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XV. 𝙴𝚎𝚕𝚕𝚎𝚝𝚜

XV.



Une jeune fille passa en trottinant entre les ombres du séjour, s'y échappant comme une musaraigne zigzaguant parmi les lambeaux des arbres. Elle racla trois murs — d'un jaune riche et plein d'aurores et croisillé de colombages —, esquiva une table, poussa une chaise. Environ huit ans, une masse de courts cheveux châtains en carré, des yeux verts criblés de brun en éclats, qu'elle tenait de sa mère ; et puis aussi une paire de fines lunettes métalliques. Elle s'agenouilla brusquement à un angle, sans prendre le temps de freiner, — là où se tenait un garçonnet un peu plus jeune qu'elle.

Lui, devait avoir quatre ans, à peu près. Il s'était assis par terre et tenait fermement contre ses genoux un roman, comme s'il avait peur de l'abîmer ; et on ne pouvait pas réellement lui reprocher la motivation remarquable qu'on pouvait lire dans ses yeux. Il semblait mettre toute son énergie là-dedans. Le sourcil froncé comme un plissement rocheux en chevron de Cornouailles était au rendez-vous.

...Elle observa son visage crispé de concentration quelques secondes d'un air amusé, avant de faire remarquer :

« ...Charlie. Tu le tiens à l'envers. »

Sur ces mots, elle attrapa ledit livre et le remit d'un geste vif dans l'ordre des choses alors que le garçon semblait brusquement tout heureux de ce revirement de situation. « T'en fais pas, tu arriveras bientôt à lire, » promit-elle gentiment. « Tu veux que je te montre quelque chose ? »

Le garçonnet s'éclaira comme si s'ouvraient devant lui les orgues de la compréhension du multivers dans une gerbe de hosannas célestes, ...puis se redressa sur ses genoux, tenant le livre tout contre son torse avec un soin inimitable qui semblait suggérer qu'il absorbait toute son attention à ne pas l'abîmer. Il hocha la tête, les yeux brillants d'anticipation et l'air fasciné.

« 'Ui. » Acquiesça-t-il, tout heureux, l'air d'avoir à l'instant instantanément oublié tout le sujet du roman qu'il essayait de déchiffrer sans avoir la moindre notion de ce que signifie une lettre. La mémoire sélective des très jeunes enfants relève pratiquement du miracle.

« Hé bien, regarde. » La jeune fille ouvrit soigneusement le poing, répandant sur le plancher un petit essaim de carrés de papier froissés et vaguement moites, entendus qu'elle les avait gardés là très fort et surtout sans prendre aucune espèce de soin. Elle en saisit un, le lissa pas soigneusement du tout et le brandit sous le nez du garçonnet.

« C'est quoi, ça, comme lettre, Charlie ?

"E". Comme "Estelle", » s'illumina ledit Charlie en battant des mains (geste que toute personne sensée démontre évidemment dans un moment de grande joie).

« Ah-ah ! Presque, » sourit la jeune fille, qui, par une coïncidence pas si illogique que ça, s'appelait effectivement Estelle. Elle se saisit d'un second papier et l'approcha encore plus proche du nez de son petit frère. « Et lui ?

C'est la lettre de l'hôpital, » affirma le garçon en fronçant le nez d'un air concentré.

« C'est ?

Le "H" ! » triompha-t-il.

« Et là ?

C'est le "L". Comme l'aile, » ajouta-t-il, tout heureux.

« D'accord. » La fillette aplatit soigneusement les sept petits rectangles de papier, en lissant précautionneusement les plis sur le sol de vieux parquet. « Et ça, regarde en entier. I-E-A-L-R-C-H. Ça te dit quelque chose ? »

L'enfant fronça les nez, perturbé de ne rien y voir. « C'est...le bruit que fait quelqu'un quand il s'étouffe avec une noix ? » proposa-t-il timidement. Estelle rigola.

