Chapitre 12- Abandon
Les premiers rayons du soleil traversant la fenêtre réveillèrent doucement Eranne, cela lui rappelait le village où habituellement on se levait et se couchait en fonction de cet astre de feu. Mais, ici il n'y avait ni sa famille ni l'herboristerie. Et elle savait intérieurement que ces faisceaux de lumière annonçaient le renouveau de sa vie, l'abandon de ses anciens principes, rêves et de ses souvenirs. Certes c'était un sacrifice temporaire. Mais combien de temps cela durerait-t-il?
Elle ouvrit les paupières lentement, aveuglée par la lumière étincelante. Elle parvint pourtant à distinguer la silhouette d'un homme. Il était debout, les bras croisés, fixant le lit où se trouvait Eranne. La jeune femme reconnu le corps imposant de Clay Tlimb, cependant son visage lui paraissait de plus en plus vide. Son regard était comme perdu dans les abysses les plus plus profondes d'où on ne pourrait l'y extraire, elle n'avait jamais vu un tel comportement et cela la rendait soucieuse. Pourtant, toujours allongée et reprenant ses esprits, elle décida de briser le silence pesant , même si elle préférait se réveiller plus calmement et seule. C'était sûrement une chose qu'elle ne pourra plus faire en tant qu'apprentie.
- Vous me regardez dormir depuis combien de temps? Demanda-t-elle gênée.
La voix d'Eranne tira l'homme de son quasi sopor, il fût pris d'un sursaut et manqua de basculer en arrière - sûrement à cause du vin- mais il se cramponna aux rideaux de la fenêtre qui se décrochèrent sous l'action de sa force. Cette situation ridicule et pittoresque fit pouffer de rire Eranne. Clay, contrarié, frotta son bouc nerveusement et toisa la jeune femme qui ravala son rire prestement.
- Je croyais qu'un assassin parfait devait toujours être attentif, c'est raté Saigneur Clay!
Le petit sourire niais, mais pourtant doux d'Eranne réussit à attendrir l'assassin touché au plus profond de son ego. Il défronça ses sourcils et lui sourit en retour. Mais cela ressemblait plus à une grimace car l'assassin dévoila la moitié de ses dents et plissa maladroitement ses yeux. Eranne compris que son métier n'étant pas propice à la gaieté, elle évita de le vexer d'autant plus en le lui faisant remarquer. Cependant l'heure n'était pas à s'amuser, et Clay rappela à l'ordre Eranne en lui lançant une pile de vêtements.
- Enfile ça. Mais sache qu'avec ces nouveaux vêtements tu enfile une nouvelle peau, j'espère que ta décision est réfléchie.
L'assassin sortit pas la porte, mais la jeune femme ne le vit même pas. Elle était concentré sur les vêtements qu'elle avait reçus et les tenait fermement. Des effluves de lavande et de fraîcheur s'en échappaient, le tissus ne semblait pas avoir de défauts, ils devaient donc être neufs et achetés le matin même. Eranne posa chaque éléments sur le lit dont une robe courte et ocre, des sandales modestes, des bas et une grande ceinture de cuir. c'était une tenue commune, dans laquelle elle ressemblerait à n'importe qu'elle jeune femme, et lui assurerait toute discrétion. Le choix d'Eranne quant à son avenir était déjà fait, elle n'hésita pas une seconde pour abandonner la robe qu'elle portait et enfiler la nouvelle. L'habit neuf allait jusqu'au dessus de ses chevilles, caractéristique du style Kanartien, mais Eranne préférait les vêtements qui couvraient tout le corps. Cependant elle se rappela ce que Clay lui avait dit, Tu dois abandonner ton ancienne vie, cela tournait en boucle dans sa tête depuis son réveil. Tout ce qui comptait avant, ne comptait plus maintenant, elle allait devenir quelqu'un d'autre, quelqu'un de meilleur et plus fort pour sauver un jour retrouver sa vie paisible. Elle enfila alors le reste des ses vêtements sans hésiter une seconde de plus.
