Chapitre 2 : Chacun son terme
Je n'avais pas voulu mettre le moindre réveil, ne voulant pas m'imposer une heure de réveil, mais j'y fus contrainte à contrecœur. J'entendais la voix criarde d'une jeune fille et un homme qui lui répondait. J'avais comme l'impression qu'il s'agissait de Merle, mais je l'avais si peu entendue jusqu'à maintenant que j'étais incapable de me rappeler à quoi elle ressemblait vraiment.
Assez curieuse et désormais réveillée, j'entrouvris la porte de mon appartement et distinguai Merle en compagnie d'une adolescente de dos à la longue chevelure rousse. La discussion semblait s'être envenimée assez rapidement.
— Je t'ai déjà dit ce que j'en pensais, lâcha-t-il d'un ton ferme. Et si tu continues, je serai obligé d'en parler à tes parents...
La fille s'en alla précipitamment et le regard de Merle croisa alors le mien. Stupidement, je venais de m'être fait prendre en plein la main dans le sac. Il ne dit rien et rentra chez lui, même s'il n'hésita pas à me lancer un regard un peu trop noir. J'étais sûrement encore trop dans les vapes pour comprendre la scène à laquelle je venais d'assister.
J'entendis alors quelques pleurs provenant de l'étage d'en dessous. Encore une fois, ma curiosité morbide prit le dessus et je descendis les escaliers pour y trouver cette fille, assise, et qui cachait désespérément son visage.
— Est-ce que ça va ? demandai-je d'une voix hésitante.
Elle révéla son visage contrit et je m'assis à ses côtés. Son mascara avait coulé dans le coin de ses yeux. Pendant un long moment, elle se tut, incapable de prononcer le moindre mot, et je compris que c'était à moi de prendre les devants de cette conversation.
— En fait, je suis Saoirse, je viens tout juste d'emménager.
Parmi toutes les personnes que m'avait énumérées Jian, cette fille devait faire partie de cette famille conservatrice. Mais bien évidemment, j'avais totalement oublié son nom, ce qui était fort prévisible, surtout après cette nuit assez mouvementée.
— Je suis... Nina, tenta-t-elle d'articuler.
Soudainement, je me rappelais de son nom. Jian me l'avait bel et bien dit comme je m'en doutais.
— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé... Mais si tu as besoin de parler, tu peux venir me voir, lui proposai-je d'une douce voix.
Elle ne disait toujours rien. Après tout, ça me semblait assez normal qu'elle ne me dise rien, on ne se connaissait qu'à peine et elle pouvait très bien se méfier.
— Merci, lâcha-t-elle d'une voix sourde.
Et elle partit assez précipitamment, terminant ainsi la conversation. Et je ne savais toujours pas ce qu'il s'était passé entre elle et Merle. Que pouvaient-ils bien s'être dit pour qu'elle en finisse en pleurs ? D'ailleurs, c'était la première fois que j'avais l'impression de voir une expression sur Merle autre que l'évitement. On avait beau me le présenter comme quelqu'un de gentil, son côté étrange pouvait être assez dérangeant...
*
Ces derniers jours avaient été assez éprouvants. Entre le travail et l'organisation de mon appartement, j'étais complètement épuisée. Et dire qu'il y avait cette soirée chez Jian et Clara... J'hésitais vraiment à y aller. Je n'avais pas à travailler et pouvais bien me détendre, mais dormir était assez tentant. Qu'est-ce que je donnerais pour ne serait-ce qu'avoir une longue et apaisante nuit de sommeil ! Pourtant, je devais quand même faire quelques efforts pour m'intégrer. J'ignorais combien de temps je vivrais ici, mais je n'avais aucune envie de passer d'épouvantables années parce que je n'y avais pas mis un peu du mien.
Finalement déterminée à me bouger un peu, j'entrepris d'arranger un peu ma tenue. N'ayant pas envie d'une tenue trop présomptueuse, j'optai pour un léger pull et un jean. Une tenue assez banale en soi. Néanmoins, je laissai mes longs cheveux blonds détachés que j'avais tant l'habitude d'attacher en un rapide chignon. Je n'avais rien fait de particulier, pourtant, ça changeait de mon habituelle tenue de travail avec laquelle je dormais souvent avec tellement j'étais épuisée en rentrant.
Une fois prête, je quittai rapidement mon appartement et descendis les escaliers à toute allure. Dès mon arrivée devant la porte, j'entendis de la musique – peut-être un peu trop forte –, ce qui me confirma que j'étais à l'heure. Après avoir sonné, Jian m'ouvrit dans les secondes qui suivirent et me prit dans ses bras. Cette femme était un vrai bisounours avec une tendresse débordante. Immédiatement, elle me fit sourire.
— Saoirse ! Je suis contente que tu sois venue ! s'enthousiasma-t-elle. Tu n'as pas eu de problèmes avec ton travail ?
— Heureusement, j'avais la soirée de libre, expliquai-je brièvement.
— Mais viens, ne reste pas dehors !
Elle me prit par le bras et me conduisit jusqu'à un buffet à l'intérieur.
— N'hésite pas à te servir, m'annonça-t-elle. Y a de quoi grignoter et boire, avec ou sans alcool. Il y en a pour tous les goûts.
Visiblement, elle avait pensé à tout le monde et ça faisait vraiment plaisir à entendre.
— Est-ce que c'est indiscret de te demander s'il y a une raison à cette fête ? m'enquis-je tout en m'emparant d'une flûte de champagne.
— Clara et moi tentons d'avoir un bébé depuis quelque temps et la semaine prochaine, on va tenter une nouvelle insémination.
