Chapitre 1 : Chacun ses choix
Comme toujours, j'avais pris le courrier de Sterling – le petit vieux au troisième qui restait toujours cloîtré chez lui – en même temps que le mien. Il refusait de sortir de chez lui depuis son arrivée dans l'immeuble et il n'avait pas les moyens d'avoir suffisamment d'aides pour vivre correctement, alors des fois, je me permettais de lui proposer quelques-uns de mes services. Lui ramener son courrier n'était pas grand-chose, surtout quand un étage ne m'effrayait pas et encore moins son mauvais caractère.
Gravissant les escaliers pour rejoindre son appartement, je frappai à sa porte.
— C'est qui ? demanda-t-il d'un air grincheux.
— Merle. J'ai votre courrier.
Je l'entendis sortir de son fauteuil et ouvrir les nombreuses serrures. Depuis quelques expériences qui l'avaient marqué à vie, sa paranoïa avait pris le dessus sur la raison. Il entrouvrit la porte, méfiant, et je lui tendis son courrier qu'il prit aussitôt.
— Pendant que je suis là, si vous avez besoin de quelque chose...
— Ma télé ne marche plus, lâcha-t-il après quelques secondes de réflexion.
À contrecœur, il me fit entrer et me conduisit jusqu'à son salon, guettant le moindre de mes faits et gestes. J'avais beau être venu des tas de fois ici, c'était comme si j'étais un inconnu pour lui. Je m'approchai de la télé tandis qu'il s'assit sur le fauteuil, ayant trop peu de force pour tenir debout bien plus longtemps.
Mon premier réflexe fut d'allumer la télévision, ce qui fut un succès. En revanche, l'écran était totalement noir et je compris rapidement que le problème était le même : il avait effacé les chaînes en mémoire. Aussitôt, je lançai une recherche pour les retrouver. A priori, ça n'avait rien de compliqué, mais on savait tous que les vieux et les technologies, ça faisait deux, voire plus.
— Est-ce que c'est vrai que Darcy est en prison ? s'enquit-il avec hésitation.
— En effet...
— Je ne comprends pas, il semblait être quelqu'un de bien, souffla-t-il, déçu. Très croyant et il participait à de nombreuses œuvres caritatives...
— Les apparences sont trompeuses.
— À chaque fois que je te vois, tu ne cesses de me le rappeler, lança-t-il sur le ton de la rigolade.
Je ris à sa remarque. Malgré sa froideur, cet homme savait s'amuser et avoir une discussion amicale. Après tout, j'étais un peu une des rares personnes à laquelle il adressait la parole et j'étais sûrement le seul à voir cette facette-là, même s'il gardait toujours ses réserves.
— Vous aviez effacé les chaînes, une simple recherche et elles seront de nouveau là, expliquai-je en posant la télécommande sur une petite table à ses côtés.
— Merci beaucoup. Je te dois quelque chose ?
— Certainement pas, refusai-je spontanément.
À chaque fois que je le dépannais, il insistait pour que me payer d'une manière ou d'une autre. Parfois, à contrecœur, j'avais dû accepter qu'il me donne une babiole alors que son remerciement était suffisant.
— Je n'en reviens toujours pas pour Darcy, soupira-t-il en secouant légèrement la tête. J'ai l'impression que cet immeuble est maudit, il se passe toujours de mauvaises choses par ici... J'espère qu'il ne te soit rien arrivé de grave.
— Je n'ai pas survécu à une épuisante guerre, donc je suppose que tout va bien, rétorquai-je en haussant les épaules.
Même si quelques éléments de mon histoire pouvaient l'inquiéter, j'avais préféré éviter d'en parler. Après tout, ce que j'avais vécu n'avait pas grand-chose à voir avec les traumatismes dont il en était ressorti. Sterling était un vétéran de la guerre du Vietnam et il m'avait raconté de nombreuses horreurs à ce sujet, rien à voir avec ce qu'on pouvait trouver dans les livres d'histoire.
— On ne peut vraiment faire confiance à personne, reprit-il, reprenant son air grincheux.
