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Évidemment, l'alarme avait provoqué la panique totale dans la caverne de Stronstall. Levi fut immédiatement arrêté et inculpé malgré les bloqueurs de magie qu'il avait acceptés de porter ; l'endroit où j'avais atterri près du lac fut passé au crible avec un million de capteurs. L'incohérence de la situation laissa les dvergar dans l'incompréhension la plus totale, et le fait que la trace magique s'évanouisse sans aucune raison les plongea quelques heures plus tard dans une frénésie folle. Levi restant malgré tout leur principal suspect, ils le fouillèrent de la tête aux pieds, profitant du fait qu'il n'avait toujours pas fait retirer ses suppresseurs de magie. Ils ne trouvèrent rien sur lui. Ils passèrent le stock de joyaux au crible sans noter de pierre absente, mais n'investiguèrent pas l'artefact de Skadi, qu'ils pensaient en sécurité au moment de l'incident;
L'enquête dura près de deux semaines, tous les visiteurs étant cordialement invités à rester dans leurs quartiers au maximum. Les Asynes venues pour l'occasion – Freyja, Sif et Fulla, qui représentait Frigg – firent un scandale et quittèrent les lieux en claquant les portes derrière elles, refusant de se mêler à l'investigation. Ankri, désespéré à l'idée de se mettre Asgard à dos, les libéra sans protester en leur offrant en prime des chariots entiers de pierres précieuses en guise de dédommagement pour les failles de sécurité.
Quant à Levi, il passa les deux semaines de l'enquête dans une cellule ultra-sécurisée qui aurait fait pâlir les prisons des Thor en comparaison. Puis, en l'absence de preuve et sur mon insistante intransigeance, il ne fut pas décapité sur le champ, seulement renvoyé de Stronstall avec l'interdiction absolue d'y revenir. Le festival d'Arshina, mis en pause le temps que l'enquête se résolve, reprit là où il s'était arrêté, se termina sur trois jours de festivités excessivement ostentatoires.
Remise de ma légère maladie, je contemplai les multitudes de pierres précieuses accumulées en une décennie, les joyaux de la collection, portant sans que personne ne le sache le joyau de la collection presque au vu et au su de tous. Je ne revis pas Veiri en privé, celui-ci étant occupé à essayer de détecter la faille de sécurité qui m'avait permis d'esquiver les lasers. Je me doutais que, sachant ce qu'il savait même s'il ne pouvait le dire à personne, il essaierait de faire en sorte que je ne puisse pas recommencer.
Puis, comme tous les autres, Kalyan et moi fîmes nos adieux. Lui trouvait que nous avions abusé de leur hospitalité et moi, j'étais secrètement heureuse de pouvoir m'en-aller officiellement et mettre de la distance entre les nains et moi. Les adieux furent publics, ne laissant guère de place à des salutations plus personnelles avec Keirv ou Veiri, et bientôt, nous quittions la cité construite tête en bas dans une navette qui nous déposa au milieu de la plaine vide de Stronstall, loin des capteurs dvargen et des oreilles indiscrètes.
— Est-ce qu'il est temps ? me demanda Kal.
Je notai son regard qui s'attardait sur le cordon autour de mon cou. Depuis le cambriolage, je portais les artefacts au creux de ma poitrine en permanence, même en dormant. Je me doutais qu'il l'avait remarqué, mais il ne l'avait jamais relevé.
— Il faut juste que je retrouve Levi pour lui donner un truc, éludai-je.
Je sortis mon transmetteur, scannai la zone, et ne tardai pas à le localiser. Lorsqu'il avait été jeté hors de Stronstall, je lui avais donné mon ancien transmetteur, et lui avais discrètement signifié de rester dans les parages en gardant une ligne de communication ouverte.
Il arriva une demi-heure plus tard par le ciel, sous forme de corbeau, se re-métamorphosa au ras du sol, juste en face de moi.
— Tu t'es fait chasser comme un voleur comme un voleur, souris-je en retirant de mon cou la sacoche dans laquelle je conservais les pierres depuis deux semaines.
— Alors que ce n'est pas moi, pour une fois...
