2 - La Sorcière des glaces (2/2)
L'échéance se rapprochait à grands pas, il ne restait plus quelques mètres entre elle et sa mort prochaine. Elle allait devoir faire face à son destin et aux conséquences de ses actes. Mais elle ne put s'empêcher d'admirer celle qui fut jadis la plus proche de ses amis. Ses cheveux d'un blond pâle semblable à celui de l'esclave d'Aliranthe, mais aux pointes parées de reflets bleutés, encadraient un visage triangulaire sans âge au teint nacrée. Ses lèvres étaient fines, la couleur rare de ses iris semblable à deux cordiérites étincelantes. Sa longue robe noire à col de fourrure soulignait les courbes gracieuses de son corps.
Leurs regards se croisèrent enfin. Une vision du passé s'imposa alors à Darla. Elle vit à la lueur vacillante d'une bougie, leurs corps nues enserrés l'un dans l'autre sous des couvertures en peaux de bêtes. Puis un autre lieu, plus sombre et froid, un poignard ensanglanté dans sa main.
Pour la première fois la Reine des contrebandiers baissa la tête face à la Sorcière des glaces, ce qui eut le don d'amuser cette dernière.
— Vous croyez vraiment pouvoir vous en prendre à nous sans subir de représailles en retour. J'ai des relations, l'Archonte entendra parler de cette affaire, s'insurgea de nouveau Aliranthe.
L'impertinent était en train de jouer un jeu dangereux. Darla releva le chef, elle n'était plus le centre de l'attention de la sorcière. Celle-ci fronça des sourcils puis posa sa pipe contre l'accoudoir du lit.
— Vous n'en ferez rien. Ni vous ni aucun de vos amis ici présent.
— Comment ça ? C'est inaccept...
La voix du marchand s'étrangla dans sa gorge, il tomba à genoux les mains sur son cou, incapable de prononcer la moindre parole. Calixte tira une nouvelle taffe d'eucalyptus, tournant la tête sur le côté, un sourire aux lèvres. « Tu pensais te débarrasser de moi aussi facilement ? Allons, il est temps, jouons maintenant » Voilà le message qu'interpréta Darla entre les lèvres carmin de la magistère.
— Ne mets pas ma patience à l'épreuve, marchand. Vous et vos amis pouvaient vous servir parmi les richesses de dame Escandre en guise de réparation pour ces festivités gâchées. Vos esclaves ainsi que vos domestiques ont été épargné. Il est regrettable d'avoir eu à tuer vos gardes du corps mais la seule responsable siège à vos côtés. Il est toujours dangereux de se rendre dans la tanière d'une vipère. Maintenant disparaissez avant que je ne change d'avis.
Si semblable mais pourtant différente. Des femmes de pouvoir entourées d'une ribambelle d'incapables et de pleutres. C'était en partie pour cela que la Reine des contrebandiers avait jadis jeter son dévolu sur Calixte, magistère déchue des Saints-Royaumes. Elles se comprenaient, elles étaient faites du même moule, destinées à la même grandeur.
Aliranthe se mit à tousser puis se releva, l'air se déversait de nouveau dans ses poumons. Il acquiesça sans se plaindre davantage car il savait qu'il sortirait gagnant de la situation malgré la mort de ses gardes. Ce funeste coup bas n'était qu'un échauffement pour la Sorcière des glaces, Darla en était certaine.
Le marchand d'esclaves héla ses compagnons et les rats commencèrent à quitter le navire. Pourtant le Khat, qui s'était montré impassible jusqu'à présent, ne suivit pas son maître à son départ.
— Mynelas, que fais-tu ? Suis-moi tu ne m'as pas entendu ? le fustigea-t-il.
— Je n'ai pas à servir un homme qui courbe l'échine. Je ne suis plus à vos ordres dorénavant, déclara-t-il d'un ton monocorde
— Il n'y a pas de discussion à avoir. Je t'ai acheté, tu m'appartiens.
Le barbare ne répondit, se contentant de rester immobile comme un armoire à glaces. Aliranthe était à deux doigts de s'emporter, il allait s'emparer de son fouet pour faire payer l'insolence de l'esclave. Mais il se retint de justesse. Les regards noirs des légionnaires l'avaient dissuadé d'agir de la sorte. Il traita Menelas d'un nom d'oiseau puis sortit à son tour du cloitre.
— Enfin débarrassé de ces gêneurs, c'est n'est pas trop tôt. Tu as le don de t'entourer des pires énergumènes, Darla. Prends un siège et maintenant parlons.
La maîtresse de maison s'exécuta, prenant la banquette qui faisait face à Calixte. Blanche comme un linge, elle ne releva pas la tête et se contenta de marmonner tout bas.
— Comment.... Comment est-ce possible... Comment as-tu survécu....
— Il s'agit donc de la première chose qui te vient à l'esprit ? C'est ainsi que tu m'accueille dans ta demeure. Pas d'étreinte chaleureuse ni d'embrassade aimante ? Ou dois-je craindre que tu ne sortes de nouveau une dague pour me poignarder ?
La reine des contrebandiers ne broncha pas. Face à Calixte, elle n'était plus qu'une femme comme une autre. Elle n'osait affronter le regard de celle qu'elle avait jadis aimé puis trahie
— La reine serait-elle tombé de son piédestal ? Aurais-je réussi à faire courber l'échine de la célèbre Dame Escandre ?
