Chapitre 9
Vous connaissez cette expression « Être tirée à quatre épingles »?
Je n'ai pas été vérifier la définition dans le dictionnaire, mais d'après ce que je sais, c'est ce que l'on dit d'une personne bien apprêtée et soignée, ce qui n'est absolument pas mon cas à cet instant.
Et Dieu sait que ma mère ne se gênerait pas pour m'en faire la remarque.
Hier, je n'ai pas eu le cœur à rentrer chez moi, j'ai préféré squatter l'étage de la boutique où j'ai passé la nuit dans le canapé-lit.
Les mains en appui contre le meuble de salle de bain, je constate que mon reflet n'est guère flatteur.
Je grimace et soupire à plusieurs reprises.
Les cheveux en bataille et le teint brouillé font figures d'horreur.
Autant vous dire qu'un ravalement de façade s'impose de toute urgence.
Un bonnet de bain – repoussant au possible – sur la tête, je me glisse sous le jet chaud de la douche.
Le parfum noix de coco m'enveloppe, chassant l'odeur du savon typique des hôpitaux imprégné sur ma peau.
Enveloppée d'une serviette de bain, je pioche dans une garde-robe de secours, un chemisier blanc boutonné sans manches et une jupe crayon taille haute rouge.
Une fois habillée, j'enfile mes sandales de couleur nude et me démène avec ma longue chevelure brune.
À l'aide d'une barrette ornée de perles, je fixe derrière mon oreille gauche une mèche pour cacher le petit pansement (bien plus discret) que je viens de placer sur mon front.
Un voile de poudre illuminatrice, promesse d'un teint effet soleil sans pour autant virer orange, me rend forme humaine même si mes cernes sont encore présentes.
La touche de rouge mat comble mes lèvres pleines et mes cils ourlés de mascara noir intense complètent mon make-up.
Satisfaite de mon allure, je descends en prenant soin d'enfiler un fin gilet bleu marine aux manches trois-quart, afin de cacher mon hématome sur le bras.
—Qu'est-ce que tu penses de celle-ci ? m'interroge Isaure les sourcils froncés, concentrée sur l'écran sans relever la tête.
Une jeune fille longiligne aux longs cheveux blonds très clair et au regard froid prend une pose lascive sur une plage en maillot de bain.
—Cette fille a été repérée à l'âge de seize ans et a posé pour une marque de vêtements de grande distribution en Suède, son pays d'origine. Elle maîtrise parfaitement le français, s'empresse d'ajouter mon amie.
—Oui, elle est jolie, mais maigre, tu ne trouves pas?
Isaure hausse les épaules.
—Bien souvent, elles le sont toutes. Tu sais, il est possible de demander à l'agence de nous proposer des modèles aux mensurations standards. C'est bien plus représentatif de notre société actuelle.
—C'est ce que j'avais pourtant demandé, je réplique un peu excédée.
— L'agence « Models Diamond » propose plutôt des modèles comme Freya. Je pensais que c'était ce que tu cherchais. Je t'avoue que j'ai été un peu surprise.
—J'ai eu les coordonnées de cette agence par Alix et j'ai précisé les critères de ma recherche.
Passant en revue plusieurs clichés, je fais part de mes doutes à mon amie.
Connaissant le milieu, elle me rassure en me répondant.
—On peut toujours collaborer avec elle pendant un mois afin de pouvoir lancer le site et chercher en même temps un autre modèle qui pourrait mieux correspondre à tes attentes.
J'opine et me concentre ensuite sur l'annonce au poste d'employée de vente pendant qu' Isaure contourne le comptoir pour aller retourner la pancarte signalant l'ouverture de la boutique.
Le tintement de la porte d'entrée retentit et on s'exclame à l'unisson.
— Bonjour Madame Ferrerat.
—Comment allez vous ? s'empresse d'ajouter Isaure qui affectionne notre cliente depuis qu'elle la connaît.
—Si vous saviez Mesdemoiselles, elle entre le teint hâlé, prête à nous livrer le potin du jour. Mon mari a eu l'idée saugrenue de m'offrir un voyage à l'occasion de mes soixante-cinq ans. Nous sommes rentrés hier.
Nous lui prêtons une oreille attentive.
—Ce ne sont plus des choses de mon âge vous savez, elle ajoute en s'installant dans l'un des sofas.
— Et vous êtes allés où ? demande Isaure en pliant des nuisettes en satin rose sur un étal.
— Un safari dans une réserve privée en Afrique du Sud. Le lendemain de sa pension, mon mari m'a offert une enveloppe qui contenait la réservation, elle poursuit, les yeux remplis d'étoiles. C'était magnifique. Nous avons rencontré des animaux sauvages qui circulent librement dans des lieux extraordinaires. Heureusement, mon mari avait réservé de belles lodges avec des vues à couper le souffle et qui nous permettaient de nous reposer. C'était parfait, mais fatiguant, elle souffle en souriant.
