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V. 𝙲𝚊𝚕𝚕𝚒𝚗𝚐 𝚊𝚕𝚕 𝚝𝚑𝚎 𝚖𝚘𝚗𝚜𝚝𝚎𝚛𝚜

1936, neuf rue Jaillant Deschaînets, dimanche soir.



« Maman ! »

Adelheid Perrin-Bathory se réveilla en sursaut sur le canapé, et l'obscurité s'englua autour de ses yeux comme une poix chloroformique. Son Marcelle Capy avait glissé de ses doigts sur le sol, s'était enfoncé dans l'épais tapis persan du petit salon. Le tic-tac épais de la grande pendule ressemblait aux coups répétés d'un couteau de boucher. Par les rideaux entrouverts, un rai de lune joua sur le cerclage de laiton chromé du mécanisme, et quelques reflets de nuit s'agitaient en-dessous, par mouvements de balancier.

Elle respira. L'air frais de fin décembre se diluait dans la pénombre.

« MAMAN ! » Le cri revint. Ça n'était pas un cauchemar.

...Ça n'était pas un c

Suzanne !

Le tout la frappa comme une gifle. Adelheid se redressa brusquement, comme tirée de sa torpeur — elle se précipita vers la porte vitrée du petit couloir, l'ouvrit à la volée. Suzanne ! Son mari dirait qu'elle surréagissait. Elle le savait bien ; la santé fragile des jumelles l'avait rendue trop protectrice, en un sens. Le petit Farkas, aussi...il n'avait plus jamais vraiment fait jour dans la petite maison depuis qu'il était parti.

Elle s'enfonça dans le couloir sans ralentir une seule seconde, emplissant les murs du bruit frénétique des talons de ses mules, le souffle court. « Suzanne ! » répéta-t-elle, avant de —

...Elle percuta la haute silhouette de son mari en sens inverse.

Le choc lui renvoya la tête en arrière, dans une éclaboussure chaotique de longs cheveux auburn un peu trop en vrac pour une femme-bien-élevée, et elle manqua de basculer sur le carrelage si André ne l'avait pas récupérée in extremis par les épaules dans un geste qui s'apparentait plus à un réflexe de panique qu'une véritable possession de ses moyens.

« Qu'est-ce qui se passe ? » bafouilla-t-il d'une voix que l'inquiétude rendit moins grave qu'à l'habitude.

« Suzanne ! » Elle se dégagea d'un geste d'angoisse avec une légère brutalité qui (elle ne le réaliserait qu'une minute après et déciderait subséquemment d'oublier très rapidement sa maladresse comme un chat qui enterre fébrilement son caca) ne s'avérait pas réellement adaptée à un ton qu'on emploie à l'adresse de son mari. « Elle a crié —

— Suzanne ?! » André Perrin-Bathory ouvrit de grands yeux. « Peut-être un cauchemar —

— Oh, je t'en foutrais, des cauchemars » marmonna Adelheid en oubliant d'être bien polie. Elle avait cette tendance presque identitairement indéracinable d'oublier l'époque et le fait que la société n'attendait d'elle que de s'avérer une version particulièrement sophistiquée d'un genre d'outil douze-en-un de ménage, d'autocuiseur et d'imprimante 3D à versions miniatures de son mari, le tout enveloppé dans une robe en crêpe de laine, — mais elle soupçonnait secrètement que c'était ce trait de caractère qui justifiait majoritairement les premiers intérêts dont André lui avait fait montre. À vrai dire, il cultivait secrètement un genre de goût pour l'idée générale de s'avérer sous l'autorité de quelqu'un, tendance qui parfois débordait dans des domaines auxquels Adelheid ne se serait absolument pas attendue dans un premier temps.

Chassez le naturel, il revient au galop.

Adelheid passa outre son mari et se précipita vers le fond du couloir, là où l'ombre faisait comme un renfoncement en forme d'une petite porte ancienne. La clenche lui donna du fil à retordre. Il y eut un bruit de colère — presque comme un chat qui feule — tu veux de l'aide ? Puis le coup brutal du bois contre le chambranle, puis l'obscurité qui se déversa dans la nuit du couloir comme un barrage qui cède, puis l'odeur...

« Les enfants !

