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XXIX. 𝙿𝚎𝚗𝚍𝚊𝚗𝚝 𝚚𝚞𝚎 𝚕𝚎 𝚕𝚘𝚞𝚙 𝚗'𝚢 𝚎𝚜𝚝 𝚙𝚊𝚜

XXIX.



Rasmus tendit le cou, histoire de — il ne savait pas vraiment ; comme un gamin qui se figurerait que ce genre de geste va permettre à la voiture d'aller plus vite. La rue du Pont des Champs lui semblait strictement interminable. Dans les faits, ça n'était pas le cas, car une rue factuellement interminable aurait fait parler d'elle, mais à son sens il avait un doute.

« Vous pouvez aller un chouille plus vite ? » gémit-il.

Le conducteur eut un grognement.

« Non, pas vraiment. » Répliqua-t-il. « Je suis assez limité par la vitesse de ma voiture, voyez-vous. »

Rasmus était en proie à la certitude complètement stupide qu'ont beaucoup de gens vraiment très intelligents toutefois, soit ; si j'ouvrais la portière et courais le long de la route, peut-être que j'irais plus vite. Ça n'était pas une mauvaise idée en soi mais la raison pour laquelle les humains ont inventé la voiture taclait probablement le raisonnement, ainsi que le fait que Rasmus courait vraiment très mal.

Un faible couinement s'échappa du carton tout mouillé. Rasmus lui jeta un regard en coin, de plus en plus dubitatif, avant de relever les yeux vers le rétroviseur :

« Il y a quoi, dans le carton ?

Rien. » Le ton sec qu'employa l'homme en aurait fait sursauter plus d'un, mais Rasmus était Rasmus et se contenta d'une moue sceptique juste pour lui faire les pieds. Interdire au médium de faire quelque chose était le meilleur moyen de s'assurer qu'il s'y plie et l'étude de ce carton ne dérogeait pas à la règle. D'autant que...

...ses yeux revinrent audit carton. Il avait un mauvais pressentiment quant à son contenu.

Le couinement se répéta, légèrement plus faible et essoufflé.

« On y est. » Rasmus releva la tête, comme pris d'un électrochoc. « C'est le 32 —

Je sais, » le coupa le médium, clac, vlan, se précipitant à l'extérieur de la voiture en se prenant à moitié les pieds dans ses propres tibias. Ils y étaient — il n'y avait pas de temps à perdre. « Et merci pour... »

Il ne termina pas sa phrase.

Ses yeux tombèrent sur le carton, à l'intérieur.

Il y eut un autre couinement.

Rasmus sentit son mauvais pressentiment grimper de plus en plus.

Rasmus regarda le carton.

Rasmus regarda le conducteur.

Le conducteur regarda Rasmus.

Ils eurent un étrange échange visuel sans paroles qui aurait pu se traduire par : « non, ne fais pas ça.

Si, en fait. Je crois que je vais le faire.

Si tu fais ça, je te trouve et je mange tes orteils.

Trop tard. Ah ah ah ah ah ! »

...Ce fut à cet instant précis que Rasmus se jeta sur le carton, le récupéra à la vitesse d'un battement de cils, ...et se barra en courant.

Rasmus décida de ranger la sensation de se sentir particulièrement con dans le tiroir de toutes les occasions dans lesquelles ils s'était préalablement senti particulièrement con et d'en oublier la clef comme à chaque fois. Courir bêtement sur la route à une heure du milieu de la nuit et un carton volé sous le bras n'était qu'un événement parmi d'autres. Dans ledit carton, il sentit une petite masse remuer légèrement et pousser des couinements de protestation à chaque foulée. Il tenta de se stabiliser sans ralentir et manqua de peu le 32, rue du Pont des Champs.

« Merde ! » jura-t-il, avant de freiner des quatre fers pour rallier la porte. Il faisait noir comme au fond d'un four ; quelques lampadaires à gaz jetaient un pâle halo sur la route, bien vite dévorés par l'obscurité ambiante. Rasmus trouva spontanément que toquer était vraiment insuffisant et donna un grand coup de coude dans le battant. Après tout, sa douleur au doigt restait une bonne excuse.