—Vous avez beaucoup de chance, Madame Ferrerat, lui répond Isaure. Je rêve que mon mec m'embarque pour un voyage de cette envergure. Seulement, je n'ai pas de mec.
Notre cliente grimace puis opine en passant sa main manucurée dans son carré blond presque blanc.
— Si mon mari n'était pas toujours présent à cause des ses responsabilités professionnelles, nous avons quand même toujours pu trouver un équilibre familial et vivre heureux. Notre histoire n'a pas été simple.
Ah, je sens le moment des confidences arriver comme si elle était obligée de se justifier d'avoir décroché le gros lot.
—Philippe était en quelque sorte fiancé à une jeune fille que ses parents avaient choisie pour un mariage de convenance. Dès que je l'ai su, j'ai préféré fuir. Il m'était impossible de rivaliser avec une famille aussi influente alors que j'étais issue d'un milieu modeste. Je travaillais comme modiste dans un petit atelier. Mais c'était sans compter sur sa ténacité, elle continue un sourire aux lèvres. Il a rompu ses fiançailles, se mettant à dos ses parents, et s'est accroché jusqu'à ce que je cède. Les choses se sont corsées lorsqu'il a dû partir en Italie pour faire prospérer l'entreprise familiale. Malgré son instance, j'ai refusé de l'accompagner et je l'ai laissé s'en aller en me confortant que c'était la meilleure décision pour nous deux. Pendant de longs mois, j'ai souffert de son absence et puis, je ne sais pas, j'ai eu un déclic. Je ne voulais pas passer à côté de notre histoire, alors j'ai tout quitté pour le rejoindre et nous donner une chance, et je vous assure que je ne l'ai jamais regretté. Maintenant qu'il est pensionné, mon mari veut en profiter pour voyager et passer du temps avec moi. Dans quelques semaines, nous partons dans le Sud de la France dans notre seconde résidence, c'est pourquoi je suis venue effectuer quelques achats.
—C'est une bien belle histoire, s'exclame Isaure avant de prendre une mine blasée. Je ne comprendrai jamais pourquoi certaines familles veulent faire passer leurs intérêts avant le bonheur de leurs enfants. Parfois, j'ai l'impression qu'on est resté bloqué dans un autre temps.
—C'est surtout que c'est commun dans les familles très aisées, ma petite Isaure, répond Madame Ferrerat, mais je dois reconnaître que c'est archaïque. Jamais, je n'imposerai cela à mes fils.
—Si ma mère pouvait être comme vous, se lamente mon amie avant de revenir à ce pourquoi ma cliente est venue en l'enjoignant à la suivre. Bon, dites-moi tout, Madame Ferrerat, vous cherchez quoi ?
La concernée, un sourire aux lèvres, se lève et explique ce qu'elle souhaite pendant que je passe en revue des paréos que j'installe sur une tringle en songeant à l'histoire de ma cliente qui fait écho en moi.
Pensant sa relation vouée à l'échec, Madame Ferrerat a préféré y mettre un terme.
Pourtant, elle a fini par suivre son instinct.
L'esprit en pagaille, je m'interroge.
Et si ?
Et si, j'avais retenu Sam ?
Et si j'avais fait l'effort de l'attendre ?
Est-ce qu'on serait toujours ensemble ?
Et si, j'avais tout quitté pour le rejoindre?
L'amour serait-il toujours au rendez-vous ou est-ce qu'on aurait fini par se séparer?
Tant de questions sans réponses.
J'y coupe court et m'interdis d'y penser après avoir renoncé à nous, à notre histoire.
C'était pour notre bien à tous les deux.
J'en suis convaincue.
L'éclat de rire d' Isaure me sort de ma rêverie, leur discussion est animée.
Malheureusement, mon large sourire s'efface à la seconde où le nom de ma mère s'affiche sur l'écran de mon portable.
La messagerie d'accueil fera son travail et il se pourrait bien que j'efface le message avant même de l'avoir écouté.
Comme l'a dit Isaure, si nos mères ressemblaient à Madame Ferrerat, nos vies auraient été tellement différentes.
***
Le reste de la journée se déroule à une vitesse hallucinante.
Mes plus fidèles clientes dévalisent la boutique en faisant exploser leurs carte de crédit.
Dépenser sans compter rythme chaque jour leur vie sans l'ombre d'un problème.
Autour d'un café ou d'un verre de champagne, celles qu'on qualifie de commères nous font part, sans gêne, des derniers potins mondains, des événements auxquels elles vont assister et de ce que deviennent leurs progénitures.
Autant vous dire qu'on s'en fout, mais voyez-vous, la politesse oblige, on fait mine que ça nous intéresse et puis, qui n'aime pas ces petits moments " gossip ".
Enfin d'après-midi, je laisse Isaure fermer la boutique et pars honorer mon rendez-vous avec Baptiste, mon ami et agent immobilier.
Je ne peux pas le laisser en plan après lui avoir parlé de mon projet d'ouvrir une seconde boutique même si celui-ci tombe à l'eau pour le moment.
Et puis, ce sera l'occasion de prendre de ses nouvelles.
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