« Ah, non : presque. Regarde. J'échange des lettres. C-H-A-L-R-I-E. Ça ne te dit rien ? »

Encore un silence. Le garçonnet, assis en tailleur sur le plancher, fixait avec une attention cyclopéenne la petite ligne de papiers. On était en mars ; les lueurs couchantes de jaspe sanguin déclinaient sur la petite pièce, étirant des ombres portées sous les pieds des chaises. Le coin d'une table profilait sa silhouette au niveau du crâne de l'enfant.

...Soudain, son petit visage s'éclaira brusquement.

« Ça fait CHARLIE ! » gazouilla-t-il en levant les bras au ciel d'un geste de victoire.

« Bravo ! » la fillette lui ébouriffa les cheveux. « Et, tu sais, les gens qui savent déchiffrer les anagrammes, c'est comme un super-pouvoir. Ça te dit qu'on s'entraîne ?

Les anagrammes ? » répéta l'enfant, l'air perdu.

« Oui. Quand tu mélanges toutes les lettres. » Elle déposa une nouvelle ligne de petits papiers, attirant derechef l'attention fascinée de son petit frère. « Et là : E-E-L-L-E-T-S... »

Troyes, septembre 1932, 1, rue Darmstadt.


Le poste de police de la rue Darmstadt était une vieille maison grisâtre, rognée aux fenêtres par des frisottis de carte postale — comme une dégoulinure de blanc cassé sous un petit toit couleur ardoise. Les volets étaient blancs, abîmés un peu par un noir de charbon ; à environ une cinquantaine de centimètres du sol une petite barre de grosse pierre Champenoise délimitait le trottoir. La pluie avait forci vers la fin du soir et maintenant elle ne faisait qu'une petite bruine presque poudreuse, quelques éclats humides qui perçaient la lueur des candélabres.

Marie Vaillette se tenait debout, l'air revêche sous un lampadaire, alors que sa clarté pâle lui dégoulinait faiblement sur le visage. Elle s'y était adossée et attendait depuis plusieurs heures, déjà. À ces heures de la nuit, il n'y avait personne ; pas même un chat : seul un croissant de lune perçait à peine l'obscurité.

« ...Mais qu'est-ce qu'ils foutent, » grinça-t-elle entre ses dents.

« Ils vérifient qu'ils ont le droit de les relâcher, » répéta Rasmus, presque patiemment, sans même relever les yeux de la brindille qu'il poussait du doigt d'un air d'ennui ronchon depuis au moins trois heures. « Tu connais la procédure. »

Lui, s'était assis par terre, les genoux ramenés contre le torse, juste à côté d'une flaque — et, pour être honnête, de Charles ; qui, lui, s'était bel et bien assis dans ladite flaque. Ça ne semblait pas tant que ça le perturber, à vrai dire. Le jeune homme tombait de sommeil.

« C'est long, » râla la jeune femme. Si sa fierté mal placée ne lui permettait pas de rester debout depuis plus de trois heures, elle aurait probablement capitulé depuis longtemps pour imiter ses collègues et dire au revoir à la relative sécheresse de son postérieur.

« Oui. Ben, c'est la procédure. » Marmonna Rasmus en faisant tomber sa brindille dans le caniveau. « C'est déjà arrivé trois fois, je ne sais pas si je dois te le rappeler.

— Deux. Et c'était à Bréviandes. Il y a longtemps et en plus, cette histoire, c'était n'importe quoi. »

Rasmus eut un genre de bruit ininterprétable qui ressemblait à mi-chemin entre un raclement de gorge et un marmonnement de mauvaise volonté. Une chose était sûre ; il n'avait visiblement pas l'intention de parler plus que ça.

Ils l'avaient récupéré sur le chemin, alors qu'il titubait quelque part entre la rue du Pont des Champs et le 5, rue Champeau, trébuchant dans les flaques de l'air de qui a couru trop longtemps. De ce qu'il avait fait entre-temps, il n'en avait rien desserré — il avait à peine admis s'être arrêté à une cabine téléphonique, ce à quoi Charles avait répondu par une totale surprise, ...mais ne s'était vu opposer qu'un échange de regards gênés. Du reste, le retrouver de la sorte avait été une bonne chose. Même s'ils risquaient bel et bien de se croiser en refaisant à l'envers l'exact même itinéraire, Marie ne doutait pas une seule seconde de ce que Rasmus se serait fait coffrer au même titre que Karadec et Hawthorne s'il avait été trop prompt à rentrer.

