Chapitre 45
Pour une fois, mon mutisme est mon allié.
Et pourtant, je suis complètement abasourdie.
Pour une raison que j'ignore, Thomas est chez mes parents, un dimanche midi, assis à notre table.
Personne ne doit savoir que lui et moi, sommes ensemble.
Je prie pour qu'il ait la présence d'esprit de ne rien dire et qu'il se souvient du portrait peu élogieux que je lui avais fait de mes parents lors de notre escapade à la mer.
Si ma mère apprend notre relation, elle s'empresserait de détruire le seul bonheur que je vis en ce moment. Sans hésiter, elle m'humilierait en cherchant à savoir si Thomas ferait un bon mari et à le faire le cas échéant et tenterait par tous les moyens de le blesser aussi.
Mon père, qui n'a pas pris la peine de me saluer, me jette un regard froid et ma mère donne l'ordre à Martha de servir l'entrée.
Ensuite, elle se tourne vers Thomas en arborant un sourire des plus hypocrite.
— Thomas, nous sommes heureux de vous convier à notre dîner de famille.
Avant qu'il ait pu formuler une réponse, mon père interroge Adèle.
— Où est Édouard ?
— Euh... il n'est pas bien... une grippe.
— Tu ne nous as pas dit qu'il avait un lumbago, intervient Clarisse avec un sourire en coin.
— Il a les deux, se reprend Adèle, qui manque d'assurance.
— Oh ! Pauvre Édouard, compatit ma mère en joignant ses deux mains. C'est notre futur gendre, elle ajoute à l'intention de Thomas. Un gentil garçon, bienveillant, un avocat brillant tout comme Adèle et Pierre-André.
Je crois que je vais vomir.
Par politesse, Thomas opine.
— À ce propos, tente Adèle hésitante, je voulais vous dire quelque chose. Concernant le mariage...
D'un geste de la tête, je l'encourage à poursuivre, j'attrape mon verre de vin, le porte à mes lèvres et fais glisser le liquide par petite gorgée.
— ... Justement, Adèle, l'interrompt Clarisse d'une voix enjouée, en totale contradiction avec celle de ma sœur. Pourrais-tu me donner le nom de ton organisatrice de mariage, nous allons en avoir besoin pour le nôtre.
Estomaquée, je recrache le vin, ce qui provoque un cri d'indignation de ma mère.
Pierre-André va vraiment épouser cette connasse ?
— Mais quel manque de tact ! s'exclame ma mère.
— Oh ! Ce n'est pas grave, ne vous en faites pas Augustine, minaude Clarisse. Je comprends ta réaction Ava, ça te paraît un peu précipité, mais nous nous aimons, ton frère et moi. Je n'ai pas voulu aborder ce sujet avec toi lors de la soirée de gala, tu n'étais pas dans ton assiette ce jour-là.
Par la faute à qui ? J'ai envie de lui répondre.
— Nous allons devenir belles-sœurs, elle ajoute en riant, en agitant frénétiquement sa main de manière hystérique comme si c'était d'un éventail pour réprimer de fausses larmes.
Aucune réaction ne me vient.
Si, du dégoût.
— Des félicitations sont de rigueur dans ces cas-là, Ava, me réprimande ma mère. C'est dommage que tu aies mis de la distance entre vous.
Mes yeux sortent de mes orbites.
Qu'a raconté Clarisse à ma mère qui la fait croire que je suis responsable ?
J'ouvre la bouche pour m'expliquer, mais, Clarisse me devance et précise.
— Un petit différend. Mais tout est pardonné, nous sommes une famille à présent.
Une famille ?
Une famille !
Qu'ils aillent tous voir la définition au dictionnaire, ils seraient très surpris.
— Vous êtes une perle rare Clarisse. Je suis si heureuse de vous accueillir dans notre famille.
Quelle mascarade !
Cette pétasse est prête à tout pour attirer les bonnes grâces de ma mère qui se laisse prendre dans ses filets piège.
Qui se ressemble s'assemble.
— Un deuxième mariage, vous me comblez tous les deux, Adèle et Pierre-André, se réjouit ma mère en lançant, d'abord un regard fière à ma sœur et mon frère puis, des éclairs dans ma direction.
— Ava était normalement la première à se marier, mais cela ne s'est pas passé comme prévu, elle ne peut s'empêcher de préciser à l'attention de Thomas.
— C'était une erreur, je lui réponds en haussant les épaules.