« Police ! » hurla-t-il complètement au pif, « ouvrez ! »

Son mauvais pressentiment montait comme une vague et il ne savait pas nager. À côté de son pied gauche, un genre de scarabée noir et brun passa sans un bruit. Il ne comprit jamais d'où lui vint l'horreur soudaine de l'impression qu'il lui inspira.

...Des bruits de pas mal réveillés s'approchèrent derrière la porte jusqu'à des bruits de clefs dans une serrure, et que cette dernière ne s'ouvre tout à fait sur la figure légèrement chiffonnée d'Honoré Vuillemin ; Rasmus prit une demi-seconde malgré le temps qu'il n'avait pas pour se souvenir de l'utilité de l'homme dans l'histoire. Le disque de lumière d'un candélabre lui découpa une mine terrible et une moustache de travers — sans le moindre doute, le raffut du médium l'avait tiré d'un sommeil profond.

« Mais, » commenta-t-il pâteusement, « ...vous n'êtes pas du tout de la police.

— On en parlera plus tard ! » le coupa Rasmus en le bousculant à moitié pour se précipiter dans les petits escaliers, sur sa droite. « Quelque chose ne va pas !

Quoi ? » cria Honoré, alors que le médium atteignait quatre à quatre le haut des marches.

« Aucune idée ! »

Le souffle court, Rasmus se précipita à tâtons sur la porte qui lui semblait être celle du petit Jérémie. Ses mains tremblaient, un peu. Du reste il est difficile de se débrouiller avec un doigt en moins, et il serra les dents lorsque son bandage le lança brutalement en frôlant la clenche, et il parvint à l'abattre, et, allez, merde, frapper le commutateur

...Rasmus sentit le sang disparaître de son visage alors que la lumière déferlait en flot dans la petite pièce.


Il ne parvint pas à réagir, pas tout d'abord. L'effet fut pourtant immédiat.

À l'instant précis où l'ampoule au plafond clignota sa première demi-seconde, elle immortalisa une épaisse masse noire et grouillante de nécrophores, concentrée en boule autour d'une silhouette inerte. Le bourdonnement continu se tut comme par surprise.

L'instant d'après, c'était le chaos.

Ce fut comme si la lumière s'était abattue en cataracte sur les insectes pour les chasser dans un fracas océanique. Le bourdonnement épais qui s'ensuivit s'éleva en nuée, gagna les murs, s'aggloméra dans les jambes de Rasmus — le médium les vit prendre la fuite dans les escaliers et d'autres se glisser dans des creux dans le plâtre. La grosse masse se déchira et ne laissa qu'un grouillement mauvais à la surface de la silhouette en question. Ce fut à peu près à cet instant que Rasmus se sentit réémerger.

Charles.

« Perkele ! » jura-t-il pour la première fois de sa vie — seul son père disait ce genre de choses et il n'avait jamais compris le sens du terme mais ça lui semblait enfin d'occasion. Une nuée grouillante de nicrophorus vespilloides lui frappa le visage de plein fouet. Il cracha. Du reste il se souvint d'avoir craché. Il crut entrapercevoir Jérémie, debout, dans un coin, ...en plein centre d'un carré libre d'insectes. Il ne savait pas si le garçon souriait. Il crut entendre : « reste. »

Non, non, non —

Rasmus eut alors une idée complètement nulle :

...Il ouvrit le carton.

À l'intérieur, il n'y avait qu'une petite chose grise et noire, pas plus grosse que son poing, qui s'était roulée sur elle-même et ne bougeait plus vraiment. Rasmus nota que, si, peut-être, un peu. Elle tremblait et avait posé sur son nez ce qui ressemblait à sa queue comme pour se recroqueviller et gagner un peu plus de chaleur. Il songea à réfléchir au tournant franchement bancal que prenait sa vie depuis quelques jours, récupéra la petite chose, la fourra délicatement dans la poche de son manteau et se mit bon an mal an le carton sur la tête.

