Chapitre 2 : La tornade du passé
Que pouvait bien faire ma mère ici ? Sans prévenir, et qui plus était, avec ses valises ? Visiblement, il avait dû se passer quelque chose d'assez grave.
— Chelsey m'a larguée et accessoirement, foutue dehors, m'avoua-t-elle tout en faisant la moue.
— Et c'est nouveau cette couleur aussi ? demandai-je tout en entrant ma clé dans la serrure.
— On peut dire ça comme ça.
Après son divorce, elle avait abandonné son habituel brun pour virer au blond platine, mais je ne m'attendais certainement pas à une couleur aussi vive que celle-ci.
Je la fis entrer et j'espérais avoir rapidement davantage de détails sur cette histoire. Surtout parce que je ne m'attendais pas à ce qu'elles se séparent. La dernière fois que je les avais vues, tout semblait se passer pour le mieux. À croire que je m'étais fait quelques illusions...
Elle posa ses valises dans un coin et s'assit sur le canapé, exténuée. Je m'installai à ses côtés, silencieusement.
— Je ne comprends pas tout, lâchai-je avec hésitation.
— Avec Chelsey, on s'est disputé... Beaucoup trop... Elle en a eu marre et m'a viré de chez elle.
— Mais je n'ai pas demandé, tu comptes venir t'installer chez moi ? m'enquis-je assez mal à l'aise avec cette idée.
— Je n'ai nulle part où aller et mon choupinou me manquait ! s'exclama-t-elle d'une voix enfantine.
Avant que je puisse faire la moindre remarque, Saoirse venait tout juste d'entrer et dévisageait ma mère. Immédiatement, ma mère et moi nous levâmes du canapé et alors que je voulais faire les présentations, elle prit les devants. J'avais oublié à quel point ma mère était spontanée et qu'elle se comportait constamment comme une adolescente.
— Oh ! Tu t'es trouvé une copine ? s'exclama-t-elle tout enjouée.
Encore une fois, je fus incapable d'en placer une et elle se rapprocha de Saoirse pour lui serrer la main.
— Je suis Daisy, la mère de Merle, se présenta-t-elle, un grand sourire se dessinant sur ses lèvres.
— Enchantée, Saoirse.
— Quel joli prénom ! C'est vraiment un plaisir de faire ta connaissance ! Je vais passer quelques jours avec mon choupinou le temps de trouver un meilleur endroit pour dormir.
Saoirse me lança un regard amusé et sincèrement, je voulais fuir cette situation. J'aimais beaucoup ma mère, mais pas au quotidien, sinon je n'aurais pas déménagé aussi rapidement.
— J'espère qu'il ne s'est rien passé de grave, lâcha Saoirse par politesse.
— Ça va rapidement s'arranger. J'adore beaucoup tes cheveux, ce sont des vrais ?
Ma mère n'allait jamais se taire et j'allais les regarder longtemps en train de discuter. La soirée promettait d'être compliquée.
Saoirse répondit poliment à ma mère, ne montrant pas le moindre signe d'agacement contrairement à moi.
— Tu es vraiment magnifique. Mon choupinou a vraiment de bons goûts... Et ça fait depuis combien de temps que vous êtes ensemble ?
Cette fois-ci, Saoirse fut dans l'impossibilité de répondre puisque je la conduisis jusqu'à l'extérieur de l'appartement, complètement embarrassé, tandis qu'elle riait de la situation.
— Eh bien... Maintenant tu connais ma mère, soufflai-je la voix tremblante.
— Elle est sympa. Particulière, mais sympa.
— Ça dépend des jours. En attendant, elle s'incruste chez moi, ce qui va compliquer un peu les choses pour qu'on se voie...
De nouveau, je fus interrompu et il s'agissait de ma mère qui venait d'ouvrir la porte. J'avais vraiment oublié à quel point elle était bavarde, surtout depuis le divorce.
— Ça vous dirait qu'on mange tous ensemble ? proposa-t-elle, toujours aussi enthousiaste.
