Chapitre 15- Lime Verbrant
Le Saigneur prit fermement les épaules d'Eranne pour la placer en face d'un miroir qu'il avait préalablement installé. La jeune femme ignorait totalement les dessins de l'assassin, il ne lui avait donné aucun avant goût de ses leçons pour le tournois, mais celle-ci devrait être étonnante.
C'était la première fois qu'elle se voyait après être sortie du logement. Troublée par son image, elle effleura la glace en parcourant la silhouette de son visage. Ses cheveux n'étaient plus aussi longs qu'avant et encadraient son visage, lui donnant une allure sérieuse. Puis elle remonta sa main au niveau des lèvres, pour ensuite atteindre l'arête de son nez, et enfin son front, autour duquel était enroulé un bandage immaculé. Son regard se perdit dans ce tissu blanc qui contrastait avec la couleur de sa chair brûlée. Une frontière, formée par la blessure, délimitait la partie gauche et droite du visage. Pourtant, ce n'était pas le plus effrayant. Eranne savait ce qu'il se cachait derrière ce pansement, son orbite gauche totalement vidé qui lui avait offert un spectacle macabre et irréel.
- Maintenant que tu n'es plus personne, quelle est ta nouvelle identité ? Je te l'ai dit, tu dois apprendre les deux, n'être plus personne et quelqu'un d'autre, l'interrompit l'assassin.
- Je dois choisir un nom ?
- Je vois mal une personne qui n'a pas de nom participer à un tournois. La tradition des Saigneurs et de choisir un mot en Soladorien. Personne ne le parle ici, et ainsi nous savons nous reconnaître en toute discrétion.
- Je ne parle pas le Soladorien... Déclara Eranne.
- Alors je vais devoir le choisir pour toi.
L'assassin resta un instant pensif en cherchant ses mots. Il souhaitait trouver un prénom et un nom qui collerait parfaitement avec Eranne, mais s'éloignerait suffisamment de son ancienne personnalité.
- Que dis-tu de Lime Verbrant? Demanda Clay. Ta peau est aussi blanche que du calcaire, Lime, et brûlée, Verbrant, cela te conviendrait parfaitement.
Si elle devait porter un nouveau nom, alors celui qu'avait proposé son maître, qui non seulement décrivait une caractéristique physique, évoquait aussi un épisode marquant de sa nouvelle vie, était parfait.
- Dans ce cas je porterai ce prénom, acquiesça la jeune femme.
- Alors je te le redemande. Qui es-tu ?
- Lime Verbrant, affirma Eranne.
- Un nom ne suffit pas pour définir une personne. Il pourrait coller à n'importe qui, et tout le monde le croirait. Au cours de cette semaine nous allons construire cette identité, donner naissance à cette nouvelle personne. Et là, tu sera vraiment Lime Verbrant comme tu l'affirme.
- Alors qui êtes vous, défia la jeune femme en regardant le Saigneur.
- Maître Tlimb, j'entraîne des combattants dans l'Ouest de l'Empire, à Pugna, mentit l'assassin. De passage à Duroche, j'ai entendu parlé d'un tournois et souhaite faire concourir l'un de mes champions pour une agréable somme en cas de victoire. Eh oui, être tueur c'est aussi faire preuve d'imagination.
Eranne fut surprise de la prestation de l'assassin, ne s'attendant pas à percevoir autant d'honnêteté dans sa voix. Elle décida de se prêter au jeu puisqu'elle avait compris qui'il s'agissait de sa première leçon en tant qu'apprentie.
- Je suis Lime Verbrant, je viens de Magna...
- Non, grogna Clay. Quelqu'un qui vient de la capitale de l'Empire se ferait assaillir de questions. Recommence.
La jeune femme hésita avant de reprendre. Elle reconnaissait qu'il lui manquait d'innombrables connaissances sur le monde qui l'entourait.
- Lime Verbrant de Pugna. Je viens d'un orphelinat, mais un homme du nom de Tlimb m'a recueillie pour m'apprendre l'art du combat. Depuis, je sillonne l'Empire avec lui en quête de tournois et d'argent, balbutia Eranne d'une voix peu assurée.
L'épée de Clay s'écrasa sur la tête de la jeune femme.
- Je te croirai lorsque tu auras mis plus de conviction. Mais pour aujourd'hui cela me suffit.
Sans plus attendre l'assassin se dirigea vers une armoire qu'il ouvrit. Au premier regard le meuble semblait tout à fait normale, mais lorsque Clay appuya sur son fond et que trois cliquetis se firent entendre, une trappe s'ouvrit, dévoilant des escaliers menant à un sous-sol.
- Descend et ne touche à rien, ordonna le Saigneur.
Prudente, la jeune femme emboîta le pas à l'assassin. Elle passa les portes de l'armoire et les referma derrière elle, puis descendit les escaliers en pierre finement taillée. Une fois arrivée plus bas, après une trentaine de marches, une seconde porte leur faisait obstacle. L'assassin déverrouilla les trois autres verrous d'une main de maître, sans clef ni code, alors que ceux-ci semblait avoir été conçus pour ne jamais être ouverts.
La salle souterraine, éclairée par des bougies, regorgeait de matériel d'entraînement dans sa partie gauche : mannequin de paille, une large panoplie d'épée en bois, des boucliers en mousse, des cordes et des poutres dont Eranne se demandait l'utilité. Une chose était certaine, elle ne manquerait pas de matériel au cours de son apprentissage.