Je n'ajoutai rien à sa remarque. Sa vision du monde était assez pessimiste et je voulais croire qu'il y avait encore d'honnêtes personnes qui ne cherchaient pas à abuser d'autres, quitte à ce que cette once d'espoir me fasse tomber de nouveau dans le piège. Dans le fond, j'étais prêt à pardonner, à passer outre la malveillance d'autrui. Après tout, c'était tant pis pour eux...
— Voilà, toutes vos chaînes sont de retour, annonçai-je, détournant alors complètement le sujet de la conversation.
— Tu es sûr que je ne peux rien te donner en échange ?
— Sûr, affirmai-je. Et si jamais il y a encore un problème, n'hésitez pas à m'appeler. Vous avez mon numéro et généralement, je suis chez moi.
Il me remercia une dernière fois et je quittai son appartement. Immédiatement après mon départ, je l'entendis remettre tous les verrous de sa porte, comme je m'en doutais. Puis mon regard s'attarda sur la porte de l'appartement qui était autrefois celui d'Anna. J'étais assez étonné que personne ne le loue actuellement. Son suicide ne devait pas attirer de potentiels clients. Je pris une brève respiration puis descendis les escaliers et alors que j'allais entrer chez moi, je fus interrompu par un message provenant d'Eloise.
« Il faut qu'on parle. »
Je détestais ces mots. Généralement, ils n'annonçaient rien de bon. Cependant, nous devions vraiment parler et j'acceptai, craignant déjà le pire.
— Hey ! Tu as prévu quelque chose ce soir ? s'enquit une douce voix féminine.
En levant la tête de mon portable, j'aperçus Saoirse qui s'approchait de moi et déposa un baiser sur ma joue alors que je rangeais mon téléphone dans la poche de mon jean.
— A priori non, je ne travaille pas, répondis-je. Mais aurais-tu prévu quelque chose ce soir qui m'inclurait ?
— On peut dire ça comme ça... J'avais juste envie de passer ma soirée avec toi, m'avoua-t-elle en baissant son regard un instant.
— Ça sera avec plaisir, viens quand tu veux chez moi.
Elle m'adressa un sourire et poussa quelques mèches de ses longs cheveux blonds derrière son oreille. Comme souvent, il y avait quelques moments de gêne entre nous, mais parce qu'on voulait toujours s'assurer que l'autre était pleinement d'accord.
Comprenant nos envies mutuelles, je l'embrassai timidement et elle prit le dessus, prolongeant ce doux baiser. Malgré ce qu'il lui était arrivé, elle s'en sortait plutôt bien sur ce point, et c'était tout à son honneur. Chaque jour, je voyais de plus en plus à quel point cette femme était courageuse et à quel point je l'aimais... C'était une vraie guerrière dans ce monde de brutes.
Mon téléphone vibra de nouveau. C'était de nouveau Eloise qui me demandait si j'étais disponible cette après-midi pour la rejoindre dans notre habituel café.
— Que se passe-t-il ? me demanda Saoirse, un brin inquiète.
— Eloise. Elle veut qu'on parle... J'espère que tout va bien se passer, soupirai-je, assez tendu.
— Je suis sûre que tout ira bien, affirma-t-elle, comme toujours.
J'aurais tellement voulu la croire, mais Eloise n'était pas du genre à s'attacher aux autres. Elle faisait rapidement le tri dans sa liste de proches et j'en avais été éjecté depuis bien longtemps. De plus, pour y refaire partie de son entourage, il fallait vraiment lui prouver qu'on lui méritait. Certains la considéreraient comme compliquée alors que je la trouvais juste prudente et déterminée.
*
Ça faisait bien trop longtemps que je n'avais pas mis les pieds dans ce café. Avec Eloise et quelques proches, nous y avions passé des après-midi entières à discuter de tout et de rien, puis parfois, nous finissions la soirée au cinéma ou au bowling. Puis il y avait eu Anna, et plus rien n'avait été pareil. À partir de ce moment, j'avais commencé à refuser des sorties pour passer mon temps avec elle et Eloise avait commencé à me dire que je devais me méfier, qu'elle était en train de m'isoler, mais jamais je ne l'avais cru, persuadé de faire mes propres choix.
