Chapitre 6 : Secrets et murmures
La semaine qui suivit la fête des Morningstar passa dans un brouillard de chuchotements excités et de regards en coin. Partout où j'allais, je ne pouvais échapper aux échos de cette soirée qui semblait avoir marqué un tournant dans la vie de Silvergrove.
"Tu as vu comment Lucifer jouait du piano ?"
"J'ai entendu dire que Gabriel avait empêché une bagarre juste en parlant aux gars..."
"Leurs parents doivent être des millionnaires pour avoir une maison pareille !"
Les rumeurs allaient bon train, chacune plus extravagante que la précédente. J'écoutais d'une oreille distraite, mon esprit toujours hanté par les événements de cette nuit-là. Le regard intense de Lucifer, les paroles énigmatiques de Gabriel, ces ombres que j'avais cru apercevoir dans la forêt... Tout se mélangeait dans ma tête, formant un puzzle dont je n'arrivais pas à assembler les pièces.
Léa, quant à elle, semblait avoir été complètement ensorcelée par l'expérience.
"Olivia, tu te rends compte ? On était chez les Morningstar !" s'extasiait-elle pour la énième fois alors que nous nous dirigions vers notre cours d'histoire. "C'était comme... je ne sais pas, comme être invité dans un autre monde !"
Je hochai la tête distraitement, mon regard balayant le couloir à la recherche de deux silhouettes familières. Depuis la fête, j'avais l'impression que Gabriel et Lucifer étaient partout et nulle part à la fois. Je les apercevais du coin de l'œil, mais dès que je me retournais, ils avaient disparu.
"Tu m'écoutes, Liv ?" La voix de Léa me ramena à la réalité.
"Désolée," marmonnai-je. "J'étais... ailleurs."
Léa me regarda avec une pointe d'inquiétude. "Tu es bizarre depuis la fête. Il s'est passé quelque chose dont tu ne m'as pas parlé ?"
Je sentis une vague de culpabilité m'envahir. Comment pouvais-je lui expliquer ? Comment lui parler de cette sensation persistante que quelque chose d'énorme se tramait, quelque chose qui dépassait notre petite ville tranquille ?
"Non, rien," mentis-je. "Je suis juste... fatiguée, je suppose."
Léa n'eut pas l'air convaincue, mais avant qu'elle ne puisse insister, la cloche sonna, nous obligeant à nous précipiter vers notre salle de classe.
Le cours d'histoire passa dans un flou de dates et d'événements que je n'arrivais pas à assimiler. Mon esprit était ailleurs, vagabondant entre les souvenirs de la fête et les questions qui ne cessaient de tourner dans ma tête.
À la fin du cours, alors que je rangeais mes affaires, je sentis une présence à côté de moi. Je levai les yeux pour rencontrer le regard vert émeraude de Lucifer.
"Alors, Olivia," dit-il, sa voix basse et mélodieuse, "as-tu apprécié notre petite soirée ?"
Je sentis mon cœur s'accélérer malgré moi. "C'était... intéressant," répondis-je, essayant de garder un ton neutre.
Lucifer sourit, un sourire qui n'atteignait pas tout à fait ses yeux. "Juste intéressant ? J'espérais avoir fait une impression plus... durable."
Il y avait quelque chose dans sa façon de me regarder, comme s'il savait exactement à quel point la soirée m'avait troublée. Je sentis mes joues s'empourprer.
"Qu'est-ce que tu veux, Lucifer ?" demandai-je, soudain fatiguée de ces jeux.
Son sourire s'élargit. "Qui te dit que je veux quelque chose ? Peut-être que j'apprécie simplement ta compagnie."
Je levai les yeux au ciel, essayant d'ignorer le frisson qui me parcourut à ces mots. "Bien sûr. Parce que tu es connu pour ton altruisme."
Lucifer rit, un son riche et mélodieux qui attira l'attention de plusieurs élèves autour de nous. "Tu me blesses, Olivia. Je peux être très... généreux quand je le veux."
Il se pencha vers moi, si près que je pouvais sentir la chaleur de son souffle sur ma joue. "Peut-être que je pourrais te montrer à quel point, un de ces jours."
Avant que je ne puisse répondre, il s'était éloigné, me laissant troublée et légèrement essoufflée. Je regardai sa silhouette disparaître dans le couloir, mon cœur battant la chamade.
