Acte II - IV
Le train s'arrêta à Londres à trois heures vingt. Les deux compères mangèrent en vitesse (sur l'insistance de Watson) avant de se rendre à Scotland Yard où les attendaient l'inspecteur Forbes, auquel Holmes avait télégraphié pour annoncer leur venu.
C'était un homme de petite taille, avec un visage énergique et des traits qui donnèrent une impression plutôt antipathique au docteur. Ses premières paroles furent glaciales, et son ton se refroidit plus encore lorsque Holmes aborda le motif de sa venue.
-Je connais vos méthodes, lança-t-il vertement. Vous vous servez de tous les documents que la police vous offre, puis vous essayer de conclure l'affaire vous-même en vous attribuant tout le mérite !
-Au contraire ! S'exclama Watson, qui ne laissait jamais passer une remarque désobligeante sur son ami en sa présence. Sur cinquante-trois cas, le nom de Holmes n'est apparu que quatre fois ! Et encore, parce que j'ai moi-même publié ces affaires !
-Paix, Watson, intervint Holmes, un peu agacé par la verve du docteur. Je ne vous reproche pas votre attitude, lança-t-il a Forbes, car je sais que vous êtes jeune et que vous manquez d'expérience. Mais si vous voulez débrouiller cette nouvelle affaire, il vous faudra travailler avec moi et non contre moi.
-Oh, je ne demanderais pas mieux qu'une petite aide, répondit l'inspecteur en changeant aussitôt de ton. Jusqu'ici, je n'ai vraiment rien obtenu.
-Quelles mesures avez-vous prises ?
-Tanguy, le garçon au café, a été filé. Nous n'avons rien trouvé contre lui. Sa femme ne vaut pas cher, par contre, et j'ai l'impression qu'elle en sait plus long qu'elle n'en dit !
-Vous l'avez prise en filature elle aussi ?
-Nous avons mis une de nos agentes sur le coup. Mme Tanguy boit, et notre agente s'est trouvé une ou deux fois en sa compagnie dans ces moments-là, mais n'a rien pus en tirer.
-Ils ont remboursé les dettes dont parlait la femme ?
-Oui.
-D'où venait l'argent ?
-On a vérifié. La pension du mari. Ils n'ont pas l'air d'être en fonds.
-Comment explique-t-elle qu'elle ait répondu au coup de sonnette à la place de son mari ?
-Elle a dit qu'il était très fatigué et qu'elle voulait le soulager.
-Ce qui concorde avec le fait que monsieur Phelps l'a trouvé endormis... Lui avez-vous demandé pourquoi elle était si pressée ?
-Elle a dit qu'elle avait fini son travail en retard et qu'elle voulait juste rentrer chez elle.
-Mais alors, comment se fait-il que monsieur Phelps et vous soyez arrivés avant elle ?
-Elle a expliqué ce délai par la différence de vitesse entre le bus et le fiacre.
-Et pour quelle raison est-elle allée directement dans la cuisine ?
-Il paraîtrait que c'est là qu'elle garde son argent, pour payer ses dettes.
-Au moins, elle a réponse à tout ! Vous semblez l'avoir interrogé comme il faut ! Autre chose ?
-Les autres employés ont été filés tout au long des neufs dernières semaines, sans résultat.
-Vous avez une théorie à propos de la sonnette ?
-J'avoue que je n'en reviens pas. Il faut avoir un drôle de sang-froid pour voler et donner l'alarme ensuite !
-Oui, c'est bizarre... Je vous remercie pour tous ses renseignements. Je vous tiendrai au courant de l'avancé de l'enquête. Watson, vous venez ?
Et avant que l'inspecteur ait eu le temps de cligner des yeux, le détective était sortit. Watson envoya à l'homme du Yard un sourire contrit et prit aussitôt la suite de son ami.
-Où allons-nous, maintenant ? Demanda le docteur en rattrapant Holmes, qui avait déjà fait quelques pas sans lui.
Le détective sursauta, plongé dans ses pensées.
-Nous continuons les interrogatoires. Allons trouver lord Holdhurst.
Ils marchèrent en silence jusqu'au cabinet. Watson voyait bien que Holmes avait les pensées ailleurs. Il espérait juste que ce soit à cause de l'affaire, et non d'une cause dont il ignorait tout...
Par chance pour eux, lord Holdhurst était encore dans son bureau, à Downing Street. Holmes fit passer sa carte, et les deux hommes furent aussitôt introduits dans le cabinet du ministre.
L'homme d'État les reçus avec une courtoisie à l'ancienne mode qui fit grande impression sur le docteur. Il lui trouva belle allure avec sa haute taille mince, son visage aigu et méditatif, et ses cheveux prématurément bordés de gris. Il représentait, aux yeux de Watson, le type même du noble aristocrate. Il se sentit soudain déplacé, dans cette pièce, entre deux hommes si élégants.
