Chapitre 35 - Marie 🌜 : Croissance fulgurante.
Je n’ai pas le temps de dire ouf qu’il attrape avec violence le bras de Simon avant de changer de décor. La forêt de Glasgow, encore et toujours. Je ne l’ai pas entendu prononcer la formule, mais peu importe, vu mon état.
— Tu veux vraiment aller chez Dorian, là ? grogne Simon en se relevant et en se débarrassant des feuilles mortes collées à ses affaires.
— Non, à l’hôpital, affirme froidement le Mage Noir avant de se redresser à son tour.
Je suis toujours assise sur un tapis de feuilles carminées. L’humidité me colle à la peau. Le Pique se baisse, passe ses bras sous l’intérieur de mes genoux et mon dos avant de me faire décoller du sol. Nous progressons à travers les arbres, dans le sens inverse d’où se trouve le manoir de Dorian. Et tant mieux, je n’ai très clairement pas envie de voir sa tronche de macchabé. Lorsque nous sortons du chemin boisé, nous tombons sur un quartier pavillonnaire dans lequel se trouvent plusieurs dizaines de maisons, presque toutes semblables. Simon ne dit absolument rien mais observe dans les moindres détails notre environnement, obligé de marcher à grandes enjambées afin de ne pas etre semé.
— Il est loin l’hôpital ?
— Tais-toi, Simon, j’ai pas le temps de réfléchir, là.
Plus aucune parole ne sort de sa bouche, il est devenu muet. Tout le monde est devenu muet, à présent.
Une heure trente que l’ont marche. Je compte les secondes et les minutes comme si c’était ma dernière journée à vivre. Je vis déjà en enfer, pas besoin de passer de l’autre côté, c’est certain. Après avoir traversé un paysage entier urbanisé, nous arrivons enfin devant un immense bâtiment composé sur ses façades de centaines de vitres translucides, de quoi donner le vertige et la chair de poule, même d’en bas. En approchant, je lève le visage de plus en plus haut afin d’observer la hauteur écrasante de la construction. Nous nous engouffrons petit à petit à l’intérieur, submergés par l’environnement hospitalier que nous offre l’intérieur. Rapidement, un médecin passe devant nous, dossier en main.
— Excusez-moi, vous pouvez l’occulter, s’il vous plait.
Sa voix s’éteint sur ces derniers mots. Il a vraiment peur pour ma vie. Le toubib fronce les sourcils, contrarié d’avoir été interrompu dans sa marche.
—Vous devez vous présenter à l’accueil et patienter, Monsieur.
Il perd directement patience, dans mon dos je sens son bras se raidir, sa poigne presser ma cote avec inattention.
— Je ne veux pas attendre, je veux que vous fassiez votre travail, grogne-t-il, mâchoire serrée.
Sa tension se ressent dans la façon dont il parle, son corps le trahit. J’ai peur que ses yeux deviennent rouges s’il continue à perdre son sang-froid. Aussitôt, le médecin change d’avis et tourne les talons vers une double-porte coupe-feu indigo. Il la pousse sans mal avant de nous laisse passer tous les trois alors que Simon n’a toujours rien prononcé depuis que nous sommes entrés. Ce décor change tellement d’Axgold qui m’est parfois difficile de reconnaitre ce monde, cette civilisation. Nous marchons à travers tout le couloir blanc, dans un silence presque complet. Seul le bruit de leurs pas, de leurs chaussures, se fait entendre. Et quelques autres présences passantes dans l’allée.
Les chambres d’hôpital, ça ne m’avait pas manqué. Ma mère était morte dans l’une d’elle, seule. Cet endroit me donne toujours autant de frissons, même après des années à ne pas y avoir mit les pieds. Là, enfermés entre quatre murs immaculés, le Pique me dépose au bord du brancard.
— Racontez-moi ce qu’il vous arrive, me demande-t-il en fouillant dans le meuble se trouvant devant moi, à droite.
Je suis certaine que Kayn sait déjà. Il sait tout en cachant bien son jeu.
— Des vertiges, une envie permanente de vomir. Je suis fatiguée depuis ce matin, ma migraine est de pire en pire.
Il relève le visage, fronce les sourcils et sort un stéthoscope du tiroir du haut.
— Des douleurs pelviennes ? continue-t-il en plaçant le stéthoscope sur ma gorge sous les yeux attentifs du Pique et du Cœur.
Ce dernier étant resté presque prostré contre la porte fermée derrière lui.
— Pas permanente, mais oui.
Durant quelques secondes, il écoute attentivement dans son instrument tout en descendant de plus en plus bas sur mon plexus et enfin, mes abdominaux encore bien trop fins pour que je puisse en tirer des conclusions. Je prends enfin le temps de détailler son faciès : des cheveux et une barbe grisonnante, un nez aquilin et des rides au niveau extérieur de ses yeux. Il doit avoir la quarantaine, pas plus. Son souffle est court, mais naturel contrairement à ce que l’ont pourrait penser. Sans vraiment le dire, il se tourne vers les gars, plisse le front, perplexe.
