Chapitre 15 : Un nouveau cycle
Cette nuit, j'avais longuement tenté de trouver le sommeil. Il m'arrivait, par chance, de pouvoir m'endormir quelques minutes, mais ces quelques minutes de repos ne duraient pas longtemps. Mon esprit ne cessait de me torturer, de me rappeler le moindre souvenir insignifiant à propos d'Anna. Cependant, les mauvais souvenirs étaient tout aussi présents. Depuis que j'avais feuilleté brièvement son carnet, mes pensées divaguaient sans cesse. Sauf que mes pensées étaient toujours bien troubles, j'avais si peu de souvenirs de ces soirées... Je me heurtais à chaque fois à du noir et c'était d'autant plus perturbant par rapport à ce que j'avais pu lire dans son carnet. J'avais refusé d'en lire davantage, alors peut-être qu'elle avait recommencé, je n'en saurais rien... Ne pas savoir était ce qui me perturbait le plus.
Comprenant que je serais incapable de trouver le sommeil, je quittai mon lit, enfilai rapidement quelques vêtements potables, un manteau, une écharpe et quittai mon appartement tout en prenant le carnet d'Anna avec moi. Il avait beau être deux heures du matin, j'avais besoin de prendre l'air, de me ressourcer à ma manière.
Je ne voulais pas m'éloigner de l'immeuble et me rendis dans le parc à côté de celui-ci. Parfois, j'y allais pour lire ou traîner avec quelques amis, mais ce n'était qu'en période chaude, je ne supportais vraiment pas le froid. Cependant, le froid n'allait pas m'empêcher de sortir ce soir, ni même le vent. Je m'installai sur un banc en bois dans un coin.
Le carnet dans mes mains, j'hésitai à l'ouvrir une nouvelle fois, mais je n'étais pas venu ici pour rien. J'avais besoin d'évacuer tout ça, d'enfin mettre une croix sur le passé. Alors que mes mains tremblaient et mon esprit me hurlait de faire demi-tour, mon cœur se réchauffa en apercevant Saoirse en tenue plutôt sportive.
— Qu'est-ce que tu fais là ? m'enquis-je faiblement.
— Je pourrais te retourner la question... Mais je n'arrivais pas à dormir alors que je me suis dit qu'un jogging pourrait m'aider.
— Si tard ? Ce n'est pas très rassurant...
— Je prends le risque, lâcha-t-elle en haussant les épaules.
Elle s'assit à mes côtés et sa légère tenue me fit trembler. J'insistai pour lui proposer mon écharpe, mais elle refusa, comme toujours.
— Merle, je t'assure que je n'ai pas froid ! déclara-t-elle entre quelques rires.
Je la fixais, probablement d'un regard vide. Elle était si souriante et moi, je déprimais pour une femme qui ne m'avait jamais aimé, qui n'avait fait qu'abuser de moi, et pire que tout, l'avait fait avec fierté.
— Et toi, tu fais quoi dehors ? Et pourquoi tu as le carnet d'Anna ? m'interrogea-t-elle, comprenant alors pourquoi j'étais dans un tel état.
— Je voulais le brûler...
— Tu crois que c'est la solution ? demanda-t-elle, l'air triste.
— Je n'ai plus jamais envie de lire ça...
— Tu auras beau brûler ce carnet, ça ne fera pas disparaître ce qu'elle t'a fait... J'ai beau avoir déménagé et commencé une nouvelle vie, ce n'est pas ce qui m'a aidé le plus, ça m'a donné l'illusion que ça m'aidait...
— Je suis souvent venu chez elle parce qu'elle disait avoir besoin de moi. Elle me proposait à boire, j'acceptais, mais je n'avais pas conscience qu'elle voulait que je boive beaucoup trop. Elle me faisait fumer aussi... ce qui fait que j'ai peu de souvenirs de toutes ces soirées... Mais elle a écrit ce qu'il s'est passé à ces soirées...
Mes mains se resserraient sur le carnet. Ce que je considérais le pire dans notre relation avait été ce moment où elle m'avait agressé sexuellement pour me convaincre de revenir vers elle, mais en réalité, cette situation s'était produite des tas de fois. Elle avait dû me sortir les mêmes phrases et agir de la même manière sans jamais se rendre compte de la gravité de son acte.
— Elle a dû tirer des tas d'informations sur moi... mais le pire qu'elle ait pu en tirer, c'est du sexe...
— Je suis désolée, rétorqua-t-elle aussitôt, les yeux humides.
— Tu n'y es pour rien...
— Mais ça me fait mal d'entendre ça, se justifia-t-elle dans un murmure.
