Cher héritier, permets-moi de te nommer ainsi, toi qui lis ces mots. En effet, peu importe qui tu es et d'où tu viens. Ce qui importe vraiment, c'est que je te lègue une histoire, une histoire que j'ai gravée à l'encre sur cette feuille, dans l'espoir que le simple récit oral qu'elle était réchappe de la course folle du temps, qui risquait de l'emporter. Si tu me lis, c'est donc chose faite.

Mais en même temps que tu hérites de ce récit, tu reçois une mission: Tu es désormais le gardien d'un véritable trésor. Si ce n'est dans ton cœur, tu dois au moins conserver cette histoire dans ta tête... te souvenir. C'est ainsi et seulement ainsi que les récits prennent réellement vie. Lorsque leurs lecteurs, leurs gardiens, s'en souviennent et s'en servent. Qu'ils s'en servent pour rêver, pour rester fort lorsque le temps les met à l'épreuve, ou pour créer, imaginer et écrire de nouvelles histoires, c'est toujours un hommage qu'ils rendent aux récits. Car le seul pouvoir de ces contes est bien de réchapper des méandres sournois et capricieux du temps, de servir de fontaine de jouvence, de saisir au vol un brin d'immortalité et le garder à tout jamais, coincé entre les mots, couché sur le papier, pour se souvenir encore et toujours, et pour rêver.

Maintenant que tu es conscient de la mission qui t'incombe à toi et à tous ceux qui hériteront, et qui ont hérités d'histoires, je peux enfin te conter la mienne en toute confiance. La mienne... ou plutôt celle d'un homme que j'ai rencontré il y a de cela des années. Tout a commencé le 21 de Thermidor 1783 dans un port du Finistère qui faisait face à la mer d'Iroise.