— Andrew aurait été un excellent choix, objecte ma mère.
— C'était surtout un connard, souligne Pierre-André en triturant le pied de son verre.
Surprise, de son intervention, je pouffe de rire en lui donnant un petit coup de coude en guise de remerciement.
— Ton langage jeune homme, le réprimande ma mère. C'était avant vous, Sam.
— Andrew Mansfield ? Questionne Thomas. Le futur PDG de Global Project ?
J'opine sans le regarder.
— Celui-là même confirme Adèle. Sa liste de conquêtes est aussi grande que la tour Effiel. En effet, c'est un vrai connard.
— Adèle, ne jure pas sous mon toit, coupe ma mère en faisant de gros yeux. J'ai été profondément déçue par son comportement, qui a terni la réputation de notre famille. Selon certaines rumeurs, il posséderait une fortune colossale et serait fiancé à une jeune femme d'origine étrangère.
— Ce mec est une enflure et un mythomane. Je n'accorde pas d'importance à ce genre de commérages, rétoque Thomas.
Ma mère lui sert un sourire hypocrite et s'adresse à moi.
— J'ai encore un infime espoir que tu trouveras un bon parti Ava et qu'un mariage sera bientôt à l'ordre du jour.
Thomas se raidit.
— On est en 2024 maman, je n'ai pas besoin qu'on me trouve un bon parti.
— C'est indispensable à ton bien-être, elle réplique d'une voix ferme. Si ta petite boutique devait faire faillite, tu apprécierais certainement le soutien de ton époux.
Je ricane.
— Tu veux dire, pouvoir compter sur un soutien financier. C'est essentiel pour toi, mais pas pour moi. Si par malheur, je viens à échouer, je trouverai le courage pour rebondir seule.
— De l'utopie, fait ma mère. Tu es bien trop naïve. Permets-moi de souligner que tes frères et sœurs ont choisi une carrière tellement prestigieuse et qu'ils n'en courent aucun risque. Contrairement à toi ou ta détermination à suivre une voie différente de celle que nous avions soigneusement planifiée pour toi était, pourtant, ta meilleure chance de réussite. Et puis, regarde, Sam est devenu médecin-chirurgien tandis que Clarisse exerce en tant qu'architecte d'intérieur. Ces professions sont non seulement honorables, mais également très respectables. Je suis convaincue que tu n'as pas fait le bon choix.
Toujours ce même discours.
Je n'en reviens pas qu'elle me taille encore et de plus, devant un invité.
— Permettez-moi d'intervenir, dit Sam. Ava a tout entrepris pour mener à bien son projet, qui consistait à ouvrir sa propre boutique. C'était son rêve depuis longtemps, et elle y est arrivée sans aide extérieure.
Ses yeux restent fixés sur moi et il ajoute.
— Je me demande si tout le monde peut en dire autant. De nos jours, combien de personnes ont la chance de transformer leur passion en métier ? Combien peuvent dire qu'ils aiment vraiment ce qu'ils font au quotidien ? Une minorité, je vous l'assure. Au lieu de critiquer votre fille, vous devriez plutôt être fière d'elle, Madame De Courtanel.
Silence.
Sam a pris ma défense.
Les larmes au bord des yeux, je tente de les endiguer, alors qu'il me regarde avec tendresse.
Si je n'étais pas follement éprise du mec qui est assis à côté de moi aussi raide que la justice, je pourrais retomber amoureuse de lui.
C'est la gorge serrée que je lui murmure « merci ».
— Mais vous n'y êtes pas du tout, Sam, s'exclame ma mère d'un ton qui se veut détendu voir moqueuse, je me suis peut-être mal exprimée. Il s'agit avant tout d'une question d'éducation. Les enfants doivent apprendre à assumer leurs erreurs. Et seulement après, nous sommes là pour les aider. N'est-ce pas Gaspard ?
Celui-ci hoche de la tête en signe d'approbation, mais semble blasé, plongé dans l'observation de ses couverts.
— Je suis sa mère et, comme toutes les mères, je me soucie d'eux.
C'est bien beau de mentir de cette façon pour se valoriser devant les autres alors qu'en réalité, elle m'enfoncerait plus bas que terre... Enfin, si c'est encore possible.
Sans que je m'y attente, Thomas réplique et la confronte d'un naturel désarçonnant.