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Clay, adossé au mur du logement, jouait avec un objet tranchant en forme d'étoile. Cette arme filait avec une grande fluidité. Elle passa d'un doigt à l'autre, puis d'une main à l'autre. Mais Eranne attirait d'autant plus l'attention que le spectacle d'habileté de l'assassin. Ce dernier remarqua que la jeune femme en plus de ne plus porter les mêmes vêtements avait coupé ses cheveux. Ils tombaient à présent juste au dessus de ses épaules. Mais il restait toujours aussi admiratif face à la beauté de ses yeux de brume. Eranne avait adopté - comme l'assassin - une mine sérieuse et concentrée qui confirmait que la jeune femme était décidée et enthousiaste.
- Prête?
- Prête.
Ils se retrouvèrent à nouveau dans l'Égout, devant l'établissement du palefrenier. Eranne s'empêcha de chercher son cheval du regard, même si l'envie était très forte. Ces deux êtres étaient étroitement liées - comme le veut la tradition Aysyanne entre un cheval et son cavalier - et l'idée de devoir l'abandonner l'attristait énormément. Mais c'était un mal nécessaire, et elle s'était convaincue qu'elle le retrouverait un jour. Or, un hennissement vint bouleverser sa tentative, elle croisa le regard de son destrier qui trottait allègrement en direction de la jeune femme. Elle essaya, en vain, de ne pas venir à lui également. Eranne s'en approcha et caressa le museau blanc de Tribut. L'équidé semblait être dans un bon état, de bons muscles et une allure puissante. Elle regardait son étalon noir et blanc avec beaucoup de nostalgie. Mais ce dernier ne semblait pas comprendre la situation.
- Je te retrouverais. Je te le promet. Murmura-t-elle à son cheval.
Elle embrassa longuement son encolure et vint rejoindre l'assassin. Elle perçu de l'empathie dans son regard, des larmes coulèrent sur ses joues rondes et gouttèrent sur sa robe. Clay savait qu'il lui faudrait apprendre à ne plus ressentir d'attachement, mais s'il en avait un lui-même pour Eranne cela compliquerait les choses. L'assassin frappa trois coups secs sur la porte d'une maison, et le palefrenier en sortit. L'homme semblait surpris de voir à nouveau l'assassin.
- Mon Saigneur! Tu pars déjà!
- Non Elwann, je veux que tu vende ce cheval là (il pointa du doigt Tribut qui demandait Eranne en secouant la tête de haut en bas).
- Vendre un tel cheval? S'étonna le palefrenier. Je croyais que tu ne voulais pas les vendre tes chevaux.
- J'ai changé d'avis pour cette fois. Bon, quand et où à lieu la prochaine vente au marché noir?
- J'y allais, c'est dans une dizaine de minutes dans la ruelle des combats de chiens. Accompagnez moi tiens! Une paire de bras costauds ne fait pas de mal dans un endroit tel que l'Égout! S'esclaffa Elwann.
Clay acquiesça d'un signe de tête, puis il regarda Eranne qui était - comme son destrier - de plus en plus nerveuse. Il frotta son bouc et posa une main sur le front du cheval.
- Tu peux le monter une dernière fois durant le trajet.
L'assassin s'étonna lui-même en disant cela, il avait eu de la clémence pour quelqu'un. Et pensa que les dieux devaient être contre lui depuis plusieurs jours.
Le palefrenier sortit le cheval de l'enclos à l'aide d'une corde, mais celui-ci tira si fort que Elwann en tomba au sol. Tribut se rua vers Eranne, il posa sa tête sur les épaules de la jeune femme. Elle sentait son puissant souffle humide lui caresser le dos. Puis elle fit glisser ses mains sur toute la longueur de son destrier. Cela avait pour vertu d'apaiser le cheval de nature très peureuse. La jeune femme se décida à monter à cru sur son dos et profita le plus possible de ce dernier instant de nostalgie. Ce moment de synergie était extrêmement touchant à observer, mais Clay secoua sa tête et regarda ailleurs pour freiner son attachement.