Ça permettait une demi-protection qui arracha un feulement à Jérémie. « NON ! Ne le récupère pas ! »

Le tourbillon d'insectes devenait de plus en plus dense. Il se concentrait sur le visage de Charles, et Charles ne bougeait pas, et le tout faisait comme l'épaisse coquille noire et chitineuse d'un masque d'arlequin. Rasmus ne voulait pas penser au masque blanc que ça lui rappelait. Il serra les dents, s'abaissa comme il le put au milieu du chaos. Coléoptère dans le col. Non. Merde. Désagréable. Il agita une main devant son visage, tentant d'y voir clair. Il n'entendait plus rien — tout était parasité.

Réveille-toi, espèce de — de rat de bibliothèque 

Arrête de voir le bien partout et d'en finir tout cassé 

S'il te plaît

« ...Allez, Charles...ah, oui, tu ne peux pas te réveiller — »

Une des mains de Rasmus tremblait ; l'autre lui faisait trop mal pour ça.

« Bon. »

Il passa une main sous la taille de son collègue, l'autre autour des épaules. Ça lui donnait une sensation pénible de déjà-vu — les insectes tourbillonnaient furieusement et parfois entraient sous le carton, lui heurtaient le visage. Rasmus manqua d'en avaler un. À vrai dire il ne voyait plus grand-chose. Ouïe, vue ; tout n'était qu'une nuée interminable qui s'aspirait vers le sol.

« Non ! »

Un jappement quasi-préventif (quoique, Rasmus ne comprit jamais bien comment la boule de poils avait pu deviner un tel événement) s'échappa de sa poche. Le médium releva la tête ; Jérémie, l'air furieux, avait quitté son poste et s'approchait de lui. Il avait des larmes plein les yeux et l'air de détresse rageuse de qui a été trop de fois trahi par la vie. « Non ! On devait rester ensemble ! Ne me laisse pas toute seule ! »

À chaque pas il découpait un carré de clair dans la masse de nécrophores.

Rasmus se sentit paniquer et décida du même coup qu'il était totalement dans son bon droit. « Non non non — » psalmodia-t-il en tentant un pas de côté. Où est-ce qu'il l'avait mis ? Bon sang, pour une fois qu'il en avait besoin

...Ses doigts heurtèrent avec soulagement le contour lisse de son crucifix.

« Euh, non, va-t-en, démon ! » balbutia-t-il en le tirant d'un geste franchement pas assuré de sa ceinture. « Laisse-nous tranquilles, je veux dire, s'il te plaît ? » Il raffermit sa prise sur Charles, le remonta, un peu, sur son épaule. La charge le fit grimacer. L'universitaire était très loin d'être un poids lourd mais Rasmus avait déjà du mal à porter sa propre valise. « On ne fait rien de mal ! »

Jérémie se figea à un mètre d'eux, feula de frustration. Une demi-seconde, Rasmus faillit rabaisser sa croix. Il y avait une telle solitude, une telle détresse dans les yeux de ce gamin. Ou plutôt, gamine. Les deux couleurs se superposaient.

Il y avait un isolement profond, il y avait de la tristesse.

Il y avait un : j'ai besoin de mes parents, même s'ils ne sont jamais là.

Et ça, ...Rasmus pouvait comprendre.

Il cligna des yeux. Perkele. Qu'est-ce qu'il fichait ?!

« On reviendra, pour t'aider ! » promit-il d'une voix aiguë. « Mais pas comme ça ! »

Ce fut à cet instant qu'il se précipita hors de la chambre, claqua la porte derrière lui.

Les insectes s'apaisèrent. Le silence retomba.

Au plafond, Rasmus n'avait pas vu la masse grouillante des nécrophores écrire en grandes lettres noires :

RESTE.

Ophélie pleurait doucement.

« Rasmus ?

