- Chapitre 19 - Exploser
Je montais en silence dans la voiture. Je déposais le sac à dos à mes pieds puis m'attachais. Matthias reprenait la route en direction de chez lui -chez nous. Il roulait à une allure normale, comme si tout allait bien, comme si je n'avais pas tué quelqu'un. J'étais traumatisée, incapable de lui faire un rapport de la situation. Cette Georgia était un monstre.
- Alors ? Ça s'est passé comment ?
Voilà la question qui devait lui brûler les lèvres. Voilà cette fameuse question à laquelle je ne répondrais pas. j'étais tout bonnement incapable de placer deux mots dans une phrase. Ma gorge était nouée, j'étais prête à exploser en sanglots, mais je me contrôlais.
- Je t'ai posé une question. Continuait Matthias, calmement, et en prenant un virage à gauche.
Comment lui dire, comment lui expliquer la situation, comment la résumer avec de simples mots ? Je ne pouvais pas, comme si mes cordes vocales étaient paralysées. J'avais de plus en plus de mal à retenir ma bruyante respiration, à retenir le flot de larmes qui voulaient s'échapper de mes yeux. Qu'étais-je devenue ? En quoi Matthias m'avait transformée ? C'était sûr, je ne me reconnaissais pas. Jusqu'à arriver chez nous, Matthias ne m'avait pas reposé cette horrible question, je lui en étais reconnaissante. Je n'avais pas prononcé un mot non plus. En sortant de la voiture, j'étais bancale, j'avais l'impression que je ne réussirais pas à rester debout très longtemps. Depuis la seconde où je l'avais vu tomber en arrière, je me repassais le film dans ma tête, non pas que je le veuille, je ne contrôlais absolument plus rien. Alors que j'allais emprunter les escaliers, Matthias me retenait par le bras.
- Lucie, qu'est-ce qui s'est passé ?
Je me retournais lentement. Le sac à dos me glissait des mains et venait tomber à mes pieds, mon regard suivait sa chute. J'étais frêle, je ne comprenais pas ce qu'il se passait dans mon corps.
- Tu veux jouer avec ma patience ? C'est ça hein ? Qu'est-ce que cette pute a bien pu te dire sur moi ? S'énervait-il enfin.
Le ton montait progressivement, je restais muette. Il posait ses deux mains sur mes épaules et encrait profondément son regard dans le mien.
- Tu veux retourner en bas ? Ma patiente à certaines limites que tu es en train de dépasser.
Il faisait sans doute allusion à la cage, ma cage. Ses menaces n'avaient plus aucun effet sur moi, après ce que je venais de faire, c'était peut-être ce que je méritais. J'allais exploser.
- Répond-moi ! Parle !
Je ne pouvais plus me contenir, je fondais en larmes alors que mon corps n'arrivait même plus à me soutenir, je m'écroulais à genoux devant lui. Matthias s'accroupissait à mon niveau immédiatement. Il me regardait sans comprendre ce qu'il se passait. Je réussissais à marmonner quelque chose, je n'arrivais pas à le dire clairement. Le dire à voix haute reviendrait à rendre réel ce que j'avais fait.
- Quoi ? Me demandait-il de répéter, plus calmement.
- Je l'ai tué...
Des perles d'eau roulaient sans cesses le long de mes joues, j'avais explosé.
- Je l'ai tué !! Hurlais-je à pleins poumons, mes pleurs augmentaient à vue d'oeil.
Matthias venait placer ses mains sur mes épaules, puis il m'attirait dans ses bras, ce qui avait pour conséquence de le déséquilibrer, et me voilà allongée dans ses bras, par terre, à pleurer comme une enfant de 5 ans la mort de quelqu'un que j'avais sauvagement assassiné.
- Chut, chut ça va aller... Tentait-il de me rassurer.
- Non, non ça ne va pas aller, j'ai tué quelqu'un... Arrivais-je à articuler entre deux sanglots.
Je ne savais pas combien de temps avait duré ce moment. Les bras de Matthias m'enlaçaient alors que j'étais au plus mal, nous étions littéralement par terre derrière le canapé, mais je me fichais pas mal de tout ça. Tout ce qui m'importait était ce qui s'était passé. Je revoyais l'image de son crâne percé, de son visage défiguré, du sang qui giclait de l'orifice que je venais de lui faire. Je le revoyais tomber, je revoyais l'expression de sa bouche, de ses yeux. Alors non ça n'allait pas aller, loin de là même, j'étais sous le choc.
