Chapitre 39 : Tehren
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— On arrive !
Loan, hurlant depuis la cabine de pilotage sort Erine d'une intense réflexion. Voilà plus de cinq minutes qu'elle réfléchit à la manière dont battre Sehan à leur partie de cartes. Elle n'a jamais été très friande de ces jeux, mais le temps étant long à bord du vaisseau, il lui a bien fallu trouver une occupation. Les rares fois où elle a pris part à des jeux de Ramana, c'était davantage lors de soirées où elle tournait innocemment autour de la table pour espionner la main des autres et aider Loan à s'en sortir. Ce stratagème a-t-il, d'ailleurs, déjà été découvert par leurs amis ?
Lasse, Erine jette les cinq cartes qui lui restent et éparpille toutes les autres sur la table, laissant à Sehan le soin de les ranger. La jeune femme n'a pas besoin que Loan l'appelle une seconde fois pour se précipiter à ses côtés et voir enfin l'objet de ses convoitises de ses propres yeux.
Elle est là, si petite encore : Tehren. Cette planète discrète, perdue au milieu des gros astres exploités par la Ligue pour leurs ressources. Sa couleur verte est néanmoins significative et Erine est certaine que cette planète en face d'eux correspond aux descriptions des livres de contes.
— Dans combien de temps pourrons-nous nous poser ? questionne Aven.
— Une vingtaine de minutes, répond Loan sans cesser de fixer l'horizon.
Erine s'adosse au chambranle de la porte du cockpit. Ces vingt minutes lui paraîtront à coup sûr une éternité. Un laps de temps à la fois si long et si court où tout peut encore leur arriver. La zone spatiale est truffée de capteurs à cause des planètes minières accueillant de nombreuses usines surveillées de très près par l'organisation. Les touristes qui s'aventurent ici sont rares et si les gardes les attrapent, ils risquent de perdre de longues minutes à justifier leur présence.
Erine laisse enfin sortir un soupir de soulagement lorsqu'ils franchissent l'atmosphère de Tehren. La planète est assurément plus petite qu'Orfey, mais suffisamment grande pour leur donner le vertige. Le vaisseau glisse pendant plusieurs minutes le long des terres désertes et des étendues de cailloux verts.
Loan déploie la carte de la planète, hésitant entre rejoindre l'une des quatre villes que compte l'astre ou se poser discrètement au milieu de nul part. Mais nul part serait-il suffisamment près de ce qu'ils recherchent ? Cette partie est l'une des rares de leur plan qui n'a pas été clairement décidée. Erine sait que Loan et Aven ont préféré attendre d'être sur place pour choisir où amarrer le vaisseau. Le sol hors des port étant possiblement instable.
Laissant à Loan et Aven le soin d'évaluer la situation, Erine porte ses yeux sur Miolaine, excitée par ce que montrent les relevés de la planète. Elle retient probablement son côté scientifique de hurler à Loan de se poser immédiatement pour faire des analyses poussées du sol. L'écoutant commenter avec exaltation les différentes informations que la blonde récupère, Erine tente de comprendre les séries de chiffres sur les écrans.
La seule formule scientifique qu'Erine a mémorisée lors de l'un de leurs interminables cours théoriques, c'est celle celle indiquant le taux de respirabilité de l'air. Quand celle-ci s'affiche, alignant les chiffres et les symboles dans un ordre parfait, la contrôleuse comprend qu'elle ne risquera pas de s'étouffer une fois dehors.
Ne supportant plus d'écouter des formules auxquelles elle ne comprend rien, Erine coupe les écrans sous les yeux de Miolaine :
— Non ! s'écrie cette dernière.
— Tu ne bougeras jamais de là sinon, allons nous habiller. Car si on va pouvoir respirer, je ne suis pas certaine que notre corps absorbe facilement le choc thermique.
En effet et ça, ils le savent depuis le début, Tehren est l'une des planètes les plus froides de la galaxie. La température avoisine les moins soixante degrés en permanence. Erine se demande même si les officiers de la Ligue opérent dans des zones plus froides encore ?
Enfilant son pull par-dessus son sous-pull, Erine se stoppe alors que l'ambiance dans sa cabine se noircit. Elle se précipite à la fenêtre en reconnaît ce qui s'apparente à un astroport. Le vaisseau avance dans un long couloir creusé à même la roche où des câbles métalliques serpentent le long de paroies.
— On se pose en ville ? cri-t-elle pour Loan à l'autre bout de l'appareil.