Ce n'est qu'en sortant de la salle que je réalisai que j'avais oublié mon manuel d'histoire. Soupirant de frustration, je fis demi-tour. Alors que j'approchais de la porte, des voix étouffées me parvinrent de l'intérieur. Je m'arrêtai net, reconnaissant les timbres de Gabriel et Lucifer.
"...ne peux pas continuer comme ça, Lucifer," disait Gabriel, sa voix tendue. "Les gardiens commencent à s'inquiéter. L'équilibre est menacé."
"L'équilibre ?" La voix de Lucifer était teintée de mépris. "Quel équilibre ? Tout ce que je vois, c'est une cage dorée."
"Tu sais très bien ce que je veux dire," répondit Gabriel. "Le danger est croissant. Si nous ne faisons rien..."
"Si nous ne faisons rien, quoi ?" l'interrompit Lucifer. "Le ciel va nous tomber sur la tête ? Les étoiles vont s'éteindre ? Franchement, Gabriel, tu ne crois pas qu'il est temps de laisser tomber ces vieilles superstitions ?"
Il y eut un moment de silence, puis la voix de Gabriel, plus basse et plus intense : "Ce ne sont pas des superstitions, et tu le sais. Nous avons une responsabilité."
"Notre seule responsabilité," répliqua Lucifer, "c'est envers nous-mêmes. Et je compte bien en profiter."
J'entendis des pas se rapprocher de la porte et je me précipitai derrière un casier, le cœur battant. Lucifer sortit en trombe, suivi de près par Gabriel qui avait l'air préoccupé.
Une fois qu'ils eurent disparu au bout du couloir, je sortis de ma cachette, l'esprit tourbillonnant de questions. De quoi parlaient-ils ? Qui étaient ces "gardiens" ? Et quel était ce danger dont Gabriel semblait si préoccupé ?
Le reste de la journée passa dans un brouillard. Je ne pouvais cesser de repenser à cette conversation, essayant d'en démêler le sens. Après les cours, au lieu de rentrer directement chez moi, je me dirigeai vers la bibliothèque municipale.
L'odeur familière des vieux livres m'accueillit alors que je franchissais les portes. Je me dirigeai directement vers les ordinateurs publics, mon cœur battant la chamade à l'idée de ce que je pourrais découvrir.
Je m'installai devant un écran, mes doigts planant au-dessus du clavier. Par où commencer ? Je pris une profonde inspiration et commençai à taper.
"Yeux qui percent les âmes"
Les résultats étaient un mélange de sites ésotériques et de forums de discussion sur le paranormal. Rien de concret, mais certaines descriptions me firent frissonner, me rappelant l'intensité du regard de Lucifer.
"Lueur autour d'une personne"
Cette recherche donna des résultats sur les auras et la photographie kirlian. Je pensai à la lueur que j'avais cru voir autour de Gabriel lors de la fête. Était-ce son "aura" ?
"Influence les gens"
Une multitude de sites sur la persuasion et le charisme apparurent. Mais ce qui retint mon attention fut un article sur la "suggestion hypnotique". N'était-ce pas exactement ce que Lucifer semblait faire ? La façon dont les gens gravitaient autour de lui, comme s'ils étaient sous son charme...
"Rapidité surhumaine"
Les résultats parlaient principalement d'athlètes olympiques et de records du monde. Mais je me souvenais de la façon dont Gabriel était apparu comme par magie pour "me sauver" lors de la fête. Aucun humain ne pouvait bouger aussi vite.
"Sagesse ancienne"
Cette recherche me mena vers des sites sur la philosophie et la spiritualité. Je pensai à la façon dont Gabriel parlait parfois, comme s'il avait vécu mille vies.
Enfin, les mains légèrement tremblantes, je tapai le dernier mot :
"Seraphim"
Le mot que j'avais vu dans le livre mystérieux. Les résultats m'inondèrent d'informations :
"Les Séraphim, ou Séraphins, sont considérés comme l'ordre le plus élevé de la hiérarchie angélique. Leur nom signifie 'les brûlants', en référence à leur proximité avec le divin. Ils sont souvent décrits comme ayant six ailes et étant les gardiens du trône de Dieu."
Gardiens. Le mot résonna dans ma tête, me rappelant la conversation que j'avais surprise. Était-il possible que... ? Non, c'était ridicule. Gabriel et Lucifer ne pouvaient pas être des anges. C'étaient juste des adolescents, n'est-ce pas ? Des adolescents étranges et mystérieux, certes, mais des adolescents quand même.