— Avec plaisir ! répliqua Saoirse, partageant la joie de ma mère.
— Parfait, je vais préparer à manger parce que je sais que mon choupinou ne sait rien cuisiner et qu'il crame tout.
Impossible de protester, elle était déjà de retour à l'intérieur et ceci fut suffisant pour que Saoirse éclate de rire.
— J'aime beaucoup ta mère, affirma ma copine en reprenant son souffle.
— J'espère que tu es prête pour répondre à toutes ses questions, la prévins-je comme si je lui en voulais d'avoir accepté.
— Ne t'en fais pas, ça me fait vraiment plaisir, tenta-t-elle de me rassurer.
Elle déposa un baiser sur mes lèvres, mais ce n'était pas suffisant pour me calmer. Je craignais désormais le pire pour une raison que j'ignorais. J'avais rarement eu des désaccords avec ma mère, même si nous nous étions un peu éloignés l'un de l'autre à cause d'Anna qui avait commencé à me persuader que c'était la meilleure solution.
De retour à l'intérieur, ma mère avait envahi la cuisine et Saoirse l'avait rejointe. Toutes les deux semblaient bien s'entendre et m'avaient complètement exclu de leur discussion. Dommage, j'aurais bien voulu avoir une "conversation de fille" avec elles.
Sans qu'elles le remarquent, je rejoignis ma chambre et envoyai un bref message à Eloise tout en marchant.
« Tu ne devineras jamais la meilleure. Ma mère squatte mon appartement parce que sa copine l'a larguée. »
Mon regard se perdit quelques instants dans ma chambre et je songeai à l'idée de laisser ma chambre à ma mère et peut-être dormir sur le canapé. De toute manière, je dormais à peine... Mis à part son excentricité, elle n'allait pas tant me gêner que ça.
*
Ma mère avait cuisiné de simples pâtes à la carbonara, mais c'était déjà mieux que tout ce que j'aurais pu produire. D'ailleurs, pendant tout le temps de préparation, Saoirse et elle s'étaient énormément rapprochées, comme si elles se connaissaient depuis toujours. Dans le fond, c'était une bonne chose si elles trouvaient un terrain d'entente, et pourtant, c'était assez angoissant.
« Visiblement, c'est toujours la foire ta famille. »
Eloise venait de m'envoyer ce message et j'avais l'impression qu'elle me l'avait envoyé des tas de fois tellement elle avait considéré ma famille ainsi. Après tout, ma famille n'était jamais rentrée dans les normes bien que mon père le veuille.
« On ne change pas les bonnes habitudes. »
Aussitôt, je lui avais répondu et ma mère entra dans la chambre, m'interrompant.
— Le repas est prêt, m'annonça-t-elle.
Je lui adressai un sourire et silencieusement, je la suivis jusqu'au salon. N'ayant pas de table et une trop petite cuisine pour manger à trois, nous nous étions installés sur le canapé, mangeant sur nos genoux. C'était dans ce genre de moment que je constatai à quel point cet appartement était petit.
— J'espère que ça vous plaira, je ne suis pas une experte en cuisine, dit ma mère d'un air réservé en plantant sa fourchette dans son assiette.
— C'est très bon ! s'exclama Saoirse après avoir avalé une bouchée.
— Merci beaucoup.
C'était affolant à quel point elles avaient pu se rapprocher en une soirée. Puis après un bref échange de sourire, elle se tourna vers moi, l'air grave, et j'avais comme un mauvais pressentiment.
— Ça fait longtemps que je n'ai pas eu de nouvelles de toi et ça fait encore plus longtemps qu'on ne s'est pas vu.
— J'ai été très occupé ces derniers temps, prétendis-je.
Comme mensonge, on ne pouvait pas faire pire et je voyais à son regard qu'elle ne me croyait pas. Elle savait qu'il m'était arrivé quelque chose, elle avait toujours su voir ce genre de choses. Malgré son excentricité et sa provocation, elle avait toujours été une mère compréhensive qui m'avait encouragé à être moi-même. Je ne comptais même plus le nombre de fois où elle m'avait défendu dans les cours de récré. Il lui arrivait même parfois d'engueuler certaines de mes ex qui s'étaient jouées de moi... Mais si elle savait à propos d'Anna, elle en serait totalement détruite.
