Chapitre 37
Quelques minutes plus tard, Jacob revient, les traits plus détendus. Il participe à la conversation en donnant son avis sur toutes les séries médicales, des moins crédibles aux plus crédibles.
Pour quelqu'un qui ne voulait pas parler de son travail, c'est comme fuir une situation qui lui échappe, et je suis entièrement d'accord avec lui.
Nous mangeons et nous continuons d'échanger.
Le restaurant se vide peu à peu.
Les guirlandes qui ornent les façades diffusent une lumière, le soleil a tiré sa révérence.
Les deux jeunes femmes qui ont constamment leur téléphone dans les mains sont toujours là.
— Elles sont pathétiques, ces nanas, commente Isaure avec dédain.
— Les bimbos attablées à l'entrée ? demande Clément. Tu n'as rien à leur envier, ma toute belle ! Je sais de quoi je parle : deux fois en 72 heures, il ajoute la mine rêveuse qu'une gentille tape sur l'épaule le remet en place. Quand je suis allé aux toilettes, la grande blonde m'a coincé contre un mur.
— Coincé ? Questionne Isaure en grimaçant.
— Oui, elle a fait barrage avec sa poitrine. En même temps, tu ne peux pas les rater, je ne voyais que ça. Cela dit, ses seins peuvent être une arme de destruction massive. Enfin, bref, elle m'a proposé un plan à trois avec sa copine, la petite brune qui crie plus qu'elle ne parle.
— Et tu lui as répondu quoi ? l'interroge Isaure les sourcils froncés en secouant la tête.
— Que j'étais très flatté par leur demande et que je comprenais qu'elles soient attirées par un magnifique spécimen comme moi, et que je serais ravi...
— ... Ça va, le coupe Isaure, qui semble vexée de ne plus être le centre d'attention de notre Casanova de la soirée. On a pigé. Fais juste gaffe que leurs prothèses mammaires ne t'explosent pas en plein visage.
— Désolé si mon sex-appeal leur donne envie. Oh ! Mais tu ne serais pas jalouse ? Raille, Clément. Ne t'inquiète pas mon cœur, il ajoute en lui passant un bras autour de ses épaules, je leur ai dit que je n'étais pas intéressé parce que j'étais à une micromarche du bonheur avec toi.
— Recule ! T'es à une micromarche d'avoir ma main sur ton visage. On n'est pas ensemble, s'offusque Isaure.
— Ça ne saurait tarder, lui réplique Clément. En tout cas, ça n'a pas suffi à la dissuader, elle m'a collé un bout de papier avec son numéro de téléphone dans la poche arrière de mon jeans.
— Sérieusement, elles ne sont pas gênées, ces pétasses. À cause de leur attitude, elles peuvent en briser des couples.
— Le mec peut aussi dire : « non », répond Jacob avant de prendre une gorgée de vin.
Pas faux.
Devant une telle proposition, combien d'hommes la refuseraient-ils ?
Adèle va dans son sens aussi. Mon regard erre alors et s'arrête sur les avant-bras de Jacob. Les manches de sa chemise blanche sont légèrement retroussées, ce qui n'était pas le cas avant son retour des toilettes.
Je devine les détails d'un tatouage à l'encre noire qui remontent le long de son bras.
Ce médecin n'a rien de conventionnel.
— De toute façon, elles ont déjà trouvé une autre proie. J'ai aperçu la blonde draguer le barman, me distrait Clément de mes interrogations.
— Ne t'inquiète pas pour ces femmes, Isaure, ajoute Adèle, qui tente de la rassurer. Elles sont probablement plus malheureuses que tu ne le crois. Leur capital physique constitue leur principal atout pour qu'on les considère, que ce soit de la part hommes, soit de la société ou le culte de l'apparence domine partout .C'est idiot, mais c'est ainsi, conclut ma sœur en haussant les épaules.
Au même moment, Luis fait irruption et nous propose le traditionnel verre offert par la maison. Après avoir noté nos commandes, il se dirige vers le bar en compagnie de Jacob, ce qui m'étonne.
Clément nous dit qu'il est parti régler l'addition et qu'on ne peut pas l'en dissuader. Euh, c'est ce qu'on va voir.
Sans hésiter, je me dégage de la banquette pour aller auprès de Jacob, qui sort son portefeuille. Un relié en cuir est posé sur le comptoir. Je l'interpelle.
— Attends !Tu n'es pas sérieux ? Tu ne vas pas tout payer ?
— Et pourquoi pas ?
— Parce que c'est beaucoup trop.
— Ce n'est pas un problème. Mon salaire de stagiaire est suffisamment élevé pour couvrir le coût du repas pour tout le monde.
Il me regarde avec un sourire narquois alors qu'il avise le ticket sans que je puisse le voir.
— Je te présente mes excuses.
— À quel propos ?
— Parce que je t'ai mal jugé.
— Je l'ai bien cherché aussi.
— OK. On peut faire moitié-moitié.
— Nope. On s'est invité à votre table et vous avez dû subir les lourdeurs de Clément. Alors je tiens à payer pour ça.
