Chapitre 1
3 avril 1943, 4h26
Chère Marie, j'espère que vous vous portez bien, en ce qui me concerne, je ne suis sûr de rien. Car si les Boches apprennent que je leur ai volé ce papier avec lequel je vous écris cette lettre, qui sait ce qui pourrait m'arriver ? D'ailleurs, je ne préfère pas y penser. Je préfère rêver de vous, rêver de vous revoir. Je me souviens encore de vos cheveux dorés qui volaient avec le vent qui soufflait sur les collines d'Alsace où nous nous retrouvions souvent. Je me souviens aussi de vos yeux couleur océan qui brillaient tels deux saphirs sous la lumière du soleil, de vos lèvres pulpeuses qui embrassaient les miennes, de vos mains de porcelaine aussi douces que de la soie. Le mienne de mains sont rugueuses à présent, rugueuses et blessées par le travail que l'on nous demande d'accomplir ici. Notre journée commence à l'aube, nous avons à peine le temps de prendre un petit déjeuner car déjà les Nazis font l'appel des détenus. Cela dur parfois plusieurs heures. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige ou qu'il fasse une chaleur torride, on nous aligne comme des animaux pour nous chiffrer et prendre compte des prisonniers qui n'auraient pas passé la nuit. Les Boches nous distribuent ensuite nos tâches. La plupart des détenus sortent du camp pour partir dans des carrières ou des ateliers de construction. D'autres sont envoyés alimenter le four crématoire qui se situe en bas de cet enfer. Il en sort à longueur de journée des fumées noires dont l'odeur nauséabonde nous asphyxie. Je pris pour que, d'aventure, je ne sois surtout pas envoyé là-bas enfin de ne jamais découvrir ce qu'ils brûlent dans ce four. Quant aux autres prisonniers qui n'auraient pas été envoyés au travail, ce qui représente chaque jour environ une dizaine de détenus, ils sont eux aussi exportés du camp. Je les vois descendre le chemin de pierre et s'enfoncer dans la forêt. Puis plus rien. Personne n'a jamais revu ceux qui ont un jour arpenté ce sentier. Qui sait ce qu'il se trouve au pied de cette colline ?
Je vois l'aube pointer depuis la petite fenêtre du dortoir qui se trouve en face de mon lit. C'est par ce seul endroit que parvient de la lumière. La chambrée est sombre, austère. Nous sommes plusieurs dizaines de prisonniers, entassés dans des lits superposés, sans couverture. La nuit, nous tremblons de froid car, dehors, l'air est gelé. Nous ne pouvons pas dormir car nos couches sont infestées de puces. Si ce n'est ni la faim, ni le travail qui ont raison de nous, alors nous succombons à la fatigue.
D'ici une heure, les Nazis viendront chercher les prisonniers, et nous devrons affronter une énième journée de labeur sous le soleil pâle du printemps.
Je vous écrirai bientôt une nouvelle lettre. J'espère pouvoir à nouveau vous revoir.
Votre fiancé qui vous aime,
Charles
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5 avril 1943, 00h43
Chère Marie, je pris chaque jour pour que votre santé soit bonne et que votre assiette soit pleine. Et je sais que, vous aussi, vous implorez le seigneur pour que je sois toujours en vie. Aussi loin que je puisse être de vous, j'entends vos prières qui m'appellent. Dans la froideur du camp et la peur oppressante qui m'envahit depuis que je suis ici, votre souvenir est la seule étincelle d'espoir qui parvient à réchauffer mon cœur.
Il m'est arrivé une aventure assez burlesque hier. Une chose à laquelle je ne m'attendais point dans cet enfer. Comme je vous le disais, le jour dernier les geôliers m'ont envoyé nettoyer la terre devant mon dortoir, et, à l'ombre du bâtiment, cachée par une planche de bois juste en dessous de ma fenêtre, j'ai trouvé une rose. Une rose fanée certes, qui n'avait plus d'odeur, ni aucune couleur. Elle était flétrie, meurtrie, sans plus le moindre éclat sur ses pétales. Comme si, à la façon de nous autres prisonniers, elle était restée enfermée dans ce camp depuis des centaines de jours, sans manger, et sans amour. Mais elle demeurait là, fière malgré sa faiblesse, continuant à se battre pour son salut et sa survie.
J'ai donc décidé de m'en occuper. Chaque soir, je garde toujours un reste de ma portion d'eau et, lorsque je suis certain que les gardes sont partis, j'entrouvre autant que je suis capable la fenêtre en face de mon lit et je verse le contenu de mon récipient sur la fleur. Vous allez sûrement trouver ça cocasse, peut-être même que vous allez vous moquer gentiment de moi. Mais cette rose, voyez-vous, est devenue pour moi une nouvelle raison de me battre pour survivre. Même si jamais aucune fleur ne comblera le vide que laisse votre absence.
J'espère bientôt vous revoir.
Votre fiancé qui vous aime,
Charles
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