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VIII. 𝙻𝚎𝚜 𝚖𝚘𝚗𝚜𝚝𝚛𝚎𝚜 𝚘𝚗𝚝 𝚙𝚎𝚞𝚛 𝚍𝚞 𝚗𝚘𝚒𝚛

1914, rue Jaillant-Deschaînets. 



Natanael épousseta la légère pellicule de neige et de givre qui s'était déposée sur les bords de son chapeau gibus, d'un blanc immaculé. Il n'était jamais vu sans cette élégance froide et impeccable qui le caractérisait, cette espèce de politesse lisse et parfois légèrement acerbe, le temps que tout retombe. Pas de prises. Les flocons tombèrent dans le noir, une minuscule pluie de quelques morceaux de givre qui virevoltèrent quelques demi-secondes.

« C'est juste là. »

Il releva la tête. Hélène Perrin l'attendait au bout du couloir, avec cet étrange langage corporel qui traduisait un manque total d'envie de coopérer. C'était une femme de taille moyenne, avec de drôles de cheveux auburns qui lui tombaient sur les épaules comme une nappe de bemberg, et puis un visage constellé de denses taches de rousseur. Elle était jeune ; un air de vingtaine brute et honnête, sans la moindre trace des coquetteries creuses de l'époque. Sa physionomie exprimait l'expression absolue de qui n'a aucune envie de voir un genre de mince tache de gouache blanche s'incruster chez elle, et Fredriksson comprenait totalement l'idée.

Dommage que l'intérêt de l'enquête lui fasse repousser toute compassion quelque part vers α Cir.

Il rejoignit le bout du couloir — Hélène Perrin n'avait même pas allumé la lumière — ; elle eut à peine un geste de recul pour s'effacer. À cet endroit le corridor formait un coude, donnant à la guise du visiteur un accès à la cuisine où à un petit boyau obscur dont on devinait le papier peint légèrement suranné. Au bout dudit boyau, sur la gauche, ...une petite porte entrouverte laissait échapper une atmosphère légèrement plus chaude, à cause du renfermé.

« À quelle pièce correspond-elle ? » demanda Fredriksson en s'y dirigeant soudain à larges enjambées.

Hélène grimaça, lui emboîtant le pas. La question ne semblait pas lui plaire. « La nurserie, » répondit-elle de mauvaise grâce. Fredriksson avait déjà atteint la porte en question, entrait comme un ouragan dans la pièce. Il avait cette tendance assez remarquable à mêler une discrétion polie et scientifique à la capacité d'atteindre quoiqu'il arrive ses objectifs. Généralement, on l'oubliait, et il installait paisiblement ses fils de soie pour guider un chemin. Ici, ...il se contenta d'allumer la lumière de la petite pièce sans demander la permission.

La mèche de la veilleuse à bougie s'éclaira comme un bourgeon rougeoyant, et le pasteur rempocha son briquet à amadou. Une lumière ténue et rouge et presque vacillante vint lécher les angles de la pièce. Elle donnait une impression de mouvance aux choses. Un instant, on aurait pu la croire vivante.

Les yeux de Fredriksson se braquèrent sur l'armoire.

C'était la première chose qu'on voyait, en entrant dans la pièce.

C'était un vieux meuble, incroyablement massif, de style régence — enfoncé presque au fond d'une flaque d'ombre. La faible lumière de la veilleuse semblait la contourner comme de l'huile glissant sur une boule d'eau noire. C'était une belle pièce ; une façade à deux portes avec un léger ressaut, des montants à pans coupés, des pieds galbés, rinceaux et feuillages en faible relief, — le tout en un chêne sombre sur lequel l'obscurité coulait comme du satin.

Une odeur étrange s'en échappait. Pas quelque chose de foncièrement perceptible. Mais au Département, ils sentaient ce genre de choses.

« Vous avez une nurserie, donc. » Releva-t-il négligemment, se saisissant de la coupelle de métal de la petite veilleuse. La lumière faiblarde roula sur les murs, bondissant hors de portée de l'armoire comme une nuée d'insectes se fendant devant une torche. Fredriksson plissa les yeux. Non, cette armoire ne lui disait rien qui vaille.

Hélène hocha la tête.

« Effectivement.