Ne voulant pas qu'elle entre dans les détails de quelques mésaventures, je détournai le sujet plus ou moins maladroitement :
— Et tu restes combien de temps ici ? demandai-je en enroulant mes tagliatelles entre les dents de ma fourchette.
— Dès que j'aurais trouvé un nouvel endroit pour vivre, répondit-elle, un sourire inquiet se dessinant sur son visage.
— Tu ne vas pas te réconcilier avec Chelsey ?
— Non, impossible, réfuta-t-elle en fronçant les sourcils. Je pense qu'il vaut mieux pour moi de partir sur de nouvelles bases...
Visiblement, leur dispute avait été suffisamment importante pour qu'elle n'envisage même pas l'option de la deuxième chance.
— D'ailleurs, il n'y a pas un appartement à louer ici ? s'enquit-elle, comme si elle avait trouvé l'idée du siècle.
— Non, il n'est pas loué, la contredis-je aussitôt en plongeant mon regard dans mon plat.
— Pourtant il est vide il me semble. Pourquoi ne serait-il pas à louer ?
— C'est une mauvaise idée, insistai-je.
Saoirse semblait assez mal à l'aise et j'abandonnai lâchement cette conversation par un "peu importe". Maintenant, ma mère avait toutes les clés en main pour comprendre que quelque chose n'allait vraiment pas malgré les apparences. J'aurais mieux fait de me taire et de jouer les ignorants, mais la haine avait pris le dessus, ce qui n'était pas à mes habitudes. Sauf qu'elle ne pouvait pas habiter dans l'appartement qui était autrefois celui d'Anna. Du moins, je ne le supporterais pas. Je ne pouvais plus franchir le seuil de cette porte sans que de violents haut-le-cœur prennent le dessus. Même la porte de son appartement était suffisante pour me donner la nausée quelques fois.
— Et sinon, Saoirse, tu habites ici depuis longtemps ? reprit-elle sa lancée de questions, laissant le malaise de côté.
— Depuis un peu plus d'un mois. Le quartier est vraiment super.
Elles relancèrent leur interminable discussion et une étrange sensation me prit, comme si je ne faisais plus partie de la réalité. Mentalement exténué, je pris mon assiette et partis en cuisine, ce qui les étonna toutes les deux, mais ce ne fut pas suffisant pour arrêter leur conversation. J'avais besoin de prendre l'air, j'enfilai mon manteau et quittai l'appartement précipitamment. J'allais sûrement les inquiéter, cependant, il le fallait.
Désormais à l'extérieur de l'immeuble, je pris mon téléphone et composai le numéro d'Eloise, comme j'avais l'habitude de faire autrefois. Elle décrocha aussitôt et au ton de sa voix, je compris qu'elle s'inquiétait pour moi.
— Merle, qu'est-ce qu'il se passe ?
— Je t'appelle sûrement pour pas grand-chose, c'est totalement stupide–
— Merle. Ça suffit. Ne minimise pas les choses et dis-moi ce qu'il se passe, me gronda-t-elle.
Elle avait tendance à toujours me reprocher de prendre tout à la légère et d'agrémenter mon discours de quelques "juste" et "ce n'était pas grave", prenant au sérieux tout ce que je lui racontais. Parfois, je l'oubliais et le naturel reprenait le dessus.
— Ma mère m'a fait une remarque sur notre manque de contact ces derniers temps, elle a compris que j'ai menti mais n'a rien dit. Ensuite, elle s'est dit que c'était une bonne idée d'emménager dans l'ancien appartement d'Anna et je me suis un peu emporté. Là je viens de sortir de chez moi comme un voleur... Je ne sais pas, je me sentais pas à l'aise...