— MAMAN ! »

Adelheid eut tout juste le temps de se précipiter à l'intérieur avant de se faire agripper le cou par une Madeleine en pleurs, geste qu'elle réciproqua immédiatement dans un genre de réflexe parental désespéré. « André, allume la lumière ! » il y eut un déclic, puis une pâle lumière grise suinta dans la pièce, et se lova lentement dans les recoins alors que la petite lampe à filament s'échauffa. Elle respira. La pénombre avait quelque chose d'essoufflant et insupportable comme une multitude de piqûres d'adrénaline.

...Ce fut, aux yeux d'Adelheid, ...l'une des pires nuits depuis des semaines que ça durait.

Elle encaissait, pourtant. La première fois où Suzanne les avait réveillés en pleine nuit en parlant d'un monstre dans le placard, elle l'avait consolée, pansée ensuite, parce qu'elle avait ces marques rougeâtres à la base de la mâchoire, juste sous le froufrou de ses cheveux blonds. André s'était chargé de parler à Madeleine. Enfin, non ; André était resté debout, complètement interdit, dans l'encadrement de la porte de la chambre, ...et elle lui avait conseillé d'aller parler à Madeleine. Mais techniquement il s'agissait de la même chose.

Elle n'avait pas tardé à se rendre rue des Gayettes, au commissariat de police. On lui avait opposé le fait que, sans traces d'effraction, il était bien plus probable d'imaginer une terreur nocturne infantile qui aurait mal tourné. Des jumelles dans une même chambre, la peur d'un monstre du placard, vous voyez, ma bonne dame. — ...Bon, d'accord, elle s'était un peu énervée. On lui avait dit de les recontacter si ça recommençait. Elle était rentrée chez elle.

...Bon, d'accord, elle avait aussi fait un petit doigt d'honneur au policier quand il ne regardait pas. Mais après, elle était définitivement rentrée chez elle.

« André, va me chercher de la liqueur de Dakin, » souffla-t-elle en écartant fébrilement les mèches blondes de sa fille du lait de son cou, où l'arc croûteux d'une ancienne blessure rougeoyait à nouveau. « Ça va, ma grande ? »

Suzanne hocha la tête, les yeux rougis. Adelheid le savait ; ça voulait dire que non, mais Suzanne était cette solide petite chose qui avait fixé sa peluche d'éléphant dès ses premiers jours comme si elle menait l'enquête quant à son potentiel rôle de baron de la drogue. La rubéole, la scarlatine et les otites, Suzanne les avait traversées sans un pet. À vrai dire, Adelheid commençait à se demander secrètement si elle n'avait pas engendré une forme de vie mutante totalement insensible à tout type de maladie infectieuse. Elle évitait d'en parler parce qu'elle avait fini par comprendre que passer encore plus pour une folle n'était pas un très bon plan, mais scientifiquement, une théorie non invalidée n'est pas considérée comme incorrecte.

...Dans son lit à barreaux, Madeleine mima un couinement triste, histoire d'attirer l'attention de sa mère. Adelheid cligna des yeux et se baissa pour attirer dans son étreinte la seconde jumelle.

« Tu n'as pas été attaquée, toi, hein ? » demanda-t-elle doucement. Madeleine secoua énergiquement la tête. Une seule à chaque fois. Très souvent en fin de semaine. Les deux petites filles l'étaient rarement simultanément.

Les oreilles d'Adelheid bourdonnaient sourdement, comme du fin fond de trois épaisseurs de palais des glaces et de jeux de miroirs, à des kilomètres de là tandis que le contact de ses filles la brûlait dans une sorte d'attaque d'hypervigilance, alors qu'elle écoutait sa conscience de se tenir là, à genoux, les plis de sa robe trempant dans une flaque d'ombre qui lui semblait trop poisseuse pour être vraie. La lumière noire avait pris une texture, et le rectangle de la porte entrouverte, derrière, fendait le pâle argentique de la petite ampoule à incandescence comme un coup de couteau dans le ventre d'un poisson qu'on vide. Elle essaya de ne pas penser à l'armoire, derrière. Ça revenait toujours à l'armoire. Un frisson involontaire parcourut le dos d'Adelheid alors qu'elle resserrait les deux petites filles contre elle. Elle ne voulait pas penser à cette grosse masse de pénombre.

Elle ressemblait trop à une bouche grande ouverte.

...Derrière, le pas rassurant d'André franchit la petite porte de la chambre des jumelles, légèrement maladroit et incertain de la marche à suivre ; et ça rassura un peu sa femme.

« J'ai...des compresses et la liqueur de Dakin ? » proposa-t-il d'une petite voix.

