Chapitre 34 - Kayn ☀️ : « Bouffon »
« Elle est la lumière de mes ténèbres. »
— Tu sais ce qu’elle a ? me demande avec curiosité Rubis.
— Non, et ça me saoule.
Elle est juste en face de nous, avec ses amis. En face de nous à trois mètres, les bras croisés sur la table et le visage plongé dans ceux-ci. Son état me perturbe, il me rend carrément malade, en fait. Est-ce moi qui provoque ses maux ? Si cela s’avère etre le cas, je ne pourrais pas le digérer, pas de sitôt. Devant elle, quelques tables plus loin, se trouve Langford. Langford le presque nouveau directeur. Je ne peux pas m’empêcher de lâcher un rire débile. Avec lui, je sais déjà que je vais me faire éjecte tôt ou tard. Ce n’est qu’une question, de jour ou de semaine, peu importe. Cette histoire me troue le cul, putain. Entre ma décadence qui a tout fait foirer et la possibilité de passer le restant de mes jours enfermé entre quatre murs avec Dorian le gros con, ça me les brise un peu. J’aimerais bien rester ici, m’enterrer dans un des Trois Royaumes, vieillir. Vieillir, putain. Quand Ruby sera ridée et fripée, j’aurais encore l’air d’avoir vingt piges, comment avoir l’air crédible ? Le meilleur Mage Noir, mon cul. Le pire dhampire de l’univers, surtout. Je ne suis même pas capable de savoir ce que mon Calice endure.
— Elle a dit qu’elle avait vomi, ce matin, lui dis-je calmement alors que Simon, Sindy et Cæsar sont en train de parler entre eux.
Ils s’arrêtent, se tournent tous vers moi et me regarde comme si j’étais débile.
— Elle est enceinte, bouffon.
Bouffon, ouais, c’est bien le mot qui me serait venu à l’esprit pour me caractériser lorsque je n’utilise pas mon intelligence.
— C’est bon, arrête de dire de la merde, Rubis, je grogne tout en restant peu convaincu de son hypothèse.
Tout le monde se regarde, c’est le silence total jusqu’à ce que Sindy décide de la ramener :
— C’est ce qu’on appelle, être dans le déni, Kayn.
— Je suis pas dans le déni, me cassez pas les couilles, je veux pas d’un gosse. Surtout pas d’un hybride, j’ajoute enfin. Il y a assez de moi.
Non, ça ne peut pas être ça, de toute façon. Il doit y avoir autre chose. Personne ne sait quoi que ce soit, alors pourquoi tout le monde ouvre sa sale gueule ? Toujours en train de parler pour rien dire.
— T’es carrément dans le déni, renchérit Cæsar, impassiblement.
— Non.
— Vous ne vous êtes pas protégés ? me demande Simon sans aucune gêne dans sa voix.
Ils deviennent tous blancs, presque autant que moi. C’est à nouveau le silence, puis, je prends conscience d’un minuscule détail : Simon avait couché avec Marie quelques jours avant moi, avant qu’on s'envoie en l’air tous les deux pour la première fois. Comme s’il lisait dans mes pensées ou qu’il voyait clair sur mon visage, il devient blafard. Un putain de cachet d’aspirine. Puis, le silence, le vrai, celui qui met tout le monde mal à l’aise.
— C’est quoi encore le problème, à cette table ? bougonne Rubis en voyant que deux d’entre nous sommes figés.
Vraiment figés, ses yeux ne me quittent plus et les miens ne quitte plus son visage d’effaré. Dans quelle merde on s’est embarqué, encore ? Il ne manquait plus qu’une prise de conscience comme celle-ci pour plomber encore plus fort l’ambiance.
— Je crois qu’ils ne savent pas qui est le père du gamin, en déduit Cæsar.
— C’est gênant, ajoute Sindy avant de s’enfoncer encore plus profondément dans sa chaise.
Ouais, c’est gênant, pour une fois je suis d’accord avec elle. Et franchement, c’est peu dire à ce stade-là. Cette scène dérangeante entre Simon et Marie m’était complètement sortie de l’esprit depuis des lustres. Je n’aurais jamais pensé devoir en reparler un jour, et surtout pas dans ce contexte plus que malaisant.
— Arrêtez d’en tirer des conclusions trop vite, d’accord ? je reprends afin de les faire descendre sur Terre.
Sur Diamantica, devrais-je dire. Arrête de t’enfoncer, Kayn. On ne pouvait pas tomber plus bas sur ce coup-là. Je me tire mon chapeau.
— Le plus simple serait de lui demander, continue le Cœur toujours vêtu d’un costume.
Merci, Sherlock, c’était utile, ça.
— Moi j’attends qu’elle s’en rende compte et qu’elle m’en parle elle-même, pas besoin de tirer des conclusions hâtives. Simon fait ce qu’il veut, mais pour l’instant ce n’est pas mon problème. J’espère juste que le gosse ne sera pas de moi, j’en veux pas.
— C’est bien les mecs, ça, soupire Sindy. Toujours en train de fuir lorsqu’il y a une nana enceinte au bout de la saucisse.
Je la fusille presque du regard alors que les autres se marrent comme des glandus de première catégorie. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Sindy et ses remarques débiles. Sérieusement, elle ne changera pas, même après avoir eu une discussion avec elle.