— Mais...vous n'avez pas d'enfants, » nota-t-il d'un air absent, en passant un doigt sur une entrée de serrure en bronze, tordue comme une feuille d'acanthe séchée.

« Octave dit que ça viendra, » fit pudiquement Hélène, croisant les bras sur sa poitrine. Elle n'avait pas avancé dans la pièce, une épaule appuyée contre le chambranle de la porte. Natanael songea brièvement à ses souvenirs du Hälsingland, et puis la sovrum bondée où ils dormaient à sept, lorsqu'il était petit, avant qu'il ne s'éclipse de plus en plus pour passer ses nuits dans la grange. Il se blottissait toujours entre deux moutons, dans la paille, avec un livre, et il lisait tard, et le sommeil le surprenait parfois en cours de page ; et puis c'était le soleil qui le réveillait le lendemain ; parfois très tôt en été, si tôt que les brebis restaient somnolentes, alors que des griffes de lumière réchauffaient doucement l'air de l'abri, traçant sur eux des bandes d'ombre striées d'or. Quatre heures et demie du matin et la plaine se nappait d'une chape de soleil rouge. Tout était brumeux, un peu pastel aussi. Natanael avait toujours aimé l'odeur humide et maternelle de l'aube et de la paille. La texture douce et rêche à la fois de la laine argentée des gotlandfår, sous sa joue, qui l'accueillaient toutes les nuits et le veillaient comme un de leurs agneaux.

Peu importait ; le fait était que la sovrum se résumait à une simple chambre commune bondée de lits en bois, certains encastrés dans les murs, superposés, aussi, — comme un étrange mikado où se lovaient des enfants aux cheveux souvent blonds comme de la neige. Il y avait des plumes et un peu de paille dans les coins, quand elle s'échappait des vieux matelas. Les couvertures en laine tissée grattaient. Ça n'était pas la définition du confort de quiconque ; le tout sentait le bois coupé, et un petit poêle laissait échapper parfois des parfums désagréables ; les voix des enfants rebondissaient dans l'espace comme pour ne laisser aucun centimètre carré de silence. Ça n'était pas confortable. Ça n'était pas censé l'être. Ils étaient sept à ses sept ans, d'autant plus par la suite.

...Il balaya rapidement la pièce de la flamme de la petite veilleuse, et ne prit même pas la peine de dissimuler le soupçon de jugement qui tressauta une demi-seconde sur son visage. Une nurserie entière, et ils n'avaient même pas d'enfants.

Il décida de passer outre. Ça n'était pas vraiment la question.

D'un geste net, ...il ouvrit la porte de l'armoire.

Hélène réagit au quart de tour.

« Non, ne faites p — »

Trop tard.

Quoique.

...L'armoire était vide.

Elle béait, ouverte, devant Fredriksson comme une grosse gueule de monstre. D'ailleurs une puanteur inexplicable s'en dégageait comme du fond d'une gorge. Probablement un morceau de quelque chose coincé entre les molaires, songea machinalement Fredriksson sans — étonnamment — aucune logique. Il brandit la petite veilleuse à l'intérieur ; le flot de lumière faible s'y assécha, caressant sur les parois de chêne une douce couleur aube.

« Il n'y a rien d'intéressant là-dedans, » affirma Hélène, catégorique.

« Pas si sûr. » Le souffle pensif de Fredriksson atteignit à peine les plus basses intensités audibles ; il s'agenouilla à même l'intérieur de l'armoire, scrutant le sol. Une demi-seconde, il retira ses lorgnons, les éloigna de son visage, comme pour mieux voir les taches sombres sur le fond du meuble. « ...Votre mère m'avait parlé de celles-ci.

— Aucune preuve que ça soit du sang, » argua Hélène.

Fredriksson passa ouvertement un doigt sur le bois, avant de lécher son index.

« Si ça n'en est pas, convenez que c'est très bien fait, » répliqua-t-il calmement. (Hélène grimaça.)

Les yeux de Natanael s'accrochèrent alors à un petit morceau de mur, là, enfoncé dans l'ombre, loin de la boule de lumière rouge et faible que dégage la veilleuse. Il y avait sur la cloison comme une forme rectangulaire. Il ne releva pas ; Hélène Perrin ne semblait pas coopérative. Elle pourrait mentir, ou le retirer.