— Hum ? »

Le médium releva la tête de ses bras, l'œil légèrement vaseux. Il était strictement épuisé et n'arrivait pas à se remettre de la nuit passée — si tant est qu'on puisse se remettre d'une telle chose ; sa main le lançait toujours, il avait sommeil, et donc, tout à fait logiquement,... il avait décidé de se mettre dans un coin et d'attendre la mort.

Dans les faits, l'intervention avait été une réussite. Il était parvenu à ramener Charles sain et sauf au 5, rue Champeau, et à le refiler à Marie — qui, naturellement, dormait du sommeil du juste — sans donner l'impression qu'il avait besoin de son aide, ce qui était en soi un tour de force. Ils s'étaient tous deux relayés jusqu'à ce qu'Hawthorne et Karadec ne reviennent. Au total, personne n'avait vraiment fermé les yeux, mis à part Charles lui-même.

Rasmus baissa les yeux vers la petite boule de poils qu'il avait emmitouflée dans les plis de sa chemise trop grande. Elle s'était endormie après qu'il ait manqué de racketter un pharmacien vers minuit trois pour lui soutirer en urgence un biberon "limande" en verre ainsi que du lait et farine infantiles. Il n'avait aucune espèce d'idée de si la chose était adaptée au petit animal, mais le fait était que ce dernier avait tout sifflé avant de s'endormir paisiblement. Rasmus n'avait rien trouvé de mieux que de le garder contre lui pour qu'il ne se refroidisse pas.

...Après quelques secondes de latence, il finit par relever la tête vers Hawthorne.

« Qu'est-ce qu'il y a ?

— On peut discuter cinq minutes de cette histoire de battue ? »

Rasmus grommela, étendit ses jambes. Ça faisait pratiquement une heure et demie qu'il s'était assis par terre, juste à côté la porte de la chambre de Charles, et bien que la position se soit avérée depuis longtemps éminemment inconfortable, il n'avait pas du tout l'intention de bouger. « Si tu veux, » marmonna-t-il. « Elle a sûrement un lien avec les fantômes de Geschwitz...

— Quasi-sûrement, » acquiesça Hawthorne en s'asseyant par terre, juste à côté de lui. « Je veux dire, trois gamins perdus. Trois manifestations ectoplasmiques à la limite du poltergeist, pas bien loin. Même s'il y a quelques années d'écart, je mettrais ma main à couper que c'est lié. »

Rasmus fit la moue. Il n'avait pas envie de parler mais devait bien admettre que ça se tenait. Doucement, il caressa le dos duveteux du petit animal emmitouflé dans sa chemise, et ce dernier tressauta paisiblement de contentement.

« En fait, la vraie question, c'est pourquoi Gualtieri n'a pas eu droit auxdites manifestations, » intervint le médium. « Pourquoi Geschwitz et pas lui, alors qu'il leur était contemporain ?

— J'ai peut-être une hypothèse là-dessus. » Hawthorne se gratta le menton d'un air pensif, soulevant un bruit de papier de verre. « Gualtieri ne croyait probablement pas aux esprits. Lui, il cherchait désespérément trois gamins en piteux état, peut-être, mais pas trois fantômes. Si Geschwitz nous a contactés, c'est qu'elle a quand même de petites bases dans notre domaine.

Colombe Geschwitz ? » grimaça Rasmus, dubitatif. « On parle bien de cette femme qui semble n'avoir pour religion que l'algèbre non-linéaire ?

— Si elle est logique, alors elle croit aux fantômes, » répliqua Hawthorne. « Gualtieri a été vigilant pour retrouver trois gamins, il n'a pas dû ouvrir l'œil en ce qui concernait des manifestations paranormales, pourquoi l'aurait-il fait ? Il suffit qu'elles aient été discrètes et lui, particulièrement peu vigilant car déprimé par toute l'affaire. »

Rasmus haussa les épaules. La petite boule de poils remua contre lui, laissa échapper un couinement plaintif. De ce qu'il avait triangulé, elle ne pouvait pas encore ouvrir les yeux ; ce qu'elle avait frôlé si certainement lui donnait envie de péter une vitre. « D'accord, mettons. Mais le type est mort au front. Où est-ce qu'on trouve des informations quant aux détails qu'il aurait pu manquer ? » Argua-t-il. « Où est-ce qu'un écrivain pourrait donner des infos sur... »

Rasmus se figea, croisa le regard surexcité d'Hawthorne. La réponse était vite trouvée. Il lâcha dans un souffle :

« ...Ses bouquins.