Et pourtant... Je ne pouvais m'empêcher de repenser à la grâce surnaturelle de Lucifer au piano, à la sagesse ancienne que je voyais parfois dans les yeux de Gabriel. Et ces ombres que j'avais aperçues près de leur maison...
Je continuai mes recherches, plongeant dans des sites sur les légendes angéliques, les êtres célestes et les phénomènes inexpliqués. Les heures passèrent sans que je m'en rende compte, mon esprit absorbé par cette quête de réponses.
Ce n'est que lorsque mon téléphone vibra que je réalisai à quel point il était tard. C'était un message d'Ethan :
"Où es-tu ? Grand-mère s'inquiète."
Je regardai l'heure et jurai doucement. Il était presque 20h. J'avais complètement perdu la notion du temps.
Rassemblant rapidement mes affaires, je quittai la bibliothèque, l'esprit bourdonnant d'informations et de théories. Alors que je marchais vers ma voiture, je ne pus m'empêcher de lever les yeux vers le ciel étoilé. Pour la première fois de ma vie, je me demandai s'il n'y avait pas plus entre le ciel et la terre que ce que nous pouvions voir.
Le lendemain, en cours de chimie, je sentis le regard de Lucifer peser sur moi. Quand je levai finalement les yeux, je le trouvai en train de me fixer avec un sourire en coin.
"Tu as l'air fatiguée, Olivia," dit-il d'une voix traînante. "Une longue nuit de lecture, peut-être ?"
Je sentis mon cœur s'arrêter. Comment pouvait-il savoir ?
"Je ne vois pas de quoi tu parles," répondis-je, essayant de garder une voix ferme.
Son sourire s'élargit. "Oh, vraiment ? J'aurais pourtant juré que tu avais développé un intérêt soudain pour... disons, la théologie ?"
Je le fixai, incapable de parler. Il ne pouvait pas savoir. C'était impossible.
"Tu sais," continua-t-il, sa voix basse et presque hypnotique, "parfois, la vérité est plus étrange que la fiction. Et parfois, les gardiens de l'équilibre sont plus proches que tu ne le penses."
Avant que je ne puisse répondre, le professeur appela Lucifer pour qu'il vienne au tableau. Il me lança un dernier regard énigmatique avant de se lever, me laissant troublée et confuse.
Les jours suivants passèrent dans un brouillard de questions sans réponses et de théories farfelues. Je me surprenais à observer Gabriel et Lucifer à chaque occasion, cherchant des signes, des indices de leur véritable nature. Étaient-ils vraiment ce qu'ils prétendaient être ? Ou y avait-il quelque chose de plus, quelque chose de... céleste ?
Ethan finit par remarquer mon comportement étrange. Un soir, alors que nous étions assis dans le salon à faire nos devoirs, il posa brusquement son stylo et me regarda fixement.
"Okay, Liv, qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-il.
Je levai les yeux de mon livre, surprise par son ton. "De quoi tu parles ?"
"Ne fais pas l'innocente," dit-il en fronçant les sourcils. "Tu es bizarre depuis des jours. Tu es toujours dans la lune, tu passes ton temps à la bibliothèque, et hier je t'ai entendue marmonner quelque chose à propos d'anges dans ton sommeil."
Je sentis mes joues s'empourprer. "Ce n'est rien," marmonnai-je. "Juste... un projet pour l'école."
Ethan me regarda d'un air sceptique. "Un projet sur les anges ?"
"C'est... compliqué," répondis-je, mal à l'aise.
Il y eut un moment de silence, puis Ethan soupira. "Tu sais que tu peux me parler, n'est-ce pas ? Si quelque chose te tracasse..."
Je sentis une vague de culpabilité m'envahir. Ethan et moi avions toujours été proches, surtout depuis la mort de nos parents. Et maintenant, je le tenais à l'écart, créant une distance entre nous.
"Je sais," dis-je doucement. "C'est juste que... je ne suis pas sûre de comprendre moi-même ce qui se passe."
Ethan me regarda un long moment, puis hocha la tête. "D'accord. Mais quand tu seras prête à en parler, je serai là."
Je lui souris, reconnaissante, mais je ne pus m'empêcher de ressentir un pincement au cœur. Comment pourrais-je jamais lui expliquer ce que je commençais à soupçonner ? L'absurdité de la situation me frappa soudain de plein fouet.