-Votre nom m'est très familier, monsieur Holmes ! Déclara le ministre en souriant. Et naturellement, je ne feindrais pas d'ignorer le motif de votre visite, car je ne vois qu'une chose, dans ces bureaux, digne de retenir votre attention. Puis-je vous demander quels sont les intérêts que vous servez, si vous n'y voyez pas d'offense ?
-Ceux de M. Percy Phelps.
-Ah, mon infortuné neveu ! Vous comprenez, hélas, que mon lien de parenté m'interdit de le couvrir de quelque manière que ce soit. Je crains que cet accident n'ait sérieusement compromis sa carrière...
-Mais si les documents étaient retrouvés ?
-Ah, ça jouerait peut-être en sa faveur ! C'est le cas ?
-Pas pour le moment... J'aurais une ou deux questions que j'aimerais vous poser, si vous le voulez bien.
-Faites.
-Est-ce dans cette pièce que vous avez confié à votre neveu le document disparu ?
-En effet.
-Personne n'a pu vous attendre ?
-Absolument personne !
-Vous avez mentionné à quelqu'un ce traité ?
-Jamais.
-Vous en êtes certain ?
-Absolument !
-Bien, si vous n'en n'avez parlé à personne et monsieur Phelps non plus, la présence du voleur est donc accidentelle. Il a vu sa chance et l'a saisit...
-Dans ce domaine, souris l'homme d'État, je ne peux pas vous répondre !
Holmes réfléchit un instant. Il faillit faire une remarque, mais, avisant au dernier moment la présence de Watson, se ravisa, et dit à la place :
-Il y a encore un point que je voudrais discuter avec vous. J'ai cru comprendre que la divulgation de ce traité entraînerait de lourdes conséquences ?
Une ombre passa sur le visage du ministre.
-En effet.
-Et ces conséquences ne se sont pas produites ?
-Pas encore.
-Si le traité était arrivé à Paris ou Berlin, vous en auriez eu l'écho ?
-Absolument !
-Il n'est donc pas déraisonnable de penser que le document n'ai pas parvenu là-bas...
Le ministre haussa les épaules.
-Nous ne pouvons tout de même pas supposer que le voleur l'a encadré et affiché sur son mur !
-Peut-être attend-il une enchère.
-Peut-être... Ce qui est sûr, c'est que celui qui mettra la main sur le traité aura sur l'Angleterre un pouvoir énorme...
Holmes tiqua tandis que le sourire de Moriarty revenait à sa mémoire.
-Bien sûr, reprit-il, songeur, une autre explication reste possible. Le voleur aurait pu, par exemple, tomber malade...
-D'une fièvre cérébrale, par exemple ? Répliqua le lord en dardant sur lui un regard vif.
-Ce n'est pas ce que j'ai dit, répondit l'imperturbable détective. Maintenant, Lord Holdhurst, nous avons déjà pris beaucoup de votre temps, et nous vous présentons tous nos respects.
-Eh bien, je vous souhaite toute la réussite possible, répondit le ministre, un peu pris de court par ce congé abrupt. Quel que soit le coupable, ajouta-t-il en reconduisant ses invités à sa porte.
-Holmes, vous auriez pu faire preuve d'un peu de manières ! S'exclama Watson une fois qu'ils furent dans la rue.
Le détective lui répondit par un grognement indistinct.
-Holmes !
-Watson, je ne vous retiens plus. Vous pouvez aller retrouver vos patients.
-Quoi ? Mais...
-Je vous assure que je ne ferais rien de plus qui nécessite votre présence aujourd'hui, le coupa l'autre. Nous retournerons tous les deux voir monsieur Phelps demain. D'ici là, ne m'attendez pas pour dîner.
-Mais... retenta encore le pauvre docteur alors que Holmes le poussait presque dans un cab libre.
-221b, Baker Street ! Lança-t-il au cocher avant de fermer la portière.
Watson le fusilla du regard à travers la vitre, ce qu'il ignora superbement.
Enfin seul.
Moriarty n'avait pas encore le traité. Il le mettait au défi de le retrouver avant lui.
Au fond, Holmes n'avait pas grand intérêt pour les affaires d'État, et quoique vaguement patriotique, le danger pour sa nation ne l'émouvait que moyennement. Seul le problème était intéressant.
Et l'homme derrière.
Il se rendait compte que cette histoire commençait à tourner à l'obsession, mais il ne pouvait s'en empêcher. Un autre comme lui. À combattre. Il voulait le connaître. Il voulait le rencontrer.
Sous l'ombre d'un porche, un peu plus loin, deux hommes anonyme observaient la scène en silence.
Le plus fin fit un pas en avant. Un sourire étira la commissure de ses lèvres.
-Patience, mon petit détective... Bientôt, tu seras tout à moi...
L'autre frémit, persuadé que la concupiscence qu'il lisait dans la voix de Moriarty avait déjà tournée à l'obsession malsaine, et qu'il n'aurait aucun répits tant qu'il n'aurait pas détruit Sherlock Holmes.
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