Chapitre 24 - Kayn ☀️ : Comme deux aimants, comme deux amants.
« Caresser les ténèbres, c’est peut-être apprendre à les dompter. »
Assis. Toujours assis. Nous sommes mercredi après-midi, et les autres ont à nouveau décidé qu’il était temps de s’entrainer. Je n’ai pas envie. Je n’ai vraiment pas envie, bordel de merde ! Tout m’emmerde, rien ne me donne envie. Alors je suis là, installé contre la façade de l’académie à les regarder rire et utiliser les quatre éléments sous le soleil luisant.
Assis. Toujours assis. Contre ce mur qui me déchiquète le dos mais sur lequel je m’acharne à rester en place. J’ai envie d’avoir mal. J’ai besoin d’avoir mal, ça m’apprendra à être un énorme con, à me surprendre en train de penser au rituel du Calice. De penser à faire de Marie mon Calice. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond, chez moi ? N’importe quel dhampire fuirait à ma place, à la première occasion se présentant à eux, d’ailleurs. Je réagis comme un vampire, je reste stoïque tout en attendant que cela se produise, a qu’à cela ne tienne, et dès que tout cela sera enclencher, je vais sombrer.
Mes tympans frétillent lorsque j’entends quelqu’un s’avancer dans le hall, derrière le mur qui me sert de dossier. Je pivote le visage à ma droite et aperçois la silhouette de la Mage Blanche s’extirper du château.
— Anabella ? lance-t-elle avant de tourner son regard dans ma direction.
Son visage devient rigide, glacial, même. C’est la première fois que j’observe cette expression chez elle. Son gilet commence à hanter mon esprit. C’est ce qui la caractérise de l’extérieur, ce vêtement duveteux et pastel. Presque derrière elle, une minuscule lune pointe déjà le bout de son nez.
— Désolé, je cherchais Anabella.
En relevant un peu plus son visage vers l’horizon, elle distingue les silhouettes de Rubis et de Cæsar. Ses sourcils se froncent, mais elle revient presque instantanément vers moi. On dirait qu’elle n’ose plus repartir. Elle attend que je lui donne l’autorisation, ou quoi ?
— Anabella Roswell, je prononce doucement afin de la faire réagir.
C’est bien la énième fois que ce nom de merde résonne dans ma tête. Elle et Rubis ferait une fine équipe d’emmerdeuses, c’est certain.
— Conseil d’ami : tu ferais mieux d’arrêter de trainer avec, continué-je sur un ton impassible. Un jour, elle m’a dit que je n’avais aucune limite, et je l’ai cru, mais il n’y a qu’à voir son comportement avec toi. Elle te mène par le bout du nez, du Rubis tout craché.
— Et si tu commençais à appliquer tes propres conseils ? me lance-t-elle d’un ton cuisant.
Elle n’a décidément pas l’air de bonne humeur, c’est flippant.
— Difficile de défaire une relation comme celle que j’ai avec Rubis, donc non, je n’appliquerais pas mon propre conseil. Ce n’est pas pour autant qu’il ne s’applique pas à ton cas puisque tu connais Mademoiselle Roswell que depuis un peu plus de deux semaines.
Elle sourit et rit légèrement, mais son corps la trahit. Elle est plantée là, devant moi, tel un piquet
— Parce que tu baises avec ?
Si elle n’était pas celle qui me retourne le cerveau depuis début septembre, je lui aurais probablement déjà mis un revers de main dans la gueule. Au lieu de ça, je soupire, presque inlassablement.
— Je n’ai pas dit ça. Je suis loin de l’avoir dit, en fait.
— Non, mais tu le penses. Au fond, tu aimes autant que tu détestes ta solitude, parce qu’il y en a deux différentes : celle que tu cherches et celle que tu fuis. Tu n’es pas prêt à avoir un Calice parce que tu as peur qu’il ou elle ne t’aime pas pour ce que tu es. C’est la solitude que tu cherches, sans arrêt. Tu continues de tringler Rubis sans broncher même si tu sais que cette relation est vouée à l’échec s’il n’y a pas ce détail sensuel dans vos échanges. C’est la solitude que tu fuis.