— J'ai passé une excellente soirée et il est très sympathique.
— En fait, il n'a pas arrêté de parler de ta copine. Depuis trois jours, il m'assène des commentaires du genre : « C'est le meilleur coup de ma vie ! » Si Isaure n'en parle pas, lui, il n'hésite pas à le dire haut et fort. Je ne l'avais jamais vu aussi furieux que quand elle est partie.
Pensif, Jacob sort sa carte de crédit et me regarde avec un air légèrement réprobateur.
— Les filles font ça, se barrer au petit matin ?
— Plus souvent qu'on pourrait le penser. Le pire dans cette histoire, c'est qu'ils sont complémentaires. Isaure a enchaîné pas mal de cons, alors avant d'envisager une relation sérieuse, Clément doit percer sa carapace.
— Je lui dirai. Sinon, toi aussi, tu fais ça ? Tu te sauves après sans laisser de traces ?
Sans me laisser le temps de réagir, il poursuit.
— Sous son air de rigolo, Clément est quelqu'un de correct, loyal et de patient. Il a vécu son lot de merde de son côté. Je ne connais pas ta copine, mais c'est d'une fille comme elle dont il a besoin. Quelqu'un qui sait le remettre à sa place quand il devient chiant. Parfois, on a besoin de temps pour se rendre compte que la personne idéale se trouve devant nous. C'est encore plus difficile pour deux écorchés vifs comme eux.
— Vous réglez en espèces ou par carte de crédit ? demande une jeune serveuse derrière le comptoir en battant des cils.
Même si je tente d'obtenir un arrangement, il affiche une indifférence feinte en souriant, puis sort sa carte de crédit qu'il tend, à la serveuse sans prêter attention à ses tentatives de séduction.
— Je te propose un deal. Lundi prochain, même heure, même endroit. On donnera un coup de pouce au destin, il désigne nos amis d'un mouvement de la tête. Je nous proclame assistants de Cupidon.
Après avoir remercié la serveuse, il se saisit de sa carte et la range dans son portefeuille qu'il glisse, dans la poche arrière de son jeans.
Je le suis, dubitative, jusqu'à notre table, après qu'il m'ait adressé un clin d'œil complice.
Nous arrivons au beau milieu d'une discussion où les mots « vacances »et « destination de rêve » font l'objet d'un joyeux débat animé.
Cette année sera exceptionnelle. Je fermerai la boutique pendant deux semaines pour partir quelque part où la tranquillité rimera avec sable fin et mer cristalline. Les rayons du soleil illumineront ma journée pour que celle-ci se termine avec les doigts de pieds en éventail et un cocktail rafraîchissant.
J'apprends que Jacob a mis sa carrière professionnelle entre parenthèses pendant dix-huit mois pour faire le tour du monde en mode « Pekin Express ».
Il nous raconte alors comment il a visité tous les continents en avion, en bateau, en train et en autobus, et parfois même en auto-stop. Sa curiosité l'a poussé à se rendre dans des endroits moins fréquentés par les touristes, mais où l'accueil est beaucoup plus chaleureux.
À mesure qu'il raconte son histoire, nous le bombardons de questions lorsqu'il s'interrompt.
Un plateau qui contient nos consommations est placé sur la table.
Quand j'entends une voix masculine autre que celle de Luis, mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
Comme un lapin pris dans les phares d'une voiture, le choc est à la hauteur de ma stupéfaction.
Sans un mot, Isaure et Adèle me lancent des regards qui frôlent l'effarement et m'adressent un hochement de tête d'encouragement.
Je quitte la table et me dirige vers le bar en pensant à ce que je vais lui dire.
Je n'ai rien fait de mal, alors pourquoi ai-je cette sensation de malaise qui me parcourt tout le corps ?
Une fois devant lui, je lance.
— Salut, Thomas !
Le nez plongé dans un grand cahier, un stylo à la main, il griffonne quelque chose, sans lever les yeux. Il me lance d'un ton assez sec qui a le mérite de me surprendre.
— Je comprends pourquoi tu n'as pas répondu à mes SMS.
— Pardon de vous interrompre, dit Luis à l'attention de Thomas. Tout est nettoyé et rangé en cuisine. Il ne reste que deux tables à débarrasser.
— Merci, Luis, vous pouvez tous y aller avec les autres. Je vais m'occuper de fermer. Vous avez fait du bon travail, comme d'habitude. On se revoit demain. Rentrez bien.
— Merci patron pour votre aide ce soir.
Patron ?
Bien sûr !
Thomas est propriétaire de deux restaurants (bientôt trois) ainsi que d'un bar.
Quelle idiote !
Nous avons beaucoup parlé ensemble, mais je n'ai jamais songé à lui demander le nom de ses restaurants ni leur emplacement.
— Ce restaurant t'appartient ?
— Oui, Ava, veux-tu que j'inscrive ta réservation pour lundi prochain ? Ton ami, ou plutôt celui dont ton ex a tiré des conclusions hâtives en te voyant avec lui, te l'a si gentiment proposé.