Instinctivement, je la pris dans mes bras, mais jamais ça n'effacera tout. Tout serait tellement plus simple si je n'avais jamais rencontré Anna, si elle n'avait jamais emménagé dans cet immeuble. Tout aurait été tellement plus simple en effet...
Après quelques instants, je la relâchai et nous avions tous les deux un air mélancolique.
— Si tu sens que brûler ce carnet peut t'aider, fais-le, me conseilla-t-elle d'une douce voix. Après tout, j'ignore ce qui pourrait t'aider, tu es celui qui sait ce qu'il y a de mieux à faire...
Dans le fond, je l'ignorais aussi. J'avais l'impression que je le faisais plus dans l'idée de stupidement me venger, mais me venger était aussi un moyen de m'en soulager. J'avais beau prétendre que je ne lui en voulais pas, c'était un mensonge. Je lui en voulais. Elle avait abusé de ma confiance, elle avait abusé de tout ce que je pouvais lui offrir et même bien plus encore. Je prétendais ne pas ressentir de haine pour elle mais celle-ci se cachait avec l'amour, sinon j'aurais réussi à rester indifférent.
Enfin décidé à prendre les devants, j'ouvrais ce carnet, tombant bien évidemment sur ces quelques photos de nous deux. Nous sourions, comme si tout allait bien, et désormais, ces sourires me dérangeaient. Ils étaient faux, du moins, celui d'Anna. Avait-elle déjà souri sincèrement en ma présence ? Avais-je été autre chose qu'un défouloir à ses yeux ? M'avait-elle vraiment accordé de l'importance ?
— Pourquoi j'ai toujours envie d'utiliser des moyens violents ? D'abord une arme, maintenant le feu... Au dernier moment, je refuse toujours de le faire... Je ne résous absolument rien...
— Peut-être parce que la violence n'est pas ton moyen d'évacuer, proposa-t-elle comme hypothèse. Peut-être parce que tu n'es pas quelqu'un de violent...
— Peut-être bien... Mais je fais comment pour me débarrasser de tout ça ?
— Si seulement j'en avais la réponse, soupira-t-elle.
Elle admira un instant la pleine lune qui nous éclairait puis son regard revint vers moi sans que j'émette le moindre son.
— Mason te hante encore ? supposai-je un peu trop brusquement.
— Je crois... Je galère encore à trouver le sommeil... Et j'ai peur. Peur que je me retrouve dans la même situation sans même m'en rendre compte... J'ai même parfois peur que tu agisses pareil... Et même dans ma manière d'être, tout a changé. Avant, je parlais à tout le monde, je faisais confiance facilement... maintenant, c'est différent... Je ne me sens plus en sécurité. J'aimerais pouvoir redevenir cette fille insouciante et qui ne souffrait pas, mais malheureusement, c'est impossible.
Je me perdis alors dans le carnet d'Anna, affligé. Tous ces dessins et tous ces paragraphes me remémoraient bien trop de souvenirs, mais je ne pourrais jamais les effacer. Saoirse avait raison. Maintenant, je devais vivre avec toutes ces pages qu'Anna avait saccagées après son passage, tout comme Saoirse devait en faire avec ce que lui avait fait Mason.
— C'est injuste, déclarai-je dans un murmure.
— Je sais, approuva-t-elle d'une faible voix. Ça va peut-être paraître bizarre ce que je vais dire, mais tu as la chance qu'Anna ne puisse plus revenir dans ta vie... Moi, Mason, il peut revenir et recommencer. Et ça, c'est ma plus grande peur... Je l'ai déjà croisé une fois, ça pourrait très bien se reproduire. Rien ne me garantit que je ne le verrais plus...
— C'est peut-être une chance en effet... Mais je l'aime encore, c'est ça le problème. J'aimerais que ces sentiments disparaissent... Pourtant, même en me rendant compte de tout le mal qu'elle m'a fait, je n'y arrive pas... Je ne peux pas...
Saoirse ne savait plus trop quoi dire et elle se blottit dans mes bras tandis que je fixais d'un air vide le carnet d'Anna. Je n'avais plus envie de le brûler, mais je n'avais pas envie de la garder. Son père me l'avait donné tel un cadeau empoisonné, il avait sûrement dû y lire quelques passages et horrifié, avait préféré nié la vérité en le refilant à un autre, il ignorait probablement qu'il l'avait donné à la personne la plus concernée possible.
— Tu penses que je fais bien de mentir aux parents d'Anna ? demandai-je, assez perdu. J'ai refusé de leur révéler certaines informations sur elle pour qu'ils gardent une bonne image d'elle... Mais j'ai l'intime conviction que son père se doutait de quelque chose.
— Est-ce que ça t'aidera de leur parler ou le feras-tu plus dans un but de te venger ? m'interrogea-t-elle presque par provocation. Qui ça aidera le plus ?