J’ai l’impression de m’être pris la claque de ma vie. Je savais que j’étais dénué d’émotion, mais au point de ne pas réagir à cet affront, c’est qu’il n’y a rien qui peut me perturber de l’extérieur. Néanmoins, à l’intérieur c’est une autre histoire. Je n’avais jamais vu cela sous cet angle, mais maintenant qu’elle le dit, j’en prends amèrement conscience. Je ferme les yeux un instant, mais elle est toujours là. Ce n’est pas un cauchemar.
— Tu ne sais pas ce que c’est d’avoir cette malédiction, ni cette pression. Tu ferais mieux de t’amuser à te renseigner sur d’autres espèces que la mienne, ça t’évitera bien des problèmes et des surprises.
— Je n’ai pas envie. Mon but en allant à la bibliothèque, l’autre fois, c’était d’essayer de te comprendre, puisque tu ne semblais pas vouloir en parler. Il s’agit de ta condition, pas d’un vieux sort tout droit sortie des doigts de quelqu’un.
— Je maudis ma condition, tu n’as pas encore compris ? C’est mon fardeau, quelque chose, qui, même avec une excellente pratique des malédictions, je ne pourrais jamais me défaire. Je suis condamné à avoir un pied sur terre et l’autre en enfer.
Son minois s’affaisse, elle semble soucieuse, mais pour quelle raison ? Son aura dégage beaucoup trop d’inquiétude à présent.
— Tu ne t’es jamais dit qu’un Calice pouvait te rendre heureux ? Qu’il pouvait te faire sortir la tête hors des ténèbres ? Encore plus que cette pétasse de Rubis.
— Je vois ça plutôt comme un problème qu’une réelle aide. Et ne parle pas de Rubis comme ça, elle a fait bien plus pour moi que n’importe qui.
— Justement, il serait temps pour toi de découvrir les autres, à trop voir les mêmes tronches, tu finis par te lasser.
J’ai souvent l’impression qu’elle se fout ouvertement de moi, comme si elle attendait que je réplique et que je lui cloue le bec.
Ce n’est probablement qu’une impression.
Je n’ai pas envie de me tuer à lui expliquer pourquoi je ne veux pas de Calice dans ma foutue vie, mais ce n’est pas comme si j’avais réellement le choix. C’est qu’elle a presque réussi à me convaincre, la Mage Blanche qui hante mes jours et mes nuits.
— Un Calice ne doit pas être n’importe qui. La plupart du temps, chez les vampires, ils représentent quelqu’un qu’ils connaissent déjà, qu’ils chérissent, même.
— D’autres font cela par pur égoïsme, je sais, ajoute-t-elle sans que j’aie le temps de continuer.
Véridique, et ceux-là méritent juste de se faire égorger par des chasseurs. Heureusement, Dorian n’a pas été dans ce cas de figure avec ma mère.
— Dans certains cas, le prétendu Calice n’a pas de sentiments envers le dhampire, ou le dhampire n’a pas de sentiments envers le Calice, ce qui en fait une relation totalement proscrite. Elle est contraire aux principes du Calice chez les dhampires, c’est loin d’être une relation viable et saine. Et c’est encore pire lorsqu’il y a des émotions négatives entre les deux individus. À partir de là, tu peux dire adieu à ton mental, même s’il est en béton. Sans aucune surprise, je crois que nous sommes dans ce cas-là. Avec la forcenée qu’est Anabella, ça ne m’étonnerait pas que tu ne puisses pas me voir en peinture puisque je suis un Mage Noir. Et j’ai toujours été conditionné à haïr les Mages Blancs. On nous le dicte même en cours.
Tu te voiles tellement la face, mon gars, c’est impressionnant. J’ai presque envie de chialer, en fait. Mon corps me dit de foncer tête baissée et d’en faire mienne, et ma conscience me pousse à la faire fuir, à lui faire comprendre que je ne vaux rien. J’ai à peine terminé ma phrase qu’elle pique un fard. Sa bouche s’assèche et son rythme cardiaque s’accélère comme si elle venait de courir un marathon. J’ai fait quoi, encore ? Pas le temps de répondre à cette question que je me lève afin de m’enfoncer dans le château. Il n’y a plus rien à dire à ce stade-là, bientôt elle ne sera plus qu’un étrange souvenir et je ne serais plus qu’un dépressif inconnu à ses yeux.