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La ruelle des combats de chiens était encore plus bruyante que le reste de l'Égout en raison des jeux qu'organisaient les petites gens. On entendait des grognements de chiens suivit d'un cri d'agonie d'un autre canidé, le bruit sourd de la chair frappant la chair ou simplement le son de dès percutant le bois sec. Cette ruelle attirait beaucoup de monde car on pouvait y gagner un peu d'argent, plus ou moins légalement. Il suffisait simplement de savoir se battre ou de trouver un animal errant que l'on était prêt à sacrifier. Mais il était assez ironique de voir un autel de Fortuna - déesse secondaire de la fortune, de la santé et de la fertilité - car cette divinité bénissait uniquement ceux qui donnait aux nécessiteux. Or, ici, les moins pauvres prenaient au plus pauvres et personne ne donnait de bon cœur.
Le marché noir se situait à quelques dizaines de mètres du cœur des combats. On y vendait tout un tas de choses aux personnes riches des quartiers hauts de Duroche, emmitouflées dans de lourdes capes pour garder leur anonymat. Eranne, du haut de son cheval, pouvait voir tout ce que l'on vendait ce jour. Elle fut écœurée par un étal où se trouvait divers organes encore sanguinolent. Ces gens étaient désespérés au point d'ouvrir d'autres Hommes pour vendre leur contenance comme de la vulgaire viande. Ils n'avaient donc aucunes limites, mais elle se dit que elle aussi... Elle ferait des cadavres. La jeune femme détourna le regard, et était répugnée à l'idée de savoir qui pourrait s'occuper de son étalon.
Par ailleurs ils s'approchaient de la zone où l'on vendait les animaux. Il s'agissait d'un espace de terre sèche entouré de clôtures en bois. Les vendeurs présentaient tour à tour leurs bêtes et les acheteurs enchérissaient pour les obtenir. La plupart de ces animaux étaient des ovins, les habitants du haut de Duroche appréciaient énormément leur chaire tendre et délicieuse. Mais ceux-ci n'étaient pas destinés à l'alimentation, plutôt à des expériences magiques ou des rituels étranges qui devaient êtres réalisés en secret.
Le palefrenier sortit Eranne de son inspection méticuleuse et lui tendit une main pour la faire descendre.
- Venez mademoiselle, on ne vend pas de jeunes filles avec des chevaux ici.
Ce fut un effort considérable de retenir ses larmes, mais elle y parvint car elle devait prouver que sa volonté n'avait aucunes limites. Elle descendit de son destrier avec l'aide d'Elwann et ne regarda par derrière elle. L'adieu ne devait pas durer plus longtemps, sinon elle n'aurait pas tenu et serait restée avec Tribut. Elwann prit le cheval par son licol et se plaça dans la file. malheureusement, les bruits de sabots frappant le sol stressaient également tous les autre animaux. À cause de cela, Elwann avait le droit à des regards désapprobateurs des autres vendeurs. Le palefrenier calma l'étalon comme il avait vu Eranne le faire, cela marchait extrêmement bien et le cheval ne se renfrogna plus.
- T'es une belle bête, j'espère qu'ils vont pas te faire de mal.
Eranne et Clay regardaient la vente de loin. Ils étaient debout sur un muret et se couvraient les yeux à l'aide de leurs mains, le soleil était étonnamment très étincelant. Pour quatre pièces d'argent ils avaient vu partir tout un troupeaux de moutons, ce qui paraissait être très peu pour la plupart des gens mais énormément d'argent pour les plus pauvres. Le tour de Tribut approchait au fur et à mesure des ventes, mais Eranne avait enfouit sa nostalgie au plus profond d'elle-même. Il fallait qu'elle devienne une personne nouvelle et Clay ne manquerait pas à lui rappeler tout le long de son apprentissage.