Il soupesa la sacoche en la récupérant, l'entrouvrit par curiosité. L'énergie déferla à travers la mince fente, saturant mes perceptions pourtant peu sensibles. J'avais passé les deux dernières semaines avec ma puissance magique réduite de deux tiers, camouflant le flux des pierres comme si c'était le mien, ne me servant que du strict minimum pour vaquer à mes occupations. J'avais troqué la plupart des entraînements de maniement de la foudre contre des exercices physiques basés sur l'endurance et la vitesse, arguant que ma foudre ne me servait à rien si je me faisais coincer dans une zone où le flux magique était coupé. Mon entraîneur dvergr préféré, Arnlari, avait ronchonné mais il avait consenti que c'était un cas beaucoup plus fréquent à Midgard qu'ici.
— Tu feras attention, elles émettent quand même beaucoup. Tu vas te transformer en cible vivante.
— Pour changer, grinça-t-il. Mais toi, tu... tu n'as pas l'air d'avoir beaucoup changé de flux, non ?
— Ça, c'est classé secret défense, souris-je.
— Si je peux te demander...
Par principe, non, répondis-je silencieusement.
— Comment t'as fait ? Pour qu'ils ne remontent pas la trace jusqu'à toi ?
— Ça fait partie des mystères de mes pouvoirs, souris-je. Sache seulement que c'est lié au flux.
— Ça m'avance.
— Un jour peut-être. Mais... non, pas tout de suite.
Je marquai un bref temps, lui souris.
— Merci pour ton aide.
Ce fut à son tour de se figer et de réfléchir un moment.
— Merci à toi. C'est... étonnant de t'avoir pour alliée. Maintenant. Parce que quand t'étais petite, t'étais juste une gamine trop explosive et insupportable.
La remarque me fit rire, j'opinai. Il était loin d'avoir tort. J'avais fait brûler tout un pan du Labyrinthe qui entourait le Manoir quand j'avais six ans, simplement à cause d'une colère mal maîtrisée.
— Åke a un transmetteur, si jamais tu as besoin de le contacter. Il m'a demandé de te le dire si tu avais besoin de lui.
— Tu ne remets jamais en question pourquoi tu fais tout ça ? demandai-je soudain.
La question me brûla les lèvres comme les flammes dans lesquelles mon père m'avait torturée, mais je ne la regrettai pas lorsque je vis le visage de Levi s'assombrir d'un seul coup. Depuis des semaines, depuis que le combat avec Thor s'était achevé et que les souvenirs des cauchemars de mon père s'étaient espacés, les doutes s'amoncelaient. Le calme de mon voyage avec Kalyan me permettait de les tenir à distance la plupart du temps, de les empêcher de me polluer l'esprit mais, une fois de temps en temps, ils revenaient à la charge et m'étouffaient sous leurs poids.
J'avais gagné l'élektrokinésie, mais j'avais perdu ma pyromagie, et même si l'échange semblait équitable, une part de moi semblait manquer à l'appel lorsque j'utilisais mes pouvoirs de naissance. En ce moment, c'était rare donc ce n'était pas flagrant, mais je me sentais comme amputée d'un membre : la douleur fantôme allait et venait, mais le souvenir de ce qu'on aurait pu faire par le passé demeurait.
— Tu te fous de moi ?
Levi avait les lèvres serrées, une ligne si fine qu'on aurait dit une fissure qui morcelait son visage en deux. Un instant, je ne compris pas ce qu'il voulait dire, pourquoi il était si agressif. Puis, je captai le sens réel de ma question, je vis à quel point j'étais partie le chercher dans ses plus profonds retranchements.
— Pardon, m'excusai-je. Je n'ai été indélicate.
Il ricana.
— Le tact n'a jamais été ton point fort.
— Ni le tien, rétorquai-je avec une grimace.
— C'est vrai.
Un silence se posa sur nous comme une fine couche de neige, légère et volatile, et je songeai combien la situation avait évolué. Nous avions peut-être enfin trouvé un équilibre, lui et moi, un équilibre qui ne se fondait pas sur notre destruction mutuelle.
Je poussai un long soupir en fixant le ciel bleu, qui tirait vers l'orangé à l'horizon. Sol infléchissait lentement sa course vers la terre pour aller se réfugier dans les profondeurs de l'obscurité et céder la place à son frère, Máni. Quelques mètres plus loin, Kalyan sourit doucement en me regardant inspirer l'air pur des landes. Je tournai la tête pour chercher Levi des yeux, réalisai qu'il s'éloignait déjà.
— Attends-moi deux secondes, soufflai-je au Thor.
Il hocha la tête, et je piquai un sprint pour rejoindre mon frère, qui avait déjà pris dix bons mètres d'avance.