- Mon ange, écoute-moi, pleure, tu en as besoin, car les larmes sont comme le sang quand il coule, ça fait mal, mais ça nous renforce, et la plaie se cicatrise avec le temps.
Était-ce la réalité ? Allais-je devenir plus forte ? J'en doutais, mais venant d'une personne qui avait elle aussi tué, qui ne pleurait que lorsque sa mère décédait, qui était froid et sans coeur, violent et têtu, j'en doutais moins. Je redressais ma tête afin de le regarder droit dans les yeux.
- Comment... Comment tu fais toi ? Je reniflais une énième fois.
- Comment je fais quoi ?
- Quand tu achèves quelqu'un, comment tu t'en sors ?
- Tu vas t'en sortir, tu es une battante.
- Répond moi.
Il baissait un instant le regard.
- Je prends un verre de cognac et je vais sur le toit me perdre dans les étoiles.
- Il y a des nuages dehors ?
- Je ne crois pas.
Sur ses mots, je me redressais puis me levais. J'essuyais mes joues et mes yeux avec la manche de mon sweat puis me dirigeais vers le bar. J'attrapais la première bouteille qui se présentait à moi, du bourbon semblait-il, puis je l'enlaçait avant de me retourner vers Matthias.
- Je ne savais pas qu'on pouvait aller sur le toit...
- Tu as le regard si triste.
- Emmène-moi.
Matthias s'approchait de moi, il me prenait la main, c'était une sensation toujours aussi agréable. Arrivé à l'étage, il ouvrait une porte sur la droite, j'avais déjà remarqué cette porte auparavant, je l'avais ouverte et en voyant qu'il ne s'agissait que d'un simple couloir ennuyeux, je l'avais refermée. Nous marchions en silence jusqu'au bout de ce couloir, il ouvrait une seconde porte, différente des autres. Nous étions dehors, face à un escalier métallique. Une douce brise venait caresser mes joues humidifiées, il faisait bon. Toujours main dans la main, nous montions les marches jusqu'à arriver sur le toit. De là, nous nous asseyons côte à côte. Je dévissais le bouchon de la bouteille puis en buvais une gorgée assez conséquente, s'en suivait d'une grimace qui avait dû être horrible à voir. Je secouais ma tête de gauche à droite puis tendais la bouteille à Matthias.
- Trinquons.
- À quoi ? Me demandait-il.
- À toutes les merdes qui nous arrivent.
Il prenait la bouteille en main et l'approchait de sa bouche.
- À ma mère.
Il buvait plusieurs gorgées d'affilée. J'étais jalouse, il n'avait pas grimacé, même pas un petit peu. Je récupérais la bouteille.
- À celui que j'ai tué. Et aussi à l'autre, à qui j'ai transpercé le ventre.
Puis j'amenais le goulot à mes lèvres et buvais une seconde gorgée, sans manquer de faire une sale tête. Je sentais le liquide traverser mon oesophage et arriver dans mon estomac, ça me réchauffait et me brûlais la gorge en même temps.
- Tu veux en parler ?
- Alors tu me parles de ta mère.
Matthias hochait la tête puis récupérait la bouteille de bourbon. Il s'enfilait plusieurs autres gorgées avant de la poser entre nous. Elle ne restait pas plus d'une seconde posée que la prenait afin de boire une autre gorgée.
- Georgia est une sacrée salope, commençais-je, elle la jouait sympathique au début, elle est directement venue au bar et à commencer à me porter de l'intérêt, je suppose que tu savais qu'elle était comme ça, c'est pour ça que tu m'as envoyée. Ensuite, elle m'a raconté qu'elle venait du Colorado, endroit où j'habitais d'ailleurs, tu aurais pu me le préciser. Bref. Ensuite elle m'a aussi raconté qu'elle était revenue en Californie pour régler une affaire avec une certaine personne. À mon avis, ça n'a rien à voir avec ton trafic de marchandises ou je ne sais quoi. Ensuite, elle m'a proposé un pari, voyant que j'étais une pauvre fille perdue, elle m'a dit que si je réussissais à sortir du bar en vie, je pourrais rejoindre son gang, enfin, c'était interprété de cette façon. À mon avis, soit je réussissais et je la suivais, soit je devais mourir car j'en savais trop. Du coup, deux de ses sbires ont commencé à vouloir ma peau. J'ai alors utilisé l'arme que tu m'avais donnée, j'ai suivi t'es instruction, j'ai visé, et j'ai tiré. Une image sanglante me parvenait alors, je ravalais ma salive et continuais de lui expliquer ce qui s'était passé, j'ai transpercé le crâne du premier. Ensuite l'autre s'est acharné sur moi et j'ai commencé à tirer comme une folle un peu partout jusqu'à ce que je remarque son corps criblée de balles. J'ai alors fait l'étape numéro trois, j'ai couru.