— Tu aurais voulu que les parents de Mason sachent ?
— Non... Ils ne comprendraient sûrement pas... et ils ne sont pas responsables de ça. J'aurais juste l'impression de stupidement me venger et de les blesser...
— Mais les parents d'Anna ont vu leur fille se suicider sans en comprendre la raison, rétorquai-je toujours aussi déboussolé. Cette raison, je la connais...
— Et tu fais partie de l'histoire de son suicide, ils peuvent t'en vouloir... Ils peuvent te considérer comme le meurtrier de leur fille.
— Mais ce carnet... Je ne peux pas le garder...
— Les poubelles, c'est toujours assez efficace et c'est pas du tout violent, me proposa-t-elle, souriante.
Son idée assez naïve me fit sourire à mon tour. En effet, ce pouvait être une bonne solution, mais ça ne me soulagerait pas pour autant. De toute manière, il allait surtout me falloir du temps pour évacuer tout ça... Quatre mois avaient beau s'être écoulés après sa mort et c'était loin d'être suffisant. Il en était de même pour Saoirse. Peut-être qu'un jour nous serions vraiment capables de tourner la page...
*
Saoirse venait de m'envoyer un message m'annonçant qu'elle venait tout juste de se lever et je lui répondis aussitôt que j'allais chercher mon courrier pour la rejoindre ensuite. Cependant, je compris qu'elle était impatiente lorsque je la croisai à la sortie de mon appartement.
— On peut aller chercher notre courrier ensemble comme ça, proposa-t-elle.
Nous descendîmes alors les marches ensemble, ma main dans la sienne.
— On a tous les deux notre soirée, lança-t-elle, le sourire plein de malice. Qu'est-ce qu'on peut bien faire ?
— Quelque chose de simple. Genre on commande une pizza et on regarde un film. Je suis assez exténué...
— Tant mieux, ça m'arrange aussi, approuva-t-elle.
En arrivant au rez-de-chaussée, Jian nous interrompit tout en nous trouvant "adorables". Elle était bien plus enthousiaste que d'habitude, comme si quelque chose venait de lui remonter le moral. Cependant, il était évident que notre couple n'était pas l'unique raison de sa joie.
— Tu as entendu passer un ragot assez amusant ? supposai-je, commençant à la connaître.
Jian adorait savoir tout ce qui se passait dans son entourage, mais son excentricité ne lui permettait pas de garder ces informations bien longtemps. Ainsi, elle les propageait assez facilement, ce qui avait tendance à en énerver plus d'un.
— Avec Clara, on a beaucoup parlé par rapport à ma dernière insémination et on s'est mis d'accord sur un point. On va adopter.
Lorsqu'elle nous annonça enfin la nouvelle, son sourire s'agrandit et ses yeux commencèrent à briller. Jamais je ne l'avais vu dans un tel état. Aussitôt, Saoirse prit Jian dans ses bras, la félicitant.
— En plus, je ne travaille pas, j'aurais tout le temps pour m'en occuper, ajouta-t-elle.
— Je suis tellement heureux pour vous deux. Vous ferez des mères formidables.
— J'ai déjà la pression, avoua-t-elle en mordant sa lèvre inférieure.
— J'ai été élevé par deux mères et je m'en porte très bien. Vraiment, tu n'as aucune raison de te tracasser.
Jian arqua un sourcil, tout comme Clara, je n'avais sûrement pas parlé de ce détail à propos de ma famille. Après tout, j'évitais toujours d'en parler et me contentais d'un "mes parents sont divorcés" pour ne pas à subir le regard désagréable de certaines personnes peu ouvertes d'esprit.
— Ma mère a quitté mon père parce qu'elle était lesbienne, elle s'est mise avec une femme avec qui elle est toujours aujourd'hui et toutes les deux m'ont élevé. Voilà, c'était le résumé.
— Si jamais mon gosse a le moindre souci avec ça, je ferais appel à toi, déclara Jian, un sourire un peu trop malicieux.
— D'accord, affirmai-je d'une voix tremblante.
— J'espère que les procédures vont bien se passer parce que c'est ce qui m'angoisse le plus, avoua-t-elle en posant une main sur sa poitrine.
Saoirse et moi passâmes de nombreuses minutes à la rassurer, ce qui sembla la soulager quelque peu. Elle avait beau dire qu'elle avait peur de ne pas être à la hauteur, mais en réalité, je savais très bien qu'elle avait peur qu'on la juge pour son orientation, peur que ce soit son unique barrière pour adopter.
— D'ailleurs, tous les deux, vous me tentez bien pour être les parrains de mon enfant, annonça-t-elle, fière.
