Chapitre 40
Ridicule !
Oui, c'est ça, je suis ridicule !
Ou bien débile !
Sûrement les deux en même temps.
Qui sait ?
Foutue conscience !
En une nanoseconde, elle a enfilé sa cape de super-héroïne et, une fois son petit coup d'éclat terminé, elle s'est barrée aussi vite qu'elle était apparue.
Sur le coup, j'étais persuadée d'avoir fait le bon choix en acceptant d'être la partenaire de Mathias pendant quelques minutes.
Sauf que, là, je flippe.
Me voilà bien embarquée, tiens.
Je vous entends déjà dire : « Personne ne t'a mis un couteau sous la gorge ».
Et c'est vrai !
Je ne peux qu'être que d'accord avec vous.
Cependant, en début de soirée, quelques tuiles me sont tombées dessus : coupure de courant, miroir brisé et fauteuils cassés.
Alors je m'attends à un retour en force.
Vous savez, ce jeu grotesque entre Dieu et Satan.
Comme convenu avec Mathias, je dois me rendre à cinq mètres de la scène ,sur le côté gauche à l'écart des spectateurs.
Et pour y parvenir, je suis obligée de traverser la foule et forcément devenir le centre d'attention pour quelqu'un.
J'en soupire d'avance.
En attendant, le dos appuyé contre la porte de la salle, personne ne semble m'avoir remarquée et c'est très bien comme ça.
Avant d'y aller, je vais prendre un verre au bar.
Un cinquième whisky me semble indispensable pour continuer et me donner du courage.
À mon arrivée, des regards amusés et des sourires compatissants m'accueillent.
Mes collègues, visiblement au courant de cette supercherie, me rassurent et m'encouragent discrètement.
Sans un mot, John dépose un verre de whisky sur le comptoir, je l'avale d'un trait.
Je finis par me résoudre à me diriger vers le lieu de rendez-vous avant que l'envie de prendre la fuite ne s'empare de moi.
«Tout va bien se passer ».
Je compose un visage neutre et je garde le plus possible les cils rivés au sol.
Mon stratagème s'approche du zéro, voire du néant, quand j'ai la sensation que des regards me brûlent la peau à chacun de mes pas.
Joue run rôle, autre que celui d'hôtesse s'avère plus complexe que je ne le croyais ou alors c'est peut-être l'effet de l'alcool.
Mon estomac se tord et un frisson me parcourt, à l'idée d'être perçue comme une partenaire de jeu.
Sans mes artifices, j'ai l'impression d'être nue.
Ma tenue de travail me donne confiance en moi et elle constitue une barrière qui empêche les clients de ne pas dépasser les limites avec moi.
En l'enlevant, je deviens juste moi-même.
Et puis, si ce n'était que ça ...
Même masquée, la crainte qu'on me reconnaisse a du mal à se dissiper et renforce plutôt ma gêne.
Le liquide ambré n'a pas le mérite d'annihiler mes pensées.
La voix sensuelle d'une icône des années soixante me ramène à l'instant présent.
Marylin Monroe prend vie sur scène grâce au jeu de Naomie.
Un micro vintage sur pied est placé devant elle.
Ses mains gantées sur les hanches et ses lèvres rouge carmin épousent le rythme de la chanson : « I Want To Be Loved By You » et de son fameux « Poupoupidou »
Un seul un projecteur illumine sa silhouette voluptueuse.
Aucune chorégraphie élaborée.
Juste l'incarnation de Marylin qui nous livre une performance en toute intimité.
Son charisme et ses mouvements sensuels sont suffisants pour remplir l'espace de la scène.
Je jette un coup d'œil discret autour de moi : le public est captivé.
Des baisers s'échangent et des caresses se perdent, la tension est palpable, mais elle est peut-être contenue par respect pour les artistes.
Le désir trouvera sa concrétisation une fois que le rideau sera baissé, je n'en doute pas.
D'un petit mouvement de l'épaule, l'étole en fourrure blanche tombe à ses pieds, puis les bracelets en (faux) diamants suivent le même chemin.
Soudain, je sens une présence derrière moi et un souffle chaud dans le creux de mon oreille.
