Chapitre 10- Devenir Saigneur
Eranne s'était réveillée lorsque le ciel commençait à s'assombrir. Contrairement au reste de la ville, les tavernes étaient encore plus remplies la nuit. Les habitants de l'Égout trouvaient toujours une excuse pour festoyer, comme la fête de la soupe aux pois, la fête de la bière ou encore la fête du linge propre afin de rendre leur vie un peu plus joyeuse. Peu de gens priaient les dieux primordiaux - La Vie, La Pureté et La Mort- et leurs enfants car selon eux si les dieux avaient existé il n'y aurait jamais eu d'Égout.
Clay avait conduit Eranne aux portes arrières de l'établissement afin d'éviter la foule hurlante de l'intérieur. L'obscurité leur offrait une discrétion optimale et Clay se confondait presque avec les ténèbres. Cependant ils avancèrent tous deux à pas prudent, car la milice de Duroche parcourait les rues, même la nuit. Chaque individu suspect était arrêté, pour le respect des quotas imposés par l'autorité de la ville, dépuillé, puis mis en prison. Clay avait oublié de dissimuler son épée, il ferait donc un parfait énième criminel.
Eranne ne savait pas exactement où ils allaient, l'assassin n'avait plus dit un mot une fois à l'extérieur. Mais la jeune fille pouvait à présent voir la ville lorsqu'il n'y avait plus une lumière. Les enfants pauvres fouillaient les caisses posées devant les commerces pour récupérer le moindre déchet comestible, les filles de joies attendaient de nouveaux clients devant leur bordel et les gardes tabassaient, presque à mort, un homme devant ses quatre enfants pour ne pas avoir payé ses impôts. La nuit, les tensions redoublaient dans la cité. Or, il s'agissait de la dure réalité.
Clay s'arrêta brusquement devant un bâtiment sur pilotis installé sur le fleuve de Duroche. La bâtisse se situait du côté opposé de l'Égout. Et par conséquent, avait été construite dans les règles de l'art. Elle ressemblait à la majorité des maisons, une charpente en bois solide qui permettait de construire un second étage même avec des pilotis, un toit rectangulaire de tuiles brunes et une façade décorée de frises en argile. L'élégance de ces bâtiment contrastait énormément avec la taverne.
Eranne fût également surprise de voir l'assassin sortir une clef dorée de sa poche.
- C'est ma cache de Duroche, tu vas y rester un moment pour te reposer.
Le jeune femme fit un signe de tête pour remercier Clay de la loger. Bien que le mage l'ai sondée et soignée, elle se sentait très fatiguée. Elle se souvint des paroles du mage à son réveil, il lui avait expliqué qu'elle pouvait utiliser la magie, et cela ne la rassurait guère. Si depuis son accident elle avait développé des Veines et ce Verèbe - nom donné à l'organe, signifiant verre obsur -, alors il y avait un lien entre les Hommes examinés, les Arcyns et Souchefume. Il était possible que l'Arcyn enterré sous le village ait favorisé le développement de l'organe chez les habitants, ou même que par un malheureux hasard les villageois de Souchefume avaient toujours possédé le don de magie et que ces Arcyn s'en soient nourris. Les réflexions fusaient dans son crâne et elle était terrifié à l'idée de savoir ce qu'il en était de sa famille. Eranne était sûrement la seule rescapée, il était donc en son devoir de découvrir la vérité.
Je doit trouver cet Arcyn , se dit-elle.
L'assassin la conduisit au premier étage, le second était habité par une vieille dame sourde selon Clay. Sur la porte de sa cache était inscrit Dris Breto, un nom étranger d'Eranne qui fit froncer ses sourcils.
- Il est mort, mais pour les autorités il paie toujours ses impôts et participe activement au développement de la cité ! dit Clay en ricanant.
- C'est un de vos contrats ? demanda Eranne curieuse.
- Un vieux, oui. En guise de paiement j'ai accepté ce logement et les impôts du cadavre sont payés au frais de l'employeur.
- Il doit être riche pour vous payer un logement, s'étonna la jeune femme.
- Pour être riche il l'est.... Bon allez rentre et ne fais pas comme chez toi.
Eranne passa la porte d'entrée, pressée de voir ce à quoi pouvait ressembler une cache d'assassin. Elle pensa trouver des armes et des poisons disposés de par et d'autre des murs mais ne vit rien de cela. Pas même un couteau de cuisine. Le logement était meublé et décoré comme n'importe lequel, il y avait un lit, une table, des bancs, des placards et une cuisine. En fait, il ressemblait à son logis, d'une morne banalité, excepté qu'il était un peu plus grand.
Clay indiqua à Eranne d'un geste de la main de s'asseoir sur un banc, ce qu'elle fit. Un feu crépitait dans la cheminée, cela réchauffa un peu Eranne, car la nuit était glaciale dans le Nord du continent. L'odeur de soupe à la carotte fit gargouiller son ventre qui n'avait pas été rempli depuis plusieurs heures. Clay en déposa une écuelle chaude sur les genoux de la jeune femme.
- Les carottes devaient traîner dans un placard depuis plusieurs jours, mais je connais un sort pour arranger le goût.
Eranne grimaça de dégoût, mais prit une cuillère de soupe pour faire honneur à l'assassin. Et fût surprise de la trouver succulente malgré un arrière goût étrange et indescriptible.