— Qui…
— On ne sait pas, chuchote Simon, gênée.
Le teint matte du médecin devient livide. Il ne sait plus quoi dire, et étrangement, je le comprends. Son corps fait mécaniquement volte-face vers le bas meuble tout aussi blanc que le reste de la pièce. Il fait à peine deux pas avant de se baisser face au premier tiroir, de l’ouvrir dans un silence inouï et de fouiller dedans. Il en sort des gants en latex et une seringue stérile. Si seulement je pouvais entrer dans sa tête pour savoir ce qu’il pense de tout ça, de nous qui débarquons de nulle part. Tout en faisant demi-tour, il pose ses gants et son instrument sur le meuble lui-même.
— Votre stade n’a pas l’air très avancé. Je ne peux pas faire ce genre de test avant six semaines d’aménorrhée, mais je vais de suite aller chercher une collègue pour une échographie de datation.
Il s’en va sans plus de détails, nous laissant tous les trois bredouilles dans la salle. Il ferme à peine la porte que le Nécromancien se tourne froidement vers Simon
— T’étais pas obligé de dire qu’on ne savait pas, le toubib a dû nous prendre pour des vrais malades.
— Personne lui aurait dit, de toute façon, arrête de te plaindre en permanence, tu veux ? L’ambiance est assez tendue comme ça, pas besoin que tu l’ouvre.
Je soupire en les entendant faire un combat de virilité. Je n’ai même pas envie d’intervenir, je veux juste des réponses. Des putains de réponses, c’est si compliqué ? Inconsciemment, j’ai déjà une partie de ces dernières. Je suis enceinte, et quoi que je fasse, rien ne pourra le cacher. Psychologiquement, je crois que je ne serais pas prête à avoir recours à l’avortement. J’ai toujours respecté le choix des autres, j’ai toujours trouvé ça courageux, parce que ce n’est jamais facile et cela ne le sera jamais, mais je refuse d’endurer une telle souffrance, un tel manque. Les personnes qui comprennent cela s’y sont déjà préparé et l’ont vécue ou ne sont pas passées loin, je veux éviter cette détresse, ce désespoir qui habite celle qui ont eu la force. Mon corps et mon cœur ne sont pas prêts.
— Ils sont deux, prononce faiblement Kayn, pensant peut-être que personne ne l’entendrait.
Depuis plusieurs minutes, c’était le silence absolu, et j’avais le regard rivé sur mes pieds se balançant au-dessus du sol recouvert de dalles jaunies.
— Quoi ? intervient à son tour Simon.
— Il y a deux gamins, répète-t-il. Je les entends, j’entends leurs cœurs depuis tout à l’heure. Les battements résonnent dans mes oreilles incessamment.
Simon arque un sourcil, peu convaincu par la chose. Il se tortille enfin, probablement de nervosité.
— C’est possible, ça ? Deux Mages Hybrides ? reprend le Sanguimancien.
— J’espère que c’est une blague de très mauvais gout, pas vous ? ajoute Kayn. Je vais bien finir par me réveiller de ce cauchemar, et vous aussi.
Peu crédible. Il est complètement dans le déni. Simon à côté de lui a l’air totalement lucide vis-à-vis de la situation, quand bien même il soit plus tendu que nous deux réunis. Je vais vraiment devoir attendre plusieurs semaines pour faire un ridicule test de paternité alors que la situation est urgente ? Finalement, c’est cette partie-là, qui m’angoisse le plus, après les nombreux et violents symptômes qui m’ont pris en grippe depuis ce matin. Un moment de silence vient casser l’ambiance avant de voir arriver une sage-femme en blouse vert d’eau. Elle entre, forçant Simon à se décaler afin de pouvoir s’installer devant moi.
— Bonjour, prononce-t-elle doucement.
Silencieusement, elle attrape une chaise à roulette posée dans le coin supérieur gauche de la pièce avant de faire rouler une des machines se trouvant aussi ici. Un échographe, plus précisément. Tout devant moi, elle rapporte alors l’appareil rétroprojecteur et le bureau métallique noir posé dans le coin supérieur droit de l’endroit. Elle s’assied à ma droite et me sourit malgré l’ambiance tendue présente entre les deux gars.
— Il vous faut remonter votre robe jusqu’à votre thorax pour que je puisse procéder.
Sa voix est douce, elle me fait vaguement penser à celle de Léo. Ses cheveux méchés de blond sont attachés en une queue de cheval, et lorsque je remonte mon vêtement, elle étale un gel translucide sur la sonde échographique.
— Vous voulez voir à l’écran ?
