Chapitre 5
C'est proche de l'hystérie que je rentre chez moi en claquant la porte et en fonçant dans ma cuisine pour concrétiser l'idée qui a trotté dans ma tête durant le trajet.
Dans un placard, j'attrape un verre ballon et le pose sur la table de la cuisine avant de me saisir d'une bouteille de vin rouge laissée à l'abandon depuis deux jours.
Avec mes dents, j'ôte le bouchon de liège et l'envoie valser dans l'évier.
Même Kate Middleton n'aurait pas autant de grâce.
Prise de tremblements, je renverse un peu de liquide rouge sur le côté.
J'éponge la tâche aussi vite que j'avale la première gorgée.
Ça me fait du bien, mais pas assez pour endiguer la colère qui pulse dans mes veines.
Des coups sont frappés à la porte alors que je prévois de me resservir.
Lorsque j'ouvre, Alix se tient devant moi.
Quand je suis partie de chez mes parents, j'ai dû me garer sur le côté pour me reprendre tant mes larmes m'aveuglaient.
Dès que j'ai recouvré mes esprits, j'ai envoyé un SMS à ma tante pour lui dire qu'une fois de plus, le dîner avait été un vrai désastre et que je rentrais chez moi.
Dans la seconde, elle m' a dit qu'elle arrivait.
Soulagée de voir son visage si doux, je retourne à la cuisine, attrape un autre verre et remplis les deux.
—À ce point-là ? s'étonne Alix de ne m'avoir jamais vu dans un état pareil.
Qui boit du vin l'air de rien un dimanche à 14 H 00.
Elle prend place et je l'imite.
Perdue dans le flot rouge de mon verre, je sens la colère fait place à la tristesse.
D'une voix faible, mais claire, je lui raconte tout.
À la fin de mon récit, elle soupire et pose sa main chaude sur la mienne.
—Je n'ai jamais compris ce qui pousse tes parents à agir de la sorte et je ne le comprendrais sans doute jamais. À mon plus grand regret, ta mère a toujours été distante, froide et hautaine avec moi. Ce sont peut-être nos quinze ans d'écart, le fait que je sois la dernière de la famille, arrivée sans que nos parents ne s'y attendent. J'ai toujours senti une espèce de rivalité entre nous deux qui était de son fait. Et pourtant, si tu avais connu tes grands-parents, tu saurais qu'ils n'étaient pas comme Augustine. Mon père était très autoritaire, mais aimant et notre mère très douce, distinguée et élégante. Tous les deux s'aimaient profondément. Avec le temps, j'ai arrêté de me poser des questions. Augustine m'apparaît comme une étrangère. Nous n'avons en commun que notre nom de famille. Ava, si tu penses qu'il est préférable de couper les ponts avec eux, alors fais-le. Je te soutiens, quoi que tu décides.
À ces mots, ne tenant plus, j'éclate en sanglots et entre mes reniflements, je lui raconte.
— S'il n'y avait que ça, je m'inquiète pour Adèle.
— Je comprends, mais jusqu'ici, elle n'a jamais montré le moindre signe qu'elle n'était pas heureuse avec Édouard. Probablement que les choses ont changé ? Ou alors le mariage lui fait peur ?
— Ou peut-être qu'elle cache quelque chose, je lui fais remarquer en haussant les épaules.
—Alors, je te conseille d'y aller en douceur, Adèle est intelligente, elle risque de se braquer si tu y vas franco.
J'opine en espérant que l'attitude bizarre de ma sœur n'était que passagère.
L'organisation de son mariage doit lui faire peur, d'autant que la noce sera aussi importante que celle du Prince William. Je n'aimerais pas être à sa place.
Non seulement, elle va épouser ce type qui est aussi laid que Gollum dans le Seigneur des Anneaux, mais en plus, notre mère va y mettre son grain de sel.
Je secoue la tête et chasse toute cette histoire de mon esprit.
À la place, je ressens le besoin de me confier à ma tante sur ce qu'il s'est passé au Club.
Je me lance d'une voix hésitante.
— Alix, est-ce que tu as déjà été attirée par un client ?
Ma tante est prise d'un fou rire qui me laisse stoïque sur ma chaise.
Elle finit par se reprendre et s'exclame.
— Bien sûr, et c'est normal que tu ressentes ça. Des gens s'envoient en l'air sous ton nez pendant des heures. Faire abstraction et te recentrer sur toi-même est primordial dans ces cas-là.
Dis-moi tout, elle ajoute d'une voix douce pour me mettre à l'aise.
Après m'être mordue la lèvre inférieure, je lui avoue avec honte m'être laissée emporter.
Alix m'écoute avec attention et je me sens ridicule à chaque parole que je prononce.
— Je comprends que tu puisses éprouver une attirance pour un client. Nous sommes humains et le sexe fait partie intégrante de la vie, mais pour l'avoir vécu et vu pour d'autres personnes, ce genre de relation ne mène souvent à rien et ne cause que des dégâts. Voilà, pourquoi, je mets un point d'honneur à ce que les relations soient interdites entre les employés et les clients. C'est pour vous protéger.