— Ta mère ne sait rien, je suppose. Tu comptes lui dire ?
Elle savait à quel point ma mère était ouverte d'esprit, mais ce qu'elle ne pouvait pas supporter, c'était de me voir souffrir. Quand ça arrivait, elle devenait la plus grande guerrière qu'il m'ait été donné de voir et j'admirais son courage.
— Je n'ai pas envie de la blesser... Mais elle finira par le savoir. Je suis sûr que ma copine va cracher le morceau tellement elles sont devenues proches.
— Peut-être que ça t'aidera à tourner la page... Parce que je suis sûre que ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui.
En effet, mes insomnies duraient depuis des semaines et me collaient à la peau, tout comme des tas de mauvaises habitudes dont je n'avais pas forcément conscience. Pourtant, tout dire à ma mère ne m'aidera pas davantage, au contraire.
— Merle, je ne suis pas une psy, tu le sais, ajouta-t-elle en insistant sur chacun de ses mots. Mais tu as besoin de mettre une fin à tout ça. Et ta mère a toujours été là pour toi. J'aurais tellement voulu avoir une mère comme la tienne, une mère aussi bienveillante. Elle va forcément en souffrir quand elle l'apprendra, c'est normal, tu es tout pour elle. Elle sacrifierait sa vie pour toi s'il le fallait. Elle est exactement ce qu'on attend de tout parent. Mais tu ne peux pas la perdre parce que tu te renfermes. Il ne faut pas que tu la perdes. Avec ton père, je veux bien, mais pas ta mère. Alors tu fais ce que tu veux, mais ne l'abandonne pas. C'est une femme en or.
Je souris à son monologue. Elle n'avait pas besoin de me dire tout ça, je connaissais ma mère par cœur.
— Je me rappelle encore quand elle a fait un scandale avec la mère de Stacy quand on l'a croisé au supermarché. Elle ne l'avait pas critiquée de salope parce qu'elle m'avait largué pour un autre et sûrement trompé. Elle lui a dit qu'elle devrait songer à la polygamie au lieu de se comporter de manière aussi malhonnête.
— Une femme en or je te dis, affirma-t-elle entre quelques rires. Elle a même balancé des petites branches d'arbre sur nos harceleurs et c'est elle qui a été convoquée.
— Ma mère est une gamine de quinze ans, rétorquai-je avec difficulté tout en riant.
— Une gamine, certes, mais une gamine avec du recul.
Et maintenant, je me souvenais de tous ces moments avec ma mère, tout ce qui m'avait poussé à la prendre dans mes bras, reconnaissant de la voir me soutenir à ce point. Elle avait tout accepté, mon look gothique, même le fait que je lui vole son maquillage et vienne au lycée comme ça. D'ailleurs, elle m'avait même offert du maquillage me disant qu'il n'y avait aucune raison de genrer le maquillage et que j'avais le droit d'en mettre. Elle en était même venue à me défendre auprès des professeurs à ce sujet, mais j'avais arrêté, ne supportant plus les critiques. Dommage, c'était assez amusant d'avoir les yeux barbouillés de noir.
— Je pense que je dois réfléchir à tout ça, conclus-je.
— En effet.
Sur ce, notre discussion se termina et Saoirse sortit de l'immeuble, soulagée d'enfin me voir. Elle se jeta dans mes bras, comme si j'avais disparu depuis des décennies.
— J'avais juste besoin d'air, m'expliquai-je même si c'était inutile.
— Pas de problèmes. En tout cas, j'aime beaucoup ta mère, lâcha-t-elle tout enjouée.
— Il y a beaucoup de raisons de l'aimer... Même si ses moments d'euphorie peuvent être pénibles.
— En tout cas, si tu veux dormir chez moi, n'hésite pas.
Même si l'idée était assez plaisante, je savais que je dormais trop peu pour que ce puisse réellement se faire. J'étais encore emporté par cette tornade du passé, mais ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle disparaisse et fasse définitivement partie du passé. Bientôt, si je le voulais...
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