Chapitre 28
L'expression « se lever du pied gauche » n'a jamais aussi bien correspondu à la réalité que ce matin.
Dès que j'ai ouvert les yeux, le visage sournois d'Édouard s'est imprimé dans ma mémoire.
Je me suis déjà réveillée dans des états bien meilleurs.
Pire encore, son discours immonde continue de tourner en boucle comme un disque rayé.
La veille, en rentrant, un petit mot griffonné en vitesse m'attendait sur la table de la cuisine, Adèle s'absentait pour la soirée.
Après cette courte nuit, je n'en mène pas large.
Hier, j'étais plutôt soulagée de ne pas avoir croisé ma sœur.
Ma colère contre l'ex-futur mari de cette dernière aurait pu se répercuter sur elle.
Tout aurait pu exploser entre nous.
Assise au bord du lit, je gamberge.
La culpabilité me ronge, j'aurais dû lui parler dès qu'elle a franchi la porte dimanche.
Peut-être même, la forcer à se confier.
Je dois savoir si elle va changer d'avis et retourner auprès de ce tyran pour tenir ces foutus engagements dont il m'a parlé.
Quels sont-ils ?
Et si elle était déjà à ses côtés ?
Tôt ou tard, je vais devoir avoir une conversation avec elle.
Je mets fin à mes questionnements, sinon je risque d'être encore en retard. Je me lève et me dirige vers la salle de bain pour me préparer.
J'opte pour des dessous en dentelle noire sous une robe de la même couleur près du corps et je me maquille.
Juste avant de partir pour la boutique, je remarque son sac posé sur la table d'appoint dans l'entrée.
Elle dort encore.
Soulagée, je m'en vais.
***
La résidence d'Alix est magnifique. Elle est exposée plein sud, spacieuse et dissimulée par une végétation à perte de vue.
Assise sur un sofa sous une pergola design, je contemple les fleurs parfumées du jardin.
— Je pense vendre, me surprend Alix de sa voix douce. Depuis trop longtemps, cette grande maison est teintée de silence.
Un plateau avec une carafe de thé glacé et deux verres garnis d'une rondelle de citron jaune est posé sur la table.
— J'ai toujours aimé cette maison, je le lui confie.
Elle sourit et nous sert à boire. Une fois assise, ma tante penche la tête sur le côté.
Soucieuse, elle détourne son regard vers l'une des deux ailes situées derrière moi. Je devine vers quoi. Une fenêtre, plus particulièrement celle dont la pièce est fermée à double tour et qui la ronge depuis des années.
À l'étage, une chambre est restée en son état. Un cocon préparé avec soin pendant neuf mois avec tant d'amour. Rien ne laissait croire qu'il n'accueillerait jamais l'enfant tant désiré. Il est venu au monde sans émettre le moindre souffle de vie, il était déjà parti rejoindre les anges.
Les médecins ont parlé d'un défaut de formation au cerveau.
Le malheur s'était abattu, et, comme tout va par paire, l'infime espoir d'une seconde maternité s'est anéanti le jour où Paolo est parti. Il souffrait d'un cancer du pancréas.
Comment fait-elle pour encore tenir debout ?
Le regard maintenant fixé sur moi, elle me demande de tout lui raconter. Et c'est ce que je fais.
J'explique tout pendant plus d'une heure, sans omettre un seul détail, depuis l'annonce des fiançailles d'Adèle jusqu'aux menaces d'Édouard.
Attentive, Alix se contente de froncer les sourcils ou de secouer la tête de temps à autre sans jamais m'interrompre.
Une fois mon récit terminé, à bout de souffle, je prends une gorgée de thé en attendant une réaction de sa part.
Elle inspire profondément puis lâche une bombe.
— Je vais devoir fermer le Midnight Club.
Je manque de recracher mon thé alors qu'elle s'enfonce dans son fauteuil et qu'elle coince une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille avec sa sérénité légendaire.
— L'anonymat du personnel et des clients n'est plus garanti, elle avance d'un ton calme. À la lumière de ce que tu viens de me raconter, ça ne fait que confirmer ma décision. Le profil d'un habitué n'a pas été assez approfondi. Son épouse, qu'il n'a jamais mentionnée, a découvert qu'il fréquentait le club. Elle demande le divorce et un énorme dédommagement financier. Les insultes fusent et les menaces pleuvent.
— Et merde.
— J'ai horreur des gros mots, mais le terme est bien choisi. Pour le moment, mes avocats travaillent d'arrache-pied pour trouver un accord qui pourrait satisfaire toutes les parties, y compris l'époux démasqué. La vengeance aveugle de cette femme. Après, qui pourrait lui en tenir rigueur, elle déclare en haussant les épaules. Je vais devoir y mettre les moyens financiers pour acheter son silence.
— Je ne comprends pas. C'est François qui s'occupe de fouiner auprès des clients.
Alix soupire.
— Oui, justement. Je m'entretiens avec lui cet après-midi. D'ailleurs, voici les instructions pour accéder à nos fichiers et comptes bancaires. Je vais en parler à François et lui dire que tu possèdes les codes.
Elle me tend une enveloppe que je glisse dans mon sac à main.
— Au sujet d'Édouard, j'enquête. Je tiens à te dire que l'un de mes avocats est son père, Jean.
C'est une première !
Estomaquée, je la laisse continuer.
— De source sûre, un autre collaborateur est pressenti pour reprendre le cabinet fondé par Jean et ton père. Édouard serait évincé. Humilié, il cherche à se venger, quitte à créer de très gros scandales. C'est donc pourquoi il cherche partout, terrorise le personnel et met des indics en place.
— L'enflure !
Alix, opine.
— Et Adèle ?
— Je suppose que c'est un dommage collatéral. En entrant dans cette famille, elle ne se doutait pas des responsabilités qui allaient avec. Elle vient sûrement de le découvrir. Ton père n'y est certainement pas étranger. Il a dû miser gros sur leur union. Je vais clarifier cette situation. Jamais je ne permettrai qu'on te fasse du mal.
La détermination qui transparaît dans son regard azur me donne la chair de poule.
— Jean et moi avons un contentieux. Par le passé, je lui ai sauvé la mise. Il m'en doit une. Un coup tordu de sa part et c'est moi qui le réduis à néant. Dès qu'il sera informé des agissements de son crétin de fils, il agira pour l'arrêter. Adèle a peut-être ouvert les yeux sur sa relation avec Édouard. Comment ? Je ne sais pas. Mais à présent, elle a besoin d'aide et tente de se racheter une bonne conduite. J'espère qu'elle n'en paiera pas le prix. Je verrai ce que je peux faire pour elle.
Ses révélations ont le mérite de me laisser sans voix. Je me souviens que mon père avait insisté pour qu'elle rencontre Édouard et qu'il était fier comme un paon lorsqu'elle a dit que leur relation était très sérieuse.
Mais de là à mettre ses intérêts financiers au-dessus de sa tête, je trouve ça répugnant, mais pas si surprenant de la part d'un tel individu.
Comme Adèle ne veut pas décevoir notre père, elle accepte de se plier à ses exigences.
Maintenant qu'elle a probablement découvert toute la vérité, elle est mal prise.
Quelle histoire !
— Je laisse passer les deux prochaines soirées au club, les annuler semblerait étrange. Une taupe se cache parmi le personnel. J'en suis quasiment sûre. Pendant ce temps, fais comme d'habitude. Assure-toi que tes arrières sont couverts. De plus, je te recommande de mettre de la distance entre toi et ton copain pour éviter de tout gâcher... à moins que tu ne veuilles tout lui dire.
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