- En parlant de magie vous allez m'apprendre à l'utiliser ? (Clay cracha la soupe qu'il était en train d'avaler).
- Je ne prend pas d'apprentis, fillette. Et si tu veux apprendre la magie va à l'Académie.
- Pour retrouver l'Arcyn sous le village je vais devoir apprendre à traquer et peut être même à tuer. Et les mages risqueraient de mener des expériences avec moi...
Eranne regarda la robe bleue qu'il lui avait donnée.
L'homme resta un long moment silencieux tout en frottant son bouc. S'il était vrai qu'il s'était attaché à Eranne, était-ce une raison pour l'aider ? Pouvait-il se permettre ce risque ?
Le regard vide de l'assassin inquiétait Eranne, mais, par respect elle le laissa réfléchir à sa proposition. Elle constata que l'homme ne bougeait quasiment plus, que sa respiration était devenue courte tout en s'accélérant, que ses yeux se perdaient dans le vide.
Une nuit qu'il ne voulait plus revivre se déroulait à nouveau devant lui...
Son sourire éclairait chaque journée de Clay, il voulait la rendre plus heureuse de jour en jour.
Il pensait l'avoir préservée des ténèbres, mais avait échoué.
Il la revoyait courir dans les rues sombres, essayant d'échapper à son propre destin. Mais la mort n'est jamais clémente quand ont a commis dans sa vie des crimes.
Clay poursuivait sa cible en sautant de toit en toit, il attendait qu'elle se perde dans un cul-de-sac. Ce qui arriva quelques secondes plus tard à travers la ville.
Il sauta au sol dans un silence total.
Elle se retrouva prise au piège.
- Papa, je ne voulais pas...
Clay ne dit rien. Il ne ressentait rien.
Le contrat donné par la Baronne était clair, trouver et tuer ceux qui trafiquaient les enfants des villages.
- Papa... Je ne faisais que de les attirer... C'était pour....
La lame aux reflets argentés transperça sa jugulaire avant qu'elle ne termine sa phrase.
- En tuant nous ne faisons que rendre ce que la nature nous a prêté. Tu as trop abusé de ta vie, les saigneurs te la reprennent.
Il s'effondra et regarda son visage inerte.
L'assassin reprit ses esprits et leva la tête pour faire face à Eranne.
- Lorsqu'on tue notre âme est souillée, c'est comme une chemise tachée de vin, on ne peut plus la mettre et elle est bonne à jeter. Il n'y a rien de bon à tuer. Les Saigneurs n'existent que pour servir La Vie, La Mort et La Pureté en leur redonnant les âmes impures et ainsi purger la terre. En servant les dieux primordiaux nous espérons être lavés de nos vices, en vain. Mais nos croyances nous persuadent qu'avec chaque morts vient l'honneur, puis la rédemption. Cependant, nous vivons avec une âme qui se noircit chaque jour. Je ne souhaite cette vie à personne, il faut une bonne raison pour vivre ainsi.
- Je vous l'ai déjà dit, je dois trouver cet Arcyn.
- Alors, prouve-moi que tu es capable de devenir Saigneur. Cependant, tu risques de payer le prix le plus cher.
- Comment ?
- Comment pouvons nous tuer de sang froid en gardant nos rêves ? Nos souvenirs ? Nos vies ? répondit l'assassin, le regard absent. Tu dois abandonner ton ancienne vie comme nous l'avons tous fait.
- Mon ancienne vie est en ruine. Répondit Eranne d'un ton agressif.
- Tu te trompe, elle est encore dans ta tête, à l'écurie et sur toi. Pour devenir un tueur parfait tu dois abandonner ton ancienne vie, y compris l'ensemble de tes souvenirs. Ce qui ne sera pas chose facile. Commence par me donner tes chaussures et tes bas, je t'en donnerai de nouveaux. Et demain nous irons chercher Tribut à l'écurie, tu devra le vendre ou le remettre en liberté.
- Je ne peux pas l'abandonner... répondit Eranne.
- Fais le ou ne le fais pas, mais si tu veux devenir saigneur il n'y a pas d'autres solutions.
Eranne avait conscience des sacrifices qu'elle devait faire. Si elle devait abandonner sa vie, elle le ferait, mais uniquement le temps qu'il lui faudrait pour trouver des réponses aux événements de Souchefume et rendre justice à son village. Ensuite, elle retournerait vivre avec sa famille dans sa forêt calme et paisible qui lui manquait tant.
- Je te laisse la nuit pour réfléchir, j'ai à faire dehors, ajouta Clay.
Sur ces mots l'assassin sortit du logement sans regarder Eranne. Elle l'avait trouvé étrange lors de son discours sur les us et coutume de sa profession, comme si elle avait perçu du regret derrière ce visage froid et grave. Cet homme mystérieux qui lui avait apporté son aide restait tout autant mystérieux qu'à leur rencontre, elle voulait en savoir plus mais hésitait à lui demander. Son attitude laissait présager qu'il avait vécu des événements difficiles au cours de sa vie. C'est pourquoi Eranne décida de ne pas compliquer sa tâche de futur maître Saigneur et d'obéir sur le champ, elle déposa l'ensemble de ses vêtement de Souchefume sur le bord du lit. Puis s'y allongea pour se reposer plus confortablement que la veille.
Le lendemain promettait d'être un tournant dans sa vie.
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