— Oui ! » S'enthousiasma Hawthorne. « Les écrivains sont des gens avec un ego gros comme une grue portuaire vu qu'ils parlent d'eux à demi-mot toute la journée.

— Ah bon ?

— Ben, oui. Il y a qu'à voir les analyses qu'on en fait ensuite et qui tournent plus autour de leur vie que sur leur contenu, » insista Hawthorne avec un geste négligent. « S'il a pu voir le moindre détail perturbant, il l'aura glissé là-dedans. Un écrivain qui voit un truc voler dans sa maison et qui ne trouve pas le moyen de le crier sur tous les toits n'est pas un écrivain, c'est un responsable des relations publiques et de la communication pour les affaires institutionnelles et gouvernementales. » Argua-t-il, très sûr de lui.

Rasmus fit la moue. « Seul problème : j'ai jamais ouvert le moindre de ses livres. » Hawthorne grimaça. « Ben, moi non plus. »

Un silence s'étendit. Par le petit jour de la fenêtre de soupirail, un rai pâle de début d'aube commençait à peindre le plancher, chassant peu à peu l'obscurité épaisse du boyau d'escalier.

...Le visage d'Hawthorne s'éclaira peu à peu.

« ...Mais je connais un sacré rat de bibliothèque qui va pas tarder à se réveiller et qui l'a probablement déjà fait pour nous, » s'éclaira-t-il.

Charles se sentait pâteux, à la limite de la crise aiguë de gastro-entérite. Ça n'était pas qu'il eût le moindre diplôme médical pour en attester mais il commençait sérieusement à avoir des doutes. C'était comme se réveiller d'une trop longue sieste en totale déshydratation ; ...désagréable.

Il papillonna des yeux et réalisa avec gratitude qu'il était allongé dans un lit.

Il entrouvrit un peu plus les paupières et les referma aussi sec ; un flot d'aube huileux tombait déjà par la petite fenêtre de sa chambre au point de l'éblouir. Il devina, une demi-seconde, une silhouette mince comme en contre-jour. Une sensation crispante d'eczéma lui parcourait les membres.

« T'es réveillé ou tu fais semblant ? »

La voix familière lui arracha un sourire douloureux qui lui suggéra la présence de quelques pansements au visage.

« Je sais pas trop. » Admit-il, la voix inhabituellement rauque, comme s'il n'avait pas bu depuis mille ans. « Je crois que oui, je suis réveillé. »

Il s'autorisa un coup d'œil sous sa paupière et ressentit une sorte de vague de soulagement en constatant que tout le monde était là. Rasmus, assis sur une chaise, à son chevet — juste derrière Marie qui tirait la même moue revêche qu'à l'habitude ; et puis Hawthorne, qui fumait une woodbine dans l'obscurité de sa grosse armoire, la mine sombre — Karadec se tenait droit, au pied du lit, ses larges mains posées sur le montant comme par esprit de protection. Charles décida de ne pas les faire attendre plus longtemps et ouvrit finalement les yeux, papillonnant dans la lumière de l'aube.

« Comment tu te sens ? » reprit la voix de Rasmus, après un silence.

« Euh...bien, » mentit Charles, se redressant sur un coude, en tentant un sourire rassurant.

« Ça, j'ai des doutes, » intervint catégoriquement Marie, les bras croisés sur sa poitrine. « Avec Rasmus on a dû te décoincer un insecte bizarre de la narine, j'imagine que tu dois au minimum te sentir un peu vaseux.

— Bon, d'accord, je me sens vaseux. » Charles se redressa, grimaça à la sensation de ce que le monde tournait un peu. « Qu'est-ce qui s'est passé ?

 — Tu n'en as pas le moindre souvenir ? » Nota Marie, dubitative.