Calixte tendit la main, des pics de glaces s'emparèrent du corps de Darla. Ce n'était pas douloureux mais elle se sentit comme engourdie, incapable de mouvoir ses extrémités. Le pouvoir de la sorcière se déversait en elle, la força à relever le chef, à braquer son regard sur son interlocutrice. Bientôt elle ne vit plus que le bleu-violet de ses iris.
— Si tu tiens vraiment à le savoir je vais te raconter comment j'ai survécu. Ta lame était aiguisée, ton coup millimétré. Ce n'est pas étonnant pour une ancienne putain, tu as déjà dû recourir à ce genre de choses pour repousser des clients trop envahissants. Et prémédité, car tu avais enduit ton arme de poison. Quand as-tu pris cette décision ? Avant le début l'expédition ? Avant l'exploration de la salle du trône ? Ou ce jour-là dans la caverne aux cascades ? Peu importe, car tu as raté de peu. L'une de mes côtes a dévié le pointe qui ne fit qu'érafler mon cœur. Alors que je tombais à la renverse, pénétrant les méandres de l'inconscience, j'utilisai les dernières parcelles de mon käes pour stopper l'hémorragie. C'est là que tu commis ta seconde erreur, ne pas m'achever alors que je gisais au sol. Je me réveillai alors plusieurs heures après dans l'obscurité la plus totale. Empoisonné, j'étais incapable d'utiliser la magie ou même de me relever. Les ruines étaient humides et chaudes, je ne dû mon salut qu'aux dernières gorgées d'eau que contenait ma gourde. Ainsi je survécu à la première nuit, alternant les phases d'inconscience peuplées de cauchemars et de songes douloureux et celles où éveillée, le poison qui coulait dans mes veines me faisait souffrir le martyre. Au deuxième jour, je pu enfin me mouvoir, ramper comme une larve au sol. Après des heures de tâtonnements dans le noir et au bord de l'essoufflement, je finis par trouver une flaque d'eau croupi. Elle fut comme un élixir de vie dans un désert de souffrances. Les journées s'enchainèrent ainsi de la même manière et au bout de sept jours je fus capable de me tenir debout. Mais la porte s'était de nouveau scellée après ton départ. J'étais piégé à l'intérieur jusqu'à ce que mes pouvoirs reviennent. La faim me tiraillait, je fus obligée de me repaître de rats et d'insectes. Bien sûre je ne pouvais faire aucun feu mais seule ma survie comptait à ce moment. Les semaines passèrent, je m'étais peu à peu habitué à mon environnement, les ténèbres me paraissaient moins impénétrables. Purgé du poison, mon käes se restaurait peu à peu. J'entrepris alors d'explorer l'intégralité des ruines de la Citadelle des Cieux. Dans la bibliothèque de Malkiahrus, je découvris d'anciens grimoires remplis de sortilèges obscures des mages-sorciers Inferis d'antan. Ils me permirent de restaurer mes pouvoirs bien plus rapidement. Je pouvais enfin sortir mais ma soif de connaissances m'en empêcha. A l'aide d'un puissant rituel, je convoquai les esprits des défunts roi-sorciers et les contraignis à me révéler leurs secrets. Ils me permirent d'acquérir un pouvoir sans commune mesure. Deux mois s'étaient écoulés lorsque je sortis de la Citadelle des Cieux. Je rejoignis Gaius et ses hommes en Akonya et tu connais la suite.
— Je suis désolé Calixte, mais je ne pouvais pas faire autrement. C'était la seule issue possible, ta vie contre mon futur triomphe. S'il y a bien une personne capable de le comprendre c'est toi. Le Cœur ne peut servir qu'un seul maître.
— Tu te fourvoie, grâce à toi je suis plus puissante que jamais. Tu m'as permis d'accéder à des connaissances oubliées et interdites. Je ne suis ici que pour une seule chose, reprendre ce que tu m'as volé.
— Et à quoi te servira-t-il ? Cet artéfact est trop puissant pour tomber entre tes mains ou celles de la Ligue.
— Cela ne te concerne en rien.
— Tu pourrais renverser l'Archonte grâce à ce pouvoir, mais la Ligue te déclarait la guerre aussitôt. Ils ne voudront pas d'un nouveau tyran, d'un autre Malkiahrus.
— Aesfa n'a jamais été mon but et tu le sais. Je me répète, où se trouve le Cœur ?
— Tu ne l'auras pas, il n'est plus ici.
Elle sentit l'étreinte de glace se resserrer autour d'elle.
— A quel jeu joues-tu, Reine des contrebandiers ?
— Il est enfermé à double-tour dans un coffre-fort de la Corporation marchande d'Askandii. Tu ne pourras pas le récupérer.
— Tu bluffes. Tu n'as jamais été en bon terme avec eux. Il est ici, tu n'as pas eu la force de t'en séparer. Son emprise est déjà trop forte.
Le tissu du péplos s'écarta pour dévoiler la poitrine de Darla. Au-dessus le joyau de son pendentif rayonnait de mille éclats. Le bijou se mit à léviter, attirée par une force invisible.
— Non je t'interdis d'y toucher ! Il est à moi seule ! hurla Darla.
Une immense colère se réveilla en elle, recouvrant l'intégralité de sa raison. Elle commença à se débattre comme une furie mais demeurait incapable de se mouvoir. La lutte n'était plus physique mais psychique. Cependant face à une magistère aussi douée que Calixte, elle n'avait aucune chance. Le pendentif se détacha et vola jusqu'à la paume de la Sorcière des glaces. Darla avait perdu la lutte.
— Le Cœur de l'Hiver, enfin.
Darla Escandre sentit un pieu de glace s'enfoncer dans son cœur puis elle s'effondra.
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