Désormais, je n'avais plus de doutes quant à leur relation, même si ça m'avait semblé plutôt évident. D'ailleurs, je comprenais pourquoi elle avait tant insisté sur le caractère "conservateur" de la famille d'en face, sûrement que leurs rapports n'avaient pas toujours été aussi courtois qu'on puisse le penser.
— La dernière tentative a été un échec, poursuivit-elle d'un air assez morose, mais cette fois-ci, j'espère que ce sera la bonne !
— J'espère aussi ! En tout cas, je croise les doigts pour toi ! lâchai-je tout en faisant le signe de ma main.
— Merci tu es adorable !
Après ce rapide échange, elle dut ouvrir la porte à une nouvelle personne. D'un coin de l'œil je pus apercevoir Merle. Sa présence m'étonna, il n'avait pas l'air d'être le genre de personne à venir dans de tels endroits. Visiblement, les apparences étaient trompeuses. D'ailleurs, lui et Jian étaient en train d'avoir une conversation assez joviale, tellement qu'il en souriait. Jamais je n'aurais cru le voir sourire un jour. Pourtant, malgré cette discussion, j'avais l'impression qu'il tentait encore de fuir.
Encore guidée par ma curiosité malsaine, je m'approchai d'eux, quitte à ça paraisse très intrusif et même malpoli. Je devais trouver une excuse... et vite ! Ce fut chose facile, même si je paraissais pour une imbécile.
— Salut, je suis Saoirse, la nouvelle arrivante, lançai-je un sourire aux lèvres. On a à peine pu faire connaissance.
— Enchanté, Merle, répondit-il d'un ton assez neutre. Je me disais bien que ta tête m'était inconnue.
— Heureusement que je fais une fête sinon jamais vous n'alliez vous croiser ! lâcha Jian avec son enthousiasme habituel.
Merle afficha un bref sourire, comme s'il semblait gêné. J'avais comme l'impression qu'il ne m'appréciait pas vraiment. Rapidement, il s'éclipsa en direction du buffet tandis que je restais interdite. En effet, le terme "étrange" lui correspondait à merveille.
— Il se comporte comme ça avec tout le monde ou c'est juste moi qu'il ne supporte pas ? demandai-je à Jian.
Je n'aurais pas dû poser la question d'une manière aussi directe, mais ça m'intriguait depuis quelques jours et je ne pouvais pas faire comme s'il ne se passait rien.
— Je t'ai dit, il est très réservé. Même si je dois avouer qu'il l'est davantage depuis la mort d'Anna...
— Anna ? m'étonnai-je.
J'avais entendu de nombreux noms ces derniers jours, mais celui-ci ne me disait absolument rien. J'avais beau avoir une mémoire déplorable pour les prénoms, je savais encore quand on m'avait parlé de quelqu'un ou non.
— Anna habitait au 3A. Elle s'est suicidée il y a deux mois. Et d'après ce que j'ai pu comprendre, elle et Merle étaient assez proches...
Par "assez proches", c'était comme si elle voulait dire qu'ils étaient sortis ensemble et que malheureusement, leur relation avait été écourtée bien rapidement. Et pendant un instant, je m'en voulais de l'avoir jugé aussi vite. On ne savait pas tous masquer nos traumas...
— D'ailleurs, l'autre jour je l'ai vu s'engueuler avec Nina, c'était assez étrange, dis-je pour détourner le sujet de conversation.
— Ça m'étonne à peine, soupira-t-elle comme si elle avait entendu ça des milliers de fois. Nina est une fille à problèmes, mais ses parents n'en savent rien et personne n'a envie de blesser sa famille. Mais bon, on ne va pas reprocher son éducation, ses parents n'écouteraient pas... Surtout pas venant de moi. Ils ont ce côté snob qui leur donne l'impression d'être au-dessus de tout le monde... C'est dommage, ce sont des gens bien dans le fond.
Même si elle avait envie de les critiquer, elle tentait quand même de leur trouver quelques qualités. En fait, elle était incapable de ne voir que le mal chez une personne.
— Elle ne cesse de faire des fugues, continua-t-elle tout en grimaçant, mais un jour, il va lui arriver un sale truc à cette gamine...
— En effet, lâchai-je, peu convaincue.
De nouveau, mon regard se tourna vers Merle qui était en pleine conversation avec Clara. Encore une fois, je le voyais souriant et ça renforçait mon idée comme quoi il avait quelque chose contre moi. Mais avec ce que m'avait confié Jian, je ne savais plus trop quoi en penser... Après tout, moi-même je me méfiais facilement de mon entourage, alors pourquoi pas lui ? Étrangement, je ressentais comme le besoin d'aller lui parler. J'attendis la fin de sa discussion avec Clara et me dirigeai aussitôt vers lui, souriante.
— Hey ! On a à peine eu le temps de se parler tout à l'heure, lançai-je d'un ton qui se voulait rassurant.
— Tu comptes me parler à propos de Nina ? demanda-t-il d'un air hésitant.
Pendant un instant, j'avais l'impression que la situation était devenue soudainement gênante et que j'étais en train de rougir. Pourquoi est-ce que je donnais l'air d'agir comme une idiote ?
— Euh... Oui... et non... Enfin, je viens d'arriver, du coup, je ne sais pas tout...
— Eh bien, ça n'a pas grande importance alors, tenta-t-il d'éluder.
— Alors pourquoi s'est-elle mise à pleurer ?
— Elle a quinze ans, elle est jeune. On n'est pas obligé de lui interdire d'exprimer ses émotions...
La conversation se termina ainsi puisqu'il prétendit avoir quelque chose à faire. J'ignorais si c'était une réelle excuse ou si ce n'était que pour m'éviter. En tout cas, son comportement restait quand même assez suspect... Cependant, le terme "étrange" lui convenait toujours autant...
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