Adelheid lui adressa un sourire fatigué. « Merci, chéri. » André ne servait globalement pas à grand-chose, mais elle l'aimait quand même, parce qu'il avait ce bon fond un peu perdu qui transparaissait dans des yeux bleu pâle et inexplicablement pailletés de brun, comme si des bourgeons de cendre s'y étaient envolés. C'était un homme assez grand et mince, au visage anguleux et pourtant innocent, le teint pâle et les cheveux noirs, — dont les épaules de son complet trois pièces tentaient désespérément de lui donner une carrure respectable, ...histoire de compenser vaguement le fait que son expression faciale se résumait généralement à celle d'un bébé phoque qui suivrait docilement Adelheid partout en flottant à la verticale.

Il lui fallut quelques secondes pour qu'il songeât à humidifier les compresses, et, s'agenouillant soigneusement, à la tapoter délicatement sur la plaie de la fillette. Suzanne tressaillit mais ne laissa pas échapper un gémissement. Brave fille, songea Adelheid en lui caressant doucement les cheveux. « Ça va, ma grande ? » demanda gentiment André.

Suzanne hocha la tête, sans un mot.

« Tu l'as vu ? » fit Adelheid d'une voix douce, écartant soigneusement une mèche de cheveux du visage de sa fille, comme pour l'apaiser.

« Non. J'ai veillé ! Je jure que j'ai veillé, » promit Suzanne, les larmes aux yeux. « J'ai fixé l'armoire ! Madeleine dormait. Je voulais pas qu'il lui fasse de mal cette nuit...

— Chut. Tout va bien. Tu n'as rien à te reprocher. » Adelheid prit doucement la compresse des mains de son mari et la tapota délicatement contre la blessure. Ils avaient consulté un médecin. Ledit médecin avait commencé à remettre en cause Adelheid pour justifier de potentielles terreurs nocturnes. La jeune femme avait pris trois heures pour se remettre de son indignation.

À côté, André prit Madeleine dans ses bras et la calma maladroitement, avant de planter un baiser au sommet de ses cheveux.

« André. »

Il releva la tête. L'obscurité avait laissé une trace, dans l'espace lui-même, comme une brume poisseuse et d'odeur malsaine indéfinissable qui lui mettait une pression dans les tripes pour — partir, peut-être, comme si les ombres pouvaient encore s'effondrer et les écraser tous. La nuit avait oxydé le peu de lumière que jetait l'ampoule au plafond. André Perrin-Bathory était beaucoup de choses, mais pas un lâche, alors il chercha du regard les yeux de sa femme.

Dans le demi-noir, ses yeux virides traçaient comme l'amande d'une ligne malaire, et se perdaient dans ces mouchetures des taches de rousseur qui parfois lui donnaient comme un visage de daine. L'ombre bouffait les joues, et il ne restait que l'iris, et puis ces drôles d'ocelles qui trompaient la nuit ; le regard d'Adelheid n'avait jamais été aussi grave.

« On ne peut pas laisser ça continuer. » André tressaillit. La voix de sa femme était basse, parce qu'elle ne voulait pas que ni Suzanne ni Madeleine n'entende.

« On a tenté le médecin, la police. Personne n'écoute...

— Je sais.

— ...Et...et la porte est fermée, aussi. » Ça terrifiait André, parce qu'il ne comprenait pas. Lui était secrétaire d'état civil de nuit ; il passait ses heures actives en semaine dans un petit bureau, parfois, de l'aile gauche fraîchement rénovée de l'Hôtel de ville de la place Alexandre Israël, — celle qui avait été allouée aux services administratifs¹. Depuis la fenêtre, il ne voyait pas directement la rue Jaillant Deschaînets. Mais il veillait au grain. Quand aucun moqueur potentiel ne le regardait (et c'était l'intérêt d'un tel métier) il s'emmitouflait dans une grosse couverture en laine un peu ridicule mais qu'il aimait bien, parce que le vitrage était mauvais et que dans son bureau il faisait froid ; ...et il fixait par sa petite fenêtre l'entrée de la rue Champeau, aux heures de la nuit où l'ombre de l'église semblait vouloir fondre sur elle comme du goudron liquide. Il connaissait le chemin par cœur. Champeau, Émile Zola, Jaillant Deschaînets. Il est difficile de se figurer l'inquiétude d'un père dans une telle situation, mais celle d'André était palpable. L'impuissance le rongeait assez. Il en finissait par mémoriser le visage de tous les passants nocturnes qu'il pouvait entrevoir depuis son poste de surveillance.