Bouffon… Ce mot résonne encore dans mes tympans. C’est le timbre de voix de Rubis qui le prononce. Tout le temps. Il n’y a que de sa bouche que l’on peut entendre des insultes comme celle-ci, de toute façon.
— Et Marie ? intervient Simon.
— Tu gardes le gamin et moi je récupère Marie. Même si c’est le mien, je te le donnes, si tu veux.
— Pour élever un Mage Hybride ? Non, merci.
Je veux juste récupérer mon Calice, moi, pas besoin d’un mot. Cette fille est devenue la lumière de mes ténèbres, ce n’est pas pour rien.
— Cette discussion devient ridicule, les gars. C’est bon, on en a assez entendu pour aujourd’hui, on verra quand la Carreau y verra déjà plus clair dans ce qu’il se passe, conclut Cæsar.
Cours optionnel, c’est ce qui suit notre virée au réfectoire. Comme nous nous trouvons dans le groupe de Marie, je sais que je pourrais la garder à l’œil durant cette heure-ci. Au fil des jours et des semaines, j’ai pu l’observer prendre grande expérience dans la lévitation, mais ce qu’elle préfère dans tous ses cours, c’est le magnétisme et la protection. Un jour elle me l’a avoué, elle veut etre professeure, ici. Professeure de protection ou de magnétisme. Ou les deux. Elle aussi, elle a de l’ambition, surtout pour quelqu’un qui n’est pas né à Diamantica.
Nous nous rendons dans la salle bien avant elle et son groupe, et c’est ce qui m’angoisse le plus : qu’il lui arrive quelque chose de grave lorsque je n’ai pas les yeux posés sur elle. Autrement dit, une chose qui arrive assez souvent. Et en général, la chose grave en question, c’est sans aucune surprise Anabella. L’inévitable Anabella.
Le professeur débarque sans nous prêter attention, le regard rivé sur ses clés avec lesquelles il ouvre la porte avant de nous laisser entrer. La pièce se remplie petit à petit et ce, en seulement quelques minutes jusqu’à ce que je vois arriver la troupe de Mages Blancs et la Trèfle à la file indienne.
— Je ne pensais pas qu’elle allait se pointer à un cours comme celui-ci dans son état, me souffle Rubis à ma droite.
C’est vrai, moi non plus. Elle aurait juste pu éviter de venir en cours en prévenant les professeurs de son état plutôt étrange, mais non, elle préfère venir quitte à souffrir le martyre. C’est quoi son délire à venir prendre ses leçons alors qu’elle ressemble à un zombie ? Je ne comprends pas. Mais je n’ai pas le temps de me questionner que l’enseignant commence déjà son cours en nous demandant de nous mettre en position, soit, écartés d’un bon mètre les uns des autres dans une salle sans table. Une salle sans table car elle sert exclusivement à la lévitation, et il nous faut donc de la place.
Nous commençons à peine notre leçon que nous devons déjà effectuer notre sort de lévitation, pour nous, perfectionné depuis des années, pour les autres, depuis seulement quelques semaines ou quelques mois. J’utilise mon sort aux cotés de Rubis et quitte ainsi le sol. Sans vraiment le vouloir, ma brume s’élève sous mes pieds. Durant la lévitation, c’est incontrôlable, ce qui a le don d’en surprendre plus d’un, surtout en début d’année. Face à moi, à deux ou trois mètres à l’opposé de la pièce, Marie s’essaie à son tour, bien que toujours aussi zombifiée. Je l’observe, seulement quelques centimètres au-dessus du sol de béton, mais je détourne à peine l’attention de ses mouvements en tournant mon visage vers le professeur qu’une sonnassion percute mes tympans.
J’ai un choc lorsque je la vois à terre, mais personne ne réagit assez vite à part moi. Je touche le sol, m’agenouille à moitié avant de l’attraper par la nuque et de d’amener son visage sous le mien. J’ouvre ses paupières et elle reprend aussitôt conscience. J’entends trois cœurs. Trois cœurs qui battent. Le premier étant bel et bien celui de la Mage Blanche, toujours en vie, les deux autres, en revanche… Pourquoi ne les ai-je pas entendu plus tôt ?
Je ne préfère pas m’occuper de ça pour l’instant et préfère l’aider à aller mieux, se redresser et se dégauchir. Elle me lance un faible « merci », mais finalement, la seule chose à laquelle je pense, ce sont ces deux cœurs. Ces deux palpitants qui font vibrer mes oreilles, mon corps tout entier. Deux Mages Hybrides ? Impossible.
Mon etre prend quinze degrés de plus, on dirait. Je crève de chaud, de stress, d’idées délirantes. Je rêve totalement, même si ses yeux tentent de m’ancrer encore et toujours plus dans le monde réel. Si seulement cela ne pouvait etre qu’un mirage, ça rendrait les choses plus simples… Tellement plus simple. Laisser deux gosses à Simon ? La blague du siècle, déjà un, c’est trop compliqué, alors deux… Je peux toujours aller me brosser. S’ils sont de lui, aucun des deux ne sera hybrides et ça sera tant mieux pour ma poire, mais la situation serait quand même assez loufoque, voire carrément tordue, en fait. Bordel de merde, Rubis avait raison. Depuis quand a-t-elle raison, cette fille excentrique ? Toujours quand ça l’arrange en tout cas. Je suis un vrai bouffon, incapable de deviner une chose si simple seul, que va-t-on faire de moi ?
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