Sans même le dire, je hoche le visage, peu importe l’avis de Kayn et de Simon. Peut-être que cela confirmera l’affirmation du Mage Noir, après tout. Je me demande ce que je vais ressentir. De la peur face à deux enfants hybrides ? De l’amour, comme la plupart des futures mères ? Je n’en sais rien, mais dès lors qu’elle pose l’appareil sur mon bas-ventre, la fraicheur du liquide transparent me donne des frissons. Tout ceci est presque irréel. En quelques secondes, une image de synthèse s’affiche sur le mur face à moi, celui sur lequel est posé Simon depuis que la sage-femme est entrée. Un bruit pulsatile retentit dans la machine. Deux sons différents, l’un après l’autre. Et je bien que les embryons ont l’air plus développés que ce que je pensais.
— C’est la première fois que vous venez ici ? me demande-t-elle, décontenancé.
Ses sourcils sont froncés, forment un pli au-dessus de son nez.
— Oui.
— D’après les mesures que je suis en train de prendre, vos enfants ont deux mois tout pile de grossesse. J’aurais bien aimé avoir un ventre aussi plat que le vôtre, s’amuse-t-elle maladroitement.
Je m’effondre complètement, mais mon premier réflexe reste d’observer les réactions du Cœur et du Pique. Alors que le premier possède sa mine de choqué, les yeux proéminents, la bouche asséchée, le second semble avoir compris quelque chose, mais quoi ? Cette phrase l’a déconcerté avant de le faire réfléchir, et moi je me trouve entre les deux. J’essaie de décrypter les expressions faciales de Kayn, mais c’est peine perdu, et l’incompréhension qui habite Simon commence peu à peu à déteindre sur moi. Kayn a le regard du coupable, ses yeux se perdent dans les miens, ils veulent tout dire. Un truc comme : « je t’expliquerais après. ». Ouais, j’aimerais bien qu’il m’explique, mon corps ne va pas supporter la croissance fulgurante de deux gamins, bien qu’entendre leurs cœurs m’apaise bien plus que n’importe quoi sur cette Terre.
— J’ai cru comprendre que vous aviez besoin d’un test de paternité, continue-t-elle en ne quittant pas l’écran des yeux. Si vous voulez, nous pouvons l’effectuer à ce stade-là de la grossesse.
Elle lâche le matériel de l’échographe et la rétroprojection disparait avant d’attraper les gants et la seringue posés un peu plus tôt sur le meuble longiligne blanc. Elle ouvre un autre tiroir, en sort une compresse, du sparadrap et un désinfectant avant de tout préparer et de revenir à moi. L’attente se fait longue jusqu’à ce qu’elle commence à nettoyer le pli de mon coude. Du coin de l’œil, j’aperçois le Nécromancien détourner le regard, soit par dégout soit par soif, je n’en sais rien. Quant à Simon, il reste impassible, habitué à voir le sien couler de ses propres bras pour ses sorts. Je ne ressens rien durant le lapse de temps où l’aiguille se trouvait dans mon épiderme, rien du tout. Elle termine son affaire et se redresse en direction des gars, seringue en main contenant quelques millilitres de sang.
— Test buccal ou prise de sang pour vous, Messieurs ?
Kayn daigne enfin tourner le visage. Ses pupilles se dilatent en voyant la seringue.
— Prise de sang, affirme Simon sans aucune once d’hésitation.
— Test buccal. Pour moi. S’il vous plait.
— Un hématophobe, hein ? sourit-elle avec sympathie.
— D’une certaine manière, oui.
Mécaniquement, elle sort une seconde seringue, puis un coton-tige et un tube en verre dans lequel mettre celui-ci. Elle procède d’abord avec Simon, bien plus docile que le Pique commençant à se tortiller dans tous les sens. Lui non plus ne bronche pas, stoïque comme un piquet. Un mètre plus loin, elle passe à Kayn, coton-tige et son récipient dans une main, seringue dans l’autre. Il ouvre la mâchoire en grand, mais ses canines ressortent légèrement par rapport à sa dentition.
— Vous avez les canines pointues, fait-elle remarquer sans vraiment se douter de quelque chose.
Elle frotte le fin bâton dans sa bouche avant de le retirer. Durant ce temps, Kayn louchait presque sur la seringue, à la limite de le lui voler.
— Je les entretiens.
Elle semble sourire, mais dos à moi, il est difficile d’en déduire quelque chose. Elle revient sur ses pas, jette les emballages stériles des seringues ainsi que les gants, nettoie la sonde et s’en va enfin, échantillons en main. Tout en se tournant une dernière fois vers nous, porte en main, elle annonce :
— Il vous faudra revenir sous sept à dix jours pour récupérer les résultats des tests, passez une bonne journée.
Puis, elle referme la porte, et mon ventre gonfle soudainement de quelques centimètres. Je manque de m’étouffer dans ma propre salive en voyant mon corps changer en si peu de temps.
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