Chapitre 11 : Les survivants | TW
[TW : Violences médicales, Mauvais psy]
Ces derniers jours, mes nerfs étaient à vif et je peinais à contrôler mes émotions. Le passage d'Anna dans ma vie m'avait laissé de nombreuses séquelles et l'agression de Clara, mon orientation sexuelle et le retour de mon père n'allait pas arranger le tout. Saoirse l'avait bien remarqué et s'était inquiétée à propos de mon état. Ne voulant pas que ça déteigne sur elle, j'avais enfin pris contact avec le psychologue que m'avait recommandé ma mère. Et voilà comme je m'étais retrouvé ce lundi après-midi dans une salle d'attente assez austère. J'aurais cru que le pire serait de me retrouver dans cet endroit seul face à mes peurs, mais il y avait ce vieillard qui lisait un magazine d'actualités sous mes yeux, levant quelques fois son regard vers moi, toujours avec ce même air arrogant. Mon look devait le déranger d'une manière ou d'une autre, et encore, mon manteau cachait tous mes tatouages, peut-être même que mon écharpe pouvait dissimuler mon piercing. Il n'y avait que mes cheveux et mes sombres vêtements qui pouvaient alimenter ses préjugés.
Ne voulant pas croiser son regard de nouveau, je m'emparai du premier magazine. Même si je ne lisais pas, je pourrais toujours me cacher derrière. Cependant, je fus interrompu lorsque le docteur Helbling sortit de son cabinet. Il se tourna vers moi et son regard se pencha sur le magazine que j'avais dans les mains, fronçant les sourcils sans même chercher à le dissimuler. Assez étonné par son comportement, je constatai alors que le magazine que j'avais pris au hasard n'était autre qu'un magazine pornographique. Aussitôt, je le reposai sur la table, assez dégoûté et complètement mort de honte. Pourquoi y avait-il ce genre de magazines ici ?
— Monsieur Harlepin, c'est bien vous ? demanda-t-il rapidement sans me laisser le temps de me défendre.
— Euh... Oui... C'est bien moi...
Si je pouvais m'enfuir en courant, je le ferais volontiers. N'importe quelle occasion de fuir était acceptable, même la plus théâtrale. J'aurais pu prétendre que ce n'était pas grave et qu'il ne fallait pas en faire toute une histoire, mais le porno n'avait jamais été mon truc. Je n'avais même pas essayé contrairement à la plupart de mon entourage, ce pourquoi je n'avais même pas envie de défendre cette pratique, peu importe ce que j'en avais entendu.
Sans dire un mot de plus, il m'invita dans son cabinet alors que le vieux me fusillait du regard, me prenant sûrement pour un pervers. On disait que les premières impressions étaient importantes, je savais que je ne plaisais jamais au premier regard, mais jamais à ce point.
Helbling s'installa sur son confortable fauteuil tandis que je m'installai sur la chaise en face de son bureau. L'intérieur de celui-ci n'était pas plus accueillant que sa salle d'attente et désormais, j'étais dubitatif, me demandant bien pourquoi ma mère me l'avait conseillé. Normalement, elle avait dû le considérer comme plutôt bon, mais bon, c'était sûrement les apparences qui me trompaient. Après tout, la séance ne venait même pas de commencer.
— C'est la première fois que nous nous voyons, alors je vais vous poser quelques questions pour avoir quelques pistes de réflexion, annonça-t-il d'un ton plus que professionnel.
— Bien sûr, c'est tout à fait normal, répondis-je assez nerveusement en passant mes mains moites sur mes cuisses.
— Est-ce qu'il y a une raison qui vous a poussé à consulter ? s'enquit-il.
J'avais envie de hurler le nom d'Anna, mais me retins. Commencer dans le désordre était inutile et dans le fond, elle était plutôt une des causes de mon état à ce jour.
— En fait... J'ai très souvent des insomnies...
— Est-ce que vous seriez capable de relier ces insomnies à quelque chose ou vous en ignorez totalement la raison ?
Anna. J'avais son nom sur le bout de la langue, mais si je mettais à parler d'elle, je ne ferais que déverser ma haine sur elle, ce qui ne me mènerait à rien et ne me soulagerait même pas. Au contraire, je ne ferais que culpabiliser de me comporter ainsi. Au lieu de ça, j'optai pour la vérité, même si je luttais intérieurement pour ne pas me mettre à mentir. J'étais quand même face à un professionnel et prétendre que tout allait bien était inutile. Je n'étais pas là pour me conforter dans mes mensonges, certainement pas.
— À chaque fois que je ferme les yeux, je revois cette amie, enfin, plutôt ma voisine, qui m'a agressé sexuellement, admis-je en baissant brièvement mon regard.