...Quant à la façon dont il s'était finalement enfui sans se faire prendre, il n'avait pas pas non plus apporté beaucoup de précisions. À ce stade, Charles commençait légèrement à nourrir l'idée admirativo-secrète de ce qu'il avait dû user d'une quelconque magie.

La nuit qui passait coulait comme un fleuve, déroulant ses obscurités en gradients d'éther comme pour emporter les étoiles. Quelques nuages y jouaient à cache-cache ; Charles émit un petit son non articulé et semi-conscient et enfouit sa tête dans ses bras. Marie haussa un sourcil.

« Qu'est-ce qu'il dit ?

— Il demande pourquoi nous sommes ici alors qu'on est techniquement recherchés par la police, » marmonna Rasmus, peu coopératif (alors même que cela s'avérait à soixante-seize pour cent certain que Charles n'avait pas articulé la moindre phrase complexe de type sujet-verbe-complément).

Marie croisa les bras sur sa poitrine. « Comme d'habitude. On commence à être rodés. Absence de preuves. »

(Bruit d'épuisement inarticulé de la part de Charles, qui faisait de son mieux mais commençait à perdre le contrôle des mécanismes phonatoires de sa mâchoire.)

« Non, c'est plutôt selon le Code d'instruction criminelle de 1808, » le corrigea Marie sans sourciller. « Pas de flagrant délit, pas de preuves non plus...d'autant qu'Hawthorne a toujours la carte du contrat à jouer. Ils nous ont jamais gardés. Et puis, s'ils les relâchent, ils ne vont pas nous coffrer aussi sec. On vient juste les récupérer parce qu'on est des gentils collègues. »

Charles, la tête enfouie dans les bras, commençait très légèrement à pencher du côté de Rasmus alors qu'il sombrait peu à peu dans le sommeil. Ledit Rasmus ne semblant pas réellement fan du concept, ...il se décala discrètement, pris en étau entre un Charles qui allait bientôt s'endormir tout à fait sur son épaule et une flaque dans laquelle il ne comptait vraiment pas s'asseoir.

...Le médium resserra un peu plus fort ses jambes contre son torse d'un air mécontent, comme s'il ne comptait prendre aucune espèce de place et espérait que le multivers ne fasse même pas attention à sa présence. Un petit sourire amusé fleurit sur les lèvres de Marie.

« Lui, je te parie qu'il est capable de s'endormir debout comme un poney, » commenta-t-elle avec un regard goguenard à l'adresse de Charles. Rasmus ne semblait pas trouver la situation si drôle.

« Il n'est pas si tard, » protesta-t-il.

« Pour lui, on dirait que si. T'as vu ? On dirait qu'il fait partie de ces gens qui ont le sommeil plus lourd qu'un demi-parpaing. » Elle se dévissa de la corolle de lumière que son lampadaire jetait sur le pavé, s'agenouilla devant les deux collègues. Claquer des doigts sous le nez de Charles n'eut aucune espèce d'effet ; il dormait comme un bébé, la joue appuyée contre l'épaule de Rasmus, les lunettes de travers et un imperceptible sifflement s'échappant de sa narine droite à chaque fois qu'il respirait paisiblement. Rasmus tirait une tronche de six pieds de long. Il était le ronchon gothique de la troupe, bon sang, ...pas un oreiller confortable.

« Oh, allez, » relativisa Marie en captant son expression. « Il ne fait rien de mal. Il a l'air terrassé de fatigue.

— Tu sais, depuis la nuit des temps, l'être humain met au point des objets techniques parfaitement élaborés dans le but de ne justement pas dormir sur l'épaule de son voisin, » marmonna Rasmus. Il n'eut pas vraiment le temps d'ajouter quoi-que-ce-soit ; les yeux trop bleus de Marie s'étaient brutalement assombris, comme d'une gravité soudaine — Rasmus en conclut donc immédiatement qu'il avait dit une bêtise et opta pour son unique stratégie d'autodéfense, à savoir : ...tirer encore plus la tronche.