— Oui !
En chaussettes, à moitié débraillée, une manche de son pull manquante, la jeune femme de dirige vers le cockpit où les garçons ont passer un moment à évaluer la situation avant de prendre une décision sur leur emplacement d'atterrissage.
— Pourquoi ici plus qu'ailleurs ?
— Parce que nous n'avons aucune idée de là où sont les carrières de cristaux et qu'au moins ici, le vaisseau sera en sécurité, explique Aven. Malgré les apparences, c'est une ville, nous trouverons de quoi nous documenter.
— Et nous restaurer, ne peut s'empêcher d'ajouter Sehan.
— Et c'est quoi la spécialité locale ? demande Erine sarcastique, le bouillon de cailloux ?
— Non, il s'agit du flan de Jeurak, fait Miolaine, pas peu fière d'étaler son savoir. Le Jeurak est la seule plante poussant sur la surface de Tehren, ils la concassent et en extraient l'arôme pour en faire des patisseries.
Personne ne lui répond. Erine voit ses compagnons acquiescer, affichant une moue entre le dégoût et l'envie, chacun ayant imaginé le plat à sa manière. Se reconcentrant sur la traversée du couloir, personne n'ajoute quoi que ce soit. Tous, sûrement un peu vexés, que Miolaine ait mieux fait ses devoirs qu'eux.
Au bout de la grotte qui commence à paraître sans fin, le navire débouche sur un vaste hangar où des plateformes taillées dans la roche accueillent les appareils. Il y a bien plus de pontons d'amarrage que de vaisseaux. Erine arrive même à tous les compter en quelques secondes. Une quinzaine. Ce qui ne lui parait pas si peu pour une planète supposée être déserte.
Loan parque leur bâtiment sur la plateforme qui leur semble la plus récente. Son sol, au lieu de n'être que de la même pierre verdâtre qui recouvre l'entièreté de l'astre, est tapissait d'une fine couche de métal effet miroir.
Une fois posés, Erine et ses amis restent plusieurs minutes silencieux, scrutant le dehors. Il n'y a pas âme qui vive et leur vaisseau est certainement le plus propre du rassemblement. Il ne passera pas inaperçu et finira par attirer les curieux.
— La température extérieure est de moins cinquante-trois degrés, plus que ce à quoi nous nous attendions, lance Loan, jovial.
Erine le dévisage, visiblement pas autant enjouée que lui. À cette température, cinq degrés font-ils vraiment la différence ?
— À l'intérieur ou à l'extérieur de la grotte ? veut se faire préciser Miolaine.
— Dans notre environnement immédiat, lui répond le brun. Mais les capteurs indiquent plusieurs sources de chaleur à moins de quatre-cent mètre à l'est. Il doit y avoir des lieux de vie.
— Des coupes gorges pour nous, s'inquiéte Erine.
— Tu as peur, toi l'intrépide qui t'es élancée dans les bas fonds d'Orfey ? se moque Loan.
Et elle sait que c'est uniquement pour la piquer et lui rappeler une fois de plus à quel point il lui en veut d'avoir pris le risque d'aller là-bas. Va-elle retrouver le même profil de population ici ? Est-ce que les rejetés de la société viennent se cacher sur des planètes comme Tehren ?
Finissant de lacer ses bottes, Erine y dissimule un couteau, une fine lame qui représente l'une des rares armes blanches qu'elle sait manier. Peu de notions de combats sont enseignées à Laorelon et seules quelques options permettent aux élèves en mal de sensations fortes d'acquérir les rudiments de cet art. Évidemment, Erine possède ses pouvoirs, mais elle préfère assurer ses arrières. La voyant dissimuler des billes explosives dans les poches internes de sa doudoune, Erine comprend que Miolaine ne compte pas non plus que sur ses pouvoirs en cas de coup dur.
Avant de sortir de la cabine où elles se changent, Erine et Miolaine échangent un regard, une discussion silencieuse qui en dit long sur leurs appréhensions et leurs espoirs. Erine serre son amie, plutôt mal à l'aise et gênée par leur épais manteau.
— Pour Anaiel, murmure Erine.
La porte du vaisseau s'ouvre et Erine est la première à poser le pied sur le métal réfléchissant de la plateforme. À peine elle est dehors, elle sent le froid agressif l'envelopper. Une gelée sec, sans vent, mais transperçante. Dehors et exposés, le groupe ne traîne pas et les cinq amis s'engouffrent dans le premier couloir. Exactement le même que celui par lequel ils sont arrivés, mais à taille humaine. Tout son sol est recouvert de la même matière que la plateforme où Erine perd régulièrement son regard, amusée d'y voir ses traits et ceux de ses amis déformés.
