Chapitre 1: Jour 1
La journée s'annonce encore plus difficile que les précédentes. Sans cesse, il fallait chercher de nouveaux projets pour améliorer les conditions de vie. L'espace qui leur est dédié est minuscule. Environ deux mètres de long sur deux mètres de large. Dans leur vie ridiculement petite, ils sont en communication permanente avec ceux qui les entourent.
Elle ne peut pas voir, mais elle peut parler. Le tout sans se voir ni se toucher.
Quand elle n'échangeait pas avec les autres, elle pouvait entendre les pensées des autres. Cela en devenait même effrayant quand elle pouvait déceler de la rage, de l'incompréhension, de la tristesse ou pire encore, de la résignation.
Résignés, habitués, conditionnés. Telle était leur destinée. A ce moment-là, ils se sentaient heureux, vivants et insouciants. C'était en partie dû au fait qu'ils ne connaissaient pas la vie en dehors de ces tubes.
Chaque personne était reliée par des fils quasiment invisibles un peu partout sur le corps pour assurer leurs fonctions vitales. Privée de la vue, alors que les autres sens n'étaient pas affectés. Elle l'ignorait car trop habituée à ce mode de vie, elle ne ressentait pas le besoin de partir découvrir le monde. Ces conditions de vie n'étaient pas idéales, mais au moins ils étaient vivants.
Chaque jour, elle avait des nouvelles de Dimitri. Ils étaient proches depuis ce qui leur paraissait être une éternité. Il est difficile de donner une heure, un jour ou encore une année pour parler de rencontre. Pourtant, il avait été le premier de ses contacts, et en cela, il était le plus important.
Comme d'habitude, il lui murmurait un bonjour gêné au creux de son oreille. C'était plus une sensation qu'autre chose. En réalité, la conversation se déroulait principalement dans son cerveau.
- Bonjour Maëlli, lui susurrait-il quand elle se réveilla.
- Dimitri ! s'écria-t-elle. Comment tu vas aujourd'hui ?
- Très bien comme toujours, lui répondit-il, la voix toute chantante.
- J'entends ça. Qu'est-ce qui te rend si heureux ?
- De te parler chaque jour, bien sûr !
- Tu es si adorable. Alors quelles sont tes pensées aujourd'hui ?
- Je me demande ce qu'il va m'arriver, car hier soir, j'ai entendu des choses très bizarres, lui murmura-t-il à nouveau.
- Ca ne sert à rien de murmurer, lui rappela-t-elle. J'ai bloqué notre conversation pour qu'elle soit privée.
- Tu sais que c'est impossible, ils trouvent toujours un moyen de nous entendre, surenchérissait Dimitri, agacé.
- Peut-être, commença-t-elle à dire, mais quel autre moyen on a pour communiquer sans qu'on nous entende ?
- On pourrait sortir de ces boîtes, proposa-t-il.
- Tu es complètement fou ou quoi ? Si on nous entend comme tu le dis, rien que cette phrase peut nous conduire à la mort.
Maëlli devenait nerveuse. Elle sentait l'eau qui l'entourait s'agiter. Dans ces cuves, ou du moins ce qu'ils supposaient être des cuves, ils se sentaient flotter constamment. Ils ressentaient davantage le monde autour d'eux.
Elle ne savait pas si véritablement des gens les mettaient dans ces cuves. Elle ignorait aussi s'il existait réellement des « gens » au dessus d'eux qui les contrôlait. Tout était embrouillé.
- Maëlli, même si on nous écoute, il faut tenter le coup. On ne peut pas rester ici.
- Pour aller où ? demanda-t-elle hésitante.
- Justement, nous allons le découvrir.
- Je...
- Je te laisse Maëlli, rendez-vous dans notre nouvelle vie.
- Attends Dimitri ! Comment je te retrouverai ?
Pas de réponses. Elle était de nouveau seule, mais cette fois, complètement paniquée. Ces changements ne présageaient rien de bon. En proie à une peur soudaine, elle se mit à cogner contre les parois qui l'entouraient. Cela ne faisait que confirmer cette sensation d'emprisonnement.
Elle cogna de plus en plus fort, mais rien ne se produisait. Juste le son répétitif de ses tentatives désespérées. Elle décida d'abandonner cette tâche illusoire, et elle se résigna à continuer à vivre ainsi. Nourrie par d'autres, aveugle et accompagnée de quelques personnes qui lui parlaient dans sa tête.
Et si elle était tout simplement folle ? Tel était le raisonnement qui lui vint au bout de quelques temps. Après tout, elle était peut-être seule depuis le début. Les voix qui lui parlaient ne provenaient pas d'un système de communication sophistiqué. Il s'agissait de ses propres voix, de ses réflexions. Un mal de crâne survint aussitôt comme pour confirmer ses dires.