« Je suis vraiment un partisan des lits, c'est comme ça, » se défendit-il, la mine morne.

« Non — non, c'est pas de ça dont je veux parler. » Marie soupira en réalisant le malentendu et reprit : « ...on a des choses à discuter, en profitant de ce qu'il dorme. — ...Une cabine téléphonique, hein ? Tu as...parlé à quelqu'un ? »

Rasmus soutint son regard avec toute la fermeté et le défi qu'il avait en stock. De fait, il réalisa bien vite deux choses :

⒈ Il restait difficile (voire carrément stupide) de tenter de vaincre Marie en ce qui concernait la fermeté et le défi dans le regard ;

⒉ Ne pas cligner les yeux pendant si longtemps était la chose la plus suspecte qu'il ait faite de la journée.

« Non. » Affirma-t-il d'une voix boudeuse.

Marie soutint son regard avec à peu près la même force qu'un laser de classe 4 de type Étoile de la Mort croisée avec un aspirateur Dyson.

« Oui. » Lâcha-t-il après trente-six secondes de combat de regards. « En fait, oui.

— Purée, Rasmus. » Râla Marie. « Le don que tu as, il est incroyable. Pourquoi est-ce que tu t'obstines à...à trimballer cette planche de oui-ja usée qui raconte n'importe quoi une fois sur deux, alors qu'avec le télé —

— Les morts racontent souvent n'importe quoi, » ronchonna Rasmus. « Ils ont l'éternité pour faire des canulars. Quand j'étais petit, la majorité des contacts que j'avais avec eux se résumaient à "tire sur mon doigt" —

— Mais ça n'est pas la question ! » s'emporta Marie. « Rasmus, tu imagines tous les médiums qui s'embêtent à obtenir des réponses lettre par lettre ? Tu es capable de parler avec les morts par la ligne téléphonique, merde !

— ...Alors qu'en plus, ils n'ont même pas de doigts, » compléta Rasmus d'un air sombre.

« Tu m'écoutes quand je te parle ?! »

...Si le fait que Charles soit doté d'un sommeil d'une lourdeur à toute épreuve était encore à prouver trois secondes plus tôt, on pouvait aisément comprendre maintenant qu'il s'agissait d'une information indubitable. Les hauts cris de Marie ne lui avaient même pas arraché le moindre frémissement de sourcil, même lorsque Rasmus posa un doigt sur ses lèvres et ironisa comme si le jeune homme avait été un genre de bébé :

« Ne crie pas comme ça. Tu vas le réveiller.

Oh, bon sang — je ne comprends même pas. C'est...tellement plus pratique. Pourquoi est-ce que tu te refuses à exploiter le filon ? »

La mine de Rasmus sembla se renfermer, sans qu'il ne parle d'abord. Une demi-seconde, il resta là, assis avec une demi-fesse dans la flaque attenante, la tête d'un Charles endormi comme une souche posée sur son épaule gauche, à regarder l'eau noire qui se tressait dans le caniveau alors que la lune y striait ses débris de clair. La tristesse rendait étonnamment bien dans les yeux gris caractéristiques des Hiljainen. Elle ressemblait à une photographie argentique d'une plage de Finlande.

« C'est pas...traditionnel, » avoua-t-il enfin, d'une voix sourde. « Dans ma famille, c'est la planche de oui-ja. C'est tout. »

La lignée Hiljainen avait dans les faits répondu présent au rendez-vous du 5, rue Champeau depuis la fondation de l'édifice ; à vrai dire, sa présence assurait pratiquement un gage de qualité à la maison elle-même, à tel point que, de génération en génération, les membres s'étaient attachés au lieu jusqu'à y passer leurs existences. Ils n'étaient pas strictement le seul lignage à s'avérer dans ce cas, à vrai dire — mais l'autre l'était pour des raisons un peu différentes.

Marie resta silencieuse quelques secondes, cherchant les mots entre la compassion et ce qu'elle pensait au fond d'elle. Finalement, elle opta pour un :

« ...Mais t'es un grand garçon, Rasmus.