Il prit un temps de pause, ce qu'il n'avait jamais fait jusqu'alors. Il avait toujours une question pour rebondir face à mes propos, mais cette fois-ci, il était muet. Alors inquiet, mon regard revint vers lui. Son visage affichait une étrange mine, comme s'il s'amusait de ce que je venais de dire.
— Je vois, finit-il par lâcher d'un air hautain. Vous avez des regrets que ce soit allé aussi loin avec votre voisine et comme vous ne pouvez pas l'accepter, vous faites passer ça pour une agression. Écoutez, on peut travailler sur votre narcissisme, ce n'est pas un problème.
Parmi toutes les réactions auxquelles je m'attendais, celle-ci n'en faisait pas partie. Jamais je n'aurais cru tomber sur quelqu'un me persuadant que c'était du sexe que je n'assumais pas. Pensait-il que j'étais vraiment idiot à ce point ?
— Cette femme m'a sucé sans mon consentement, insistai-je, comprenant qu'il ne me prenait pas au sérieux.
— À votre place, j'en serais flatté... Mais comme je vous l'ai dit, ça se travaille.
Il enchaîna sans que je ne puisse en placer une. Il ne me croyait pas, il allait jusqu'à prétendre que j'avais une addiction sexuelle, reliant le magazine porno que j'avais accidentellement pris à sa théorie. À chaque fois, il insistait sur le fait qu'il pouvait me soigner et me parlait comme si j'étais cinglé. Parfois, il ne pouvait s'empêcher de lâcher quelques obscénités qui me paraissaient assez sexistes. Cependant, je m'en rappelais à peine, encore sous le choc de sa réaction. Il niait totalement mon vécu et ne semblait pas prêt de revenir sur ses dires.
J'étais venu dans l'espoir de me soulager de quelques poids et maintenant, j'étais épuisé. Je n'avais pas besoin de ça en plus.
Son discours m'insupportait de plus en plus. Cette fois-ci, il fallait vraiment que je fuie. Cette fois-ci, je n'avais pas une gêne à dissimuler, mais je devais plutôt me protéger de cet homme qui me considérait plus comme un rat de laboratoire que comme un patient. Je me levai alors, déjà essoufflé par cette situation.
— Quelque chose ne va pas ? me demanda-t-il en plissant son regard.
— J'ai une urgence, il faut que je m'en aille, prétendis-je.
Je n'avais même pas envie de me battre sur sa médiocrité et quittai son cabinet alors qu'il me sommait de revenir. Pendant un instant, je croisai le regard de ce vieillard encore dans la salle d'attente et visiblement, il ne m'appréciait toujours pas. Maintenant, il allait pouvoir me considérer comme immature de partir aussi précipitamment, mais c'était vraiment le dernier de mes soucis...
*
Si mes nerfs pouvaient saigner, c'était sûrement ce qu'ils feraient dès le moment où je franchis le seuil de l'appartement de Saoirse. Elle m'avait proposé de la rejoindre pour s'assurer que je ne sois pas seul après cette séance et jamais je ne la remercierais assez pour cette initiative.
— Je peux d'ores et déjà t'annoncer que cette séance a été un désastre, lançai-je dès mon arrivée.
— À ce point ? s'étonna-t-elle depuis la cuisine.
Je déposai mon manteau à l'entrée et la rejoignis dans la cuisine. Cependant, elle n'était pas seule, elle était accompagnée d'Eloise et j'ignorais que ces deux-là se voyaient dans mon dos. Tant mieux. Si mon amie et ma copine pouvaient s'entendre, j'en étais ravi.
— Qu'est-ce que vous faites ? demandai-je quelque peu déstabilisé.
— On allait préparer des cupcakes, annonça fièrement Eloise.
— Ah les fameux cupcakes avec écrit de magnifiques "bois mes règles" en rouge, rétorquai-je en levant les yeux au ciel.
Eloise m'afficha un fier sourire. Je la connaissais par cœur, en particulier sa recette de cupcakes. Elle ne savait pas très bien cuisiner, mais lorsqu'il s'agissait d'écrire des conneries sur des cupcakes, elle devenait soudainement une pro des fourneaux. Elle avait tenté de m'initier à en faire de même, mais je n'avais rien d'aussi drôle qu'un "bois mes règles".
— Et pourquoi ça a été un désastre avec le psy ? s'enquit Saoirse en plongeant un doigt dans la préparation pour la goûter.
Eloise tenta d'arrêter Saoirse, mais il était déjà trop tard, elle venait tout juste de glisser son doigt dans la bouche, dégustant ce bout de pâtes tout en riant. Une vraie complicité s'était installée entre elle et Eloise sans même que je m'en rende compte.