Il a tout entendu et il se souvient parfaitement de mes explications du week-end passé.
— Je...euh... pourrais-tu s'il te plaît me regarder quand tu me parles s'il te plaît ?
Thomas relève la tête, ses traits oscillent entre la colère et la fatigue. Il me regarde pendant un court instant, puis, en fermant son cahier, il me lance d'un ton sec.
— J'avais l'intention de venir te voir chez toi, mais j'ai dû remplacer une de mes employées qui est tombée malade. De toute façon, j'aurais eu porte close. Tu devrais aller retrouver tes amis, je crois qu'ils t'attendent.
— Non, mais attends... Tu es jaloux, là ?
— Pas du tout ! Il répond, la mine fatiguée et contrariée, en croisant les bras sur son torse.
Il ment, je le sens.
— Il y a quelque chose de sympa lorsqu'on est en couple : c'est la confiance.
Thomas soupire, se pince l'arrête du nez et, enfin, me sourit.
— Va rejoindre tes amis, je dois encore m'occuper d'une table et puis, je ferme.
Rassurée que la tension entre nous soit dissipée, je lui envoie un baiser volant discret et retourne retrouver les autres.
— Bon ! On va le prendre ce dernier verre ?Je connais un bar sympathique pas loin, s'exclame Clément en avalant d'un trait son verre de whisky, ce qui me fait penser que mon Limoncello est toujours intact.
— C'est à toi de décider, dit Adèle, je suis venue en voiture avec toi.
Tous me regardent et attendent ma réponse.
— Allons-y les enfants, je dis en vidant mon petit verre d'un trait.
Nous nous dirigeons vers la sortie et tout le monde est déjà à l'extérieur.
Lorsque j'arrive près du bar situé près de la porte, Miss Botox note quelque chose sur un morceau de papier. Thomas, quant à lui, essuie le comptoir dans la section réservée à la salle.
Un mauvais pressentiment s'empare de moi. Je pivote et je fais quelque chose dont je ne me serais jamais cru capable de faire.
— Mon amour, je hèle Thomas en avançant vers eux. Ne perdons pas de temps, nous devons libérer la baby-sitter, elle doit être épuisée.
Je souris fièrement en posant ma main sur le bras de mon amoureux pour signifier à cette pétasse que c'est à moi qu'il appartient. Miss Botox perd de sa superbe.
— Avec nos jumeaux de cinq ans et la petite dernière de huit mois, notre vie quotidienne n'est pas toujours facile. Mais nous sommes très heureux ensemble. Mon mari est vraiment un père extraordinaire.
Je lance ces mots vers elle en me tournant légèrement vers Thomas, ce qui le fait sourire.
La mâchoire de Miss Botox pourrait se décrocher si son lifting lui en donnait la possibilité. Elle prend discrètement son morceau de papier, le roule en boule et bredouille un « au revoir » avant de quitter l'établissement avec sa copine.
Une fois la porte fermée, je soupire.
— De vraies connasses.
— Non, mais attends... Tu étais jalouse ? Ricane Thomas.
— Moi ? Mais pas du tout.
— Ah bon ! Un vieux sage m'a dit que, dans un couple, il est important d'avoir confiance l'un envers l'autre.
— Ouais, ça va. Toute la soirée, avec sa copine, elles se sont données en spectacle, c'en était écœurant.
— Tu n'as pas tort, mais ce type de nana me fait de la pub par les réseaux sociaux. J'y ai tout à y gagner.
— Elle allait aussi te filer son numéro de téléphone.
— Que j'aurais jeté à la poubelle comme je le fais régulièrement !
— Hum, hum... régulièrement.
— Viens par ici.
Thomas me prend par le bras, m'enlace, pose ses mains dans le creux de mon dos et appuie son front contre le mien pour m'embrasser sur le nez et les lèvres.
Son baiser est tout doux, réconfortant et apaisant.
— Tes amis t'attendent, il murmure dans mon cou.
Je soupire.
— On a décidé de boire un dernier verre en face le « Sky Haven Bar »,mais maintenant que tu es là, je n'ai plus envie d'y aller.
— Ça me tue de te le dire, mais vas-y. J'ai une totale confiance en mon épouse, il ajoute pour me charrier.
— Ouais, avec un peu de chance c'est peut-être fermé.
— D'ici une bonne heure, ce sera le cas.
— Tu me rejoindras ? C'est un endroit super sympa.
Thomas, opine.
— Je suis content que tu l'apprécies. Ce bar est mon premier bébé.
Je suis abasourdie, et, pourtant, sa présence lorsque j'étais avec ma sœur puis avec Mathias aurait dû me mettre la puce à l'oreille.
Vraiment, je ne vois que ce que j'ai envie de voir.
Thomas me donne un dernier baiser et me pousse vers la sortie.
Avant même que j'aie ouvert la porte, il m'interpelle.
— Des jumeaux de cinq ans et un bébé de huit mois. Tu y es allée fort, mais l'idée me plaît.
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