Elle sombra dans un sommeil assez profond, car quand elle se réveilla, elle sentit une immense fraîcheur envahir sa cuve. Fait anormal car l'eau dans laquelle elle baignait en permanence restait à une température tiède, constante.
Cette fraîcheur s'accentuait en même temps que l'eau descendait de plus en plus. Habituée à respirer sous l'eau, l'air qui entrait dans sa cuve lui fit mal aux poumons. Elle mit un certain temps à trouver une respiration plus ou moins convenable dans ce nouvel environnement.
En un instant, toute l'eau s'était dissipée. Apeurée, elle se recroquevilla au fond de ce tube, ne sachant pas quoi faire d'autre. Mais elle fut rapidement sortie de sa torpeur. Une immense alarme retentit dans la pièce. Elle entendait également ses voisins les plus proches crier ou pleurer. Elle n'était donc pas la seule à subir cela.
Elle se surprit à faire de même, à taper contre les parois de la cuve, à crier comme une folle pour qu'on la libère ou pire encore, pour qu'on remette l'eau et qu'elle se sente à nouveau en sécurité.
Aucun de ses vœux ne fut exaucé. A la place, elle entendit des pas précipités. Mais un autre bruit la troubla d'avantage. Cela ressemblait à une sorte de succion équivalent à chaque nouveau pas. Elle ne comprenait pas comment elle arrivait à reconnaître le bruit de pas, étant donné qu'aucun homme ni aucune femme n'avait jamais marché.
Cependant, elle reconnaissait parfaitement ces bruits. Du moins une zone de son cerveau s'en souvenait. Les pas mouillés, eux, se firent de plus en plus rapides. Ils se rapprochaient. Puis, d'un coup, un petit boum la fit sursauter. C'était juste à ses côtés.
Dans le trou d'où s'était probablement échappée l'eau, elle sentit une main attraper sa cheville. Elle se débattait, terrorisée. La prise s'intensifiait, comme si on voulait l'extirper de là par ce minuscule trou.
Cette attaque, cette emprise sur son espace, sa vie privée, la rendait malade. Sa respiration qui avait du mal à s'habituer à l'air libre se saccadait davantage. D'un coup, la main lâcha la cheville. La personne semblait suffoquer et essayait de parler :
- Ma...Maëlli...tenta-t-elle de dire.
Il avait réussi à la retrouver aussi étonnant que cela puisse paraître. Elle ne le voyait pas évidemment, mais le savoir si près d'elle, savoir également qu'il était réel, remettait tout en jeu.
- Dimitri ! criai-je.
Elle mit cette fois sa main dans la petite ouverture pour pouvoir le toucher à nouveau. C'était très étrange comme ce geste avait un sens différent à présent. Quelques secondes auparavant, elle sentait une violation de son intimité, mais de savoir que c'était Dimitri changeait totalement l'effet. Pour la première fois, ce contact humain lui donnait un sentiment de renouveau, de chaleur et de partage qu'elle n'avait jamais connu.
Elle voulait chérir cet instant, mais quelque chose l'en empêchait. Elle comprit rapidement que c'était deux personnes qui retenaient Dimitri.
- Sujet dangereux hors de son réceptacle, disait haut et fort l'une de ces voix masculines. Mais sujet appréhendé, besoin de reconditionner les réceptacles rapidement.
- Entendu, nous enclencherons la procédure une fois le sujet mentionné remis dans son habitat.
Il s'agissait donc d'une organisation, d'un projet qui les dépassait. Ils n'étaient pas des humains, mais des sujets à leurs yeux. Qui étaient ces personnes ? Des hommes ? Des êtres anormalement supérieurs ? Si tel était le cas, ils se permettaient de les considérer comme des sujets, et non comme des êtres humains. C'était particulièrement offensant.
Comment en étaient-ils arrivés là ? Heureusement, toutes ces questions restaient privées pour une fois. L'eau ou le liquide qui les entourait depuis toujours était peut-être la raison de ces communications entre chaque « sujet ». A présent, elle pouvait profiter librement de ses pensées et questions.
Elle devait profiter de ces moments, les chérir. Ces questions furent interrompues par le vacarme causé par Dimitri et ces deux « bourreaux ». Il se débattait apparemment.
- Dimitri ! cria-t-elle. Pourquoi ?
- Maëlli, dépêche-toi. Profite de la brèche pour...hurla-t-il avant d'être coupé par ce qui paraissait être un coup donné par un de ces hommes.
Une porte se referma dans un claquement assourdissant. Elle s'empressa de suivre les conseils de Dimitri. Au vu de ce qu'elle savait, elle avait peu de temps.