Elle ne bouge pas et reste muette, je passe devant elle, puis à coté, et lorsque mon cœur croise le sien à quelques centimètres l’un de l’autre, j’ai l’impression de m’effondrer de l’intérieur. Chaque pas de plus est une épreuve, parce que je sens que les battements de son palpitant s’éloignent de moi. Je m’arrête, mais seul mon buste se tourne dans sa direction. Lorsque je la vois m’observer, c’est mon corps entier qui fait volte-face. Celui-ci flagelle comme une feuille sous un coup de vent. Cette scène dure une éternité, j’aimerais qu’elle ne se finisse jamais.
D’un pas lent, elle s’avance vers moi. Je ne suis pas certain que cela soit une bonne idée, mais elle s’avance encore plus. Pas une seule fois elle s’interrompt, gardant les yeux rivés sur mon froid visage. Une fois devant moi, elle me détaille comme elle l’avait fait, l’autre fois, lors de notre premier cours de défense. Elle a ces yeux impénétrables, cette force tranquille qui l’habite. Sa main se dépose sur ma joue gauche. Une main chaude. Son pouce vient faire des allers-retours contre le creux de ma peau.
— Caresser les ténèbres, c’est peut-être apprendre à les dompter.
Un long silence s’ensuit. Un silence très long, mais loin d’être pesant. Un silence qui me laisse l’observer sans aucune once de jugement, mais avec tant d’affection qu’il m’est encore difficile d’y croire.
Mon visage s’abaisse finalement, mon âme se transforme en brasier lorsque ma bouche touche la sienne. Je l’ai tant attendu, je l’ai tant espéré et renié que ma gorge s’assèche pourtant rapidement malgré l’humidité de ses lèvres charnues. En levant mes bras afin d’attraper son visage entre mes mains, je prends furtivement conscience que mon corps tout entier dégage une aura noire et que la Carreau en possède une blanche. C’est donc ça ? La puissance d’un amour hybride ? On m’a vendu du rêve.
Mes mains touchent à peine sa peau que l’essence ténébreuse se mélange avec la sienne, lumineuse. Une chose est sure, ce n’est pas ma brume. Les yeux fermés, elle ne se rend pas compte des deux fluides qui s’entremêlent ni de la lune prenant une couleur écarlate et rendant l’atmosphère sombre et apocalyptique. Elle gagne en taille, si bien qu’il est à présent difficile de la louper dans ce noir presque complet. Cette histoire me fait chier, mais je me dois de l’arrêter, bien que cela ne fera pas partir cette couleur vive sur laquelle tout le monde s’affole dehors. Elle ouvre les yeux et tilt enfin, ses yeux deviennent proéminents lorsqu’elle pivote son visage sur sa gauche.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? s’affole-t-elle.
— Une lune de sang. Elle apparait lorsqu’un vampire nait, qu’un vampire meurt, qu’un vampire ou un demi-vampire s’approche d’un peu trop près et pour la première fois d’un nouveau Calice ou d’un prétendu Calice. Et c’est loin d’être discret. Nous avons signé notre arrêt de mort, je fais remarquer avec effroi. Comment j’ai pu oublier ça ?
Mon poing gauche vient heurter violemment le mur en pierre, creusant un renfoncement sur celui-ci. Marie sursaute avant de reprendre un rythme cardiaque reprend un rythme décent pour se focaliser sur la taille démesurée de l’astre ayant obscurcit le ciel en à peine quelques secondes. Qu’est-ce qu’il m’a pris, encore une fois ? J’aurais dû m’abstenir et tourner les talons vite fait bien fait lorsque j’en avais l’occasion. Ma paume vient se coller à mon front, les yeux écarquillés. La sueur froide commence à couler le long de mes pores, j’ai mal au bide. Comment est-ce possible de passer d’une émotion extrême à l’autre de cette façon ? C’est inhumain. Ici, nous sommes tous les deux figés, mais à l’extérieur, quelques mètres devant nous, c’est la panique totale. Il n’y a plus que la lumière rougeâtre se reflétant sur les étudiants se trouvant encore sur le terrain. Je vois vraiment la vie en rouge, finalement.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro