Chapitre 16- Blanches Terres
Lothaire peina à se rendre à la Bibliothèque. Les soins apportés semblaient suffisants au prince, mais le mage n'avait pas pris son temps et la pseudo-attelle, mal appliquée, se retirait. Il se souvint du regard des passants du haut-quartier, dédaigneux et moqueur. Cela étonnait l'héritier Aysyan : dans son royaume un homme prouvait sa valeur au combat blessé et sur pieds. Le peuple du Nord huait souvent le vainqueur indemne, cela signifiait qu'il avait volontairement affronté un plus faible pour une fausse gloire. Mais là n'était pas la doctrine aysyanne. Apprend la force et le courage auprès d'un ennemi plus puissant encore, voilà ce que Lothaire avait durement appris.
Malheureusement, dans ces rues, il était un animal blessé qu'on laissait volontairement de côté. Le but de cette mission n'était pas purement politique, mais aussi culturelle. Le prince devait s'y faire seul, et cela serait très difficile.
Son long fardeau prit plus ou moins fin lorsqu'il arriva devant l'escalier du bâtiment sacré. Son courage l'avait armé jusqu'ici, or, son abandon fut inévitable à la vue de ces cinquantaines de marches. Cependant, le prince tenta d'en gravir une. Sous la poussée de sa cheville, la plaie béante se ré-ouvrit, et le sang ne tarda pas à imbiber le bandage. Lothaire manqua de pousser un gémissement, même pour un homme fort, la déchirure de sa peau ne pouvait être autre que désagréable.
- Lothaire Solveig, cria une voix sifflante provenant du même chemin qu'il avait emprunté ?
Le prince se retourna sans faire attention à ses chevilles tailladées. Cette fois, ce fut de trop et un râle sortit de sa bouche. Ses jambes cédèrent, et le laissèrent tomber à genoux.
Une jeune femme approcha de lui, essoufflée, comme si elle avait courut sur dix kilomètres. Ses yeux noisettes, inquiets, se mirent à la hauteur de ceux de Lothaire. Ce dernier la reconnut aussi tôt.
- Iselde Manihar, nous nous sommes rencontrés à votre arrivée. Laissez moi vous aider, les soigneurs des camps d'entrainement sont des charlatans.
Lothaire se tut, noyé dans ses prunelles de terre brûlée, puis il descendit plus bas et remarqua la cage thoracique de l'apprentie se soulever frénétiquement.
- Vous me suivez depuis combien de temps, questionna-t-il surpris ?
- Mon maître m'a demandé de vous accompagner, mais votre pas et trop rapide... j'ai essayé de vous rattraper.
- Eh oui ! ricana l'héritier. Les roues des chariots se bloquent dans la mousses de nos toundras. Des chevilles et des mollets robustes, voilà notre secret.
Iselde devint blême lorsque'elle observa la blessure du prince, l'attelle arrachée.
- Ce n'est rien, indiqua Lothaire ... Mon frère en serait mort par contre.
- Le temps presse, la plaie pourrait s'infecter. Maintenez vos chevilles avec vos mains, je vais chercher de l'aide.
Sur ces mots elle s'en alla en vitesse, toujours haletante. Cette attitude étonna le jeune homme. Il la voyait comme une fille peu sure d'elle et timide, or, son ton assuré démentit cela.
Lothaire se trouvait à nouveau seul, du moins, si la présence des corbeaux ne comptait pas. Ces volatiles d'ébène, disposés en une ligne noire et uniforme, s'attablaient sur le toit de la bibliothèque et regardaient le prince comme s'il s'agissait déjà d'un cadavre. Leur duel silencieux, regard aux aguets d'un animal plongé dans les prunelles assurées d'un Homme, dura plusieurs minutes. Déconcentré, Lothaire lâchait lentement l'emprise autour de sa jambe. Le sang ruisselait délicatement entre ses doigts, puis gouttait sur la marche inférieure. D'autre arrivèrent et alimentèrent cette couverture ténébreuse.
- Un Ours ne ferait qu'une bouchée de vous, lâcha le prince en les défiant.
En effet, les aysyans avaient un fort intérêt pour les augures et leur symbolique. Dans sa situation, Lothaire représentait surement une Aysya affaiblie, blessée et souffrante, alors que ces corbeaux n'étaient autre qu'un ennemi intelligent, possédant une armée importante, en un mot : Karnatia.
Normalement, il ne devrait rien craindre dans cette cité étrangère. Ou alors, étais-ce lui l'étranger que l'on envisageait comme dangereux ?
Un grognement caverneux mit fin à l'assemblée de plumages noirs, et par la même occasion, extirpa Lothaire de ses réflexions. L'héritier du Nord tourna délicatement la tête. Lorsqu'il aperçut l'origine du son, quelque chose qui ressemblait à un humain. Le prince glissa en arrière et marcha dans la flaque de sang. La créature horripilante générait en lui une puissante envie de vider son estomac et de mélanger ce qu'il en sortirait avec le liquide pourpre.
