4 - Le Portail du Supplice (5/5)
— Parle mortelle, il est tard et je suis déjà las. Je peux sentir toute la peur qui émane de ton corps. Je connais ce parfum, donne-moi ton nom.
Étrangement la voix du démon ne correspondait en aucun cas avec l'apparence physique qu'il laissait entrevoir, ni même celle d'un être de son engeance. Celle-ci paraissait beaucoup trop humaine. On aurait dit celle d'un marchand distingué ayant peu de temps à perdre, d'un certain âge déjà. Darla prit une grande respiration puis parla d'une voix haute et forte.
— Je suis Darla Escandre, porteuse de la marque. Je réclame ton pouvoir en ce lieu, Samnaël.
Le démon bouc se pencha, et se grattant le menton, sembla réfléchir intensément. Puis son épaisse stature s'ébranla d'un rire tonitruant. Celui-ci n'eut rien d'humain.
— Oui, je te reconnais maintenant. Comment ai-je pu oublier la jeune prostituée du Val Rouge. Je conclu tellement de marchés avec les tiens en ces temps obscurs que je m'y perds à force...
— Je ne suis pas là pour bavarder, prince des marchés. Je réclame le dernier vœu de mon contrat ! l'interrompit Darla, semblant avoir repris de sa superbe.
— Je l'entends bien petite effrontée, et je m'en réjouis d'avance. Je constate que ton regard reste inchangé malgré le passage des âges. J'y vois la même lueur de défi, et d'arrogance. Moi je resterais le même à tout jamais.
— Cesse de de me tourmenter avec cette voix, je te l'ordonne. N'en n'as-tu pas des milliers d'autres à disposition.
— Cette voix, c'est celle que tu m'as donnée, petite effrontée. Souviens-toi, tu m'as ordonnée et nous l'avons tué. Ensemble.
Darla ne répondit pas. Calixte n'avait aucune certitude concernant les évènements évoqués par Samnaël, c'était une partie de sa vie que la Reine des contrebandiers avait toujours éludé. Même à sa plus proche amie. Voyant que son interlocutrice ne lui répondrait pas, le démon reprit la parole.
— Lors de ma deuxième conjuration, ne m'avais-tu pas certifié que plus jamais tu ne ferais appel à mon auguste pouvoir ? Quelle déception cela doit-être pour toi.
— Les temps changent, ton pouvoir saura se montrer utile. Et tu n'as pas encore gagné.
— Beaucoup ont essayé, tous ont échoué jusqu'à présent. Tu connais le prix à payer pour ce troisième et dernier vœu ? Dans une décennie tu m'appartiendras. Mais soit fière, car beaucoup ont succombé bien plus rapidement que toi. Maintenant consent-y et donne toi à moi.
— J'y consens et fais appel à mon dernier vœu.
— Alors parle, et je l'exécuterais à travers toi. Cependant prends garde, car je ne peux réaliser l'impossible.
— Samnaël, je t'ordonne d'ouvrir les portes scellées qui se trouvent en ce lieu, fit Darla en pointant de l'index le Portail du Supplice.
Le démon se mua instantanément en fumée puis se mit à tournoyer autour de l'archéologue, prêt à prendre possession de son corps. Puis le rire retentit de nouveau, bien plus fort cette fois-ci.
— C'est un souhait que je ne peux réaliser. Mon pouvoir ne peut pénétrer en ce lieu. Tu viens de gâcher ton dernier vœu, petite effrontée. Je vais maintenant quand même prendre possession de toi.
La tête de Darla fut repoussée en arrière. La fumée noire pénétra en elle, s'engouffrant dans sa bouche grande ouverte. Puis elle se mit convulsionner debout.
— Maintenant ! hurla Calixte aux Askands tout en refermant la paume de sa main.
Son sortilège s'activa immédiatement, le dernier cercle du sceau d'invocation caché par la poussière s'illumina. Le corps possédé de l'archéologue voulut en sortir, celui-ci se heurta à un mur invisible.
— Quelle est cette trahison, vociféra Samnaël par le biais de la voix de Darla.