C'était quelque chose, recouvert d'un drap. Comme un cadre. De forme ovale, donc...

...Fredriksson songea au mauvais pressentiment qu'il devrait avoir si la raison ne dictait pas toute entière son comportement.

« Vous n'avez pas peur du noir ? » Lui demanda soudain Hélène Perrin. « Les monstres aiment bien l'obscurité, et vous vous tenez sur une éclaboussure de taches de sang. »

Natanael ne lui rendit même pas son regard. La bougie de la veilleuse étalait sur son visage des aplats de suie.

« Non, » lâcha-t-il finalement.

« Mais les monstres, oui, généralement. »

1936. 5, rue Champeau.



Rasmus s'ébroua, ébouriffant énergiquement ses longs cheveux noirs qui, alourdis par la pluie de l'extérieur, semblaient couler autour de son visage comme une cascade de goudron. Il était trempé. Le temps de sortir du tram, l'averse l'avait pris par surprise. Il n'aimait pas les chapeaux (ce qui était un choix de vie recevable si on oubliait son aspect complètement anecdotique) et son manteau n'avait été d'aucune aide.

...Lucille, comme toujours, était restée dans le wagon.

Il savait bien qu'il n'était pas en mesure de la faire descendre. Ça faisait si longtemps, déjà, qu'elle restait enfermée dans ce tram à longueur de journée, en regardant le jour couler lentement, seconde après seconde. Longtemps quand on réfléchissait à ce que ça signifiait. Il décida de ne pas s'y attarder. Il ôta seulement son manteau, s'essora les cheveux sans scrupules au-dessus du carrelage globalement propre et l'accrocha à une patère. Dans quelques minutes ça serait un lac dans le hall, mais il s'en fichait un peu. Ça n'était pas lui qui nettoierait.

...Il se concentra fort pour ne pas se dire que c'était quand même très peu poli et se dirigea vers le petit salon, dont la lumière tamisée lui suggérait une paix qu'il avait toujours secrètement appréciée.

À la table, François était déjà installé, sa silhouette massive penchée toute entière sur un petit ouvrage de restauration. C'était un spectacle assez étonnant, à vrai dire. En contre-jour son dos large faisait comme un ours tentant de réanimer par bouche-à-bouche une libellule.

Rasmus avait toujours été fasciné par la délicatesse qu'avaient ses si grandes mains.

Yéti trotta jusqu'au centre de la pièce, ...et s'ébroua bruyamment, projetant tout autour une gerbe d'eau de pluie.

François releva la tête, pas rancunier. « Ah ! Vous revoilà. Les autres arrivent ? » demanda-t-il d'une voix douce.

« Non, j'ai...pris de l'avance, » éluda Rasmus. Le conservateur haussa paisiblement les épaules, comme pour signifier qu'il ne jugeait pas.

« Vous avez regardé le fond de l'armoire ?

Nan. Ou alors je suis parti avant qu'ils le fassent, » ronchonna Rasmus.

Alors que François rangeait son microscalpel Aesculap dans son petit étui en cuir, le regard du médium tomba sur un détail qu'il n'avait jamais remarqué, auparavant.

Pour son ouvrage, le restaurateur avait retroussé les manches de sa chemise — sur la peau d'ébène, des taches plus sombres ressortaient comme des marques topographiques sur une carte du monde ; et par endroit ressortaient d'étranges reliefs, comme des serpents sous la peau. Les yeux de Rasmus s'y accrochèrent et il s'entendit parler plus qu'il n'en eut conscience :

« ...Je savais pas que tu avais des cicatrices. »

C'était malpoli, peut-être, mais c'était sorti tout seul. François cligna des yeux, avant de comprendre ce dont il parlait. Un sourire compréhensif effleura ses lèvres. « Oh, non. Un vieux typhus. J'ai cessé d'y penser il y a plusieurs années, maintenant. Rien de grave. »

Rasmus hocha la tête, l'air absent, incapable de détacher ses yeux du petit réseau de cicatrices qui se devinaient maintenant, sous la lumière ténue. « Tu vas à la bibliothèque municipale ? » demanda-t-il, sans aucune transition, de la voix de qui sort soudain d'une rêverie.

Un sourire discret se devina sur le visage de François. « Ça arrive. Pourquoi ?