— Si je peux me permettre, Madame De Courtanel, le terme, « éducation » est propre à chacun. Mais je crois surtout qu'il est normal qu'une mère soutienne son enfant, même si elle n'est pas d'accord avec ses choix. Elle doit l'encourager et l'aider à travers toutes les épreuves sans le juger ni le critiquer. La remise en question est une constante dans le rôle de parent. Aucun travail n'est indigne de personnes.
Discrètement, ma main se glisse dans la sienne sous la table.
Thomas réagit et entrelace nos doigts.
Il me serre comme si j'allais me dérober.
Son pouce trace de petits cercles doux sur la paume de ma main.
Si mon regard dévie vers lui, je ne suis pas sûr de pouvoir rester de marbre devant son élan de tendresse et de soutien.
Bouche bée, ma mère replace une mèche de cheveux échappée derrière son oreille, le temps de trouver une réponse.
Et ça ne rate pas.
Les lèvres pincées, le regard étréci par la colère, elle se redresse en le toisant.
La riposte risque d'être cinglante.
— Avez-vous des enfants Thomas ?
— Je n'ai pas encore cette chance. Peut-être bientôt, enfin je l'espère.
Mon cœur se serre.
Nous n'avons jamais évoqué le fait de fonder une famille.
Il est bien trop tôt pour en parler, mais sa déclaration m'atteint au plus haut point.
Les doigts de Thomas s'enroulent plus fort autour des miens et ma mère s'empresse de le tacler.
— Et bien, vous aurez l'occasion de le découvrir, cela, en temps et en heure. Pour votre gouverne, prenez conseil de personnes expérimentées.
Outch.
— Sam, elle continue en changeant habilement de sujet. Sans aucun doute, vous êtes l'homme que j'ai le plus apprécié lorsque vous fréquentiez ma fille. C'était un plaisir de vous rencontrer hier. Je suis impressionnée par votre engagement envers votre admirable profession. Si je vous ai invité, aujourd'hui, c'est parce que j'ai l'intention lever des fonds pour créer une association qui soutiendra les enfants hospitalisés.
— Je vous remercie pour votre sollicitude, Madame De Courtanel. Je vous conseille de vous adresser à la direction de l'hôpital. En vérité, si j'ai accepté votre invitation c'était dans le but de croiser Ava.
Gêné serait un euphémisme, je ne sais plus où me mettre.
Je tente de répondre lorsque ma mère le fait à ma place.
— Merci pour votre franchise, elle formule sans mal. Dites-moi Sam, puisque vous semblez tellement apprécier ma fille, puis-je vous demander pourquoi vous vous êtes séparés ? J'ignore la véritable raison de votre rupture hormis le fait qu'Ava a été encore plus ingérable qu'avant.
Ce repas de famille se transforme en tribunal et qui, plus, est, centré sur ma vie amoureuse.
J'ôte ma main de celle de Thomas et interviens d'un ton sec.
— Ça n'intéresse personne, maman, c'est de l'histoire ancienne. Nous sommes tous les deux passés à autre chose.
— Et bien, on ne dirait pas, s'immisce Clarisse dont la curiosité est aussi soudaine que l'apparition de la calvitie de mon grand-oncle Robert..
— Nous nous sommes séparés parce que la distance et nos projets respectifs ne nous permettaient plus de rester ensemble, répond Sam à ma mère sans prendre en compte mon explication.
— Oui, mais tu vis ici maintenant, avance Clarisse, qui affiche un sourire espiègle.
Il opine et je crains la suite de cet interrogatoire quand je distingue l'intérêt qui brûle le regard de ma mère.
— Tu es célibataire, Sam ? ajoute Clarisse.
— ... je n'ai personne dans ma vie.
Sam rive ses yeux aux miens avec une intensité qui pourrait faire fondre n'importe quelle nana et déclare.
— Mais je sais que ce n'est pas le cas pour...
Clarisse l'interrompt en applaudissant des mains avec enthousiasme puis lui presse le bras.
— ... Vous pourriez donc vous remettre ensemble ?
— En voilà une bonne idée ! s'enchante ma mère ravie par cette suggestion qui prévoit sans doute les noces du siècle en alternant son regard de Sam à moi.
— On peut m'appeler cupidon, se pâme Clarisse en riant. Ne me dites pas merci.
— Ce n'est pas possible, je la coupe en lui lançant une œillade mauvaise avant de reporter une attention sur mon ex, chargé de compassion.
Avant que les choses dégénèrent, je dois couper court à toutes formes d'espoir pour tout le monde et pour le bien de tous.