La seconde moitié de la pièce concernait les vraies armes : sur l'intégralité du mur étaient accrochées tout une variété d'épées, de lames courtes, longues, de métal et couleur différente, courbées ou allongées, à une main ou deux, à double ou simple tranchant, fines ou épaisses, ainsi que des bâtons, des haches, des marteaux, des fléaux, des armes à longue portée tel que des arcs ou des frondes, et enfin, les fameuses cordelettes d'étranglement. L'assassin avait fixé un socle pour chaque outil, dévoilant ainsi un caractère perfectionniste, voir maniaque.
Dans le coin un immense meuble regorgeait de fioles et de livres dont Eranne peinait à reconnaître leur composition. Mais les plantes, suspendues plus haut ou enfermées dans des bocaux, ne lui posaient aucun soucis d'identification, comme quoi, son ancienne vie l'aiderait. Elle reconnut de la belladone, parfaites pour empoisonner en toute discrétion tant leur goût était sucré, du lierre, connut pour ses vertus hallucinogènes conduisant à la mort par asphyxie, ou encore le tue-loup, la plus dangereuse de toutes. Cette pièce cachée était un véritable sanctuaire de la mort, tout ce qui s'y trouvait était dangereux.
Mais la jeune femme continua son inspection. Plus près de la porte se trouvait un miroir au dessus d'un petit meuble sur lequel se trouvait divers déguisements et accessoires. Cela paraissait moins morbide par rapport au reste du lieu, mais Eranne était sure qu'à l'aide de chaussures, l'assassin commettrait un meurtre sans difficultés.
Voyant que la jeune femme avait terminé d'inspecter le moindre recoin de la pièce, il s'y adressa à nouveau :
- C'est ici que tu vas apprendre à te battre, mais avant tout, que Lime Verbrant va s'entraîner pour le tournois. Toutes ces armes tu vas devoir apprendre à les utiliser, ainsi que l'art de l'empoisonnement, ou encore celui du grimage. Mais l'apprentissage qui va nous prendre le plus de temps est la magie.
Rien qu'en voyant toutes ces armes Eranne se sentait épuisée. Elle n'imaginait même pas le temps que cela lui prendrait pour apprendre à en maîtriser une. Elle prit une grande bouffée d'air avant de continuer :
- La magie ? Est-ce judicieux avec mon organe ? demanda Eranne inquiète.
- Les Saigneurs sont directement liés aux dieux primordiaux, par leurs Veines et leur magie. Certains disent qu'ils ont modelés les Hommes comme de l'argile, et que ces canaux leur permettait de nous surveiller à distance. Je doute de ça, mais dans tous les cas la magie nous est très utile pour nous fondre dans les ténèbres, déclara Clay. Si ton organe te rend dangereuse, je l'extrairai moi même de ton corps.
Eranne chancela. L'assassin qui avait été si bon avec elle depuis leur rencontre serait capable de la tuer sans broncher ? Si oui, alors la jeune femme devrait utiliser sa magie judicieusement et avec modération.
- Les Saigneurs n'ont pas de pitié pour ceux qui font du mal aux innocents. C'est pour cela que je ferai attention à toi et que tu devra m'obéir au doigt et à l'œil.
- Très bien, maître.
- Alors, Lime, choisis une arme et attaque moi, lâcha l'assassin.
La jeune femme s'exécuta et prit une épée au hasard. Cette dernière était large et recourbée sur son seul tranchant, elle paraissait être atrocement lourde à Eranne qui décida de l'empoigner fermement avec ses deux mains. Elle frappa frénétiquement en direction de l'assassin, parant avec ses brassards en cuir et en repoussant la lame, Eranne en perdait parfois l'équilibre.
- Ce n'est pas en battant l'air que tu gagnera contre le fils Solveig, ou même que tu tuera. Corrige toi et fait mieux que ça, cette lame est faite trancher la chair.
Eranne continua de frapper un long moment, sans relâche, mais chaque mouvement supplémentaire était un supplice : ses bras la tiraillaient et ses épaules devenaient lourdes. Après un ultime coup dans le vent elle lâcha son arme, puis s'écroula lamentablement.
- La douleur que tu ressens c'est le fruit d'un véritable travail fourni. Maintenant il faut que tu persévère, les cadavres ne se font pas lorsque qu'on est obligé de frapper vingt fois avant de le toucher, affirma Clay.
- Je doute pouvoir atteindre le niveau d'un futur roi.
- C'est là la particularité de l'entrainement de cette semaine. Lime Verbrant est une Karnatienne qui ne se bat pas académiquement... L'arme que tu tiens est un sabre Karnatien, le fils Solveig ne connait que les épées longues à double tranchant.
- C'est en le surprenant que je gagnerai ?
- Plus précisément en trompant son instinct. En le forçant à se battre contre des techniques qu'il ne connaît pas tu l'obligera à utiliser son instinct de combattant. Et l'instinct c'est comme un pile ou face, parfois il a tort et parfois raison.
- Je vois, dit Eranne d'une voix assurée.
- Détrompe toi, ce n'est pas si facile que ça.
L'assassin ramassa l'arme et la replaça sur son socle, puis rapprocha deux bancs qu'il plaça parallèlement entre eux.
- Enlève ta robe.
- Quoi ? S'étonna la jeune femme.
- Je dois masser tes muscles pour les rendre plus souples et propices aux prochains entraînements.
- Très bien... hésita Eranne.
Une fois la robe pliée et posée sur le banc, l'assassin s'approcha d'elle et prit ses deux bras. Il les massa avec attention, un par un, de haut en bas. Puis fit de même avec ses jambes et autres articulations. Eranne trouvait cela étrange, mais reconnaissait qu'au cours de sa vie elle n'avait pas fait beaucoup d'exercices et manquait de force pour soulever une épée. Elle se laissa faire sans dire un mot.
- Le véritable entrainement commence demain, Lime Verbrant, annonça Clay.
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