Acte II - V
Le lendemain, Holmes et Watson prirent ensemble le train qui les ramènerait chez Percy Phelps. Watson tenta bien d'interroger le détective sur la marche de l'affaire, mais l'autre dévia sournoisement toute tentative de conversation sur le sujet. Finalement, Watson se résigna à le laisser parler de son admiration pour le système Bertillon.
Phelps semblait aller beaucoup mieux que la veille. Il se leva sans difficulté pour accueillir les nouveaux venus avec la bonne humeur qui l'avait toujours caractérisé. Watson sourit, heureux de voir que son ancien ami avait repris du poil de la bête, et lui donna une franche accolade.
Holmes se rembrunit. Il faisait ce qu'il pouvait pour écarter de lui ses pensées, qui étaient réellement indigne de son intelligence, mais il ne pouvait les empêcher de revenir au galop. L'attitude de Watson l'énervait. Celle de Phelps encore plus. Le docteur ne pouvait pas mesurer un peu son affection ? Ce n'est pas lui qui lui avait fait un sermon sur la discrétion, l'autre jour ?
Dans la même pièce que Percy, il avait l'impression de disparaître, et ça l'énervait d'autant plus que ce soit en faveur d'un homme finalement aussi peu méritant. Mais après tout, Watson a beau être un compagnon appréciable, il n'en reste pas moins un homme à l'intelligence ordinaire...
Un peu honteux, il chassa aussitôt ces pensées et redirigea son attention sur son client.
-Avez-vous des nouvelles ? Lui demanda aussitôt ce dernier.
-Comme je l'avais prévu, répondit Holmes, mon rapport est, hélas, négatif. Mais j'ai mis en marche quelques pistes qui, je pense, aboutiront à quelque chose.
-Vous n'êtes pas découragé ?
-Pas du tout !
-Que Dieu vous bénisse ! S'exclama Annie, qui venait de les rejoindre. Si nous persévérons, la vérité finira bien par se montrer !
-Monsieur Holmes, je crois que nous avons plus d'informations pour vous que vous pour nous... déclara soudain Phelps, la mine sombre.
Holmes afficha aussitôt un air intéressé, qui encouragea le jeune homme à parler.
-Je commence à croire, dit lentement l'autre, que je suis la cible inconsciente d'une quelconque conspiration monstrueuse, et que ma vie est aussi menacée que mon honneur...
Holmes haussa un sourcil sceptique.
-Ça paraît incroyable, continua le diplomate, car je ne me connais pas d'ennemis sur cette terre, mais pourtant...
-Pour l'amour du ciel, explosa Holmes, parlez !
-Hier soir était ma première nuit sans garde malade dans ma chambre, commença à expliquer l'autre, pas le moins du monde vexé par le ton du détective. Je me sentais bien mieux. J'étais à peine assoupi quand, vers deux heures du matin, je fus éveillé par un bruit léger, un grattement, comme les dents d'une souris grignotant une planche. Je restais un instant aux aguets, persuadé qu'il s'agissait bien d'une souris. Mais le bruit s'accentua, et de la fenêtre me parvint un son métallique. Il ne pouvait plus y avoir de doute : quelqu'un essayait d'ouvrir ma fenêtre de l'extérieur. Pendant dix minutes je n'entendis plus rien. Je suppose que l'autre attendait pour vérifier qu'il ne m'avait pas réveillé. Puis il y eut un grincement, et la fenêtre s'ouvrit lentement. À cet instant, je sautais au bas de mon lit et ouvrit grands les volets intérieurs.
-Vous auriez pu attendre qu'il soit entré dans la pièce, commenta Holmes.
-Je sais, mais mes nerfs ont été tellement fatigués par ces dernières semaines de maladie... L'homme que j'ai surpris avait le visage caché dissimulé derrière un tissu noir. Il a filé comme un éclair, mais j'ai eu le temps de voir, dans sa main, l'éclat d'un long couteau.