« Ben...non. Je devrais ? » Oui, tu devrais, lui glissa un pan franchement peu coopératif de son cerveau, mais il décida de le poser soigneusement sur le bureau de son inconscient. « ...Attends — un insecte dans ma narine ? » Percuta-t-il soudain en sursautant.

« Ouais, » fit Hawthorne.

« Non, » fit précipitamment Karadec.

« On en parlera plus tard, » fit Rasmus. Charles nota qu'il tenait dans ses mains une serviette mouillée ainsi que ce qui ressemblait à une petite boule de poils, noire et grise, au museau arrondi et aux yeux encore fermés. Il passa à huit kilomètres de s'en faire discrètement une note mentale et lâcha tout de go :

« C'est quoi ?

— Oh, ça ? » Rasmus baissa les yeux vers ladite boule de poils, presque surpris — elle remua légèrement et laissa échapper un petit couinement. « C'est le p'tit truc. Il a pas de nom. Je peux pas le poser trop longtemps ou il risque de se refroidir et mourir comme une crotte. » Charles cligna des yeux.

« Il s'est...passé beaucoup de choses pendant mon absence, » commenta-t-il, à peu près sûr qu'il s'agissait d'un sacré euphémisme. Rasmus balaya l'argument d'un revers de main.

« T'as pas idée. » Sa mine s'assombrit un peu. « Disons que je t'ai ramené ici en un seul morceau grâce à l'aide d'un type qui, supposément, ...n'était dans le coin que pour noyer une portée de chiots. » D'où il était, Charles vit les muscles de la mâchoire du médium se tendre, ses mains se resserrer d'un geste protecteur autour du petit animal. « Supposément parce que je ne suis pas sûr mais ça y ressemblait, en y réfléchissant. Mais ça n'est pas la question. » Il se carra dans son assise, comme pour se rajuster. Dans son coin, Hawthorne soulevait une épaisse fumée de tabac brun qui semblait vouloir prendre vie en se tressant aux ombres, et Karadec lui arracha discrètement sa woodbine du bec pour qu'il arrête d'enfumer tout le monde. « La question est : est-ce que tu aurais déjà lu du Gualtieri ? » demanda gravement le médium en se penchant légèrement en avant, comme par confidence.

« Hippolyte Gualtieri, » précisa Marie. « Je n'ai pas du tout suivi ce pan de l'histoire mais ça me semble bon de préciser. »

Charles hocha lentement la tête, les yeux brillants, passant complètement à côté de la moindre surprise quant à cette question impromptue. À vrai dire, il n'avait jamais été un grand fanatique des écrits de l'auteur — quelques-uns de ses professeurs les survolaient même car jugés "trop hors-sol" ; mais l'homme restait un genre de philosophe qu'il convenait de lire. Comme pas mal d'étudiants en lettres, il s'était trivialement paluché l'intégrale des romans en question entre minuit et une heure du matin, probablement à une petite table animée de la Taverne du Panthéon au 26 rue Soufflot, non loin de la Sorbonne. Charles était entre autres ce qu'on pouvait qualifier d'un "rat de bibliothèque", il ne s'en cachait pas, lire avait toujours été un plaisir pour lui. Gualtieri l'avait laissé...dubitatif — alors même que tous ses camarades de bancs de naissance parisienne le taquinaient constamment sur le fait que, au vu de leurs origines respectives, le jeune étudiant et l'écrivain s'étaient probablement déjà croisés.

Si ces heures de lectures pouvaient servir à quelque chose, alors il s'en donnerait à cœur joie.

« Oui, en effet, » confirma-t-il, sentant monter en lui l'espèce d'excitation coupable de qui va se rendre utile. « On a étudié en cours son œuvre principale, les Quatre Elfes, en fait.

— Et c'était comment ?