- Vous n'en avez jamais vu, demanda Iselde cachée derrière le dos du monstre ? C'est un Nieumarl, autrefois un Homme qui a donné son corps aux mages. La plupart du temps ils nous servent de larbins : la nécromancie est limitée dans d'autre domaines.
D'un homme, il n'en avait que la forme. Sa peau grise et flasque pendait et gesticulait à chaque secousses, ses rares cheveux parsemaient irrégulièrement son crane, tous ses orifices fermés avec un élégant fil argenté devaient le contraindre à sentir uniquement la magie. Les mages avaient créé quelque chose d'horrible et inhumain, tout en ajoutant leur pointe d'ironie légendaire : les symboles divins de Mort - selon lequel profaner le repos des défunts était punissable - et Vie - prônant le respect de la vie - gravé au couteau sacrificiel sur sa poitrine.
Trop tard. La bile de Lothaire se déversa sur la marche d'escalier, formant ainsi un nouveau liquide semblable à du miel opaque, mais au gout surement ragoutant. La créature ne daigna réagir face à la réaction du prince, et s'approcha les bras tendus. Une étreinte glaciale souleva aussi tôt le jeune homme. Apparemment, il s'agissait bien d'un mort, malgré son délicat parfum de lilas.
- Des monstres comme lui feraient de véritables soldats immortels, exposa Lothaire une nouvelle idée en tête.
L'apprentie vit clair dans l'esprit du prince et attaqua d'une voix ferme :
- La guerre est une affaire de rois et empereurs incompétents qui ne savent ni s'entendre ni gérer leurs territoires convenablement. L'Académie a su obtenir paix et prospérité dans un espace qui nous est amplement suffisant, et nous n'avons pas eu besoin de sacrifier des vies en jouant aux petits soldats grandeur nature.
- Pourtant, vous vous amusez avec la vie en ressuscitant des morts, se défendit Lothaire. Au moins, après une vie de fière combattant honorable, nous leur offrons le repos éternel. Ne critiquez pas un système lorsque le votre n'est pas parfaitement blanc non plus.
L'estomac vide du prince s'emplissait au fur et à mesure de rage. Un mots de travers de plus de la part d'Iselde et il pourrait déborder à tout moment.
- Excusez-moi... Nieumarl, infirmerie ! ordonna-t-elle la tête baissée.
-
Le jeune femme se complaisait à nouveau dans son silence religieux. Sur le chemin elle avait maintenu sa tête fermement droite, sans un regard en arrière. Se sentait-elle coupable ? Le prince comprenait tout à fait qu'il puisse exister divers opinions sur un fait, mais l'attitude fermée de l'apprentie lui déplut fortement. L'Académie était-il un lieu où l'on apprenait qu'une vision des choses, qu'une réalité ? Lothaire ne pouvait y répondre, dans sa jeunesse rare étaient les mages qui avaient croisé la route de son château, une bonne chose apparemment.
La créature mi-morte l'installa sur un table de médecine recouverte d'un drap blanc. Le courant d'air qui s'infiltrait par les fenêtre rafraîchissait la pièce. L'infirmerie macabre effraya Lothaire, car on y avait entreposé des squelettes et crânes humains et bestiaux. La pseudo-science et les malades y étaient réunis, par soucis d'accessibilité directe. Mais ce jour, il n'y avait personne... Les souffrants se trouvaient tous dans l'égout, et aucun mage ne voulait s'y rendre, pas même pour avoir de nouveaux sujets d'expérience.
- Aïe ! Vous me faites mal, se plaignit Lothaire retournant à la réalité.
- Calmez-vous si vous voulez que votre père vous récupère d'un seul morceau. J'ai besoin que vous restez immobile lors du processus, je suis une apprentie si vous l'avez oublié.
- Je me sens rassuré par vos douces paroles, répliqua l'héritier en détournant le regard.
Par mesure de précaution, le Nieumarl glissa derrière le blésé afin de maintenir fermement ses bras. Tandis qu'Iselde enveloppa de ses frêles mains les deux chevilles dénudées du prince. Concentrée, l'intensité de sa voix augmentait crescendo au fur et à mesure qu'elle récitait une incantation.
- In sanguinem, carnem sanat. In magica, homo vivit.
Sous cette paume innocente, la chair s'étirait dans tous les sens, comme si on écartelait un homme attaché à quatre chevaux, le sang entrait en ébullition , des bulles épaisses et brunâtres apparaissaient et disparaissaient à leur guise, il s'y dégageait comme une odeur de chair grillée. Le visage de Lothaire devint aussi rouge que son liquide vital qui s'échappait de sa plaie. IL meurtrissait son bras en le mordant fortement, comme si cela suffisait à faire passer cette énième souffrance de la journée. Voilà ce qu'il lui apprendrait finalement à faire le malin et montrer ses talents d'épéistes.