André était un brave homme qui voulait bien faire, mais lui et Adelheid le savaient pertinemment ; son cerveau n'était pas équipé pour concevoir le surnaturel.

« Je sais, » répéta doucement Adelheid. « Et c'est pourquoi je pense que nous allons devoir sortir l'artillerie lourde. »

Elle relâcha brusquement les jumelles — André eut à peine le temps de souffler un on revient tout de suite pour les apaiser et de montrer délicatement à Suzanne comment maintenir sa compresse qu'elle s'engouffrait déjà hors de la petite chambre. « À quoi tu penses ? » demanda-t-il d'un air perdu en trottant à sa suite, rattrapant avec peine le pas de course rapide de sa femme.

« Tu te souviens, maman ? » André fronça les sourcils.

« Ta mère ? Non, elle est morte avant qu'on se rencontre.

— Ah oui, c'est vrai. » Adelheid eut une grimace avant de freiner brusquement pour ouvrir la porte de la cave, un petit battant de bois qui ne payait pas de mine. En à-pic vertigineux, un escalier de pierre s'enfonçait vers l'obscurité dans une légère odeur de renfermé pas vraiment désagréable. Un panier en osier particulièrement vieux prenait le frais sur une des marches. Ça n'était pas ce qui intéressait Adelheid. « Hé bien, elle a eu un problème, de son époque. Un problème que j'aimerais qualifier d'assez similaire au nôtre.

Oh. » Voyant que son épouse s'échinait à tenter d'ouvrir la vieille trappe du grenier au plafond, André tendit le bras et entreprit de l'aider. Bien qu'approximativement doué de ses mains, il avait l'avantage de la taille et rapidement le couple parvint à déployer la petite échelle escamotable dans un chuintement désagréable, celle en bois clair qui menait aux combles. « Merci » souffla Adelheid. « En fait, pas si similaire que ça, mais je commence à me dire que ça pourrait être lié. » Les grincements du sapin de l'échelle de meunier s'échappèrent des jointures et dégringolèrent par bouquets dans l'escalier de la cave, alors qu'Adelheid commençait à monter. André grimpa à sa suite ; les jumelles avaient la stricte interdiction d'emprunter ce passage, malgré tout. C'était une des premières choses pour laquelle ils s'étaient mis d'accord à leur naissance. L'escalier de la cave était le meilleur moyen de se briser la nuque et l'échelle du grenier celui de se rompre tout le reste. L'odeur capiteuse de poussière et d'air chauffé par les combles commença à prendre l'homme à la gorge.

« C'est peut-être anecdotique, mais... »

Il entendit son épouse se hisser sur le mauvais plancher du grenier, avant lui-même d'émerger dans la semi-pénombre. L'oxygène était étouffant et partout flottaient des petites particules en suspension qui rappelaient des lucioles. Il faisait sombre ; Adelheid l'aida à quitter l'échelle, et puis il se redressa. Le plafond en pente lui permettait à peine de se tenir debout.

Un parfum épais de vieux et de passé en noir et blanc lui prit les poumons. On y voyait à peine par un petit volet, au-dessus — une grosse zoropse à pattes épineuses détala de sous un vieil ours en peluche abandonné et lui fila entre les jambes. L'atmosphère avait quelque chose de crissante, à cause de la poussière.

« Qu'est-ce que tu cherches ? » demanda finalement André, tendant le cou pour voir ce que sa femme farfouillait dans un vieux coffre en bois.

« Elle m'en avait parlé...ah ! » Adelheid étouffa un cri de triomphe en tirant finalement sous un rai de lumière ce qui ressemblait à un rectangle de papier canson. André s'approcha. Au-travers de lattes du petit volet, la pénombre se striait de griffures séléniques comme des rayures de zèbre.

Il se figea, parvenant tout juste à lire ce qui y était imprimé en petites lettres élégantes.

« C'était cet homme qu'elle avait consulté, autrefois, » s'éclaira Adelheid. « Pour son problème...en 1914. »

André approcha la tête, pour mieux voir. Une strie de lumière de lune sembla lui scarifier le visage, jetant une clarté étrange dans le bleu pâle de ses yeux.

« Natanael Fredriksson » lut-il à haute voix.

« Le Département des Dossiers Surnaturels. »


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¹L'aile gauche de l'hôtel de ville, dédiée aux services administratifs, a été achevée en 1934.

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