Elle tâtonna vers le trou formé au bas de la cuve. Elle essaya de trouver une faille, quelque chose pour agrandir cette sortie de secours. L'apparition de cette petite ouverture lui donnait l'espoir de trouver une sorte de bouton ou de mécanisme pour l'agrandir. Malheureusement, rien de tout cela n'existait.
Elle ignorait combien de temps il lui restait. C'est pourquoi elle prit, pour la première fois de sa vie, une vraie décision. Les fils qui la maintenaient en vie étaient en réalité de fins tubes. Ceux-ci étaient toujours accrochés sur chaque parcelle de son corps. Toutefois, sans l'eau qui les entourait, ils paraissaient morts, inoffensifs. Sans réfléchir, elle en arracha un. La douleur fut brève, mais elle pouvait sentir un liquide chaud couler le long de sa jambe. Du sang...
La sensation était nouvelle, mais excepté du sang, qu'est-ce que ça pouvait être ?
Elle prit l'embout du tube et le cogna près de cette légère ouverture. Dans la salle, après l'alarme et la fuite de Dimitri, plus aucun bruit ne régnait.
Au bout d'un certain temps, elle entendit un petit bruit de fêlure. L'espoir de sortir grandissait en elle, mais après quelques secondes, la peur reprenait le dessus. Le socle sur lequel elle se trouvait s'effondra en un instant. Le choc fut court, mais violent.
Toutes ces nouvelles sensations, ces douleurs, lui faisaient regretter sa vie chaude et réconfortante à l'intérieur de ce tube.
En position fœtale sur ce sol froid et dur, elle peinait à reprendre le dessus. En réalité, elle ignorait ce qu'elle devait faire à présent. Elle ne pouvait pas rester allongée ici, car elle risquait de retrouver les deux hommes qui avaient maîtrisé Dimitri. Elle allait devoir faire un effort surhumain : se lever.
Après tout ce temps, jamais elle n'aurait pensé en arriver là. Etre en permanence dorloté, nourri et soigné rendait chaque homme et chaque femme dépendant. Jamais il ne lui serait venu à l'idée d'être maître de ses mouvements.
Elle tenta de se relever. Lentement, elle prit appui sur ses mains. Chaque muscle, chaque membre de son corps souffrait terriblement. Mais pour la première fois depuis très longtemps, ils devenaient utiles. Ils se réveillaient.
Une fois debout, elle sentit ses jambes flageoler. Elle avait mis tellement de temps à tenir debout qu'elle n'allait pas tout gâcher. Son pied gauche glissa doucement en avant pour esquisser un début de marche.
Au fur et à mesure, ses pas devinrent plus fluides. Pourtant, à l'allure où elle allait, elle risquait de se faire remarquer.
Aveugle et sans défense, elle se cogna aux autres tubes, aux murs ou à d'autres objets non identifiés. Comment Dimitri avait réussi à s'échapper et à la retrouver ? Lui aussi était aveugle...ou alors, étais-je la seule personne aveugle dans l'histoire ?
Elle ressentait de l'épuisement à cause de toutes ces péripéties. Elle pensait même tourner en rond depuis tout ce temps. C'est alors que quelque chose vint la guider. La même alarme qui avait annoncé la fuite de Dimitri retentissait à nouveau dans toute la pièce. Cela lui permit de repérer où l'alarme était la plus forte. Mais cela voulait aussi dire que d'une minute à l'autre, ils allaient débarquer pour la remettre dans ce qu'ils appelaient un « réceptacle ».
Elle accéléra le pas tout en se cognant de temps en temps encore sur les réceptacles environnants. Arrivée au plus près de l'alarme, elle entendit un grand clac juste sur sa gauche. S'ensuivit des pas précipités. Elle comprit rapidement qu'une porte s'était ouverte pour laisser passer les gardes.
Comme elle faisait peu de bruit en comparaison avec l'alarme, ils foncèrent au plus profond de la salle, ma laissant seule à côté de la porte. Avec précaution, elle glissa les mains sur le mur vers la gauche pour atteindre cette ouverture.
La porte franchie, celle-ci se referma derrière Maëlli d'un coup sec. L'alarme s'arrêta net. Apparemment, leurs systèmes croyaient que Maëlli était l'un des leurs et qu'elle revenait à la base.
Elle avançait dans un noir persistant. Comme l'avait été le reste de sa courte vie. Pourtant, plus elle tâtonnait en avant dans la salle et plus elle sentait littéralement la chaleur d'une lumière. Elle devait être éblouissante pour qu'elle parvienne à la ressentir.
Cette lumière ou cette source de chaleur paraissait surnaturelle. Cela se confirma quand quelque chose, une sorte de force, l'agrippa violemment par la taille.
Tout ce dont elle se rappelle c'est cette multitude de couleurs et de chaleur qui l'ont envahi à ce moment précis...pour ensuite tout oublier pendant longtemps.
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