— Sam, tu occuperas toujours une place spéciale dans mon cœur, mais, comme je te l'ai dit la dernière fois, il y a quelqu'un dans ma vie.
Thomas pose sa main sur ma cuisse, je me redresse soutenue par son geste, alors que Sam se recule contre le dossier de sa chaise, visiblement déçu, mais ne peut s'empêcher de balancer.
— C'est cet idiot de Werner.
Thomas me pince légèrement à l'évocation d'un autre prénom que le sien.
Je secoue la tête et c'est à ce moment précis que ma mère réagit en proférant des reproches.
— Et c'est seulement maintenant que tu le dis !
— Pas besoin d'en faire un fromage, je contre.
— Mais bien sûr que si. Quand penses-tu nous le présenter ?
Jamais.
Et, elle ajoute à mon grand désarroi.
— Je veux savoir à quoi ressemble mon futur gendre !
Les mots restent coincés dans ma gorge.
Seigneur, j'aurais dû me taire.
Elle ne va pas me lâcher maintenant que j'ai largué une bombe.
— Maman ! Quand est-ce que le repas va être servi ? Me sauve Adèle.
— Oh ! je suis une maîtresse de maison impardonnable. Je ne pensais plus du tout au dîner.
— Vous permettez que j'aille voir, propose Clarisse, qui se lève pour sortir de la pièce.
— Ava, j'ose espérer que l'homme que tu fréquentes vient d'une bonne famille et que son statut social est comparable au nôtre, se plaît-elle à commenter.
Thomas étouffe un rire.
La situation est ubuesque.
Et je ne vais pas me priver de l'énerver un peu.
— Il bosse dans un fast-food, je lance, arrachant un sourire à mon frère et à ma sœur. Et comme, il est chef, la bouffe est gratuite. Vu mes talents culinaires, j'ai décroché le gros lot. Ah ! Et aussi, il vient de divorcer.
La main de Thomas se crispe sur mon genou, je grogne, il l'ôte.
— Non, mais tu te rends compte, Gaspard ? C'est..., c'est...
Voilà que ma mère hyperventile.
Bien fait !
L'humour au premier degré n'est pas inné chez elle.
Parfois, je me demande si je n'ai pas été échangée à la naissance.
— Nous avons l'habitude de l'insolence de notre fille, Augustine. Ne vois-tu pas qu'elle exagère pour te faire sortir de tes gonds ?
Ma mère m'envoie un regard mauvais.
Adèle intervient en se raclant bruyamment la gorge.
Mes rêves de fuite vont pouvoir enfin se concrétiser, je n'en peux plus.
— Je voulais... j'ai quelque chose à vous annoncer. Voilà avec Édouard, c'est un peu compliqué en ce moment...
— ... Chaque couple traverse ses petites crises, intervient encore ma mère dans la conversation, ce qui a le don de m'énerver. Et puis, le mariage approche, c'est normal que vous soyez anxieux. Cette journée promet d'être magnifique.
— Oui... bien sûr... mais ça va plus loin que ça... en fait, je l'ai...
— Tenez, Augustine, déboule Clarisse en tendant une épaisse enveloppe brune. Martha a eu un problème avec la gazinière, elle m'a chargé de vous informer que tout serait prêt d'ici dix à quinze minutes.
Si une partie de l'assemblée pousse un soupir de soulagement, mon estomac en profite pour se manifester, le traître.
— Et comme elle était occupée, je me suis permis d'aller répondre à la porte. Un coursier m'a donné ceci pour vous, elle désigne l'enveloppe du menton pendant que ma mère l'inspecte en la retournant dans tous les sens.
Le mot « urgent » est écrit en rouge et en lettre capitale.
— Vous ne l'ouvrez pas ? Il y a noté urgent dessus. Lui fait remarquer Clarisse, d'une voix intéressée en s'installant à sa place.
Ma mère considère l'enveloppe, hésite, puis la décachette pour en extirper une carte de visite.
D'où je me situe, je ne perçois qu'au travers du papier une inscription dactylographiée noire.
Les sourcils de ma mère se froncent, creusant davantage ses rides lorsqu'elle sort de moitié d'un document de format A3.
Elle se fige et ses yeux s'agrandissent de frayeur.
Puis, elle souffle bruyamment par le nez et, ensuite, les fermes paupières en secouant la tête.
Lorsqu'elles les ouvrent, sa bouche se tord en une grimace que je n'arrive pas à définir.
Ma mère me fixe avec un regard rempli de haine.
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