— Attrapez-la et maintenez la bien immobile. Prenez-y vous à plusieurs, il ne s'agit plus de Dame Escandre. Et ne rentrez pas entièrement à l'intérieur du sceau, le démon vous arracherez les tripes.
Les mercenaires s'exécutèrent bien qu'un poil réticent. Ils d'eurent s'y mettre à quatre pour immobiliser le démon et l'empêcher de forcer la barrière du sceau. Calixte s'approcha tout en sortant un petit couteau et un flacon vide. Les ongles de la main de l'archéologue s'étaient allongés, formant des griffes effilés, son dos arqués, des canines pointues dépassant de sa mâchoire. Ses yeux rougeoyaient et ses pupilles dénuées de toutes formes d'humanité.
— Qui ose entraver la volonté de Samnaël ? Vous ne savez pas à qui vous avez affaire. Je vous tuerais jusqu'au dernier, hurla-t-il de nouveau, une expression inhumaine déchirant son visage.
— Tiens-toi tranquille, prince des marchés. Nous prendrons seulement ce dont nous avons besoin et ensuite tu pourras repartir d'où tu viens.
• Oh je le sens maintenant, ton Pouvoir ! Comment as-tu réussi à le cacher à mes yeux ? Il semble immense et inépuisable, comme une oasis en plein désert comparé à ses gueux. J'ai peine à reconnaitre ce lieu mais tu étancheras bien plus que ma soif. — Le démon se tut et son regard alla du couteau qui se rapprochait puis remonta vers le visage de la magistère — C'est donc cela que tu désires.
Les traits du démon mutèrent tout à coup et devinrent plus humain
— Ne fais pas ça Calixte. Ça fait mal, il me fait si mal à l'intérieur ! Je t'en supplie arrête le !
Sa voix, son ton et ses traits étaient parfaitement identiques à ceux de Darla, mais la magistère ne défaillit pas. Elle s'était attendue à ce genre de ruses. La lame de son couteau vers l'avant, elle s'apprêtait à entailler le poignet de l'archéologue possédée.
Des fissures commencèrent à apparaitre dans le sceau. L'un des mercenaires sur la gauche de Darla glissa de quelques centimètres vers l'intérieur du cercle, cédant face à la force surhumaine du dæmon. Ils ne retiendraient plus très longtemps la fureur de Samnaël. La lame de Calixte coupa la chair de l'archéologue, non sans l'aide d'un enchantement pour percer l'épiderme démoniaque qui avait recouvert sa peau. De la fumée s'échappa de la plaie, et des gouttelettes de sang tombèrent au sol. La magistère rapprocha le flacon vide et ce qu'elle redoutait se produisit.
Le cercle se brisa. Calixte sentit une force surnaturelle s'emparer de son corps et la soulever dans les airs. Elle eut à peine le temps de réagir que le démon l'envoyait valser contre le flanc de la montagne. Le choc fut brutal, quoique qu'atténué par un sortilège que la magistère réussit à incanter in extremis. Mais elle perdit tout de même connaissance.
Calixte se réveilla quelques instants plus tard. Enfin ce qu'il lui sembla car elle n'avait aucune certitude sur le sujet. Elle ouvrit les yeux, une horrible migraine enserrait de nouveau sa tête. C'étaient les hurlements des mercenaires qui l'avait rappelé à la réalité. Elle se releva. Les Askandars allaient se faire massacrer. Darla avait disparu du cercle brisé, laissant trois cadavres et une mare de sang pour seule trace de son passage. Les autres mercenare avaient disparu eux aussi. Combien de temps était-elle restée inconsciente ? Elle fixa la lune grise dans le ciel.
Moins d'une vingtaine de minutes, Sulvyn n'a presque pas bougé. Il n'est pas encore trop tard.