En entrant dans le café, les lieux me semblaient étrangers. Pourtant Jessica, la serveuse, me reconnut aussitôt et me salua. J'ignorais si cette fille avait vraiment un crush sur moi ou que j'étais un client assez sympathique. Elle n'avait jamais été dans ses intentions et je n'avais pas cherché plus loin. Après tout, je ne sautais pas sur la moindre fille qui me souriait...
Puis mon regard trouva enfin Eloise, assise dans un coin, notre place habituelle. Je la rejoignis, le cœur serré, et m'assis en face d'elle. Elle quitta son portable de ses yeux et me fixait. Mes mains s'entremêlaient et j'appréhendais déjà cette discussion.
— Tu voulais qu'on parle, lançai-je avec hésitation.
— En effet. Je n'ai pas envie de te faire la morale. En fait, c'est Saoirse qui m'a fait réfléchir... Et je dois t'avouer que j'aimais bien notre amitié... Tu as été le premier à me défendre au lycée... Et toutes les discussions qu'on a eues, ça me manque...
— Serais-tu en train de dire que tu voudrais qu'on redevienne amis ? demandai-je pour être sûr de ses intentions.
— En quelque sorte. Ça serait dommage de perdre notre amitié pour une enflure...
Soudainement, je soupirai, soulagé que toute cette histoire soit enfin derrière moi.
— Je suis désolé, lâchai-je naturellement. J'aurais dû le voir...
— Ne t'excuse pas, m'interrompit-elle fermement. C'est elle qui devrait être désolée, mais désormais, elle ne pourra plus jamais l'être depuis sa tombe.
Jessica s'approcha de nous, souriante, et prit rapidement notre commande, autrement dit, deux cafés, avant de s'éclipser en cuisine.
— Tu crois que cette fille a un crush sur moi ? l'interrogeai-je, quitte à paraître pour quelqu'un de stupide.
— Fort possible... Mais tu es en couple désormais. À moins que ce ne soit pas une relation exclusive.
— Jusqu'à preuve du contraire, ça l'est, rétorquai-je bien que nous n'ayons jamais parlé de ça avec Saoirse. C'est juste que je me suis posé la question en arrivant... et je ne suis pas très doué pour savoir ce genre de choses...
— En effet, j'ai pu constater que tu as souvent des goûts de merde quand tu choisis tes copines, me taquina-t-elle. J'espère pour toi que cette Saoirse n'est pas une parmi tant d'autres, parce qu'elle a l'apparence de ces filles populaires qui ne sont là que pour se foutre de la gueule des autres...
— Saoirse n'a rien à voir avec ce genre de filles. Elle n'a pas eu une vie facile, mais elle arrive à plutôt bien le gérer.
— Tu sais quand tu rencontres une fille, ça commence toujours comme ça ? À chaque fois, elle a quelques problèmes, mais ce n'est pas si grave que ça...
J'avais envie de la contredire, mais il était fort probable qu'elle ait raison. Je ne me rappelais plus comment je lui avais présenté chacune de mes ex.
— En vrai, j'essayais de te provoquer, finit-elle par avouer. Saoirse n'a rien à voir avec quelqu'un comme Anna du peu que j'ai vu, mais je ne peux pas juger par les apparences et je ne peux donc pas t'assurer que c'est une fille bien.
— Tu apprendras à la connaître.
— J'y compte bien ! s'exclama-t-elle en me pointant du doigt comme si elle allait inspecter le moindre de mes faits et gestes à partir de maintenant.
Jessica arriva avec notre commande et notre discussion reprit de plus belle, comme au bon vieux temps, comme si des mois de séparation n'avaient jamais eu lieu, ce qui me paraissait encore inconcevable quelques heures auparavant. Mais c'était notre choix, celui de tourner la page...
*
De retour à l'immeuble, il commençait à se faire tard et Saoirse allait probablement rapidement venir. Sauf que cette journée refusait de se dérouler simplement et c'est avec stupeur que quelqu'un à la chevelure mauve m'attendait devant mon appartement, quelques valises posées à ses côtés. Sa silhouette m'était familière et je compris rapidement de qui il s'agissait lorsqu'elle se tourna vers moi.
— Maman ?
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