— Tu connaîtrais un certain Sacha Barakzai ? »

Le conservateur tourna la tête vers le jeune médium, croisa un regard presque fixe, comme si le garçon était suspendu à ses lèvres. Dans la demi-obscurité tamisée du petit salon, Yéti pourchassait sa queue sous l'ombre de la table.

« Non, désolé, » répondit-il doucement, après un silence. « Ça ne me dit rien. »

Rasmus soupira, déçu — se laissa aller contre le dossier de la petite chaise où il s'était avachi. Cette enquête n'allait nulle part. Il allait devoir laisser tomber, et Charles ne reviendrait même pas. Ils ne seraient plus une bonne équipe comme avant. Ça...ça le bouffait tellement fort de l'intérieur.

Il se passa une main sur le visage, épuisé soudainement par ce que devenait peu à peu son quotidien.

...François dut percevoir l'étincelle de désespoir qui brilla dans les yeux gris du jeune homme, puisqu'il ajouta gentiment :

« Mais j'ai bien emprunté un livre, récemment. Tu pourrais prétexter d'aller le rendre pour poser des questions, si tu veux, » suggéra-t-il. Le regard de Rasmus s'illumina immédiatement. Ça ! C'était une bonne idée (qu'il n'avait strictement pas eue parce qu'il ne lisait pas). Il se redressa précipitamment, manqua de marcher sur la queue de Yéti. Ça, ça allait marcher. Ça...ça ne pouvait pas capoter. Un grand sourire un peu stupide s'éclaira sur ses lèvres, tellement rare, parce qu'à l'habitude il tirait la tronche.

« Excellente idée ! » S'enthousiasma-t-il, se précipitant vers le petit hall d'entrée comme s'il venait d'apprendre la nouvelle du siècle. « Merci ! Je vais faire ça —

Rasmus ! » Tenta de le calmer François, alors que le médium avait déjà disparu derrière l'encadrement de la porte. « La bibliothèque est fermée, à ces heures —

Je sais ! » fit une voix dans le lointain, étouffée par la distance. « Je vais juste chercher ma planche de oui-ja pour aller m'occuper de Gabie ! »

François soupira, alors que les pas de Rasmus grinçaient précipitamment contre les marches de l'escalier, regagnant avec hâte sa petite chambre. Puis il l'entendit redescendre, et un bruit de porte qui claque, ...puis plus rien.

Il respira.

Quelques secondes, le conservateur écouta le silence ; le bruit du petit poêle, dans l'angle, qui soulevait des crépitements comme un ressac de respiration, et puis la façon que la lune avait de percer les rideaux en dentelle du hall, par le tout petit jour vieillot qui faisait presque une meurtrière.

Il regarda son ouvrage, une vieille bague sigillaire sur laquelle la rouille avait commencé à faire son office. La lumière ténue de la pièce s'entremêlait dans l'orfèvrerie, comme du crépon mouillé. Il passa un doigt sur le métal, sans un bruit. C'était presque chaud, à force de manipulation.

L'ampoule grésilla un peu. La lumière mordit par deux fois son visage pensif.

Il était toujours fasciné par la façon qu'avaient ses mains de fonctionner toutes seules, sans même qu'il ait à se souvenir des gestes.

Il resta immobile, quelques minutes.

Puis, il se releva.

Dans le globe de lumière ténue, sa large silhouette amorça une éclipse.

Il se dirigea vers les escaliers, et les monta sans un bruit.

Une marche, et puis l'autre.

Porte de droite.

Anciennement celle-qu'il-ne-fallait-pas-ouvrir.

Il hésita, quelques secondes, sur le pas de la porte, — releva les yeux vers les rais de lune qui s'échappaient d'entre les battants entr'ouverts, dans cette drôle de coursive qui se lovait autour de la cage d'escalier. Toutes les chambres s'y trouvaient, presque par ordre d'ancienneté. Ça sentait l'ancien et le réconfortant. Enfin. Il ne semblait pas vraiment hésiter. Il rajusta d'un geste négligent le col de sa chemise, un unique sourcil haussé.

Il frappa.

Un silence.

« Cora ? »

Sa voix était douce dans l'obscurité.

« Puis-je m'entretenir avec toi un instant ? »

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