Elle se mit à réfléchir à toute allure tout en se rapprochant du Portail du Supplice. Elle devait trouver un plan d'action rapidement car son Don n'aurait qu'un effet limité contre une engeance supérieure. Une fois devant les Portes, elle crut apercevoir deux silhouettes se dirigeant à toute allure vers elle. Des rescapés de la troupe de mercenaires, et un troisième individu sur leurs talons, bien plus rapide qu'eux. Le plus en retard des Askandars fut fauché en pleine course au niveau des jambes. Il s'écrasa à terre et se brisa la nuque. Puis Darla bondit sur le second, le plaqua au sol, le retourna et planta ses griffes dans sa panse pour l'ouvrir.
Calixte recula, tout en jetant un œil derrière elle. C'était possible, elle n'était pas très loin après tout. Elle fit quelques pas de plus sans faire le moindre bruit tandis que le dæmon s'acharnait sur la carcasse. Puis son talon buta contre une grosse pierre qu'elle envoya bouler sur le côté par mégarde.
Samnaël tourna le chef, ses yeux rouges étaient sur la magistère. L'enveloppe charnelle de Darla était recouverte de sang de la tête au pied. Calixte commença à incanter tout en serrant fermement l'objet qu'elle venait de sortir de l'une de ses poches. Le moment de vérité était venu.
L'engeance fonça à toute allure sur la magistère, dominé par la soif du carnage. Samnaël fut sur elle en l'espace d'un battement de cœur. Calixte recula, de sa main tendu elle forma un mur hérissé de pointes de glaces. Le démon le heurta de plein fouet, essayant de briser le bouclier de la magistère à l'aide de ses canines et de ses griffes.
— Tes sortilèges ne te sauveront pas petite æthérian de pacotille. Je vais me régaler d'un Don aussi rare. Puis je laisserais cette effrontée d'Escandre avec ton cadavre éventré. Ainsi ma soif sera comblée.
Le mur se fissura. Calixte redoubla d'effort, brulant son käes, elle reforma la barrière et la fit doubler de taille. Elle y était presque, le dæmon était en train de s'engouffrer au travers des pics pour essayer de l'atteindre. Elle le laissa avancer petit à petit.
Celui-ci se mit à jubiler, sentant sa victoire proche. Usant de sa force surhumaine, il écarta la glace et se jeta en avant dans le petit défilé qu'il venait de créer. Calixte se jeta en arrière, esquiva in extremis la griffe du démon qui faillit bien lui défigurer le visage. Le passage se referma comme un piège à ours sur Samnaël.
Calixte se releva. Le démon essayait tant bien que mal de se dégager, grattant, griffant et tambourinant contre la glace. Mais celle-ci était bien trop épaisse pour qu'il puisse se dégager de son propre chef. Des pics de glace percèrent son épiderme et le sang poisseux et fumant du démon se mit à couler. Les gouttes noires allèrent s'écraser sur le cercle d'orichalque remplissant rapidement ses sillons. Calixte avait eu raison de croire à son instinct, car elle avait réussi à attirer le démon pile au bon endroit.
— Je ne pourrais peut-être pas t'avoir toi, mais elle je la tuerais ! rugit Samnaël en retournant ses propres griffes contre lui.
— N'y compte même pas engeance ! Retourne d'où tu viens !
D'un geste implacable, elle brandit l'amulette de désincarnation et la plaque contre le front du dæmon. Le faciès de Samnaël se contorsionna d'horreur. Le bijou se mit à luire d'une énergie blanche et pure. Le démon ouvrit la bouche, poussa un cri désincarné, s'évapora en fumée noire puis disparut.
La barrière de glace s'effrita. Darla s'écroula sur elle-même avant d'être rattrapé par le Pouvoir de la magistère. Son apparence était de redevenu humaine mais l'archéologue demeurait inconsciente et blessée par l'incarnation démoniaque qu'elle venait de subir. La faisant flotter au-dessus du sol, Calixte entreprit de la ramener au campement afin de soigner ses blessures.
Alors qu'elle quittait les lieux, le sceau d'orichalque s'illumina, suivit du haut relief du portail en intégralité. Les runes se mirent à bourdonner et des engrenages depuis bien longtemps immobiles se murent.
Près d'un demi-millénaire après sa condamnation par Malkhiarus, le Portail du Supplice s'ouvrit.
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