— Merle ? lâcha ma copine pour me tirer de mes pensées.
Je repris mes esprits, je m'étais perdu entre son sourire et ses yeux, ce qui arrivait très souvent.
— Je lui ai parlé de ce qui s'était passé avec Anna. Il m'a fait croire que j'avais des regrets et que je faisais passer ça pour une agression parce que je n'assumais pas. Il a même osé dire que j'aurais dû en être flatté...
— Comment un psy peut oser sortir ça ? s'indigna Saoirse en posant son fouet dans le bol.
— Malheureusement... Il a une réaction que beaucoup auraient, soupira Eloise. Merle, je t'avais prévenu que très peu de gens te prendraient au sérieux.
— Je sais, mais je ne m'attendais pas que ça vienne d'un psy, ripostai-je en passant une main dans mes cheveux.
— Tu aurais dû t'en douter après ce qu'il m'est arrivé. Si tu es la victime, on remettra toujours en doute ta parole...
Saoirse baissa sa tête un instant, assez mal à l'aise. Dans cette pièce, nous avions tous vécu des violences, tous différemment. Puis le regard de Saoirse revint vers la rouquine, l'air triste.
— Saoirse, tu n'es pas au courant... Mais tout ce que tu as à savoir, c'est qu'il m'avait fait boire et que ça a été suffisant pour remettre en doute ma parole, expliqua-t-elle sereinement. Mon physique n'a pas aidé non plus.
Même si elle disait souvent qu'elle avait peu de souvenirs, elle refusait toujours d'en parler. D'une certaine manière, elle aimait ne pas se rappeler de tout, ça lui empêchait de revivre la scène comme je pouvais si bien le faire.
— Désolée si tu ne comprends pas trop et que tu es totalement perdue, ajouta-t-elle presque d'un air désolé.
— C'était mon ex, rétorqua Saoirse. On était en couple.
Elle n'eut rien à dire de plus qu'Eloise comprit toute son histoire. Aussitôt, elle l'accueillit dans ses bras et Saoirse vint s'y loger, les larmes aux yeux. Même si j'avais été d'une grande aide pour elle, elle avait vraiment besoin de se retrouver avec une femme sur ce point. Leur accolade dura de longues secondes, elles en avaient toutes les deux besoin, puis elles semblèrent assez soulagées lorsqu'elles finirent.
— Si tu veux Merle, je peux essayer de te trouver un psy, me proposa mon amie d'un ton rassurant. Mais ça va être très compliqué de trouver un psy qui va reconnaître ton agression. On vit quand même dans une société qui pense qu'il est totalement impossible qu'une femme agresse un homme sans que ce ne soit une raison pour remettre en cause son genre ou son orientation. Mais ne t'en fais pas, ça se trouve, il faut juste que tu sois patient...
— Dans le fond, ça m'importe peu... Je veux juste pouvoir dormir sans devoir me shooter aux somnifères, soupirai-je, agacé.
Saoirse passa sa main sur mon bras pour me rassurer. Un jour, j'arriverais sûrement à faire abstraction de tout ça, sauf qu'Anna ne me laissait toujours pas indifférent. J'aimerais vraiment qu'elle ne soit qu'une étrangère à mes yeux, mais une partie de mes sentiments à son égard étaient encore là. J'avais aimé cette femme et j'avais toujours du mal à passer outre ça. En fait, j'en avais toujours été incapable avec quiconque, la faute à mon cœur d'artichaut.
— Bon, on continue ces cupcakes ? demandai-je, voulant penser à autre chose.
Toutes les deux me sourirent et malgré l'ambiance assez tendue qui s'était récemment installée, l'activité cuisine reprit de plus belle. Nous avions chacun une histoire, chacune à base d'atrocités que des proches nous avaient fait subir et pourtant, nous arrivions quand même à cuisiner des cupcakes avec de stupides messages dessus. Même si ce ne serait jamais suffisant pour m'apaiser, c'était assez agréable et me permettait d'oublier un instant quelques-uns de mes troubles qui me suivaient à la trace... Peut-être étions-nous en train de fuir, mais je préférais l'idée qu'on s'accordait juste quelque temps de pause durant notre survie... Oui, parce que, malheureusement, nous survivions.
[NDA : Hey ! L'histoire vient de dépasser les 80k lectures ! Merci ! <3
Malheureusement, l'histoire s'approche de la fin ;-; Enfin, il y aura un tome 2, que j'ai déjà commencé à écrire d'ailleurs. Donc, on ne va pas quitter Merle et Saoirse de sitôt hihi ^3^
Sur ce, enjoy :D ]
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