À mesure qu'ils avancent dans le conduit, un brouhaha parvient aux oreilles d'Erine. Plus que quelques mètres et elle a vite fait de se retrouver dans ce qui lui apparait comme un bar, une cantine ou un étrange mélange des deux. Alors qu'il fait encore grand jour à l'extérieur, ce lieu, construit à l'intérieur d'une montagne, baigne dans une sâle lumière artificielle. Une musique plutôt douce couvre les discussions et personne ne semble tourner un œil dans la direction de son groupe quand il fait irruption. Balayant la pièce du regard, Erine ne note, à première vue, pas la présence d'officier de la Ligue. Aucun symbole d'une quelconque allégeance à l'organisation n'est affiché.
— Tu es sûre qu'on est sur une planète de la Ligue ? ne peut-elle s'empêcher de demander à Loan.
— Oui, Tehren a été annexée par la Ligue il y a sept cents ans et quelques pour s'en servir de base et de quartiers d'habitation pour les travailleurs des planètes minières voisines, fait Miolaine, trop heureuse d'étaler une nouvelle fois son savoir. Malheureusement, les populations de l'époque n'ont pas accepté de voir leur foyer envahi et après une guerre où, selon la légende, le cristal pur était utilisé comme arme contre les contrôleurs, la Ligue a abandonné son projet de construction. Cependant, les Tehrenniens ont été quasiment décimés pendant ce conflit et la Ligue s'est approprié la planète. Cela leur permet d'en compter une de plus dans leur registre.
Pour la seconde fois en l'espace d'une heure, Erine s'est fait clouer le bec par sa meilleure amie. Et à part hocher la tête, la félicitant pour tout ce savoir, elle ne trouve rien à ajouter.
— Nous avons passé des heures à préparer cette mission et à nous renseigner sur Tehren, c'est fou qu'aucun de vous ne se souvienne de tout ça ! les sermonne la blonde.
— Nous nous sommes intéressés à la situation actuelle de la planète, rétorque Loan. Son passé ne nous importe que peu.
— Son passé nous importe puisque le cristal pur nous importe ! ne peut s'empêcher de lui rappeler Miolaine.
Erine sait qu'elle veut avoir le dernier mot.
Les yeux d'Erine suivent le même tracé que ceux de Loan qui jauge l'endroit avant de s'y engouffrer pleinement. Finalement, il fait un pas dans la pièce et, sans un mot, se dirige vers un escalier en colimaçon taillé dans la roche. Pour le rejoindre, ils longent le comptoir du bar derrière lequel se tient un petit homme au sourire sympathique. Il échange gaiement avec les quelques clients, majoritairement des hommes, assis sur les vieux tabourets poussiéreux devant son zinc. Derrière, il y a l'air d'y avoir des cuisines d'où s'échappent des tintement de casseroles. Dans la salle, les consommateurs paraissent tous bien trop occupés à manger ou à jouer aux cartes pour donner de l'importance aux nouveaux venus.
L'escalier est fin et ils doivent monter à la queue leu-leu pour arriver au sommet de la montagne. D'abord éblouie, Erine cligne plusieurs fois des yeux avant d'apprécier le paysage qui s'offre à elle. Un vaste désert de pierres et de reliefs verdâtres baignant dans le soleil. Les couleurs des grosses planètes autours se reflètent dans les paroies claires des montagnes, créant des arc-en-ciel de rouge et de marron. Loin de trouver cet environnement hostile, la jeune femme se dit même qu'il est beau. Niché dans les montagnes, un village se dessine. Plus près, taillée dans la roche, Erine discerne une ouverture, la porte à demi écroulée d'une caverne. Des statues salement amochées la bordent.
— Qu'est ce que c'est que ça ? demande-t-elle à Miolaine, pointant l'endroit du doigt.
— Probablement un ancien temple. Je pense que les sculptures représentaient des divinités, comme celles-ci.
Miolaine lui indique une autre ouverture similaire à seulement une vingtaine de mètres d'elle. Plus petite, cette dernière semble avoir été préservée des effets du temps. Erine s'y dirige, son amie sur les talons. La porte est ouverte et les deux jeunes filles n'hésitent pas une seconde à se glisser dedans.
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Alors, cette première découverte de Tehren ? Le chapitre, là, est entier.
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