Je sais. »

Il avait parlé pratiquement entre ses dents, détournant le regard. À vrai dire, Marie eut le bon goût de ne pas insister. Parfois les yeux de son ami prenaient des teintes gris orage ; alors elle se détourna, doucement, comme pour ne pas effrayer un animal blessé. Dans l'ombre la rétine du médium reluisait telles celles d'un cerf pris dans la giclée d'un phare.

Elle savait peu de choses quant à son enfance, à vrai dire. Les Hiljainen étaient élevés dans un but souvent précis et qui comportait sur le contrat bien plus d'« engagement inconsidéré envers le surnaturel » que d'« apprendre à faire les gâteaux au yaourt trop savoureux ». Leur existence n'était qu'une longue période de mise en apprentissage qui se soldait par l'intégration à vie d'une structure — le 5, rue Champeau en était probablement le centre névralgique, mais Marie soupçonnait que la famille se soit à la longue disséminée dans un système multicœurs. Elle ne savait pas grand-chose de la famille en question, d'ailleurs. On ne pouvait pas dire que Rasmus soit une personne particulièrement ouverte sur son passé.

Alors elle ne dit rien, se contenta de se redresser, ramenant l'épaisse masse trempée de ses boucles d'un auburn presque pâle sous le globe de clarté du lampadaire. Même la lumière était striée, d'ici, mise en lambeaux par les raies de pluie. Les yeux de Marie se posèrent sur la porte du commissariat, presque durement.

...Roll out your rubber tired carriage,

Roll out your old time hat.

Twelve men going to the graveyard

And eleven coming back.

Le crépitement poussif qui se souleva d'à quelques mètres, là où le nécrophone s'était sans un bruit mis en marche ? ...Personne ne l'entendit. C'est bien dommage ; la pluie crachotait trop fort dans les flaques, éclaboussant des cercles tout blancs sur une surface d'huile. Des claviers multicolores s'étiraient sur les pavés trempés, et Marie ne sut rien de tout cela. Il faisait trop noir pour entendre quoi-que-ce-soit.

Now that I've told my story,

I'll take another shot of booze.

And if anyone should happen to ask you,

I've got those gamblers' blues.

Et puis, un mouvement — une grosse plaie de lumière qui s'ouvrit dans l'entrebâillement soudain de la porte d'entrée du poste de police. Marie tressaillit. Elle se serait mise debout si elle ne l'était pas déjà ; Rasmus de son côté se contenta d'un vague mouvement de tête en direction de l'action qui se débloquait enfin comme à la sixième heure d'un film d'auteur moldave.

...Charles respirait doucement.

« Allez, filez » marmonna une voix d'homme, alors qu'une silhouette sèche qui pourrait bien lui appartenir poussait vers l'extérieur deux ombres de plus ; l'une, large et assez imposante ; la seconde plus maigre et de taille moins nette. Aucun des trois plus jeunes membres du Département n'aurait été capable de l'identifier, mais il s'agissait du Brigadier Louis Forque, qui pour le coup n'avait qu'une seule envie, ladite envie tournant autour du concept de sommeil et de lit confortable. « Et faites pas les cons en rentrant. On vous garde à l'œil. »

La porte claqua à nouveau sur un front d'obscurités, laissant les deux autres à la rue, occupés à se faire du regard à la nuit — par manque absolu de pitié, Marie ne sortit pas immédiatement à la lumière du lampadaire ; ils verraient sa silhouette et celle des deux autres une fois qu'ils se seraient habitués à l'obscurité.

« Manque de preuves ? » lâcha-t-elle. Hawthorne oublia de sursauter dans le noir, ce qui frustra Marie quant à la qualité de son effet.

« Comme d'habitude. Merci d'être venus nous chercher.

— Rasmus a beaucoup râlé, » précisa Marie qui, en ce qui la concernait, avait carrément décroché la palme d'or de la râlerie et de la mauvaise foi tout du long du trajet.

« Non, » râla Rasmus.

« Tu voulais pas venir chercher tes collègues préférés ? » insista Hawthorne.

« J'aurais préféré me mettre une main dans une machine à embosser les saucisse de choux d'Arconsat, » marmonna Rasmus.