-Voilà qui est intéressant, marmonna Holmes, s'attirant un regard légèrement réprobateur de la part du docteur. Qu'avez-vous fait ensuite ?
-Si j'avais été plus fort, je l'aurais poursuivi par la fenêtre... J'ai sonné, mais les domestiques dormaient trop loin pour m'entendre. Enfin, au bout de quelques minutes, Joseph finit par me rejoindre, et alerta le reste de la maisonnée. Ils découvrirent des traces de pas sous la fenêtre, mais la sécheresse est telle qu'il n'y a ensuite plus de piste sur l'herbe. Mais ils ont découvert un endroit, près de la route, où la haie est abîmée, sûrement le point d'accès de mon agresseur.
Holmes sauta sur ses pieds.
Il venait de résoudre l'enquête.
Un sourire errant sur les lèvres, il parcourut la pièce de long en large. Peu importe le coupable et les documents. Il voulait une entrevue avec Moriarty. Comment allait-il pouvoir jouer ça sans éveiller les soupçons de son entourage ?
-Dites-moi, monsieur Phelps, lança-t-il soudain, que diriez-vous de faire le tour de la maison avec moi ?
-Oh, oui ! J'apprécierai beaucoup quelques rayons de soleil ! Joseph n'a qu'à se joindre à nous !
-Et moi aussi, intervint Annie.
-Je crains que non, la contredit Holmes d'une voix autoritaire. Je pense que vous devez impérativement rester assise dans cette chambre.
La jeune fille lui jeta un regard stupéfait et se rassit, visiblement contrariée. Watson haussa un sourcil, surpris, mais ne fit aucun commentaire. Il avait appris depuis longtemps que toutes les actions de Holmes avaient un but bien définis.
Le petit groupe longea la pelouse pour se diriger vers la fenêtre du diplomate. Ainsi qu'il l'avait dit, il y avait des empreintes sur les plates-bande, mais elles étaient brouillées et imprécises. Holmes s'y pencha quelques instants, comme si elles avaient réellement une importance, puis se redressa et haussa les épaules.
-Personne ne pourra en tirer quoi que ce soit, dit-il. Je me demande pourquoi cette pièce a été choisi par le cambrioleur... Les fenêtres du salon ou de la salle à manger auraient été plus indiquées...
-Elles sont aussi plus visibles de la route, argua Phelps.
-Certes... Vous avez déjà eu des alertes semblables ?
-Jamais.
-Possédez-vous quelques objets de valeurs ?
-Rien d'extraordinaire... Ma famille n'est pas particulièrement riche.
Holmes se promenait, les mains dans les poches, avec sur le visage un air insouciant qui surprit Watson.
-À propos, lança-t-il à Joseph Harrisson, où avez-vous trouvé cet endroit, dans la haie, où le voleur se serait enfuie ?
L'intéressé conduisit le petit groupe jusqu'à un endroit où l'un des barreaux de la clôture avait été tordu.
-Vous croyez que ça date de la nuit dernière ? Demanda Holmes. Il me semble que c'est plus vieux...
Joseph haussa les épaules en signe d'ignorance.
-Je ne pense pas que nous en apprendrons plus ici, déclara Holmes en se redressant. Revenons vers la chambre.
Percy marchait lentement, en s'appuyant sur le bras de son beau-frère. L'air de rien, Holmes prit de l'avance, suivit de près par un Watson intrigué par son petit manège. Ils arrivèrent à la fenêtre de la chambre de diplomate avec une certaine avance sur les deux autres.
Holmes attira discrètement l'attention d'Annie, qui se pencha sur le rebord de la fenêtre.
-Mademoiselle, commença Holmes avec autorité, écoutez-moi bien. Vous ne devez pas quitter cette chambre de toute la journée. Pas un seul instant ! Et lorsque vous irez vous couchez, surtout, vous prendrez bien soin de fermer la porte derrière vous, et d'emporter la clef dans votre chambre. C'est une question d'une importance vitale ! Vous ne devez prévenir personne. Vous me le promettez ?