Elle vit la silhouette magnifique de son cheval avancer entre les clôtures. Il n'y avait aucun doute que cet étalon noir à la tête blanche allait être vendu rapidement, et pour un bon prix. Mais Eranne se demandait quel type de personne pouvait se trouver au marcher noir pour acheter un cheval, probablement quelqu'un de mal intentionné. Le palefrenier fit le tour de l'enclos avec Tribut pour le présenter, les muscles de l'équidé se contractaient et se décontractaient au fur et à mesure de la marche. D'innombrables yeux admiratifs se rivèrent sur l'étalon sombre, mais plus de la majorité ne pouvait pas se permettre s'enchérir sur un si bel équidé. Contrairement à ce que s'attendait Eranne, les enchères démarrèrent aussitôt. Le prix commença à deux pièces d'argent, mais un vieil homme enchérit à trois, puis un autre à cinq et encore un autre, et caetera... C'est un jeune homme vêtu d'un chapeau très haut, cachant des cheveux bruns, qui remporta le cheval pour quinze pièces d'argent, un prix excessif. Mais il semblait fier de son acquisition et marcha vers le palefrenier, la tête haute.
- Voilà vos quinze pièces d'argent, monsieur. A présent, donnez-moi mon futur champion de course!
Elwann, les yeux écarquillés, n'avait jamais vu autant d'argent dans sa main. Il donna la corde de Tribut au nouveau propriétaire, les yeux collés aux pièces.
Le regard d'Eranne suivait attentivement l'homme brun qui emmenait Tribut vers une carriole remplie de marchandises. Il y accrocha le cheval et étudia de plus près la moindre parcelle de son corps jusqu'à ses dents. Rien à dire, Tribut était en parfaite santé et très vigoureux. L'homme monta dans la calèche et fit claquer les longes. Le cheval de trait qui guidait le transport avança, le second le suivit sans difficultés. La jeune femme souffla longuement, cela interpella Clay qui ne savait pas si c'était du soulagement ou de la contrariété. Il se tourna vers elle et l'observa avec un léger sourire aux lèvres.
- Ton entrainement peu enfin commencer jeune fille, j'ai eu ma preuve ce matin.
Elle détourna son regard de la calèche qui s'éloignait de plus en plus et plissa les yeux en direction de Clay.
- Je me sens prête maître.
- Ton enthousiasme te tuera un jour... Ricanna-t-il. Mais avant tout, il faut que tu sache qu'avec moi tu apprendra l'art de conclure des contrats. Et pour en faire il faut tuer. Pour tuer il faut savoir être discret, manipulateur, habile et ingénieux. Tu saura le faire avec et sans magie, tu apprendra à concocter des poisons et maîtriser chacune des armes existantes. Ainsi, si tu obéit et apprend bien, tu deviendra comme moi, l'un des meilleurs Saigneurs. Mais ne perd jamais ton but, celui pour lequel du est devenue mon apprentie, car ton âme risque d'être perdue pour toujours.
Eranne sentit une légère piqûre sur son bras, elle toucha l'endroit qui lui faisait mal et sentit du sang. Clay venait de la couper avec l'objet tranchant en forme d'étoile.
- Prend cette étoile, elle représente les Saigneurs, nous sommes ceux qui accompagnent le dieu de La Nuit en mettant fin au destin des hommes impurs.
Elle le toisa du regard, il ne l'avait pas prévenue avant de faire cela.
- les Saigneurs sont rattachés aux dieux à ce point? Questionna Eranne.
- Non... C'est uniquement pour la forme et cela nous permet en quelque sorte de garder la foi. Mais ne t'en fait pas, nous ne sommes pas des fanatiques religieux. Tu apprendra tout cela, ne t'en fait pas.
- D'ailleurs, quand commençons-nous? S'enquit Eranne.
- Eh bien... Maintenant jeune fille!
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