— Vous fuyez quelque chose ?
Mon cœur fait un bond, moi qui pensais avoir trouvé une bonne planque près du mur et partiellement dissimulée par une alcôve, c'est raté.
La tessiture de sa voix masculine me dit quelque chose, mais je ne tiens pas à lui répondre afin qu'il comprenne qu'aucune ouverture n'est possible.
Cependant, ma conscience, toujours tapie quelque part, la vilaine me rappelle l'usage de la politesse.
J'incline légèrement ma tête pour qu'il puisse juste m'entendre tout en continuant à regarder la scène.
Naomie retire son deuxième gant d'une lenteur extrême.
— Je profite du spectacle. Je ne suis là que pour ça.
— Moi aussi même si je ne vois que votre côté pile. C'est bien dommage.
Ma température corporelle vient de grimper.
L'allusion est claire, ce gars a jeté son dévolu sur moi.
—Je vous l'avais dit, qu'on se reverrait.
C'est lui, bordel ! J'en suis certaine.
Au moment où je me retourne pour le remettre à sa place, cinq mètres nous séparent déjà.
Dans la pénombre, je distingue son dos et ses tatouages sur ses avant-bras qui dansent sous la lumière tamisée.
Ragnar, celui qui m'a perturbée le mois passé.
Décontenancée, mes yeux le cherchent, je vais même jusqu'à sortir de ma cachette pour le trouver.
Il semble s'être volatilisé.
Tant pis, je retourne là où je suis censée me trouver.
La chaleur de la salle est harassante, mes joues s'échauffent et j'ai hâte que tout se termine pour que je puisse reprendre mon service.
La tension monte d'un cran lorsque Naomie s'amuse en faisant descendre et remonter le zip invisible de sa longue robe fuchsia plusieurs fois.
Elle joue avec les nerfs des spectateurs jusqu'à la dernière note finale.
Le son d'un métronome prend le relais.
Toujours habillée, elle dépose son index sur sa bouche pour faire un signe de silence avant d'agiter son doigt en rythme, un sourire en coin.
Tic-tac,
Tic-tac,
Tic-tac...
Ce bruit monocorde attire toute mon attention.
Hypnotisée, je sens les vibrations m'envahir et bizarrement le tempo me rappelle un martèlement sur un sol en parquet.
Un souvenir d'enfance me revient, j'avais treize ans à l'époque.
La musique classique tournait en boucle depuis une heure et les exercices répétitifs s'intensifiaient et étaient cadencés au rythme d'un bâton qui frappait le sol.
La luminosité filtrait au travers des hautes fenêtres et se reflétait dans les miroirs de la salle de danse.
Il faisait si chaud en ce mois d'octobre.
« Mesdemoiselles, de la rigueur ! ».
Notre professeur était débout dans un coin de la pièce.
Savoix sèche et autoritaire fendait la célèbre symphonie du ballet du « Lac des cygnes ».
« DE-LA-RI-GUEUR ».
Son ton avait encore monté.
Chaque syllabe était accompagnée d'un coup de bâton qui résonnait comme un ordre militaire.
À chaque fois, je frissonnais alors que l'intensité de l'effort perlait sur mon front.
« VOUS N'ÊTES PAS ASSEZ DISCIPLINÉES, MESDEMOISELLES ».
Madame Tavarez Maria.
Danseuse professionnelle dans le passé, une double fracture du tibia l'a contrainte à abandonner sa carrière alors qu'elle était au sommet de sa gloire.
À défaut de pouvoir à nouveau briller sur scène, elle a choisi d'ouvrir sa propre école privée.
Elle dispensait des cours à de jeunes filles issues de familles aisées qui ne se projetaient pas du tout sur ce chemin, mais qui, comme moi, étaient obligées d'y assister.
Son côté rude et froid me filait la frousse et contrastait avec la chaleur et la gentillesse de monsieur Tavarez Rodrigo, son époux, qui donnait des cours de danses de salon.
Et puis, un jour, sans attaches, sans enfants, ils ont décidé de tout arrêter, de vendre et de repartir dans leur pays d'origine, le Portugal.
Pendant sept ans, chaque semaine, je subissais cette torture et je maudissais ma mère.
