans compter la célérité de Holmes, qui lui emboîta aussitôt le pas. Avant d'avoir pus comprendre ce qui lui arrivait, le grassouillet petit homme se retrouva plaqué au sol, prisonnier d'une poigne de fer.
-C'est fini pour vous, monsieur Harrisson, déclara tranquillement Holmes. Il semble que la justice vous attend...
-Vous permettez ? Lança soudain une voix dure.
Holmes releva la tête... et tomba nez à nez avec un inconnu qui pointait sur lui un étrange fusils.
De l'ombre du nouveau venu se détacha une silhouette, un homme que Holmes n'avait vu qu'une fois mais dont les traits restaient maladivement gravés dans sa mémoire.
-Sherlock Holmes ! S'exclama le nouveau venu. Je vous présente mon fidèle partenaire, mon Watson personnel : Sebastian Moran.
-Dieu merci ! S'exclama Joseph. Vous êtes là ! Sortez-moi de ce pétrin ! C'est lui qui a les documents !
-Je sais, répondit tranquillement Moriarty.
Et avant que Holmes n'ait pu esquisser le moindre geste, Sebastian Moran appuya sur la gâchette. Le détective se crispa, dans l'attente d'un coup de feu... Mais à la place, un énorme « plop » résonna dans la nuit.
Un trou rouge apparu sur la figure stupéfaite de Joseph.
Holmes se pencha sur lui...
Mais il était déjà mort.
-Un fusil à vent, commenta Moriarty d'un ton indifférent. Une petite invention que je réserve à mes employés. Pratique, n'est-il pas ?
-Diabolique, surtout, répliqua l'autre en se relevant.
-Allons, Holmes, épargnez-moi le discours des bonnes sœurs. Je sais que vous mesurez le potentiel incroyable de cette arme... Mais nous ne sommes pas là pour en discuter. Quand avez-vous compris que Harrisson était le coupable ?
-Au moment où j'ai eus vent de cette agression. C'était le seul homme à savoir que Phelp dormirait seul cette nuit-là. Et c'était sa chambre, avant qu'elle soit d'office réquisitionné par le malade et occupé jour et nuit depuis le vol. Un véritable cambrioleur n'aurait pas forcé cette fenêtre. Celui-ci voulait quelque chose de précis. Conclusion : Joseph Harrisson a volé le document et l'a caché dans sa chambre. Mais il avait promis ces documents à quelqu'un, sûrement pour régler quelques dettes. Quelqu'un de particulièrement insistant.
-Je sais en effet motiver mes troupes, commenta Moriarty, un sourire inquiétant sur la face.
-Il allait donc forcément saisir la moindre occasion de récupérer les documents. Il suffisait de faire partir Phelps...
-Et le docteur Watson ! Désireriez-vous être seul avec moi, Holmes ? Ajouta le crotale d'un ton doucereux. Hélas pour vous, vous avez fait une petite erreur de calcul... Qu'est-ce qui m'empêche, à présent, de vous reprendre les documents ?
Holmes sourit et déroula la feuille qu'il tenait entre les mains.
C'était une page blanche.
-La chambre de Joseph ne possédait pas beaucoup de cachette, surtout s'il a dû dissimuler les documents précipitamment. Je suis allé les récupérer au début de la nuit, pour les mettre à l'abri.
Moriarty frappa lentement ses mains l'une contre l'autre dans une parodie d'applaudissement.
-Mais ce n'était pas la peine de le tuer pour autant ! Renchéris Holmes.
-Allons, allons, rétorqua Moriarty. Vous savez comme moi pourquoi Harrisson s'est muni d'un couteau. Il était prêt à tuer son beau-frère pour avoir ces documents !
Le génie du crime fit quelque pas en avant, réduisant la distance entre lui et le détective à celle d'un baiser.
Holmes frissonna. Il n'était pas sûr de savoir si c'était de peur ou d'excitation.
Comme s'il avait lu ses pensées, Moriarty sourit.
-Pourquoi perdez-vous votre temps à considérer les gens comme lui, Holmes ? Murmura presque le criminel.
Le détective ne dit rien. S'il possédait une attraction naturelle, elle n'était que le fruit de sa personnalité, dont il se souciait bien peu. Moriarty, lui, avait aiguisé son charme comme une lame. Année après année. Méticuleusement. Sa seule voix suffisait à marquer son autorité sur n'importe qui.
Holmes voulu reculer d'un pas. Mais malgré sa formidable intelligence, il était pris au piège, englué dans la toile de l'araignée. Parce qu'il voulait savoir ce qui allait se passer.
Complètement dévoré par la curiosité.
Il était son propre piège.
Et l'autre connaissait chacun de ses points faibles.