Des anges ? Vraiment, Olivia ? pensai-je avec une ironie amère. Pourquoi pas des vampires et des licornes tant qu'on y est ?
L'idée de dire à Ethan que je soupçonnais nos nouveaux camarades de classe d'être des êtres célestes me paraissait soudain ridicule. Je m'imaginais sa réaction : d'abord l'incrédulité, puis l'inquiétude, et peut-être même la pitié. Il penserait sûrement que j'avais perdu la raison.
Et peut-être que c'était le cas. Peut-être que toute cette histoire d'anges et de gardiens n'était que le fruit de mon imagination surmenée. Après tout, n'était-il pas plus logique que Gabriel et Lucifer soient simplement des adolescents un peu particuliers ? Des enfants de riches excentriques, peut-être, ou des prodiges élevés de manière non conventionnelle ?
Mais alors, comment expliquer les choses étranges que j'avais vues ? Les ombres dans la forêt, la lueur autour de Gabriel, la façon dont Lucifer semblait influencer les gens autour de lui...
Je secouai la tête, essayant de chasser ces pensées. Plus j'y réfléchissais, plus tout cela me semblait fou. Si je commençais à parler d'anges et de pouvoirs surnaturels, je finirais par me retrouver dans un établissement psychiatrique avant même la fin de l'année scolaire.
"Liv ?" La voix d'Ethan me ramena à la réalité. "Tu es sûre que ça va ?"
Je forçai un sourire sur mon visage. "Oui, ne t'inquiète pas. Je suis juste... fatiguée, je suppose. Les cours, tu sais."
Il n'avait pas l'air convaincu, mais il n'insista pas. Je lui en fus reconnaissante. Comment aurais-je pu lui expliquer que sa grande sœur commençait à croire à des histoires dignes d'un roman de fantasy pour adolescents ?
Cette nuit-là, allongée dans mon lit, je fixai le plafond, l'esprit en ébullition. Je repensai à tout ce qui s'était passé depuis l'arrivée des Morningstar à Silvergrove. Les événements étranges, les conversations cryptiques, les sensations inexpliquées... Tout semblait pointer vers quelque chose de surnaturel, et pourtant, la partie rationnelle de mon cerveau refusait d'accepter cette possibilité.
Je me tournai et me retournai, incapable de trouver le sommeil. Une partie de moi voulait continuer à creuser, à chercher des réponses. Mais une autre partie, plus forte, me criait de laisser tomber avant de me ridiculiser complètement.
Après tout, qui croirait à une histoire d'anges au lycée ? Si je commençais à en parler, je deviendrais la risée de Silvergrove. Je pouvais déjà imaginer les regards moqueurs, les chuchotements dans mon dos. "Vous avez entendu ? Olivia Carter pense que les Morningstar sont des anges ! Elle a vraiment perdu la tête depuis la mort de ses parents."
Non, je ne pouvais pas laisser cela arriver. Quoi que soient réellement Gabriel et Lucifer, je devais garder mes soupçons pour moi. Du moins jusqu'à ce que j'aie des preuves concrètes. Si de telles preuves existaient...
Alors que je sombrais finalement dans un sommeil agité, une dernière pensée traversa mon esprit : étais-je prête à découvrir la vérité, quel qu'en soit le prix ? Ou valait-il mieux rester dans l'ignorance, préservant ainsi ma santé mentale et ma réputation ?
Le lendemain matin, je me réveillai déterminée à agir comme si tout était normal. Pas de recherches folles, pas de théories farfelues. Juste une adolescente ordinaire vivant sa vie ordinaire dans une petite ville ordinaire.
Mais alors que je me préparais pour l'école, je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'œil par la fenêtre, scrutant le ciel comme si j'espérais y voir un signe. Quelque chose qui confirmerait que je n'étais pas en train de perdre l'esprit.
Bien sûr, le ciel resta obstinément vide et bleu. Pas d'anges volants, pas de signes divins. Juste un autre jour à Silvergrove.
Je soupirai, attrapai mon sac et me dirigeai vers la porte. Quoi qu'il se passe réellement avec les Morningstar, je devais rester prudente. Observer, mais ne rien dire. Chercher des réponses, mais garder mes questions pour moi.
Car dans un monde où les anges pouvaient peut-être marcher parmi nous, qui pouvait dire ce qui était vraiment impossible ?
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