« ...Charmant. » Hawthorne enfonça les poings dans ses poches et fit volte-face vers Marie, l'air soudain plus sombre ; quelque chose sur son visage suggérait que tout n'avait pas été rose en garde-à-vue. « ...On a un problème, » confirma-t-il alors.

Marie fronça les sourcils, inquiète sans vouloir l'admettre. Elle connaissait assez bien Hawthorne, à force ; il ne jouait les heures graves que lorsque lesdites heures s'avéraient, effectivement, ...sacrément graves. Derrière lui, Karadec s'était discrètement penché vers Charles, l'air préoccupé.

« Il...il est décédé ? » demanda-t-il, anxieux et sans aucun lien avec le sujet, en se redressant.

« Non, il a juste le sommeil le plus lourd que j'aie jamais vu, » le rassura Marie d'une voix plus forte, avec un geste négligent. Elle revint du regard à Hawthorne. « Bon, accouche. Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Oh a dû jurer de ne pas reprendre l'affaire, ou ça va mal finir, » avoua le chasseur de vampires. Le micro-silence de plomb qui s'écroula sur eux glaça la conversation. Ça...c'était probablement le pire imprévu auquel ils pouvaient prétendre.

« Merde ! » jura Marie. Malgré tous ses défauts, elle avait un genre de code de l'honneur ; et bien que dans ce cas il ne fut qu'au fond simplement un sens moral extrêmement basique, elle devait bien admettre qu'abandonner un enfant possédé — du reste, elle avait vu dans quel état se trouvait Jérémie ; le laisser ainsi était criminel — relevait d'un comportement qui ne méritait même pas la qualification de "digne d'un être humain". « Et il n'y a pas moyen de faire une entorse à la chose ? Je veux dire —

Il lui a fait jurer sur la Bible, » l'interrompit Hawthorne, la mine sombre, ...avec un geste du pouce à l'adresse de Karadec. Le prêtre, occupé à s'assurer le soulagement de ce que Charles respirait encore dans ce qui ressemblait à son demi-coma, — releva la tête, un sourire crispé sur le visage. « On peut plus rien en tirer.

— ...Oh. »

À vrai dire, Marie était dotée d'un tempérament que je pourrais qualifier de : "les règles ne sont là qu'à titre informatif". Il s'agissait d'un tempérament effectivement très pratique quand on y réfléchissait, dans le sens où, une fois que cet état de fait s'avérait établi, ...la plupart des gens constataient aussi sec la résorption de la quasi-totalité des problèmes de l'existence. (A posteriori, il fallait bien admettre que ces petits problèmes de l'existence se transformaient en très gros problèmes de l'existence, comme un mandat d'arrêt dirigé contre vous, ...mais ce genre de détails n'étaient à traiter que dans un second temps et n'altéraient en aucun cas les avantages immédiats d'une telle philosophie.) Elle aurait de fait bien pu proposer ladite entorse. Cependant...

...Sur la Bible, c'était différent.

Elle ne tenait pas à ce qu'un barbu mécontent vienne fracasser les tablettes de la loi sur le crâne d'un de ses collègues, pour le dire trivialement.

« Marmonne, marmonne, marmonne, marmonne, » fit soudain à peine un filet de voix, comme quelqu'un qui dormirait profondément et aurait subitement décidé de commenter l'intégralité de ses rêves en oubliant avoir du même coup perdu toute capacité d'articulation consciente. Comme par confirmation, les yeux de Rasmus convergèrent vers Charles, une expression profondément dubitative sur le visage alors qu'il espérait un peu que le stagiaire finisse par se réveiller et dans la foulée arrêter de squatter son épaule gauche.

Marie haussa un sourcil.

« Qu'est-ce qu'il dit ?

— Il dit... »

Rasmus tendit l'oreille, à contrecœur. Écouter quelqu'un qui parle en dormant est rarement agréable, surtout qu'un tiers de l'information est à jeter, l'autre tiers n'a aucun sens, ...et le dernier est parfois tellement mal articulé qu'il convient de l'interpréter à peu près comme une boule de cristal.

« ...Il dit que nous trois, on a rien juré du tout, » lâcha-t-il soudain, après un long silence. 

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