Je baissais la tête, puis amenais la bouteille devant moi. Je prenais une grande inspiration puis buvais plus d'une gorgée. Ça me faisait toujours aussi mal à la gorge, mais là seconde d'après, ça faisait du bien.
- Je suis vraiment désolé de t'avoir forcé à y aller. Si j'avais su...
- Tu ne pouvais pas savoir. Le coupais-je en lui tendant la bouteille.
- Ma mère avait un cancer avancé de la vessie, elle a été diagnostiquée trop tard. Commençait-il avant de boire une énième gorgée.
- Elle était comment ? Raconte-moi, je veux penser à autre chose.
- Quand je n'étais qu'un gosse, ma mère était tout ce qu'il y avait de plus important à mes yeux, elle savait y faire avec les enfants. Plus tard, mon père est mort d'une crise cardiaque alors qu'il pêchait, c'était son passe-temps favori. Depuis lors, ma mère est devenue une coquille vide, elle s'est mise à fumer de plus en plus, elle sortait dans les bars jusqu'à pas d'heure et revenait toujours saoule à la maison, tout notre argent y passait. Il prenait une inspiration, son regard se perdait à l'horizon, mais moi, je le fixais alors qu'il me racontait quelque chose de très personnel, mes parents s'aimaient d'un amour si fort que ma mère n'a jamais pu faire le deuil de son mari. J'étais égoïste à l'époque, je ne lui avais jamais pardonné de ne pas être passé à autre chose, mais maintenant, je la comprends mieux.
Comme première réponse à ce qu'il venait de me raconter, je m'enfilais une autre gorgée de bourbon, puis je lui tendais la bouteille, il m'imitait puis la posait sur le côté. Je décidais de m'allonger.
- C'est rare d'aimer comme ta mère aimait ton père.
Matthias me regardait, il hochait la tête puis venait s'allonger à mes côtés, passant ses mains derrière sa tête.
- Son amour pour lui l'a consumée. Murmurait-il.
Je regardais devant moi, le plafond étoilé. C'était un spectacle magnifique. La nuit nous enveloppait agréablement dans ses bras de velours, les étoiles qui brillaient au-dessus de nos têtes étaient semblables à une lueur d'espoir. J'allais un peu mieux. Auprès de Matthias, je savais que j'étais en sécurité, loin de toutes mes peurs, de mes regrets, de mes hontes.
Ce soir-là, je le détestais un peu moins que d'habitude, il avait été là pour moi alors que je croyais que tout allait s'effondrer car j'avais commis l'irréparable, mais il l'avait fait bien avant moi, et il ne s'effondrait pas comme moi je l'avais fait. Je l'enviais, je voulais être aussi forte que lui.
- Les étoiles, je comprends pourquoi tu aimes les regarder après avoir...
- Tuer quelqu'un ? Avait-il fini ma phrase.
- C'est ça.
- Pourquoi alors ?
Nos quatre yeux étaient rivés vers le spectacle de la nuit. Une nuit que j'espérais être sans fin.
- Car quand tu regardes les étoiles, ça calme tes visions d'horreur. En tout cas, ça calme les miennes.
- Tu as raison, c'est aussi le plus pur des spectacles.
Calmement, le silence venait apaiser mes brèves souffrances. Petit à petit, je me sentais plus légère, comme transporter dans un univers parallèle. Était-ce l'alcool qui me faisait me sentir ainsi ? Ou bien la descente d'adrénaline ? Peut m'importais, j'avais le regard perdu dans les étoiles, et soudain, une étoile filante venait perturber mon champ de vision, je l'observais dans sa chute. J'étais comme cette étoile, j'étais tranquillement dans l'espace, dans mon monde ordinaire, puis un gros caillou m'avait percuté, et me voilà à me consumer dans la haute atmosphère terrestre, dans un monde que je ne connaissais pas, que j'apprenais à connaître. Je penchais légèrement la tête vers Matthias. Je le surprenais à lui aussi m'observer, je détournais rapidement le regard, je me sentais gênée.
- Tu as fait un voeux ? Me murmurait-il calmement.
- Non, j'ai pas eu le temps, et toi ? Lui répondais-je sur le même ton.
Il hochait la tête, ses yeux électriques toujours perdus dans les miens. Je décidais de soutenir son regard, je me penchais légèrement sur le côté puis encrais mon regard dans le sien.
- C'était quoi ?