— Je sais, mais... Attends, toi... tu as...
Percée à jour, Alix me sert un petit sourire en coin et confirme.
— C'est arrivé une fois.
Impatiente de connaître la suite, je l'encourage à me raconter son histoire en lui servant un deuxième verre.
Après avoir inspiré, elle se lance.
— Il y a quinze ans, j'ai décidé de mettre en parenthèses ma carrière de rédactrice adjointe du magazine féminin dans lequel je bossais depuis longtemps. Ma vie professionnelle avait pris le pas sur ma vie privée. Lassée, j'avais besoin d'autre chose, alors j'ai pris de la distance et je suis partie faire le tour du monde.
Alix prend une gorgée de vin puis continue.
— Avant de revenir, j'ai fait une halte par l'Allemagne. Je logeais dans un hôtel accolé à un club libertin de haut standing qui cherchait des hôtesses. L'argent ne m'intéressait pas, j'avais juste soif de découvertes. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai décroché le job.
Happée par son récit, je vide le reste de la bouteille dans nos verres respectifs.
— Et que s'est-il passé ensuite ?
— Après plusieurs semaines de service, comme tu dois t'en douter, j'ai finalement cédé à la tentation.
La nostalgie s'imprime dans ses yeux bleu océan.
— L'as-tu revu après ça ?
Revenant à la réalité, Alix secoue la tête et affiche un large sourire après avoir liquidé son verre.
— J'ai démissionné de mon job et ensemble, nous avons fondé le Midnight Club.
— Non, ne me dis pas que tu as rencontré Paolo de cette façon ?
—Si. En fait, on s'est croisés par hasard dans un bar pour ensuite ne plus se quitter. Paolo était l'homme de ma vie.
— Quelle belle histoire, je lance, admirative.
Pour l'avoir connu, Paolo était une bonne personne.
Démarrant de rien, il avait fait fortune dans l'import-export.
Multimillionnaire, il menait une vie simple, préférant investir et créer de nouvelles entreprises, employant souvent des personnes à qui la vie n'avait pas fait de cadeau.
Malheureusement, il a été emporté par un cancer des poumons, il y a quatre ans.
Ma tante a pris le relais, adoptant le même mode de conduite tout en gérant plusieurs sociétés de loin.
— Si tu le dis, mais sache que d'autres se sont plantés de cette manière et je tiens à te préserver de ce genre de relation.
Je hoche la tête et soupire.
— Et ce jeune homme avec lequel tu es partie vendredi soir ? elle demande d'un ton taquin, cherchant sûrement des informations croustillantes. Je te rassure tout de suite, personne ne vous a vus partir en catimini, sauf moi apparemment.
N'ayant pas de secret pour elle, je lui explique m'être réveillée auprès de ce gars et d'en avoir peu de souvenir.
Au fur et a mesure de mon récit, les traits de son visage se crispent.
Ça ne rate pas, elle me sermonne comme si j'étais encore une adolescente puis se reprend.
— Bon, tu as intérêt à te contrôler samedi prochain.
Voyant mon air perdu, elle ajoute.
— Tu as oublié, la soirée de gala à l'Hôtel Prestige ?
Évidemment que j'ai oublié, mais je me garde bien de lui avouer et préfère lui promettre d'être présente au vin d'honneur avec Isaure et de ne pas me sauver avec un autre inconnu.
Cette soirée est importante pour ma tante, un projet qui lui tient à cœur, celui de pouvoir rapatrier des enfants qui souffrent de maladies congénitales et qui n'ont pas la chance de se faire opérer dans leur pays, faute de moyens.
La conversation dévie sur les préparatifs de la prochaine soirée au club et de mon rendez-vous de demain avec François, son fidèle bras droit.
—Contente d'entendre que tout roule avec le club. Concernant le modèle que tu cherches pour le lancement de ton site, je t'enverrai les coordonnées d'une agence de mannequinat. Je suis certaine que tu finiras pour trouver quelqu'un. Sache que je suis fière de toi, de tout ce que tu as accompli, mais je pense que tu devrais ralentir le rythme. Si tu n'es pas en mesure d'assurer une soirée au club, je peux le comprendre et je suis là. Tu ne peux pas continuer à te réfugier dans le travail et mettre de la distance avec les hommes pour fuir les contacts sociaux. Sam t'a laissé trop de séquelles, je vois que tu en souffres encore. Lâche prise, Ava, un pas après l'autre et tu verras, la vie ne sera que plus belle.
Émue, je lui adresse un sourire devant tant de bienveillance de sa part.
—Je vais devoir te laisser, j'ai rendez-vous avec une amie.
Joignant le geste à la parole, Alix se lève de sa chaise, m'embrasse et s'en va.
Je passe une partie de mon après-midi à faire le ménage dans mon appartement et le reste à regarder une série.
Le soir venu, avant de sombrer, je réussis l'exploit de ne plus penser à ce dîner familial aussi désastreux qu'un feu en forêt.
Deux silhouettes floues aussi troublantes l'une que l'autre m'accompagnent dans les méandres du sommeil.
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