-Mais Percy...
Holmes la fixa avec intensité. Il avait un charme naturel, allié à un air d'autorité et une certaine fascination, qui poussait toujours les gens à se fier à lui, quelle que soit la situation.
-Soit, abdiqua la jeune fille. Je vous le promets.
À cet instant arrivèrent les deux retardataires.
-Eh bien Annie, s'exclama son frère, pourquoi ne vas-tu pas un peu dehors ? Tu ne vas pas rester toute la journée à broyer du noir ainsi !
-J'ai un peu mal à la tête, répliqua l'intéressé. Et cette chambre est vraiment agréable. Tu devras attendre encore un peu avant que je te la rende !
-Et maintenant, Holmes, que faisons-nous ? Demanda un Watson de plus en plus intrigué par l'attitude de son ami.
-Monsieur Phelps, répondit le détective, vous sentez-vous capable de nous accompagner à Londres ? Vous nous y serez très utile.
-Maintenant ? Hé bien, ma foi, pourquoi pas ! Ainsi, si mon visiteur revient me voir cette nuit, il trouvera l'oiseau envolé ! Joseph pourra peut-être m'accompagner ?
-Oh non, ne vous en faites pas, répondit Holmes. Watson est médecin, il s'occupera de vous.
Le médecin en question fronça les sourcils. Holmes proposait à Percy qu'il s'occupe de lui ? Ce revirement lui paraissait plus que suspect.
Juste après le déjeuner, Holmes, Watson et Percy prirent le chemin de la gare, déserte à cette heure.
-Le train arrivera bientôt, commenta Watson en jetant un coup d'œil sur l'horloge de la gare.
-Tant mieux. Vous n'attendrez pas trop longtemps.
-Nous ?
-Je ne viens pas avec vous, Watson. Il y a deux ou trois petites choses que je désirerais éclaircir avant de partir.
-Mais...
-Watson, vous me rendriez un énorme service si aussitôt sortit du train vous alliez à Baker Street avec votre... ami, et que vous y attendiez mon retour.
-Holmes, j'ai l'impression que vous essayez de m'évincer ! Que se passe-t-il ?
-Vous vous faites des idées, Watson, rétorqua le détective avec agacement en s'éloignant de Percy pour parler plus discrètement.
De toute façon le jeune homme, comprenant que la conversation ne lui était pas vraiment destinée, leur avait tourné le dos.
-J'ai toujours agi ainsi, et vous le savez parfaitement, repris le détective.
-Mais cette fois, c'est différent. Ne faites pas l'innocent, Holmes, je vous connais assez bien pour deviner que vous avez quelque chose en tête ! Percy peut rentrer seul. Madame Hudson lui ouvrira et...
-Non, Watson.
Le docteur soupira et jeta un nouveau coup d'œil à l'horloge. Il lui restait une minute avant l'arrivé du train, s'il était bien à l'heure.
Il regarda brièvement autour de lui et, ne voyant pas d'importun, referma ses mains autour du visage du détective pour l'attirer à lui et l'embrassa avec fougue.
-Ça me démangeait, murmura Watson en se séparant de son amant.
-Si vous avez d'autres démangeaisons de ce genre, docteur Watson, souffla l'autre, je suis tout à fait prêt à les assouvir.
L'autre sourit à peine.
-Faites attention à vous, Holmes.
À cet instant, le détective fut prêt à tout lui révéler. Pourquoi avait-il tenu son Watson à l'écart ?
Il ouvrit la bouche pour parler...
Et le sifflet du train vola les mots qui franchirent ses lèvres.
En présence du contrôleur et des autres passagers, Watson ne pouvait hélas pas lui donner d'autres baisers, mais ses yeux dirent ce que ses gestes ne pouvaient exprimer.
Le détective sentit une petite pointe de culpabilité lui érafler le cœur lorsque la porte du train se referma derrière son ami.
Mais aussitôt, ses pensées se reconcentrèrent sur l'objectif de cette nuit.
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