— Levi !
Il ne s'arrêta pas.
— Levi, bordel !
J'accélérai, l'agrippai par l'épaule, et faillis me casser la figure en freinant brusquement pour me mettre à sa hauteur. Un léger rictus narquois étira un instant ses lèvres, mais il le gomma bien vite et se contenta de me fixer d'un regard vide. J'hésitai, bataillant pour faire le pas. Les doutes que j'avais, que j'avais soulevés, semblaient l'avoir retourné.
— Je... je voulais te dire. Je te crois quand tu dis que tu as changé.
Il battit des paupières, haussa les sourcils, l'air sceptique.
— Je ne saurais pas dire pourquoi, justifiai-je, mais je le sens. Et... c'est sympa.
Cette fois-ci, ses commissures remontèrent en une esquisse de sourire hésitant.
— Merci. C'est... étonnant de ta part, mais ça veut dire que tu as évolué aussi.
J'acquiesçai sans hésiter, consciente de ma transformation.
— Ça ne veut pas dire que je t'apprécie, ajouta-t-il à brûle-pourpoint, nous arrachant à tous les deux un éclat de rire, mais au moins, je sais que je pourrai compter sur toi par la suite.
Il y avait une once d'interrogation dans sa voix malgré le ton qui se voulait empli de certitude.
— Peut-être, éludai-je. Et...
J'hésitais trop, décidément. Mais à vrai dire, je n'avais aucune idée de comment me comporter face à lui. C'était encore trop dérangeant, trop inhabituel.
— Je ne sais pas ce que Mímir t'a fait payer...
À la manière dont il se renfrogna, je sus que j'avais touché le point sensible, ce qui avait causé ce changement chez lui. C'était une réaction de repli, d'animal blessé. Soudain, le contact visuel se rompit, ses yeux glissèrent sur le côté à la recherche d'un échappatoire, il recula presque d'un pas.
— Mais j'espère que ça en vaudra la peine.
Levi poussa un long soupir, parut un instant sur le point de craquer et d'en parler. Mais ses lèvres se scellèrent en une fine ligne pincée, il hocha la tête, puis se détourna.
— On n'a pas eu le temps de se le dire la dernière fois, mais bon courage.
— À toi aussi, soupirai-je.
Je le regardai s'éloigner de quelques pas dans la plaine vide, souris lorsqu'il se transforma en corbeau et prit son envol, la sacoche d'artefacts entre ses serres. Quelques battements d'aile plus tard, il disparaissait dans les épais nuages qui s'attardaient dans le ciel comme s'ils attendaient qu'on les convoque. Je revins auprès de Kal, pris sa main. Son regard glissa sur mes clavicules, nota l'absence de cordon de cuir. Il ne fit aucun commentaire.
— Tu veux qu'on utilise ton suspenseur ?
— On est enfin sur une ligne de flux, donc oui, on peut se le permettre maintenant.
D'une pression sur ma main, il trouva ma pulsation magique, tendit le bras. Le suspenseur apparut comme si on l'avait matérialisé en plein air, et Kal esquissa un sourire. Je grimpai dedans, m'installai confortablement dans l'un des fauteuils, et fermai les yeux en sentant l'engin vrombir. Kalyan tenait la barre de direction, une sorte de petit manche similaire à celui d'un avion. Il y en avait un d'un côté pour les mouvements horizontaux, et un autre sur le côté pour l'altitude. Sinon, l'écran principal était holographique, comme pour la plupart des appareils construits par les dvergar.
— Tu as besoin d'aide ? interrogeai-je.
— Ça devrait aller, je t'appelle si nécessaire. Cap sur Midgard ?
Je haussai un sourcil, perplexe.
— À moins que je ne te connaisse pas bien, tu n'es pas le genre de personne à fuir tes problèmes, mais plutôt à les affronter. D'autant que je crois que tu as eu les informations dont tu avais besoin chez Mímir et Skadi ?
Amusée de voir l'aisance avec laquelle il lisait en moi, j'acquiesçai, fis basculer le siège pour m'allonger presque comme dans un lit, et fermai les yeux. Je ne sentis même pas la différence lorsque nous nous mîmes en mouvement. Et bientôt, le ciel défilait à une vitesse vertigineuse haut au-dessus de moi, tandis que la navette silencieuse traçait son chemin le long d'une ligne de flux.
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