Long. » Charles grimaça de sa propre honnêteté avant de reprendre : « Gualtieri admirait Wilde et théorise — théorisait, il est mort — la chosification de l'humain par l'art. Globalement, pour lui, l'acte de représenter l'humain par l'art constituait une opération de chosification à travers laquelle le sujet était comme figé dans une forme objectifiée, soit le miroir d'une dialectique entre immortalisation et déshumanisation. » Il haussa les épaules avec une mimique désolée pour son propre jargon. « Pour lui, l'art n'était pas anodin ; ça relevait de l'envie de...transformer les gens en choses, si vous voulez. Comme des papillons dans une vitrine. Un portrait a toujours été l'apanage des riches et le plus proche qu'on ait d'une immortalité, mais comme dans Dorian Gray, c'est inerte, vous voyez ? Comme...comme le papillon naturalisé. »

Rasmus cligna des yeux. Marie râla.

« Je vais ressouder le nécrophone » marmonna-t-elle avant de disparaître par l'encadrement de la porte. Charles eut une moue navrée — même Karadec osa un regard complètement perdu au médium. « En soi, je comprends, mais — pourquoi en faire un roman ? » lâcha finalement ce dernier, après un long silence.

Charles haussa les épaules. La moitié de la classe s'était à l'époque posé la même question et l'autre moitié avait lâché l'affaire. « Aucune idée. Il ne s'y passe pas grand-chose. »

Rasmus fit la moue. Il s'était absurdement attendu à de nombreuses révélations à l'évocation du livre en question — si un type dans le périmètre était bien capable de l'avoir analysé en long, en large et en travers, c'était bien Charles, — mais la chose semblait s'avérer un brin plus compliquée.

Dans ses mains, le p'tit truc remua légèrement, tenta d'entrouvrir une paupière. Rasmus se demanda quand sa vie avait décidé si spontanément de le transformer en la nourrice de ce qui lui ressemblait être un chiot cairn terrier complètement perdu dans sa propre existence d'un peu plus de six jours.

« Tu...aurais un exemplaire, par hasard ? » tenta-t-il tout à trac, après un long silence.

Charles grimaça. « Pas moi, enfin, plus maintenant, — mais mon père en avait un, à l'époque. Le livre date de 1913, il avait eu le temps de l'annoter, je pense, avant de... » Il se racla la gorge, peu enclin à s'aventurer sur ce terrain. « Enfin. S'il a pu voir quelque chose que j'aurais manqué, ça vaut le coup de le relire en diagonale.

— Super. » Rasmus sentit le vent tourner. Après tout, qui était le destin pour leur dire de baisser les bras ?

Et qui t'a donné cet optimisme ? Il préféra repousser la question très loin au fond de sa tête. « Où est-ce qu'il est, cet exemplaire, actuellement ?

— À Géraudot. Chez mes parents, » lâcha Charles avec le grand sourire de qui ne voit pas du tout le problème. Rasmus aurait pu ronchonner quant à la distance mais garda le tout pour lui. Si Charles semblait si détendu à cette idée, alors il le serait lui-même.

« Super, » répéta-t-il. « Dès que tu te sens mieux, je te propose d'aller le récupérer. Tu es venu à Troyes comment ?

— En train.

— C'était confortable ?

— Tu aimes les poules ? »

Rasmus décida de ne pas creuser plus avant cette conversation et se releva de sa chaise, histoire de couper court à toute cette affaire. « Reprends des forces, disons, et on repart quand tu le sens, » conclut-il. Derrière lui, Hawthorne tirait la tronche pour vol de cigarette et tentait d'en retrouver une dans la poche à gousset de son gilet.

« Compris. Et, Rasmus ?

— Oui ?

— Pourquoi tu as une serviette mouillée dans la main ? »

Le médium baissa les yeux sur ladite serviette. Il l'avait humectée d'eau chaude une demi-heure plus tôt et avait procédé à complètement oublier sa présence entre-temps. Dans sa main, le petit truc gigota. « Oh, ça ? » lâcha-t-il le plus naturellement du monde. « C'est le p'tit truc, il est trop jeune pour savoir faire pipi tout seul. Je suis un expert. À dans une heure, » coupa-t-il, ...avant de fermer la porte.

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