- Ça concerne une personne qui est en danger de mort, mais je ne peux pas t'en dire plus, sinon mon voeu ne sera pas réalisé.
- Oh...
Ce qu'il me disait m'attristait fortement, l'alcool jouait beaucoup sur mes émotions.
- De qui il s'agit ? On ne peut pas l'aider ?
- Ne t'en fais pas, je la protège constamment, même si ces derniers temps je n'ai pas vraiment fait attention à elle.
Je restais muette, ce qu'il m'avouait faisait petit à petit changer mon opinion le concernant. Enckell et Lorenzo avait peut-être eu raison à son sujet. Ils le connaissaient mieux que moi, après tout.
- Je... Je pourrais la rencontrer ? Demandais-je avec espoir qu'il dise oui.
Peut-être que cette fille était différente de Mélina ou de Sandy. J'aurais bien voulu me faire au moins une copine dans ce monde de brutes.
- Impossible, avait-il répondu, il détournait le regard pour observer le ciel.
- Pourquoi ? Je restais dans cette position, à l'observer.
- Parce que.
Il avait probablement ses raisons. Je me redressais puis me levais sans me ménager, l'alcool que j'avais consommé faisait son petit effet. J'avançais de quelques pas, mon équilibre n'était pas au rendez-vous. J'avais bu du bourbon à la bouteille, c'était évident que l'alcool allait faire effet assez vite. J'avançais toujours, m'éloignant de Matthias un peu plus chaque fois que je posais un pied devant l'autre.
- Qu'est-ce que tu fais ?
J'entendais cette voix familière au loin, mais à peine l'avais-je entendue, qu'elle se perdait dans le flot de mes pensées. Je continuais d'avancer. Alors que j'allais atteindre le rebord du toit, je m'arrêtais. Je sentais une présence derrière moi, une présence qui me rassurait. Un fou rire me prenait alors.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? Lucie tout vas bien ?
Je riais, sans pouvoir m'en empêcher. Encore un pas, et je tombais dans le vide. Je tenais à peine debout, mon corps tanguait d'un côté puis de l'autre. Je me retournais afin de faire face à Matthias. Je riais encore, le sourire que j'avais au visage se transformait peu à peu en quelque chose de moins beau. Ma bouche commençait à se crisper, et mes yeux à se plisser.
- J'ai pris la vie quelqu'un, Matthias, j'ai.tué.quelqu'un.
Et j'explosais une nouvelle fois. Matthias me tirait plus près du centre puis m'enlaçait dans ses bras chauds et réconfortants.
- Matthias... Murmurais-je en décollant ma tête de son torse humide.
Je le fixais droit dans les yeux.
- Oui ?
- Tu sais pas, le pire dans tout ça, c'est que si c'était à refaire, je le referais sans hésiter. Parce que...
De nouvelles larmes jaillissaient. La main de Matthias venait me caresser les cheveux, pourquoi était-il là pour moi ? Je n'étais rien à ses yeux, mis à part un pion qu'il pouvait utiliser dans ses missions suicides.
- Parce que... continuais-je en séchant mes larmes, j'ai adoré ça.
Mes joues humides commençaient à me piquer la peau. Je regardais toujours Matthias, lui aussi me fixait d'un regard doux et bienveillant. J'examinais sa réaction, il ne s'attendait sûrement pas à entendre ça de ma part. Il restait là, à ne pas savoir quoi dire pendant de longues secondes qui parurent durer une éternité.
- Ferma-la un peu, c'est l'alcool qui te fait dire des conneries pareil.
Le ton de sa voix avait brutalement changé, la main qu'il avait dans mes cheveux m'attirait violemment contre son torse humidifié. Je ne comprenais pas sa réaction, c'était bien le seul qui aurait pu me comprendre.
- Pourquoi tu réagis comme ça ? Demandais-je d'une plus petite voix.
- Je ne veux pas que tu deviennes comme moi.
Ses paroles résonnaient dans mon esprit. Il en était hors de question, avant même qu'il ne mette le sujet sur le tapis. Jamais je ne serais comme lui, jamais Ô grand jamais. Il n'avait même pas à s'inquiéter pour ça, s'il s'inquiétait réellement.
- Tu devrais aller te reposer.
Je m'écartais de lui et hochais la tête. Il me prenait la main puis se mettait à marcher vers les escaliers. Arrivé dans le couloir principal, je m'arrêtais.
- Je ne veux pas dormir seule, je ne peux pas... Lui avouais-je presque de façon inaudible.
Matthias me jugeait, puis hochait légèrement la tête de haut en bas.
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