Bien que ce sort était une torture pour Lothaire, Iselde ne semblait pas s'en sortir mieux. Ses yeux se gorgeaient de sang, tout autant que ses veines. Son souffle court s'accélérait, se coupait deux ou trois secondes et reprenait de plus belles. Réparer le vivant coûtait énormément d'énergie, car le processus naturel irremplaçable ne pouvait être qu'accélérer par les mages. On ne réinventait pas les règles de la nature. Malheureusement, le corps humain n'était pas adapté à une telle vitesse, le cerveau paniquait et contre-attaquait par divers phénomènes : Douleur, inflammation, évanouissement... Heureusement pour Lothaire, sa peau s'était déjà recollée avant qu'il ne perde connaissance.
- J'espère qu'il n'y aura pas de prochaine fois, prévint l'appentis essoufflée.
- Je pensez vous dire la même chose, mais je craints m'être cassé les dents cette fois.
- Vous supporter lors de votre séjour va être une lourde tache... Montrez moi ça.
Lothaire se recula lorsque la jeune femme s'approcha de lui et tenta de lui ouvrir la bouche. Il se remit aussi sur ses jambes à nouveau opérationnelles et entreprit de prendre la route de sa chambre.
- Merci pour votre aide, demoiselle. Le royaume d'Aysya vous paye de sa bonté d'avoir sauvé son futur roi. Bonne nuit.
Sur ces mots il partit la pseudo-infirmerie, et sans trop savoir où aller, prit le couloir le plus somptueux. Ses appartements devait se trouver dans des quartiers riches de la Bibliothèque, et dans le pire des cas il rebrousserait le chemin.
-
Le couloir Est ne ressemblait en rien à l'infirmerie, c'était même tout l'inverse. Des dorures, il y en avait absolument partout, autour des portes, des vitraux, des lustres, sur le carrelage et brodé dans les tapisserie. De plus, ce métal précieux reflétait la lumière de façon étrange, le flux lumineux devenait bleu, rouge et vert à son contact. A en croire que les mages avaient trouvé le moyen de créer de l'or magique. Mais bien-sur, ils le garderaient pour eux. L'argent, voilà un matériaux que le Prince appréciait au détriment de l'or qui lui rappelait l'urine. Au Sud d'Aysya se trouvait de nombreux gisement argentifères, où des ouvriers minaient l'argent le plus blanc et le plus noble et des artisans sculptaient les œuvres les plus somptueuses et belles. Dont le pendentif de sa mère qu'il portait fièrement, un pavot légèrement rosé aux extrémités. Par nostalgie, il l'effleura sous sa côte de maille et pria pour sa mère et son frère.
Ses méditations furent coupées par des voix masculines provenant d'une pièce , le bureau du directeur et Archi-mage de l'Académie selon l'enseigne sur la porte. Lothaire voulait passer son chemin, ce n'était pas ces affaires, mais la mention de son père et les hommes qui semblaient se disputer attisèrent sa curiosité, un vilain défaut selon sa sœur. Le prince s'avança lentement vers la porte et plaqua son oreille contre les gonds.
- Droef n'a pas pu s'échapper de Tourdefer, et encore moi propager ses idéaux de fou allié jusqu'au oreille d'un roi, s'exclama la première ! Si vous continuez, c'est vous y aurez aussi votre place, Mage Aquin.
- Archi-mage, je vous en conjure. La terreur et la souffrance des temps anciens émanent de cette fille... Ce roi d'Aysya nous cache des projets bien plus noirs que nous le pensions. Récupérer ses terres n'est pas son seul objectif, il veut aussi l'Empire Karnatien, et pour cela il faudrait que les dieux interviennent. Or...
- Elle, le coupa l'Archi-mage, ne peut pas revenir. Et encore moins sous la forme d'une jeune fille.
- Je peux vous la ramener, si vous une preuve peut vous convaincre, attaqua Priape Aquin d'un ton sec.
- Eh bien, trouvez moi cette fille et...
Une main tira le prince vers le centre du couloir. Frêle et douce comme celle de...
- Je pourrais vous faire pendre pour espionnage, prince Lothaire !
- Il en va de même pour vous et les cochoncetés que vous entretenez avec votre maître, répliqua le jeune homme.
- Comment ça ? s'écria en chuchotant Iselde.
- La déduction visuelle est une arme... Si tu parle de ce que j'ai fait, j'en parlerai au directeur de ton Académie.
- J'y suis... Contrainte.
- Montre moi la direction de mes appartements, nous devons discuter de ça et d'autre chose, ordonna l'héritier.
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