-Toute cette intelligence, Holmes ! Pourquoi la perdre dans ses voies inutiles ? Susurra le serpent. Pourquoi l'user sur des imbéciles qui ne la comprenne pas ? Je sais que vous vous ennuyez, comme moi je m'ennuie, de leurs « oh » et de leurs « ah » de surprises à chaque évidence qui sort de votre bouche.
Une ombre passa sur le visage du détective.
-Vous pensez à Watson ? Continua l'autre d'un murmure rauque, étrangement intime. Ce cher docteur Watson...
Ces mots d'affection que Holmes avait toujours eut pour son ami paraissaient sale et méprisant exprimés ainsi.
-Je sais que vous appréciez son côté animal de compagnie... J'en ai un semblable, moi aussi... Mais vous ne pouvez pas me mentir, Holmes, pas à moi. Je suis la partie sombre de ce que vous êtes. Je sais qu'il vous ennuie. Parfois. Souvent.
Holmes ne savait plus si ce que disait Moriarty était vrai ou si ses suggestions manipulaient ses pensées. Il ouvrit la bouche pour protester, mais se fit de nouveaux couper dans son élan.
-Mais que fait-il à présent, ce cher docteur Watson ? Il est seul à Baker Street... Ah non, pas seul. Il y a un autre avec lui... Et c'est vous qui l'y avez envoyé ! Peut-être qu'au fond de votre âme, vous savez que vous êtes mieux sans lui, n'est-ce pas ? Que fait le docteur Watson, à présent, avec cet autre...
-Je...
-Qu'a-t-il fait avec vous, Holmes ? Continua de murmurer Moriarty en tournant autour de lui. En matière d'affection, c'est votre seul point de repère, n'est-ce pas ? Vous n'avez jamais été dans d'autres bras que ceux-là. Mais qui enserrent-ils en ce moment, ces bras ?
-Personne... absolument personne...
-Peut-être... Qui sait... Mais imaginez-vous... Visualisez... Watson... et lui... Mais que lui trouve t-il ? Comment peut-il le comparer à vous ?
Holmes recula, effrayé par l'écho que Moriarty faisait aux pensées qu'il avait eut plus tôt dans la journée. Mais c'était des pensées dont il avait honte. Il ne voulait pas...
-N'est-ce pas, finalement, la preuve que Watson est un peu benêt ? Non, ne répondez rien, il faut être honnête... Ce Phelps, il vous insupporte, n'est-ce pas ? Il a tout... Il ne mérite rien... Il n'est ni courageux, ni vraiment intelligents... Pourquoi devrait-il avoir ce que vous, avec vos dons incroyables, ne possédez pas ? Pourquoi tout le monde est-il si indulgent avec lui ? Même Watson... Pourquoi peut-il avoir Watson, aussi facilement ? Alors qu'il vous a fallu tellement de temps... Alors que vous craignez sans cesse de le perdre... C'est si injuste...
Holmes lui jeta un regard perdu.
-Je vais faire quelque chose pour vous, Holmes... susurra de nouveau Moriarty. Je vais m'occuper de lui. Non, ne dites rien... Ne dites rien... Si vous dites quelque chose, je ne le ferais pas. Mais vous n'avez rien à dire, n'est-ce pas ? Non...
La voix de Moriarty était à la limite de l'hypnotisme. Holmes sentait ses pensées se mélanger dans sa tête.
-Réfléchissez, Holmes. Vous n'aimez pas Percy, n'est-ce pas ?
-Non...
-Vous n'avez rien à faire. Ne faites rien. Je m'occupe de tout. Personne ne saura que vous l'avez tué...
-Tué... répéta Holmes.
Le mot le réveilla soudain de sa torpeur.
-Que faites-vous ? Souffla-t-il.
-Ça ne se voit pas ? Je joue, petit détective. Je m'amuse. Tu m'as doublé cette fois. Soit. Mais ceci est ma petite vengeance. Le doute. Et la culpabilité. Je te révèle qui tu es vraiment, Holmes...
Son sourire, semblable à celui du Chat du Chechire flotta un instant dans les airs, paré de la même folie.
-Pauvre Percy... Comme il va regretter de s'être mis en travers de ta route... Nous nous reverrons, Holmes.
Et, sans plus d'explication, il dit volte face et disparu dans l'obscurité.
Moran jeta à Holmes un regard perçant, inquiétant, comme un avertissement, et jeta sur ses épaules le corps de Joseph Harrisson.
Puis il disparut à son tour dans la nuit, laissant Holmes perdu au milieu des ombres grandissantes.
Il réalisa enfin ce que Moriarty allait faire. Ce qu'il avait laissé faire.
Par sa faute.
Sa faute...
-Non... souffla-t-il.
Mais les ténèbres dévorèrent sans pitié son appel au secours.
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