Saoirse et moi échangeâmes un regard assez gêné. Aucun de nous deux ne s'attendait à ce qu'elle nous choisisse parmi sa liste potentielle de parrains.
— On est ensemble depuis très peu de temps, lâchai-je assez maladroitement.
— Je peux très bien dire que tu es le parrain et Saoirse la marraine comme si vous n'étiez pas un couple si c'est ça le problème, argumenta-t-elle, contente de pouvoir contrer mon stupide argument.
— D'accord, je m'avoue vaincu... et je suppose qu'on aura le temps d'en reparler, soufflai-je toujours assez mal à l'aise.
— En tout cas, je veux bien être la marraine avec plaisir ! s'enthousiasma Saoirse.
Jian lui adressa un sourire reconnaissant et cette complicité était assez touchante à voir. En tout juste deux mois, Saoirse avait réussi à incroyablement s'intégrer dans cet immeuble et elle était également au centre de ma vie. J'avais beau avoir quelques moments de désillusion où je ne supportais pas l'idée que je survivais plus que je ne vivais, ces instants de léger bonheur m'aidaient à tenir. Saoirse devait ressentir la même chose. Nous survivions ensemble. Nous avions chacun une histoire qui nous avait détruits, mais nous avions la chance de nous être trouvé pour mieux nous reconstruire...
Alors que je me perdais dans mes pensées tout en observant Saoirse discuter avec Jian, toute souriante, quelques personnes avec des cartons en main passèrent. Parmi ce groupe de personnes se trouvait une grande femme noire assez charismatique. Elle indiqua brièvement aux hommes où se trouvait son appartement d'une voix ferme. Elle repoussa une mèche de ses courts cheveux puis retourna à l'extérieur sans même faire attention à notre présence.
— C'est elle qui va habiter dans l'appartement d'Anna maintenant ? demandai-je.
— En effet, répliqua-t-elle. D'après le peu que je sais, c'est une psychiatre qui sort d'une grande école et qui voulait un cadre un peu plus calme...
— Je doute qu'elle trouve du calme dans cet immeuble, il se passe toujours quelque chose ici, lui fis-je constater.
Jian ne put s'empêcher d'approuver ma remarque ce qui conclut notre conversation ainsi et elle rentra chez elle. Juste avant de retourner chez nous à notre tour, nous avions pris notre courrier, ce pourquoi nous étions descendus. Main dans la main, nous remontions les escaliers comme nous les avions descendus.
— C'est moi ou la nouvelle voisine avait l'air assez froide ? demandai-je pour lancer un sujet de conversation.
— C'est moi ou tu avais l'air assez froid à mon arrivée ?
— Ne pas juger sur les premières impressions, merci de le rappeler, rétorquai-je alors que ça l'amusait.
— Exactement, affirma-t-elle en rapprochant son visage du mien. Et c'est une psychiatre, ça peut être plutôt cool pour nous deux...
— J'hésite quand même depuis la dernière fois...
— Fais comme tu le sens, lâcha-t-elle d'un air bienveillant.
Juste avant que nous nous quittions, même si nous nous retrouverions le soir, elle s'approcha de moi et caressa délicatement mes lèvres des siennes puis celles-ci se rencontrèrent naturellement dans un doux baiser.
— Cette fois, on va accueillir la nouvelle bien comme il faut, pas comme tu m'as accueilli alors on va aller à sa rencontre et on va être sympa, me proposa-t-elle.
— Ça m'évitera de garder de mauvaises habitudes comme ça...
— Exactement, déclara-t-elle, fière d'elle.
Même si l'idée de retourner à l'appartement d'Anna me troublait, il fallait que j'aille de l'avant et cette nouvelle voisine pouvait être un moyen de ne plus associer cet appartement à de nombreux souvenirs assez néfastes.
Et voilà que par un simple emménagement, nous nous retrouvions dans un nouveau cycle...
[NDA : Et oui, c'est la fin... T_T
Enfin, seulement du tome 1. :) J'ai déjà commencé à écrire le tome 2 (en fait, je l'ai fini parce que j'écris plus vite que je ne publie x')). Je vous préviendrai quand il sera disponible, ce qui ne devrait pas tarder ^^
En tout cas, j'espère que ce premier tome vous a plu. Bien évidemment, ça reste un "premier jet" et j'ai encore des tas de choses à retravailler si jamais je veux tenter l'édition/auto-édition. Ce pourquoi je prends vraiment en compte tous les commentaires. ^^ Mais si vous êtes un.e lecteurice discret.e, y a pas de soucis. Le plus important, c'est que ça vous ai diverti. :)
Sur ce, have fun et on se revoit rapidement ! o/]
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