Je faisais tout mon possible pour la faire céder, mais en vain.
Elle avait décidé que ces cours m'aideraient à me canaliser et qu'ils pourraient s'avérer utiles pour des événements mondains et me trouver un mari.
La bonne blague !
Toutefois, une fois l'âge adulte atteint, j'ai mesuré toute l'importance de ce que madame Tavarez m'avait enseigné.
« Pour obtenir ce qu'on veut, on se doit d'être rigoureux et l'effort finit par payer».
Aujourd'hui, bien que ma connaissance soit plutôt poussée dans le domaine, elle ne m'a, jusqu'à présent, jamais servi en société sauf quand je mate « Danse avec les Stars ».
De toute évidence, je pourrais devenir un membre du jury intransigeant encore plus exigeant que Chris Marques, mais d'une nullité quant à esquisser des entrechats et des pas de bourrée.
Ce sont les voix des spectateurs qui chantent avec enthousiasme « Like A Prayer » de Madonna qui me raniment.
La star interplanétaire par excellence a investi toute la scène sous un jeu de lumière électrisant.
Rien ne laissait présager que Maryline céderait sa place à Madonna, deux célébrités tout aussi influentes que sexy.
Naomie, encourage et incite le public à taper des mains.
Puis en deux temps, trois mouvements, elle arrache sa robe, déclenchant des cris dans la foule, révélant un magnifique bustier en cuir, qui épouse sa silhouette.
Sa poitrine est maintenue, tandis que ses formes voluptueuses sont mises en évidence.
L'ambiance atteint alors son apogée.
Tous les mouvements, qu'ils soient lascifs ou provocateurs, sont exécutés dans une chorégraphie bien huilée, interdite aux personnes de moins de 18 ans.
Les clients sont ravis et surexcités, ils dansent et chantent encore et encore.
Détendue et manifestement dans le mood, il faut croire que le whisky a aidé, je me prête au jeu en tapant des mains, en chantant et en bougeant comme tout le monde.
Soudain, sous les « oh », extatiques des spectateurs, Naomie s'élance et s'agrippe à une barre verticale au milieu de la scène.
Moi-même, je suis estomaquée.
Un stroboscope est focalisé sur sa silhouette.
Elle évolue comme une liane dans une forêt amazonienne, démontrant des acrobaties sensuelles.
Dotée d'une souplesse à toute épreuve, j'admire sa performance en ne la quittant pas des yeux.
Le pôle dance est une discipline sportive et artistique à part entière.
Dos à nous, elle s'immobilise une seconde puis elle se laisse glisser jusqu'à ce que ses hauts talons soient au sol.
Naomie se cambre vers l'arrière et exécute un pont.
Les mains en appui au sol, elle balance une jambe après l'autre comme une gymnaste aguerrie.
Après les acclamations du public, où la vue sur son côté pile semble plus qu'appréciable, Naomie promène ses mains sur son corps avec langueur, puis les place sur ses fesses et les serre, fort avant de les claquer plusieurs fois.
Ensuite, elle remonte ses doigts sur le zip doré de son bustier, le descend et fait glisser son sous-vêtement à terre.
Quand elle pivote, des nippies rouges ornent ses tétons, elle les agite avec frénésie comme s'ils étaient le point culminant de concentration.
Vu leur taille, je comprends pourquoi.
Durant la toute dernière minute, elle se met à tourner sur elle-même, s'arrête pour caresser sa poitrine, passe sa langue sur ses lèvres, fait courir ses doigts jusqu'à son entrejambe et joue avec les lanières de son mini string qui ne cache pas grand-chose.
Elle s'agenouille, cambre le dos en arrière tout en continuant de danser, puis termine à quatre pattes en remuant son arrière-train, ce qui fait bouger en même temps sa poitrine plantureuse.
Avant que la note finale ne résonne, elle s'écroule à terre avec panache et se roule sur le dos.
Elle écarte ensuite ses bras comme pour former une croix.
Belle référence à un Jésus crucifié, les grenouilles de bénitiers seraient choquées.
À la fin du spectacle, un public enthousiaste acclame la performance sulfureuse de Naomie.
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